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Date : 20190717


Dossier : T-643-16

Référence : 2019 CF 945

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

JEAN-PIERRE MARTIN SIBOMANA

JEANNETTE MUKASINE

CHANTAL UWIDUHAYE

RUTIGUNGA HERVÉ SIBOMANA

ITUZE LOIC SIBOMANA

ISHEMA TRACY SIBOMANA

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

MONSIEUR FRANÇOIS JOBIDON

MADAME ÉMELIE AUDET

MADAME N.M. EGAN

MONSIEUR RAOUL DELCORDE

MONSIEUR HUBERT ROISIN

MONSIEUR PATRICK STEVENS

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une requête en jugement sommaire présentée par les défendeurs sur la base des règles 213 et 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles].

[2]  Les défendeurs font essentiellement valoir que l’action des demandeurs est vouée à l’échec, que les défendeurs n’ont commis aucune faute, notamment parce que les actes reprochés sont conformes à la loi, et qu’une partie de l’action est prescrite.

[3]  M. Sibomana, le demandeur principal, n’a déposé aucun affidavit à l’appui du dossier de réponse et soutient, essentiellement, que la requête en jugement sommaire est une requête en radiation déguisée, que les défendeurs ne respectent pas les ordonnances de la Cour enjoignant de cesser de présenter des requêtes et qu’il y a beaucoup de questions à trancher au procès.

[4]  Pour les raisons exposées ci-après, la Cour conclut que les défendeurs ont rencontré leur fardeau de démontrer que l’action ne soulève aucune véritable question litigieuse et la requête sera accordée (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Houchaine, 2014 CF 342 au para 26).

II.  Contexte/preuve

[5]  Les demandeurs sont citoyens belges et membres d’une même famille. En 2008, M. Sibomana arrive au Canada et il reçoit un permis de travail valide jusqu’au mois de mai 2011. En 2009, sa famille vient le rejoindre.

[6]  Le 25 juin 2010, Mme N.M. Egan, agent d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), refuse la première demande de résidence permanente de M. Sibomana, dossier identifié sous le numéro de client 6199-9991.

[7]  Le registre FOSS-ATIP de CIC consigne, entre autres, que des échanges ont eu lieu entre CIC et M. Sibomana en lien avec un évènement de 2006 qualifié de vol en Belgique, que M. Sibomana est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi] et qu’une lettre de refus lui a été transmise le 25 juin 2010 (dossier de requête des défendeurs à la p 131; affidavit de Mme Natalie Desalliers, pièce A).

[8]  À partir du mois de mai 2011, M. Sibomana initie différentes démarches pour obtenir un nouveau permis de travail, mais sans succès. En octobre 2011, le centre de traitement de CIC-Vegreville refuse la demande qu’il a transmise par la poste. Le 29 octobre 2011, M. Sibomana se présente de nouveau avec sa famille au poste frontalier terrestre d’Armstrong pour y demander un permis de travail, dans la catégorie des travailleurs des technologies de l’information, et un document lié pour chacun des membres de sa famille. Au soutien de sa demande pour ce nouveau permis de travail, M. Sibomana présente une lettre d’offre d’emploi d’une compagnie et un CAQ valide.

[9]  M. François Jobidon, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), doute de l’authenticité de la lettre d’offre d’emploi de M. Sibomana. Ses recherches indiquent que les locaux de la compagnie sont vides et que l’immeuble où elle serait logée appartient à M. Sibomana. Le 11 novembre 2011, M. Jobidon rencontre de nouveau M. Sibomana, refuse d’émettre son permis de travail et signe plutôt un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi à l’encontre de chacun des membres de la famille (dossier de requête des défendeurs aux pp 8–25; affidavit de M. Georges-Éric Hivon, pièce A). M. Jobidon considère M. Sibomana et les membres de sa famille interdits de territoire sous l’article 41 de la Loi pour manquement à l’alinéa 20(1)a) de la Loi, jugeant qu’ils veulent devenir résidents permanents sans détenir les visas requis. Le même jour, un délégué du ministre prononce une mesure d’exclusion contre chacun des membres de la famille aux termes du paragraphe 44(2) de la Loi pour les mêmes motifs (dossier de requête des défendeurs aux pp 26–38; affidavit de M. Hivon, pièce A). Les deux rapports consignent le numéro de client de M. Sibomana comme étant 6001-2088, tandis que la demande de résidence permanente et son refus du 25 juin 2010, tel que mentionné plus haut, sont enregistrés sous un numéro de client différent (dossier de requête des défendeurs aux pp 8, 26; affidavit de M. Georges-Éric Hivon, pièce A).

[10]  Le 25 novembre 2011, M. Sibomana et sa famille portent la décision en contrôle judiciaire et le 5 juillet 2012, la Cour fédérale accueille la demande de contrôle judiciaire des demandeurs, annule les mesures d’exclusion et retourne le dossier à un autre délégué du ministre (Sibomana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 853 [Sibomana 1]). La Cour conclut par ailleurs qu’il n’y a pas eu de bris de procédure dans le cadre de la prise de décision ayant menée à la mesure d’exclusion, et consigne le fait que les demandeurs n’ont pas « détaillé le bris allégué et les parties n’ont pas décrit le déroulement de l’entrevue du 11 novembre avec monsieur Sibomana » (Sibomana au para22).

[11]  Le 13 juin 2013, M. Sibomana arrive au Canada via l’aéroport de Québec et y demande l’admission. Sur le formulaire de l’ASFC qu’il signe, M. Sibomana confirme que son adresse domiciliaire est en Belgique et que la durée prévue de son séjour au Canada est de 16 jours. (dossier de requête des défendeurs à la p 227; affidavit de Mme Émélie Audet, pièce A). Mme Audet, agent de l’ASFC, rencontre M. Sibomana et constate notamment qu’il semble vivre à Québec, bien qu’il ne détienne aucun statut au Canada, et qu’il aurait commis un vol en Belgique en 2006 (dossier de requête des défendeurs aux pp 229–236; affidavit de Mme Audet, pièce B). Elle signe alors un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi, selon lequel M. Sibomana est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(2)c) de la Loi pour les infractions en Belgique (dossier de requête des défendeurs aux pp 240–241; affidavit de Mme Audet, pièce D) et elle signe aussi un avis d’arrestation en vertu de l’article 55 de la Loi (dossier de requête des défendeurs à la p 238; affidavit de Mme Audet, pièce C). Un délégué du ministre défère le rapport pour enquête aux termes du paragraphe 44(2) de la Loi afin de déterminer si M. Sibomana est visé par l’alinéa 36(2)c) de la Loi (dossier de requête des défendeurs à la p 98; affidavit de M. Hivon, pièce E). Les rapports notent le numéro de client 6001-2088 (dossier de requête des défendeurs aux pp 98, 240; affidavit de M. Hivon, pièce E et de Mme Audet, pièce D). M. Sibomana est détenu et le 17 juin 2013, un commissaire de la Section de l’immigration révise sa détention et ordonne sa mise en liberté, lui enjoignant notamment de ne pas travailler au Canada sans permis de travail (dossier de requête des défendeurs à la p 103; affidavit de M. Hivon, pièce F). Le 25 juillet 2013, la Section de l’immigration détermine que le Ministre n’a pas fait la preuve de la mens rea, soit l’intention coupable de commettre un vol, eu égard au dossier de M. Sibomana, élément essentiel de l’infraction de vol prévue à l’article 322 du Code criminel, LRC (1985), ch C-46 et que M. Sibomana n’est donc pas visé par les allégations en vertu de l’alinéa 36(2)c) de la Loi contenues au rapport 44(2) (dossier de requête des défendeurs aux pp 105–111; affidavit de M. Hivon, pièce G).

[12]  Dans le cadre de ces procédures, M. Jobidon contacte quant à lui les autorités belges de l’Ambassade de la Belgique aux fins d’obtenir des renseignements sur le dossier judiciaire belge de M. Sibomana (dossier de requête des défendeurs aux pp 113–115; affidavit de M. Hivon, pièce H).

[13]  En avril 2016, M. Sibomana intente la présente action contre les défendeurs et demande une série de remèdes en lien avec le traitement de son dossier d’immigration par les fonctionnaires de CIC et de l’ASFC.

[14]  À la fin juin 2016, les défendeurs Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, les ministres fédéraux John McCallum et Ralph Goodale et les fonctionnaires fédéraux François Jobidon et Émélie Audet, représentés par le Procureur général du Canada, présentent une requête en radiation de l’action de M. Sibomana, au motif que cette dernière ne révèle aucune cause raisonnable d’action. Pour leur part, les défendeurs Raoul Delcore, Hubert Roisin et Patrick Stevens sont des ressortissants belges en poste au Canada pour le compte de leur gouvernement et on invoque à leur égard l’immunité de juridiction.

[15]  Le 18 août 2016, M. le juge Roy rejette la requête en radiation présentée par les défendeurs. Tenant les faits invoqués par M. Sibomana pour avérés, M. le juge Roy estime qu’il n’est pas manifeste et évident que le recours de M. Sibomana est voué à l’échec (Sibomana c Canada, 2016 CF 943 [Sibomana 2]). M. le juge Roy radie toutefois les noms des ministres McCallum et Goodale à titre de défendeurs, et ordonne que les références aux remèdes recherchés en faveur de toute autre personne que M. Sibomana, en l’occurrence les membres de sa famille, soient réputées radiées au motif que M. Sibomana n’est pas autorisé à agir pour quiconque sauf pour lui-même.

[16]  Le 30 août 2016, les demandeurs déposent une déclaration ré-amendée et le 30 septembre 2016, les défendeurs déposent leur défense.

[17]  Le 24 novembre 2016, M. le juge Shore suspend le dossier jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur une éventuelle demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de CIC du 25 juin 2010 ayant refusé à M. Sibomana la résidence permanente. Le 6 février 2017, M. Sibomana dépose une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision (dossier de requête des défendeurs aux pp 143–153; affidavit de Mme Desalliers, pièce D) et le 20 avril 2017, la Cour la refuse. Le 28 juin 2017, la suspension du dossier est levée.

[18]  Le 17 janvier 2018, M. le juge LeBlanc rejette trois requêtes présentées par M. Sibomana visant (1) l’obtention d’un jugement par défaut; (2) l’obtention d’un jugement sommaire; et (3) l’autorisation d’amender la déclaration et la divulgation par les défendeurs de documents jugés pertinents. En lien avec les défendeurs belges, le juge Leblanc indique que « la Cour n’a donc aucune autorité sur eux » (Sibomana c Canada, 2018 CF 43 au para 13 [Sibomana 3]).

[19]  Le 12 mars 2018, M. Sibomana et les membres de sa famille obtiennent le statut de résident permanent du Canada (dossier de requête des défendeurs à la p 221; affidavit de Mme. Desalliers, pièce G).

III.  L’action intentée

[20]  Le 30 août 2016, M. Sibomana, son épouse et leurs quatre enfants déposent une déclaration ré-amendée, dans laquelle ils recherchent essentiellement les réparations suivantes : (1) accueillir l’action et la requête en jugement par défaut; (2) par jugement par défaut, condamner différents groupes de défendeurs à payer des sommes de 36,5 millions de dollars, 25 millions de dollars et 5 millions de dollars pour fautes civiles, pour violation de leurs droits garantis par les articles 7, 8, 12, 13, 15 et 24 de la Charte et pour poursuites criminelles illégales; (2) ordonner au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de leur délivrer des visas de résidents permanents et de leur accorder une dérogation pour leur permettre d’obtenir immédiatement des cartes de citoyenneté canadienne; (3) ordonner et interdire une série de mesures;(4) si le jugement par défaut n’est pas accordé, condamner les défendeurs à payer « un montant d’argent de 1/1000 ou de 1/1500 du montant total en réclamation de ce litige en raison de 66.500.000,00$ en compensation des préjudices que subissent les demandeurs à cause de défaut de défense des défendeurs [sic] »; et (5) ordonner une série de mesures.

[21]  Essentiellement, et tel que l’a souligné M. le juge Leblanc dans Sibomana 3, les allégations centrales de M. Sibomana peuvent être regroupées de la manière suivante :

  1. Le 25 juin 2010, CIC refuse la demande de résidence permanente de M. Sibomana pour interdiction de territoire, sur la base d’un vol qu’il aurait commis en Belgique et qu’il aurait omis de déclarer aux autorités canadiennes. En plus de nier la commission de ce crime, M. Sibomana dit n’avoir jamais été avisé de la décision de CIC du 25 juin 2010 le jugeant inadmissible au statut de résident permanent, ce qui le prive de son droit de la faire contrôler judiciairement et ce qui précarise son statut au Canada avec tous les inconvénients qui s’ensuivent pour lui et sa famille. Il impute aux autorités de CIC de lui avoir intentionnellement caché cette décision et d’avoir même créé un « dossier fantôme » d’interdiction de territoire qui hantera ses rapports subséquents avec CIC et ce, dans le seul but de lui nuire. De plus, M. Sibomana allègue que CIC a omis de faire l’exercice d’équivalence entre la loi criminelle belge et celle du Canada et que sa demande de résidence permanente a été refusée abusivement et illégalement;

  2. Le 11 novembre 2011, au poste frontalier terrestre d’Armstrong, M. Jobidon prononce contre M. Sibomana une mesure d’exclusion du fait d’une interdiction de territoire, mesure subséquemment annulée par un jugement de cette Cour (Sibomana 1). M. Sibomana allègue que, ce même jour, M. Jobidon était agressif et méprisant, a crié des insultes racistes et a volontairement menti dans son rapport en mentionnant que les demandeurs n’avaient jamais demandé la résidence permanente. De plus, M. Sibomana prétend qu’il aurait dû être informé à ce moment qu’il était admissible à obtenir la résidence permanente depuis 2011 (déclaration au para 110);

  3. Le 13 juin 2013, alors qu’il rentre d’Europe par l’aéroport de Québec, M. Sibomana est arrêté et mis en détention par Mme Audet pendant quelques jours sur la base qu’il est interdit de territoire et qu’il existe un risque qu’il se soustraie à un contrôle et à un renvoi éventuel. Il allègue que l’arrestation a été faite sans mandat et sur la foi de fausses accusations. Il ajoute que Mme Audet aurait caché son certificat d’extrait de casier judiciaire vierge de la Belgique;

  4. M. Sibomana allègue que les communications entre l’agent Jobidon et M. Patrick Stevens, policier et agent de liaison de la Belgique au Canada, étaient illégales, étant assujetties au Traité d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Royaume de la Belgique [Traité] et contraires à la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC (1985), ch P-21 [Loi sur la protection des renseignements personnels]. De plus, il allègue que Mr. Jobidon et M. Stevens ont comploté pour inventer de fausses accusations contre lui.

IV.  La défense

[22]  Le 30 septembre 2016, les défendeurs déposent leur défense.

[23]  En lien avec le refus du 25 juin 2010, les défendeurs répondent que (1) Mme Egan a effectué l’exercice d’équivalence entre la loi belge et la loi canadienne; (2) selon les notes du Système de soutien aux opérations des bureaux locaux (SSOBL), la lettre de refus du 25 juin 2010 a été transmise à M. Sibomana; (3) CIC ne peut reproduire une copie de la lettre puisque celle-ci a été détruite en conformité avec les politiques de conservation de CIC; et (4) M. Sibomana n’a pas « perdu » la possibilité de demander un contrôle judiciaire de la décision, puisque la computation du délai débute lorsqu’il prend connaissance de la décision.

[24]  En lien avec les événements du 11 novembre 2011, les défendeurs répondent que (1) M. Jobidon a consigné dans son rapport que les demandeurs n’avaient jamais demandé la résidence permanente, car la première demande de résidence permanente portait un autre numéro d’identification, que M. Jobidon ne connaissait pas; (2) cette partie de l’action est prescrite conformément à l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC (1985), ch C-50 [Loi sur la responsabilité civile de l’État] et à l’article 2925 du Code civil du Québec; (3) les motifs de la Cour fédérale ne critiquent pas le comportement de M. Jobidon; et (4) la Cour a conclu que les préoccupations de M. Jobidon avaient un fondement valable, puisque les décisions de l’ASFC peuvent être préjudiciables pour des étrangers au Canada, mais ces décisions ne sauraient être source, en soi, d’une faute ou d’un dommage (Sibomana 2 au para 19).

[25]  En lien avec l’arrestation du 13 juin 2013, les défendeurs répondent que (1) aucune accusation n’a été portée devant une cour criminelle; (2) M. Sibomana a admis qu’il a été condamné pour vol en 2006 lors de l’audience devant la Section de l’immigration; (3) M. Sibomana a indiqué à Mme Egan que les inscriptions au casier judiciaire sont effacées après cinq ans et de plus, il a lui-même déposé son casier devant la Section de l’immigration; et (4) l’arrestation sans mandat et l’emprisonnement ont été faits en conformité avec les paragraphes 55(2) et 57(1) de la Loi.

[26]  En lien avec les échanges entre M. Jobidon et M. Stevens, les défendeurs répondent que (1) le Traité ne s’applique pas puisqu’il n’existe aucune dimension criminelle ou pénale; (2) M. Jobidon agissait dans le cadre des fonctions attribuées par le paragraphe 5(1) de la Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada, LC 2005, ch 38 [Loi sur l’ASFC] et l’alinéa 4(2)a) de la Loi; et (3) les échanges ne contreviennent pas à l’article 7 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

V.  Requête en jugement sommaire

[27]  Les règles 214 et 215 des Règles prévoient la possibilité, dans certaines circonstances, d’obtenir un jugement par voie sommaire, c’est-à-dire, sans la nécessité de tenir un procès. Cette procédure a pour but de permettre à la Cour de se prononcer par voie sommaire « sur les affaires qu’elle n’estime pas nécessaire d’entendre, parce qu’elles ne soulèvent pas de véritable question litigieuse » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Houchaine, 2014 CF 342 au para 26 [Houchaine]). Dit autrement, elle permet à la Cour de rendre jugement sommairement « dans les instances qu’elle considère ne pas nécessiter la tenue d’un procès, pour le motif qu’elles ne comportent aucune question sérieuse à instruire à l’égard de la réclamation » (Timm c Canada, 2015 CF 1391 au para 48 [Timm]).

[28]  Ainsi, lorsque la Cour est saisie d’une requête en jugement sommaire, son rôle est de déterminer si le succès de la position mise de l’avant par la partie contre laquelle la requête est présentée « est tellement douteux que [la position] ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès » (Houchaine au para 27; Granville Shipping Co c Pegasus Lines Ltd. SA, [1996] FCJ No 481 (Fed TD)). Le fardeau repose sur les épaules de la partie qui sollicite le jugement sommaire (Timm au para 49), en l’espèce sur celui des défendeurs.

[29]  La jurisprudence établit que, dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, les parties doivent administrer leur preuve sous forme d’affidavit et de contre-interrogatoire hors cour (Yodjeu Ntemde c Canada, 2018 CF 410 aux para 53–55). La règle 214 des Règles prévoit spécifiquement que la réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance et qu’elle doit énoncer des faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse. Ainsi, de seules allégations ne sauraient suffire, les parties doivent présenter leurs meilleurs arguments et elles ne peuvent se contenter de déclarer qu’elles présenteront de la preuve additionnelle et plus probante au procès (Rude Native inc c Tyrone T Resto Lounge, 2010 CF 1278 au para 16 [Rude Native]).

[30]  Or, dans le cas présent, il convient de rappeler que M. Sibomana n’a déposé aucun affidavit au soutien de la réponse à la requête des défendeurs.

A.  Position des défendeurs

(1)  Preuve

[31]  À l’appui de leur requête en jugement sommaire, les défendeurs déposent les affidavits de (1) M. Georges-Éric Hivon, agent régional aux programmes à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), assermenté le 27 juin 2018; (2) Mme Natalie Desalliers, analyste des litiges à l’Administration centrale – Règlement des Cas à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, assermenté le 5 juillet 2018; et (3) Mme Émélie Audet, agente des Services frontaliers à l’ASFC, assermenté le 30 juin 2018.

[32]  M. Hivon dépose les documents suivants : (1) en liasse, les rapports aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi, les observations rédigés par l’agent Jobidon de l’ASFC concernant les demandeurs et les mesures d’exclusion à l’encontre des demandeurs, tous datés du 11 novembre 2011; (2) la décision de M. le juge Noël dans Sibomana 1; (3) un courriel daté du 30 octobre 2011, de l’agent Jobidon à M. Philippe Anctil du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec au sujet de M. Sibomana, et la réponse de M. Anctil, datée du 2 novembre 2011; (4) en liasse, les résultats des recherches internet effectuées en octobre 2011 par l’agent Jobidon au sujet de l’employeur de M. Sibomana; (5) en liasse, la décision datée du 17 juin 2013 du délégué du ministre de déférer pour enquête le rapport établi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi le 13 juin 2013 par l’agent Audet de l’ASFC et copie du rapport; (6) l’ordonnance datée du 17 juin 2013 de mise en liberté de M. Sibomana signée par un commissaire de la Section de l’immigration; (7) la décision de la Section de l’immigration, datée du 25 juillet 2013; (8) les courriels échangés entre l’agent Jobidon et l’agent de liaison Stevens en octobre 2012 au sujet de M. Sibomana; et (9) en liasse, les courriels envoyés et reçus par l’agent Jobidon en octobre 2012 pour tenter d’obtenir copie du jugement belge visant M. Sibomana.

[33]  Mme Desalliers dépose les documents suivants : (1) les notes provenant du SSOBL relatives à la demande de résidence permanente de M. Sibomana refusée le 25 juin 2010; (2) un extrait du manuel de CIC intitulé OP 1 – Procédures, version du 15 mars 2016, portant sur les procédures de conservation et d’élimination des documents; (3) la page 19 de 27 du plan de conservation et d’élimination de documents détaillé de Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), version du 3 novembre 2016; (4) la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire déposée le 6 février 2017 par les demandeurs à l’encontre de la décision de CIC du 25 juin 2010, numéro de dossier IMM-526-17; (5) en liasse, le mémoire des faits et du droit des demandeurs, le mémoire du défendeur et le mémoire en réplique des demandeurs déposés dans le dossier IMM-526-17; (6) l’ordonnance de M. le juge Martineau du 20 avril 2017 rejetant la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire des demandeurs dans le dossier IMM-526-17, certifiée le 26 avril 2017; (7) en liasse, une lettre du 29 mars 2018 de IRCC adressée à l’épouse de M. Sibomana, approuvant leur demande de résidence permanente, et un document plus lisible qui confirme la résidence permanente octroyée; et (8) l’entrée provenant du SSOBL relative au dossier portant le numéro 6001-2088 que détient CIC concernant M. Sibomana.

[34]  L’agent Audet dépose les documents suivants : (1) la carte de déclaration remplie par M. Sibomana à son arrivée au Canada le 13 juin 2013; (2) les observations consignées par l’agent Audet le 13 juin 2013 dans le SSOBL relativement à l’interrogatoire de M. Sibomana; (3) l’avis d’arrestation complété conformément à l’article 55 de la Loi datant du 13 juin 2013; et (4) un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi datant du 13 juin 2013.

(2)  Arguments

[35]  En lien avec la première allégation des demandeurs, les défendeurs soutiennent essentiellement qu’elle n’invoque aucune question litigieuse, car (1) le relevé du SSOBL indique que la lettre de refus du 25 juin 2010 a été transmise à M. Sibomana le même jour (dossier de requête des défendeurs à la p 131; affidavit de Mme Desalliers, pièce A), à son adresse courriel, de sorte que le risque de non-livraison repose sur M. Sibomana (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 75 au para 14; Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 554 au para 7 [Wu]); (2) les défendeurs n’ont pas déposé la lettre de refus non pas à cause d’un complot quelconque, mais en raison de la politique de CIC de détruire certains documents après un certain temps; (3) les demandeurs admettent avoir eu connaissance de la décision de refus le 17 juin 2013 et, malgré cela, n’ont pas déposé de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en juin 2013; (4) M. Sibomana a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de refus le 6 février 2017, dans le dossier IMM-526-17, et la demande d’autorisation a été rejetée le 20 avril 2017; et (5) les demandeurs sont devenus des résidents permanents du Canada le 31 mars 2018.

[36]  En lien avec la deuxième allégation des demandeurs, les défendeurs soutiennent que ce volet de l’action est fondé sur des propos prétendument tenus par l’agent Jobidon le 11 novembre 2011 et que, par conséquent, à la date de dépôt de la déclaration, ce volet était déjà prescrit (article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État; article 2925 du Code civil du Québec). Ils notent qu’une action prescrite peut être rejetée par voie de requête en jugement sommaire (Byer c Canada, 2003 CFPI 67, confirmé par Byer c Canada, 2003 CAF 65; Riva Stahl GMBH c Combined Atlantic Carriers GMBH et al (1999), 243 NR 76 (CAF) au para 11; Paszkowski c Canada (Procureur général), 2006 CF 198 aux para 45–71; Archer c Pollydore, 2001 CFPI 871 au para 21).

[37]  En lien avec la troisième allégation des demandeurs, les défendeurs soutiennent que  M. Sibomana a été arrêté le 13 juin 2013 et remis en liberté le 17 juin 2013 conformément aux paragraphes 55(2) et 57(1) de la Loi, car il existait des motifs raisonnables de croire qu’il se soustrairait à un contrôle. De plus, les défendeurs soulignent que, dans leur déclaration, les demandeurs réfèrent à plusieurs notions de droit criminel, alors que les procédures devant la Section d’immigration sont de nature administrative, tel que confirmé par M. le juge Roy dans sa décision de 2016 (Sibomana 2 au para 23). Les défendeurs ajoutent que l’agent Audet n’a pas tenté de cacher, à l’audience devant la Section de l’immigration, la preuve de son casier judiciaire belge, puisque M. Sibomana avait indiqué à l’agent Audet que son infraction serait déjà effacée et puisque, à l’audience du 17 juin 2013, M. Sibomana a lui-même déposé cette preuve et admis la condamnation.

[38]  Enfin, en lien avec la quatrième allégation des demandeurs, les défendeurs plaident que les communications entre l’ASFC et les autorités belges ne violent pas les articles 7 et 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, car la communication de renseignements visait les mêmes fins que celles pour lesquelles ils ont été recueillis (alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels; Igbinosun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 87 FTR 131 (CF) au para 6; Moin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 473 aux para 35–38). Ces communications ne violent pas non plus les articles 14 à 17 du Traité, puisque ce traité ne s’applique pas aux affaires qui ne présentent aucune dimension criminelle ou pénale.

B.  Réponse des demandeurs

(1)  Preuve

[39]  Les demandeurs ne déposent aucun affidavit en réponse à la requête en jugement sommaire. Leur dossier de réponse à la requête inclut plutôt une « liste de documents et éléments matériels tirés dans les affidavits de documents des défendeurs », une page qui ne contient que les mots « ÉCOUTE de l’Extrait d’enregistrement de la Cour fédérale de l’audition du 28 juin 2017 à Montréal par l’honorable juge Luc Martineau, jcf.: Levée de suspension de l’action T-643-16 des demandeurs. », et quatre annexes, soit (1) les motifs de la taxation des coûts accordés par la Cour suite au rejet des trois requêtes de M. Sibomana par M. le juge Leblanc, ainsi qu’une lettre des défendeurs datée du 25 septembre 2018 et adressée à M. Sibomana; (2) les courriels échangés entre M. Jobidon et M. Stevens, déjà inclus dans le dossier de requête des défendeurs (aux pp 113–114); (3) la demande, conformément à la règle 9 du greffe de la Cour à CIC, et la réponse de celle-ci, envoyées dans le cadre de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de M. Sibomana, ainsi que des notes du FOSS-ATIP déjà inclus dans le dossier de requête des défendeurs (aux pp 130–131); et (4) des documents concernant les démarches entreprises par M. Sibomana pour obtenir la lettre de refus du 25 juin 2010.

[40]  La règle 363 des Règles des Cours fédérales prévoit que, dans le cadre d’une requête, une partie présente sa preuve par affidavit, relatant tous les faits sur lesquels elle fonde sa requête qui ne figurent pas au dossier de la Cour. De plus, la règle 214 des Règles prévoit spécifiquement que la réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance et qu’elle doit énoncer des faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

[41]  Dans Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14 [Lameman], la Cour suprême du Canada confirme que, dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, chaque partie doit présenter ses meilleurs arguments et se fonder sur des éléments de preuve et non sur de simples allégations ou sur les actes de procédure (Lameman au para 11). Une requête en jugement sommaire ne peut être jugée « en fonction de suppositions quant à ce qui pourrait être plaidé ou établi plus tard » (Lameman au para 19). La Cour d’appel fédérale a également reconnu que, pour contredire les faits qui apparaissent au dossier de la Cour, une partie doit procéder par affidavit (Pfeiffer & Pfeiffer Inc v Canada (Deputy Superintendent, 2003 CAF 391 au para 6).

[42]  En l’espèce, les documents attachés au mémoire des demandeurs ne sont joints à aucun affidavit. Par conséquent, les documents qui ne font pas partie de la preuve des demandeurs déjà au dossier ne peuvent être déposés, et la Cour ne peut en tenir compte.

(2)  Arguments

[43]  M. Sibomana répond que la requête en jugement sommaire des défendeurs est en fait une requête en radiation déguisée, qui a déjà été rejetée par M. le juge Roy le 18 août 2016 (prétentions écrites de M. Sibomana au para 10). Il s’appuie sur l’ordonnance du 17 janvier 2018 de M. le juge LeBlanc, qui a rejeté la requête en jugement sommaire des demandeurs, pour soutenir que les défendeurs devraient cesser d’engorger le dossier et de retarder injustement leur action (prétentions écrites de M. Sibomana aux para 11–18).

[44]  M. Sibomana ajoute que la requête des défendeurs est d’emblée abusive et irrecevable, sans détailler, et demande des dommages-intérêts de 16 000 $ (prétentions écrites de M. Sibomana aux para 19, 27). Il plaide que les ordonnances des juges Roy, Martineau et LeBlanc démontrent que leur action mérite un procès sur le fond (prétentions écrites de M. Sibomana au para 26) et suggère que, si les défendeurs avaient des arguments valables, ils procéderaient immédiatement au procès sur le fond (prétentions écrites de M. Sibomana au para 29).

[45]  M. Sibomana soutient n’avoir jamais reçu la décision du 25 juin 2010 et que, malgré ses demandes écrites, l’ASFC a refusé de notifier ses décisions (prétentions écrites de M. Sibomana au para 32). De plus, il déplore le fait qu’il n’a jamais reçu le rapport d’interdiction de territoire datant du 25 juin 2010, et que CIC lui cache des motifs d’inadmissibilité (prétentions écrites de M. Sibomana aux para 34–35).

[46]  M. Sibomana soutient que « toutes les allégations écrites dans le mémoire des défendeurs sont fausses et nulles » et maintient sa position quant à l’inexistence de la décision du 25 juin 2010 (prétentions écrites de M. Sibomana aux para 37–38). M. Sibomana allègue que les défendeurs mentent et complotent (prétentions écrites de M. Sibomana aux para 39–49).

[47]  Ensuite, pour démontrer que la tenue d’un procès est requise, M. Sibomana énumère 24 questions, dont plusieurs répétitives, que la Cour aurait à trancher durant le procès sur le fond (prétentions écrites de M. Sibomana aux para 50–74).

[48]  Lors de l’audience, Mme Mukasine, l’épouse de M. Sibomana, a également fait des représentations pour elle-même. Elle plaide que le dossier devrait procéder au fond, pour qu’elle puisse s’exprimer, parce qu’elle a « quand même des questions » et pour que les questions puissent être discutées « en long et en large » (transcription de l’audience à la p 130). Elle veut connaître la raison pour laquelle Mme Egan leur a caché sa décision de 2010, pour laquelle M. Jobidon continuait à s’acharner sur leur dossier, pour laquelle M. Sibomana n’a pas été empêché de voyager alors qu’il était interdit de territoire (transcription de l’audience à la p 132). Elle veut être entendue et elle veut se libérer en parlant.

VI.  Discussion

A.  Les allégations

(1)  Allégation 1

[49]  Les notes du SSOBL révèlent que CIC a envoyé la lettre de refus de résidence permanente le 25 juin 2010 (dossier de requête des défendeurs à la p 131; affidavit de Mme Desalliers, pièce A). Ces notes consignent également que Mme Egan a fait l’exercice d’équivalence entre la loi belge et la loi canadienne (dossier de requête des défendeurs à la p 131; affidavit de Mme Desalliers, pièce A).

[50]  Lorsque le défendeur établit, par la prépondérance des probabilités, que la correspondance a été envoyée, le demandeur est présumé l’avoir reçue et doit renverser la présomption avec des éléments de preuve crédibles (Wu au para 7). Dans le cas présent, M. Sibomana n’a pas déposé d’affidavit pour contredire les notes du SSOBL.

[51]  De plus, M. Sibomana admet avoir pris connaissance des motifs de refus de sa résidence permanente le 17 juin 2013, à travers les notes de SSOBL de l’ASFC, mais il n’a pas, à ce moment, initié de contestation par voie de contrôle judiciaire (déclaration amendée aux para 101–102).

[52]   La politique de CIC consiste à détruire les lettres de refus de résidence permanente après deux ans, ce qui explique que la copie de la lettre envoyée à M. Sibomana ne soit plus disponible (dossier de requête des défendeurs à la p 142; affidavit de Mme Desalliers, pièce C).  

[53]  Ensuite, le 6 février 2017, M. Sibomana a effectivement déposée une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du 25 juin 2010, demande rejetée par M. le juge Martineau (dossier de requête des défendeurs aux pp 144–153, 216; affidavit de Mme Desalliers, pièces D, F).

[54]  Finalement, le 12 mars 2018, M. Sibomana et les membres de sa famille ont obtenu le statut de résident permanent du Canada (dossier de requête des défendeurs à la p 221; affidavit de Mme Desalliers, pièce G).

(2)  Allégation 2

[55]  Le 11 novembre 2011, au poste de frontière Armstrong, l’agent Jobidon a écrit un rapport d’interdiction de territoire aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi à l’encontre de M. Sibomana (dossier de requête des défendeurs aux pp 8–9; affidavit de M. Hivon, pièce A).

[56]   Le même jour, un délégué du ministre a émis une mesure d’exclusion contre M. Sibomana (dossier de requête des défendeurs aux pp 26–27; affidavit de M. Hivon, pièce A).

[57]  M. Sibomana allègue que M. Jobidon était agressif durant la rencontre. Cependant, il n’a offert aucun affidavit au soutien de cette allégation, tandis que M. le juge Noël, dans le cadre du contrôle judiciaire de cette décision, note que « les parties n’ont pas décrit le déroulement de l’entrevue du 11 novembre » (Sibomana 1au para 22).

[58]  M. Sibomana allègue également que M. Jobidon a « volontairement menti » lorsqu’il a indiqué ne pas avoir eu connaissance de sa demande de résidence permanente. Or, le dossier de demande de résidence permanente avait été enregistré sous un numéro d’identification différent, soit le 6199-9991 (dossier de requête des défendeurs à la p 127; affidavit de Mme Desalliers, pièce A). Dans le rapport d’interdiction de territoire de M. Jobidon, le numéro d’identification de M. Sibomana est plutôt le 6001-2088 (dossier de requête des défendeurs à la p 8; affidavit de M. Hivon, pièce A).

[59]  De plus, cette partie de l’action est prescrite. L’article 2925 du Code civil du Québec prévoit que « l’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans. » À la date de dépôt de la déclaration, soit le 21 avril 2016, plus de trois ans s’étaient écoulés depuis le 11 novembre 2011.

(3)  Allégation 3

[60]  À son arrivée à l’aéroport de Québec le 13 juin 2013, M. Sibomana est interrogé par Mme Audet. Selon les notes de l’agent Audet, M. Sibomana révèle qu’il est en visite pour assister à un mariage, mais ne semble pas connaître le nom des mariés (dossier de requête des défendeurs à la p 231; affidavit de Mme Audet, pièce B). Également, il affirme d’abord qu’il restera dans un motel ou chez un individu, mais indique plus tard être propriétaire d’un duplex à Québec (dossier de requête des défendeurs aux pp 232–233; affidavit de Mme Audet, pièce B). De plus, il indique qu’il travaille à Bruxelles et a obtenu un congé de trois semaines et demi, mais admet par la suite qu’il était au Québec du 17 octobre 2012 au 9 juin 2013 (dossier de requête des défendeurs aux pp 232–234; affidavit de Mme Audet, pièce B).

[61]  Rien n’indique que Mme Audet ait procédé à son arrestation sans mandat et à sa détention de façon contraire à la Loi (alinéa 55(2)a) de la Loi). De plus, Mme Audet a complété un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi, considérant M. Sibomana interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(2)c) de la Loi (dossier de requête des défendeurs aux pp 240–241; affidavit de Mme Audet, pièce D). Un délégué du ministre a ensuite déféré le dossier pour enquête aux termes du paragraphe 44(2) de la Loi (dossier de requête des défendeurs à la p 98; affidavit de M. Hivon, pièce E).

[62]  Quelques jours plus tard, un commissaire de la Section de l’immigration a révisé la détention de M. Sibomana et l’a libéré avec conditions (dossier de requête des défendeurs à la p 103; affidavit de M. Hivon, pièce F).

[63]  Contrairement à ce qu’allègue M. Sibomana, rien n’indique que Mme Audet ait « caché » son casier judiciaire belge devant la Section de l’immigration. La preuve révèle que M. Sibomana a lui-même admis à la condamnation pour vol et déposé son casier judiciaire. Le 25 juillet 2013, la Section de l’immigration a déterminé que M. Sibomana n’était pas visé par les allégations en vertu de l’article 36(2)c) de la Loi (dossier de requête des défendeurs à la p 111; affidavit de M. Hivon, pièce G). Dans sa décision, la Section de l’immigration a noté que « la preuve du Ministre concernant l’allégation de vol est constituée [...] de l’admission de monsieur Sibomana, quant à sa condamnation par contumace de vol, en Belgique en 2006 » et que « l’entrée informatique de la base de données [...] mentionne aussi une condamnation pour vol. Cette information est tirée des documents produits par [M. Sibomana] dans le cadre de sa demande de résidence permanente » (dossier de requête des défendeurs aux pp 106–107; affidavit de M. Hivon, pièce G).

(4)  Allégation 4

[64]  Le 3 octobre 2012, M. Jobidon a écrit à M. Stevens pour obtenir des informations qui l’aideront à établir son rapport d’interdiction de territoire (dossier de requête des défendeurs aux pp 113–114; affidavit de M. Hivon, pièce H). Les efforts déployés par M. Jobidon ne révèlent aucune faute.

[65]  L’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’ASFC prévoit la mission de l’ASFC : « L’Agence est chargée de fournir des services frontaliers intégrés contribuant à la mise en œuvre des priorités en matière de sécurité nationale et de sécurité publique et facilitant le libre mouvement des personnes et des biens — notamment les animaux et les végétaux — qui respectent toutes les exigences imposées sous le régime de la législation frontalière. À cette fin, elle fournit l’appui nécessaire à l’application ou au contrôle d’application, ou aux deux, de la législation frontalière ».

[66]  L’alinéa 4(2)a) de la Loi précise que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est chargé du contrôle des personnes aux points d’entrée.

[67]  Rien ne permet de douter que les communications de M. Jobidon n’aient pas été faites en conformité avec l’alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui prévoit que « Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants : a) communication aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l’institution ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins ».

B.  Conclusion

[68]  Le fardeau repose sur les épaules de la partie qui sollicite le jugement sommaire, en l’espèce sur celui des défendeurs (Timm au para 49). Tel que mentionné plus haut, lorsque la Cour est saisie d’une requête en jugement sommaire, son rôle est de déterminer si le succès de la position mise de l’avant par la partie contre laquelle la requête est présentée « est tellement douteux que [la position] ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès » (Houchaine au para 27).

[69]  En l’espèce, la partie contre laquelle la requête est présentée à choisi de ne présenter aucune preuve et de ne formuler que des allégations, ce qui ne suffit pas (Lameman; Trevor Nicholas Construction Co Limited c Canada, 2011 CF 70 au para 44; Rude Native aux para 15–18). La Cour est convaincue que la position des demandeurs ne mérite pas d’être examinée dans le cadre d’un éventuel procès et souscrit à la position des défendeurs que la déclaration des demandeurs ne fait ressortir aucune véritable question litigieuse. La partie de la réclamation visant les évènements d’octobre 2011 est prescrite, tandis que les actes reprochés par les demandeurs sont conformes à la Loi, tel que le soutiennent les défendeurs. La Cour accueille donc la requête des défendeurs et rejette l’action des demandeurs en sa totalité.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête pour jugement sommaire est accordée.

  2. L’action des demandeurs est rejetée.

  3. Le tout, avec dépens contre les demandeurs.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-643-16

INTITULÉ :

JEAN-PIERRE MARTIN SIBOMANA, JEANNETTE MUKASINE, CHANTAL UWIDUHAYE, RUTIGUNGA HERVÉ SIBOMANA, ITUZE LOIC SIBOMANA, ISHEMA TRACY SIBOMANA et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, MONSIEUR FRANÇOIS JOBIDON, MADAME ÉMELIE AUDET, MADAME N.M. EGAN, MONSIEUR RAOUL DELCORDE, MONSIEUR HUBERT ROISIN, MONSIEUR PATRICK STEVENS

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec, quebec

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 mars 2019

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Jean-Pierre Martin Sibomana

Pour la partie demanderesse

(Se représentant seul)

Me Daniel Latulippe

Pour la partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour la partie défenderesse

 

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