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Date : 20190722


Dossier : IMM‑4864‑18

Référence : 2019 CF 969

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

ARUN KUMAR SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Arun Kumar Singh, est un citoyen indien qui a présenté une demande de visa de résident temporaire afin de visiter la Colombie‑Britannique. Dans une lettre datée du 21 septembre 2018, un agent des visas d’Ottawa a rejeté sa demande. Le demandeur présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Il demande entre autres à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un autre agent afin qu’il rende une nouvelle décision.

I.  Contexte

[2]  Le demandeur a indiqué vouloir visiter la Colombie-Britannique afin d’explorer des occasions d’affaires et de peut-être s’établir dans la province.

[3]  Sa demande de visa de résident temporaire comprenait un affidavit de sa sœur, une citoyenne canadienne vivant en Colombie-Britannique, qui a déclaré que son frère voulait faire une visite d’exploration au Canada, qu’il resterait chez elle et qu’elle serait responsable de le nourrir et de lui fournir un logement et les autres nécessités dont il pourrait avoir besoin durant son séjour.

[4]  Avant de présenter sa demande de visa de résident temporaire, le demandeur a visité la Thaïlande à trois reprises en tant que touriste. Dans sa demande, il a indiqué qu’on lui avait refusé un visa de résident temporaire au Canada en juillet 2013. Il a mentionné qu’il disposait d’environ 181 000 $ pour financer son séjour au Canada et que les membres de sa famille ne l’accompagneraient pas. Il a ajouté qu’il avait des actifs et des entreprises commerciales considérables en Inde, qu’il y était bien établi sur le plan économique et donc, qu’il entretenait des liens solides avec l’Inde et avait l’intention d’y revenir à la fin de son voyage.

II.  La décision

[5]  L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résident temporaire aux termes de l’alinéa 179b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR] en raison de son historique de voyage, de l’objet de sa visite et de l’absence d’un but commercial légitime au Canada.

[6]  L’agent a noté les motifs suivants dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] pour justifier sa décision de ne pas accorder de visa :

[traduction]

J’ai examiné tous les documents fournis pour cette demande. Voici un résumé des principales constatations : – Dossier de recherche intégré : aucun renseignement défavorable – Le DP n’a pas fait de voyage international; voir l’historique de voyage au dossier – Le client souhaite visiter le Canada du 15 septembre au 31 janvier 2019 – Selon la lettre d’invitation de la sœur du client, celui-ci viendrait au Canada pour une visite « d’exploration », soit afin d’explorer des occasions d’affaires – Aucune invitation commerciale n’a été fournie. Le client travaille comme agent immobilier à son compte – Le DP ne semble pas avoir de but commercial légitime. Étant donné ce qui précède, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le séjour proposé est crédible. Je ne suis donc pas convaincu que le DP est un véritable visiteur qui quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Demande rejetée.

III.  Norme de contrôle

[7]  La norme de contrôle applicable au refus d’un agent des visas de délivrer un visa de résident temporaire est celle de la décision raisonnable. Les agents des visas ont une spécialisation reconnue dans l’appréciation des demandes de visas de résident temporaire, et la Cour doit donc faire preuve de retenue face à leurs décisions dans les contrôles judiciaires (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 465, par. 8 [Zhou]).

[8]  La norme de la décision raisonnable oblige la Cour à examiner les décisions administratives afin de vérifier si le caractère raisonnable tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47). Ces critères sont remplis si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 16).

[9]  La question de savoir si l’agent aurait dû informer le demandeur de ses préoccupations concernant le caractère adéquat ou la crédibilité des documents fournis soulève des questions de justice naturelle ou d’équité procédurale. La Cour doit déterminer si la démarche ayant mené à la décision visée par le contrôle était empreinte du degré d’équité requis, eu égard aux circonstances de l’affaire (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, par. 115). Le cadre d’analyse ne concerne pas tant la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable que l’équité et la justice naturelle.

[10]  Une question d’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier » (Moreau-Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, par. 74). Comme la Cour d’appel fédérale l’a observé : « même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [TRADUCTION] "particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte", même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 54).

 

IV.  La décision était-elle raisonnable?

A.  Observations du demandeur

[11]  Le demandeur affirme que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en ignorant la preuve ou en la soupesant incorrectement. Selon lui, il était déraisonnable d’exiger une invitation commerciale étant donné que son séjour au Canada visait à explorer des occasions d’affaires en personne. D’après le demandeur, l’agent a omis de tenir compte de ses liens avec l’Inde, particulièrement de ses liens familiaux et de la propriété qu’il détient.

[12]  Le demandeur affirme également que l’absence d’historique de voyage ne peut être qu’un facteur neutre dans l’évaluation d’une demande de résident temporaire et que l’agent a commis une erreur en considérant son historique de voyage comme un facteur négatif. Selon le demandeur,  l’agent a également commis une erreur en ne tenant pas compte de son intention de passer du temps avec sa sœur; la réunification de famille aurait dû être un facteur jouant en faveur de l’octroi d’un visa de résident temporaire.

B.  Observations du défendeur

[13]  Le défendeur soutient que la décision de l’agent était raisonnable. Il affirme que les notes du SMGC sont intelligibles et qu’elles expliquent adéquatement pourquoi la demande de visa de résident temporaire a été rejetée. Selon le défendeur, rien dans la preuve du demandeur ne laisse croire à des occasions d’affaires précises ou à des investissements potentiels au Canada.

[14]  En réponse à l’allégation du demandeur selon laquelle l’agent a déraisonnablement ignoré ses liens familiaux et commerciaux en Inde, le défendeur affirme que l’agent n’était pas tenu de traiter explicitement de chaque facteur et qu’il est présumé avoir soupesé et examiné tous les éléments de preuve. Le défendeur ajoute que même si l’agent avait considéré l’absence d’historique de voyage comme un facteur négatif, cela ne suffisait pas à rendre l’ensemble de la décision déraisonnable, car l’agent a fondé sa décision sur d’autres facteurs.

[15]  Le défendeur soutient que le demandeur a tort de croire que l’agent aurait dû considérer la réunification de la famille comme un objectif de sa visite. Selon le défendeur, il n’est fait aucune mention dans la demande de visa de résident temporaire du demandeur d’un objectif de réunification de la famille. Le défendeur est d’avis qu’il incombait au demandeur de fournir les motifs complets de son séjour et qu’il n’a pas mentionné la réunification de la famille comme objectif de sa visite.

C.  Analyse

[16]  Le demandeur a seulement indiqué comme objectif de sa visite qu’il souhaitait visiter la Colombie‑Britannique afin d’explorer diverses occasions d’affaires et de s’informer sur les possibilités de s’installer dans la province pour y travailler et y vivre. L’affidavit de sa sœur ne contenait aucun renseignement supplémentaire sur les motifs de la visite. Bien qu’il ne soit pas nécessaire pour un demandeur de visa de résident temporaire d’avoir une raison impérieuse de visiter le Canada, celui-ci doit toutefois fournir quelques renseignements pour justifier sa visite. Comme la Cour l’a observé dans l’affaire Kheradpazhooh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1097 :

[5]  En soi, l’existence d’un but commercial légitime, étayé par des éléments de preuve objectifs, est certainement une raison valable pour solliciter la délivrance d’un visa de résidence temporaire pour effectuer un court séjour au Canada. L’étranger n’est pas obligé de fournir un itinéraire complet de la visite anticipée. Il n’est pas tenu non plus de démontrer qu’il a « une raison impérieuse » de visiter le Canada [références omises]. Par contre, des motifs abstraits, flous ou non fondés sur des éléments de preuve objectifs, peuvent constituer un facteur, parmi d’autres, permettant à l’agent de conclure que l’étranger ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée [références omises].

[17]  Compte tenu des vagues motifs de la visite du demandeur, il était raisonnable pour l’agent de conclure qu’il ne s’était pas acquitté du fardeau de démontrer qu’il quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[18]  La plainte du demandeur selon laquelle l’agent n’a pas tenu compte de ses liens en Inde n’est pas fondée. Un agent est présumé avoir soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins que l’on démontre le contraire (Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793, par. 17). Par conséquent, l’absence de notes dans le SMGC concernant la stabilité financière du demandeur ou ses liens avec l’Inde ne rend pas la décision de l’agent déraisonnable.

[19]  Il est vrai que l’agent a commis une erreur en indiquant dans les notes du SMGC que le demandeur n’a pas fait de voyage international; il avait visité la Thaïlande à trois reprises. Cependant, cette erreur ne rend pas la décision de l’agent déraisonnable lorsqu’on la considère comme un « tout » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, par. 54). L’agent s’est fondé sur d’autres facteurs, y compris l’objectif de la visite et l’absence de but commercial légitime, pour conclure que le demandeur n’avait pas démontré qu’il quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

V.  Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

[20]  Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne lui offrant pas l’occasion de répondre à ses préoccupations ou de fournir des éclaircissements sur les documents soumis.

[21]  Le défendeur affirme qu’un agent des visas n’a pas d’obligation légale de demander des éclaircissements lorsqu’une demande est insuffisante ou de convoquer une entrevue. Selon lui, il incombait au demandeur de fournir des documents suffisants pour convaincre l’agent qu’il satisfaisait aux exigences prévues à l’alinéa 179b) du RIPR.

[22]  Le défendeur affirme également que l’obligation d’équité procédurale qui incombe à un agent des visas est faible. Selon lui, l’obligation d’équité exige simplement que l’agent fournisse des motifs suffisamment clairs et intelligibles pour justifier sa décision de rejeter la demande.

[23]  Le niveau d’équité procédurale requis lors de l’examen d’une demande de visa de résident temporaire se situe à l’extrémité inférieure du spectre (Clement c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 703, par. 11). La jurisprudence indique clairement qu’un demandeur de visa doit présenter ses meilleurs arguments; un agent des visas n’est pas tenu de demander des renseignements supplémentaires si le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de prouver qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[24]   Comme le juge Roy l’a déclaré dans l’affaire De La Cruz Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 784 :

[8]  Il s’agit donc d’une obligation fondamentale qui est faite au demandeur d’établir qu’il retournera dans son pays. Ce décideur, en l’espèce, a conclu que la preuve était insuffisante. C’est l’obligation du demandeur que de présenter suffisamment de preuve au moment de faire sa demande de visa ou de permis de manière à établir qu’il satisfait les exigences de la LIPR. Le décideur n’a pas à clarifier en quoi la demande est insuffisante, comme semble le suggérer le demandeur. Il ne s’agit pas, à mon avis, d’une question de crédibilité de la preuve ou encore qu’une certaine preuve ne serait pas authentique, mais plutôt d’une question de suffisance de la preuve puisque la décision prise n’est que fonction de l’insuffisance de la preuve.

[25]  De même, dans l’affaire Zhou, le juge Scott a observé ce qui suit :

[28]  La jurisprudence de la Cour est claire et établit que l’agent n’est pas tenu de faire connaître au demandeur ses doutes concernant une demande à cause de l’insuffisance des éléments de preuve fournis. Il « incombe au demandeur de fournir tous les documents d’appui pertinents et de présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles au soutien de sa demande » [références omises]. De plus, l’agent n’est pas tenu de signaler au demandeur ses réserves lorsqu’elles « découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe » [référence omise]. En l’espèce, les réserves de l’agente concernant les fonds et les actifs du demandeur découlaient directement des exigences du RIPR (voir les alinéas 179b) et d)).

[26]  En l’espèce, l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale. La plainte du demandeur selon laquelle l’agent aurait dû lui donner l’occasion de répondre à ses préoccupations ou de fournir des éclaircissements sur les documents soumis n’est pas fondée. L’obligation d’équité exige simplement que l’agent fournisse des motifs suffisamment clairs et intelligibles pour justifier sa décision de rejeter la demande du demandeur. C’est ce qu’il a fait.

VI.  Conclusion

[27]  En l’espèce, la décision de l’agent était raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[28]  Aucune partie n’a proposé de question grave de portée générale à certifier en application de l’alinéa 74d) de la LIPR, donc aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4864‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4864‑18

 

INTITULÉ :

ARUN KUMAR SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 JUILLET 2019

 

COMPARUTIONS :

Massood Joomratty

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brett Nash

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Joomratty Law Corp

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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