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                                                                 Date : 20020829

                                                             Dossier : IMM-4709-01

                                                Référence neutre : 2002 CFPI 909

Entre :

                             KADIATOU TRAORE

                                                    Partie demanderesse

                                  - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                    Partie défenderesse

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

   Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la « Loi » ) à l'encontre d'une décision rendue le 20 juin 2001 par madame Denise Couture (ci-après « l'agent d'immigration » ) concluant qu'il n'y avait pas de raison prévue au paragraphe 114(2) de la Loi pouvant permettre d'accorder àla demanderesse la dispense ministérielle aux termes du paragraphe 9(1) de la Loi.

   Le 7 septembre 1999, la demanderesse est arrivée àl'aéroport de Dorval avec un visa de visiteur pour une durée de six mois. Le 18 septembre 1999, elle a rencontré pour la première fois monsieur Roberto Vézina.


   Le 2 octobre 1999, il y eu proposition de mariage entre la demanderesse et monsieur Vézina, lesquels se sont mariés le 29 octobre 1999.

   Le 20 décembre 1999, la demanderesse a fait une demande pour être dispensée d'effectuer une demande de visa à l'extérieur du pays, en raison, selon le paragraphe 114(2) de la Loi, de considérations humanitaires. En date du 5 octobre 2000, il y a eu une première entrevue avec un agent d'immigration pour évaluer si le mariage du 29 octobre 1999 en était un de bonne foi. Le 26 octobre 2000, la demande de dispense a été refusée, ce qui a amené la demanderesse à soumettre une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en date du 5 décembre 2000.

   Le 15 février 2001, la demanderesse a fait une seconde demande de dispense, cette fois pour des considérations d'ordre humanitaire avec des risques de retour.

   Le 28 février 2001, la partie défenderesse a été avisée par la demanderesse qu'elle se désistait de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

   Le 27 avril 2001, l'agent réviseur des risques de retour (ci-après « l'ARRR » ) a rendu une opinion concernant les risques de retour de la demanderesse et, le 9 mai 2001, la demanderesse a fait parvenir ses commentaires à l'ARRR.

   Suite à une entrevue le 7 juin 2001 avec la demanderesse et monsieur Vézina, l'agent d'immigration a, le 20 juin 2001, refuséd'accorder la demande de dispense de visa de la demanderesse, ce qui a conduit cette dernière à déposer la présente demande de contrôle judiciaire vers le 12 octobre 2001. Dans sa demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire, la demanderesse reconnaît avoir reçu la décision attaquée le 28 juin 2001.


   Il importe de reproduire les conclusions suivantes de la décision longuement motivée de l'agent d'immigration :

J'ai pris connaissance de l'opinion sur l'évaluation de dangers de retour et ce rapport indique que madame Traoré n'est pas àrisque si elle retourne au Mali. L'analyse de l'ARR est complète et est basée sur des documents pertinents. La requérante a pu faire des observations qui n'ont amené aucun élément nouveau. Compte tenu de l'analyse, ce rapport m'apparaît impartial et je partage la décision de l'ARR quant à l'absence de risques de retour.

Après avoir examinétoutes les déclarations de la requérante et du garant, je relève plusieurs contradictions qui m'amènent àcroire que ces deux personnes ne partagent pas leur quotidien et en (sic) vivent pas ensemble bien que les conjoints ont donné une description semblable du lieu de résidence.

Devant tous ces éléments, je conclue (sic) qu'il n'a aucun motif humanitaire pour exercer mon pouvoir discrétionnaire.

La demande de dispense est donc refusée.

En tout premier lieu, l'ordonnance autorisant le présent recours étant demeurée silencieuse sur la demande de prorogation de délai faite par la demanderesse, le défendeur soumet que la demanderesse n'a pas valablement justifié la prorogation demandée.

La principale raison invoquée par la demanderesse pour appuyer sa demande de prorogation est le fait qu'elle n'a su que sa revendication de statut de réfugiée avait été refusée que le 23 août 2001. Par la suite, elle aurait demandéà son ancien procureur d'intervenir auprès de l'agent d'immigration pour faire changer la décision, mais sans succès. Elle aurait finalement confié le mandat de déposer la présente demande à l'avocat présentement au dossier.

La Cour d'appel fédérale dans la décision Tarsem Singh Grewal c. M.E.I., [1985] 2 C.F. 263, a établi les quatre critères que la demanderesse doit démontrer si elle veut obtenir gain de cause dans une demande pour extension de délai :

1.     Une intention constante de poursuivre sa demande;

2.    Que la demande soit bien fondée;

3.    Que la demanderesse ne subisse pas de préjudice en raison du délai; et

4.    Qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai.


Ces critères ont été cités à de nombreuses reprises par la jurisprudence notamment dans Canada (Procureur général) c. Hennelly, [1999] A.C.F. no 846 (QL), décision unanime de la Cour d'appel fédérale.   

Dans Novotny c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 30 (1re inst.) (QL), le protonotaire Hargrave précise :

"[p]our obtenir une prorogation de délai, un requérant doit notamment établir qu'il existe une justification pour le retard pendant toute la période du retard et qu'il existe une cause défendable [...]".

Après avoir examiné le dossier et considéré les arguments des parties, je suis d'avis, en dépit de l'habile présentation du procureur de la demanderesse, que cette dernière n'a d'aucune façon justifié la totalité du retard en cause de quelque trois mois. L'attente d'une autre décision concernant sa demande de revendication du statut de réfugiée et la tentative de faire changer la décision de l'agent d'immigration ici concerné ne constituent pas une explication raisonnable justifiant le délai. La demanderesse aurait pu et dû déposer sa demande d'autorisation avant l'expiration des quinze jours suivant le 28 juin 2001, date à laquelle elle reconnaît avoir été informée de la décision en cause. Le retard non valablement justifié de la demanderesse est donc fatal et entraîne à lui seul le rejet de la présente requête.

De toute façon, je considère la présente demande de contrôle judiciaire dénudée de fondement.

Dans l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, l'honorable juge L'Heureux-Dubé a précisé, aux pages 857 à 858, que la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions rendues en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi est celle de la décision raisonnable simpliciter :


Tous ces facteurs doivent être soupesés afin d'en arriver à la norme d'examen appropriée. Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilitéexpressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d'appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi àindiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable » . Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

En premier lieu, la demanderesse soutient que l'agent d'immigration a eu tort de fonder sa décision uniquement sur l'opinion de l'ARRR. Sur ce point, je ne suis pas d'accord. Dans l'affaire Al-Joubeh c. Canada (M.C.I.) (1996), 109 F.T.R. 235, à la page 239, le juge Campbell a conclu qu'il est opportun pour l'agent d'immigration de rechercher l'opinion d'un ARRR lorsque les risques de retour sont en cause comme en l'espèce. De plus, il a été établi que l'obtention d'une telle opinion et la considération de cette opinion dans le cadre de la décision de l'agent d'immigration ne constituent pas une entrave à sa discrétion.

Le juge Gibson dans l'affaire Haghighi c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (8 septembre 1999), IMM-4780-98 (C.F., 1re inst.), a énoncé que la consultation de l'ARRR par l'agent d'immigration constituait une pratique courante et acceptable dans la mesure où la décision finale est prise par l'agent d'immigration.

Le juge Cullen dans l'affaire Bertram c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 1362 (1re inst.) (QL), a conclu lui aussi qu'il était loisible à l'agent d'immigration de consulter l'ARRR :

Malgré cette lacune, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'agent d'immigration qui prend une décision en vertu du paragraphe 114(2) peut se fonder sur une appréciation du risque faite par l'agent de révision.


Comme en l'espèce l'agent d'immigration a en outre tenu compte de nombreuses contradictions entre les déclarations de la demanderesse et de son garant, nul ne peut la blâmer d'avoir aussi consulté un spécialiste tel l'ARRR pour évaluer les dangers de retour, le tout dans le but de prendre une décision juste et raisonnable.

La demanderesse allègue ensuite que l'agent d'immigration a omis de l'interroger sur les commentaires émis par l'ARRR. Dans l'affaire Haghighi c. Canada (M.C.I.), [2000] 4 C.F. 407, à la page 423, la Cour d'appel fédérale, sous la plume du juge Evans, a confirmé ce qui suit :

J'estime que l'obligation d'équité exige que ceux qui présentent de l'intérieur du pays une demande de droit d'établissement fondée sur des raisons d'ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) soient informés de l'ensemble du contenu du rapport d'évaluation des risques de l'agent de révision et qu'il leur soit permis de faire des observations au sujet de ce rapport, même dans les cas où le rapport est fondé sur des renseignements qui sont fournis par le demandeur ou qui lui sont raisonnablement accessibles. Compte tenu du volume, des nuances et des incompatibilités des renseignements disponibles àpartir de différentes sources sur la situation dans le pays, donner au demandeur la possibilité de faire des observations sur les erreurs, les omissions et les autres lacunes que pouvait contenir l'analyse de l'agent de révision pourrait bien permettre d'éviter des décisions erronées de la part des agents d'immigration dans les dossiers où des raisons d'ordre humanitaire sont invoquées, d'autant plus que ces rapports sont susceptibles de jouer un rôle vital dans la décision finale. J'ajouterais seulement que la possibilité d'attirer l'attention sur les erreurs ou les omissions qui seraient contenues dans le rapport de l'agent de révision ne constitue pas une invitation aux demandeurs pour qu'ils présentent de nouveau leurs arguments à l'agent d'immigration.

En l'espèce, l'ARRR a donné à la demanderesse l'occasion de fournir des commentaires pour relever des erreurs ou des omissions dans son opinion, ce qu'elle a fait. Pour sa part, l'agent d'immigration a fait référence tant à l'opinion de l'ARRR qu'aux observations de la demanderesse dans sa décision. Il appert donc que l'agent d'immigration a raisonnablement tenu compte des deux.

La demanderesse prétend aussi que l'agent d'immigration a failli à son devoir d'équité de procédure en ne l'ayant pas mis au courant, non plus que son mari, des doutes qu'elle avait sur l'authenticitédu mariage et des supposées contradictions. La Cour d'appel fédérale dans l'affaire Shah c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. no 1299 (QL), a établi :


. . . C'est le paragraphe 114(2) de la Loi . . . qui lui confère le pouvoir d'accorder une dispense de cette nature. Cette décision relève entièrement de son jugement et de son pouvoir discrétionnaire et la Loi ne confère aucun droit au requérant en ce qui a trait au dispositif de cette décision. Il s'agit donc d'une décision différente de bien d'autres, par exemple, de celle d'un agent des visas saisi d'une demande parrainée du droit d'établissement, qui est tenu d'appliquer certains critères qui sont établis par la Loi et qui confèrent certains droits au requérant qui y satisfait.

En l'espèce, le requérant ne doit pas répondre à des allégations dont il faut lui donner avis; c'est plutôt à lui de convaincre la personne investie d'un pouvoir discrétionnaire qu'il doit recevoir un traitement exceptionnel et obtenir une dispense de l'application générale de la Loi. La tenue d'une audition et l'énoncé des motifs de la décision ne sont pas obligatoires. L'agente n'a pas l'obligation d'exposer au requérant les conclusions éventuelles qu'elle est susceptible de tirer des éléments dont elle dispose, ni même les éléments en apparence contradictoires qui sèment le doute dans son esprit. Si elle entend se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant, elle doit bien sûr lui donner l'occasion d'y répondre (voir Muliadi v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1986), 18 Admin.L.R. 243). Toutefois, lorsqu'elle décèle l'existence d'éléments contradictoires, son omission de les porter expressément à l'attention du requérant peut avoir une incidence sur le poids qu'elle doit leur accorder par la suite, mais ne porte pas atteinte au caractère équitable de sa décision. Toute remarque incidente tirée des décisions In re H.K. (An Infant), [1967] 2 Q.B. 617, Kaur v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1987), 5 Imm.L.R. (2d) 148, et Ramoutar c. Canada, [1993] 3 C.F. 370, qui pourrait être invoquée à l'appui de la prétention contraire, doit être interprétée en ce sens.

Pour avoir gain de cause, la partie requérante doit démontrer que la personne investie d'un pouvoir discrétionnaire a commis une erreur de droit, a appliqué un principe erroné ou inapplicable ou a agi de mauvaise foi (voir Vidal v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1991), 13 Imm.L.R. (2d) 123. En ce qui a trait aux normes générales applicables au contrôle judiciaire d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi, voir D.R. Fraser and Co., LD v. Minister of National Revenue, [1949] A.C. 24.). Il s'agit d'un fardeau très lourd dont la partie requérante ne s'est pas acquittée. Le rejet de la requête était justifié.

À la lumière de cette jurisprudence, je suis d'avis qu'il n'existe aucune obligation de confronter la demanderesse aux contradictions apparentes au dossier. Par ailleurs, je ne peux retenir les arguments de la demanderesse reliés à l'appréciation des faits faite par l'agent d'immigration, n'étant pas satisfait, après révision de la preuve, que la décision rendue par cette dernière est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition (voir l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7).


Finalement, la demanderesse soumet que l'agent d'immigration et l'ARRR auraient commis une erreur de droit en imposant un fardeau de preuve excessif à son égard. En effet, il est bien établi que le fardeau de démontrer selon la balance des probabilités qu'elle devrait bénéficier d'une exemption incombe à la demanderesse (voir Shah, supra). Je suis d'avis que la demanderesse n'a pas réussi à rencontrer ce fardeau et, compte tenu de la preuve pertinente, la décision prise par l'agent d'immigration ne m'apparaît pas déraisonnable.

Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je suis d'accord avec les procureurs des parties qu'il n'y a pas ici matière à certification.

                                                                         

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 29 août 2002


                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

             NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              IMM-4709-01

INTITULÉ :                           KADIATOU TRAORE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 11 juillet 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE :     L'honorable juge Pinard

EN DATE DU :                    29 août 2002                  

ONT COMPARU :

Me Serge Dumas                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Steve Bell                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Serge Dumas                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Sainte-Foy (Québec)

M. Morris Rosenberg                         POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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