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Date : 20050610

Dossier : IMM-9634-04

Référence : 2005 CF 831

ENTRE :

                                                           SLEIMAN EL RAFIH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                M. El Rafih a fait l'objet d'une audience relative à la détermination du statut de réfugié en sa qualité de Colombien alléguant craindre d'être persécuté par les FARC (les Forces armées révolutionnaires de Colombie). Il a quitté l'audience à titre de citoyen libanais à l'égard duquel il avait été conclu qu'il n'existait rien qui puisse justifier sa crainte d'être persécuté dans ce pays.

[2]                L'affaire concerne les pays de référence. Il est clair en droit que même si une personne craint avec raison d'être persécutée dans un pays, elle n'a pas le droit de revendiquer le statut de réfugié au Canada si, à cause de sa double nationalité, de sa double citoyenneté ou de sa résidence habituelle, il existe un autre pays qui est obligé de l'accepter, un pays qui ne présente aucun danger de persécution pour l'un des cinq motifs énoncés dans la Convention des Nations Unies ou à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, 2001 L.C., ch. 27.

[3]                Pendant l'audience relative à la détermination du statut de réfugié, le Tribunal a soulevé la possibilité selon laquelle M. El Rafih était non seulement citoyen colombien, mais qu'il avait aussi droit à la citoyenneté libanaise compte tenu de la citoyenneté de son père. Il est reconnu que le père, même s'il vit maintenant en Colombie, est citoyen libanais.

[4]                L'avocat de M. El Rafih a demandé un ajournement de deux semaines pour examiner ces questions, et l'ajournement a été accordé. L'avocat a ensuite demandé un autre ajournement, qui a été refusé.

[5]                Le Tribunal a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, en vertu du droit libanais, le père transmet automatiquement sa citoyenneté libanaise à ses enfants et que le Liban reconnaissait le principe de la double nationalité.

[6]                Le Tribunal a ensuite conclu qu'il n'existait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir qu'à l'heure actuelle, l'intéressé craignait avec raison d'être persécuté au Liban. Selon la preuve, l'intéressé s'était rendu au Liban en 1986, lorsqu'il avait 12 ans, et il y était resté pendant environ 18 mois. Il demeurait avec la famille de son père et il était malheureux à cause des tâches qu'il devait accomplir à la ferme et à cause de l'intransigeance de son grand-père. Il éprouvait également des craintes à l'égard de la façon dont les Syriens traitaient sa famille.

[7]                La demande de contrôle judiciaire présentée par M. El Rafih est principalement fondée sur le fait qu'il n'a pas eu la possibilité de présenter sa cause. Le ministre soutient que M. El Rafih a bénéficié d'une audience équitable, mais que de toute façon, l'octroi d'une prorogation de délai ne changerait rien à la situation. J'ai conclu que le ministre a en partie raison et en partie tort.


[8]                Je ne puis rien constater qui permette de modifier la conclusion du Tribunal selon laquelle M. El Rafih ne risquerait pas d'être persécuté s'il devait retourner au Liban. On m'a demandé de prendre connaissance d'office du fait que les Forces syriennes ont quitté le Liban. Il n'est pas nécessaire ni approprié de tirer une conclusion judiciaire sur ce point. En fait, c'est le Tribunal plutôt que la Cour qui est censément l'expert en ce qui concerne la situation qui règne dans un pays. La conclusion du Tribunal sur ce point est bien motivée. Un délai de deux semaines n'était pas un délai déraisonnable afin de permettre à M. El Rafih de faire part de ses expériences antérieures au Liban, dont aucune ne peut être invoquée comme motif à l'appui de la revendication du statut de réfugié. Même si le droit de M. El Rafih de se faire pleinement entendre a été dénié, il n'existe aucun recours étant donné qu'il ne pouvait pas y avoir de résultat différent. (Mobil Oil Canada Ltd. c. Office national Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202).

[9]                Toutefois, cela soulève la question qui se pose réellement, à savoir si le Liban est un pays de référence. M. EI Rafih et son avocat ont clairement été pris par surprise. La citoyenneté des parents de M. El Rafih avait été mentionnée dans le Formulaire de renseignements personnels; or, dans le formulaire de présélection de la Section de la protection des réfugiés, préparé par la Commission, lequel doit être communiqué à l'avocat, il n'existait aucun avis portant que la question du pays de référence serait soulevée.

[10]            La citoyenneté, y compris la double citoyenneté, est une question compliquée en droit international. Les lois nationales peuvent être modifiées. Nos propres lois ont subi d'importants changements au fil des ans (voir Wilson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1874).

[11]            Les renseignements pertinents que le Tribunal a fournis à l'avocat de M. El Rafih lors de l'audience initiale remontaient à 1999 et avant, et comprenaient une entrevue avec un représentant de l'ambassade du Liban à Ottawa en 1995. Or, il ne s'agit pas de savoir quel était le droit en 1995, ou même en 1999; il s'agit plutôt de savoir ce qu'il est en 2005.


[12]            La demande que M. El Rafih a faite en vue d'obtenir une prorogation de deux semaines était raisonnable et, eu égard aux circonstances, le refus d'accorder une autre prorogation constituait un déni de justice naturelle.

[13]            Dans la décision Chalal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 345, [2003] A.C.F. no 497, le juge Blanchard a noté, au paragraphe 4, que la Cour avait statué à maintes reprises que l'équité procédurale exige que la divulgation soit faite au demandeur dans un délai raisonnable avant l'audience pour permettre à l'avocat d'être bien informé des allégations formulées contre le demandeur et de préparer une défense pleine et entière.

[14]            Le juge a également mentionné la décision de principe que la Cour suprême avait rendue dans l'affaire Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, où le juge Le Dain a dit ce qui suit à la page 661 :

[...] j'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition.


[15]            L'approche pragmatique et fonctionnelle qui s'applique à l'examen judiciaire pourrait donner à entendre que la conclusion portant que le Liban était un pays de référence était pour le moins une question mixte de fait et de droit et qu'elle devait être maintenue à moins d'être déraisonnable, mais cette approche ne s'applique pas aux questions d'équité procédurale. La norme de contrôle s'applique à la décision par opposition au contexte procédural dans lequel s'inscrit la décision (Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539). Les questions d'équité procédurale sont des questions de droit et sont susceptibles de révision si elles sont incorrectes (Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 3 C.F. 195 (C.A.); Mani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 376, [2004] A.C.F. no 454 (QL); Aslam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 514, [2004] A.C.F. no 620 (QL)).

[16]            Eu égard aux circonstances, j'accueille la demande de contrôle judiciaire, mais uniquement à l'égard de la question du pays de référence et si, en fin de compte, le Liban n'est pas un pays de référence, aux fins de la détermination de la question de savoir si M. El Rafih a raison de craindre d'être persécuté s'il est renvoyé en Colombie. Il ne devrait pas être difficile pour les parties, et en particulier pour M. El Rafih, d'obtenir des renseignements à jour de l'ambassade du Liban au sujet de sa situation dans ce pays.

[17]            Il n'y a pas de question de portée générale à certifier.

            « Sean Harrington »        

          Juge                        

Ottawa (Ontario)

le 10 juin 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-9634-04

INTITULÉ :                                                                SLEIMAN EL RAFIH

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 8 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 10 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Nico G.J. Breed                                                            POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Spier Harben                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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