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Date : 20190712


Dossier : IMM‑4393‑18

Référence : 2019 CF 923

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

KY LUU PHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Le demandeur, M. Ky Luu Phan [M. Phan], sollicite le contrôle judiciaire de la décision prononcée le 17 août 2018 par la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAI a rejeté l’appel que M. Phan a interjeté contre la décision par laquelle un agent des visas [l’agent] a refusé, en application du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR], la demande de parrainage qu’il a présentée pour le compte de son épouse, Mme Nga Thi Le Doan [Mme Doan], une citoyenne vietnamienne, au titre de la catégorie du regroupement familial.

[2]  La SAI a confirmé la décision de l’agent de refuser la demande de parrainage après avoir conclu, en application du paragraphe 4(1) du RIPR, que le mariage du couple visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], ou qu’il n’est pas authentique :

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut que la décision de la SAI est raisonnable et rejette la demande de contrôle judiciaire.

II.  Les faits

[4]  Monsieur Phan est né au Vietnam. Il est arrivé au Canada en 1994 et est maintenant citoyen canadien. Il affirme qu’il a rencontré Mme Doan à la fin d’un voyage au Vietnam à la fin de juin 2012 et qu’ils ont célébré leur mariage au Vietnam au début de 2013. Selon M. Phan, la tante de Mme Doan les a présentés l’un à l’autre. Ni l’un ni l’autre n’avait déjà été marié. Monsieur Phan travaille dans un restaurant au Canada, tandis que Mme Doan travaille dans un restaurant au Vietnam où elle a toujours résidé.

[5]  Le 9 juillet 2013, M. Phan a présenté une demande de parrainage au soutien de la demande de visa de résident permanent présentée de l’étranger par Mme Doan au titre de la catégorie du regroupement familial. Dans les observations présentées au Centre de traitement des demandes à l’appui de la demande de parrainage, le conseil de M. Phan et de Mme Doan a déclaré qu’ils se sont rencontrés les 28 et 29 juin 2012 au restaurant où Mme Doan travaillait au Vietnam. Au retour de M. Phan au Canada le 1er juillet 2012, le couple a commencé à communiquer par téléphone, se parlant trois ou quatre fois par semaine. Selon ces observations, le 27 août 2012 M. Phan a demandé, par téléphone, à Mme Doan de l’épouser et ils ont officiellement célébré leurs fiançailles au Vietnam le 14 octobre 2012. Le 27 janvier 2013 et le 1er février 2013, ils ont célébré leur mariage au Vietnam dans le cadre de cérémonies distinctes destinées à la famille de chaque époux, puis ils ont fait leur lune de miel au Vietnam. Selon le témoignage de M. Phan devant la SAI, il est resté au Vietnam jusqu’en mars 2013 et a de nouveau rendu visite à Mme Doan en octobre 2016.

[6]  Selon les notes que l’agent a versées au Système mondial de gestion des cas [SMGC], il a interviewé Mme Doan le 31 août 2015, avec l’aide d’un interprète vietnamien. Selon les notes du SMGC, l’agent a téléphoné à M. Phan le 7 septembre 2015 pour lui poser des questions.

[7]  Dans les notes du SMGC, l’agent a signalé des contradictions entre les réponses de M. Phan et de Mme Doan pour plusieurs raisons. L’agent a exprimé des doutes au sujet de l’authenticité du mariage, jugeant que les époux avaient une connaissance superficielle l’un de l’autre. En conséquence, l’agent a conclu que le mariage de l’appelante et de son époux n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. Le 8 septembre 2015, l’agent a remis au couple une lettre de décision officielle par laquelle il refusait la demande de résidence permanente de Mme Doan, en invoquant le paragraphe 4(1) du RIPR et le paragraphe 11(1) de la LIPR. Le 30 septembre 2015, M. Phan a interjeté appel de la décision de l’agent devant la SAI.

[8]  La SAI a tenu une audience, qui a eu lieu les 14 novembre 2017, 20 février 2018 et 15 juin 2018, au cours de laquelle M. Phan et son oncle ont témoigné, tandis que Mme Doan a livré son témoignage par téléphone depuis le Vietnam.

[9]  Au terme de l’audience, la SAI a rejeté l’appel le 17 août 2018. Le 7 septembre 2018, M. Phan a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SAI, en application du paragraphe 72(1) de la LIPR.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[10]  Examinant d’abord la question de l’authenticité du mariage, la SAI a signalé des contradictions dans les témoignages qu’elle a entendus et dans les déclarations faites à l’agent. Notamment, la SAI a vu d’un mauvais œil les incohérences sur la question de savoir si le couple s’était rencontré par hasard au restaurant ou si la tante de Mme Doan les avait présentés l’un à l’autre, ainsi que les incohérences dans les réponses quant à savoir quelles personnes étaient présentes lors de leurs deux premières rencontres et à quelle l’heure de la journée a eu lieu leur première rencontre.

[11]  La SAI a rappelé le témoignage de M. Phan selon lequel il a rencontré la tante de Mme Doan dans un camp de réfugiés en Indonésie en 1991, il a repris contact avec cette tante au Canada, et c’était elle qui lui a donné les coordonnées de Mme Doan. Par la suite, selon le témoignage de M. Phan, il a appelé Mme Doan pour se présenter et a pris des dispositions pour la rencontrer au restaurant où elle travaillait. Le témoignage de Mme Doan devant la SAI concorde avec ce récit, mais elle avait déjà dit à l’agent que personne ne l’avait présentée à M. Phan et qu’elle l’avait rencontré au restaurant lorsqu’il est venu prendre un repas, et qu’il n’avait obtenu son numéro de téléphone qu’après l’avoir rencontrée une deuxième fois au restaurant. La SAI a ajouté que, dans son Questionnaire de l’époux, du conjoint de fait ou du partenaire conjugal, Mme Doan a répondu « Non » à la question de savoir si quelqu’un lui avait présenté M. Phan et elle n’a pas ajouté dans la section des détails supplémentaires que c’était sa tante qui avait fait les présentations.

[12]  Selon la SAI, les deux versions passablement divergentes que Mme Doan a données au sujet des circonstances de sa rencontre avec M. Phan soulèvent une grave préoccupation quant à sa crédibilité. De l’avis de la SAI, si la relation du couple est authentique, il serait normal de s’attendre à ce que Mme Doan fasse un récit globalement cohérent des circonstances de sa rencontre avec M. Phan. La SAI n’a pas non plus jugé adéquate l’explication de Mme Doan portant que la rencontre avait eu lieu il y a longtemps et qu’elle ne s’en souvenait pas.

[13]  La SAI n’a pas non plus vu d’un bon œil les contradictions entre le témoignage de M. Phan et celui de Mme Doan au sujet des personnes présentes lors de chacune de leurs rencontres au restaurant, ce qui, à son avis, a également gravement miné leur crédibilité.

[14]  Monsieur Phan a précisé dans son témoignage que, lors de la première rencontre, il était accompagné de sa sœur et de sa nièce, et Mme Doan a témoigné de même. Cependant, M. Phan avait déclaré à l’agent qu’il était accompagné de son neveu tandis que, selon Mme Doan, il était accompagné de sa nièce. En ce qui concerne la deuxième visite au restaurant, M. Phan avait déclaré à l’agent qu’il était accompagné de sa sœur tandis que, selon Mme Doan, il était accompagné de sa nièce. Devant la SAI, M. Phan a déclaré qu’il était accompagné du neveu parce que sa sœur et sa nièce étaient occupées.

[15]  Selon le témoignage de Mme Doan, la première rencontre a eu lieu à 20 h ou à 21 h, mais elle avait déclaré à l’agent qu’elle avait eu lieu à 11 h. La SAI a conclu que cette incohérence minait sa crédibilité parce qu’elle a fourni sans hésiter des plages horaires différentes sans prévenir que sa mémoire était défaillante. La SAI a déclaré que son témoignage n’était ni fiable ni digne de foi et que Mme Doan avait tendance à présenter des éléments de preuve contradictoires.

[16]  S’agissant des éléments de preuve de communication, la SAI a rappelé leurs témoignages selon lesquels ils se sont envoyé des messages textes au moyen d’une application pour téléphones. Elle a également souligné le fait qu’ils ont présenté des éléments de preuve établissant qu’ils avaient eu des communications au moyen de l’application pour téléphones entre septembre 2014 et octobre 2016. Toutefois, la SAI a fait remarquer que, hormis quatre enveloppes, ils n’avaient pas présenté d’éléments établissant qu’ils avaient eu des communications entre juin 2012 et août 2014. Selon la SAI, le fournisseur de services de télécommunication de M. Phan aurait pu lui donner accès à de tels documents. La SAI a conclu que cette lacune allait à l’encontre des allégations selon lesquelles ils communiquaient ensemble depuis leur rencontre et que l’absence d’éléments de preuve établissant des communications entre eux avant le mariage minait leur crédibilité quant à l’évolution de la relation.

[17]  La SAI a mis en doute leur témoignage au sujet de l’évolution de leur relation à partir du moment où ils ont fait connaissance les 28 et 29 juin 2012 et de la demande en mariage du 27 août 2012. La SAI a conclu que les éléments de preuve concernant la façon dont leur relation a évolué au cours des deux mois qui ont suivi leur rencontre étaient « vague[s], imprécis et insuffisant[s] pour expliquer comment la relation s’est développée ». Essentiellement, la SAI n’a pas jugé adéquate leur explication selon laquelle ils avaient parlé de leur vie, de leurs intérêts, de leur travail et de leur famille, et qu’après avoir appris à se connaître, [traduction« leur relation avait pris un tour amoureux » sans fournir plus de détails.

[18]  La SAI a ensuite souligné plusieurs autres préoccupations liées à la crédibilité. Premièrement, Mme Doan a déclaré à l’agent qu’elle avait deux tantes vivant au Canada et que M. Phan ne résidait avec aucune d’elles et qu’il vivait seul. Par contre, M. Phan a déclaré à l’agent qu’il habitait chez la tante de Mme Doan. Lorsque la commissaire de la SAI lui a demandé d’expliquer l’incohérence, Mme Doan a déclaré qu’elle n’avait pas de reçus de loyer lorsque l’agent lui a posé la question et qu’elle ne se souvenait pas des conditions de logement de M. Phan à l’époque. Selon M. Phan, la tante de Mme Doan avait demandé à celle-ci de ne pas dire à l’agent que M. Phan vivait chez elle parce qu’elle ne voulait pas devoir payer de l’impôt sur le revenu de location, et il a été en colère lorsqu’il a appris ce que la tante de Mme Doan avait dit. La SAI a toutefois souligné que Mme Doan n’a pas admis que sa tante lui avait demandé de ne pas divulguer des renseignements.

[19]  À la lumière de ces faits, la SAI a conclu que, si Mme Doan n’a pas dit la vérité, sa malhonnêteté jetait un doute sérieux sur son intégrité et sa fiabilité en tant que témoin. Par contre, si elle n’était pas au courant des conditions de logement de M. Phan, son ignorance soulevait des préoccupations quant à l’authenticité de la relation, car les époux liés par un mariage authentique connaissent l’essentiel des conditions de logement de leur conjoint, comme l’endroit où il vit et avec qui il cohabite.

[20]  D’après le témoignage de Mme Doan, la SAI a également observé qu’elle avait demandé deux fois des visas d’étudiant canadien et que les deux demandes avaient été refusées. Or, dans ses formulaires de demande de résidence permanente, elle a déclaré qu’elle ne s’était jamais vu refuser de visa de résident temporaire au Canada. Les éléments de preuve présentés par Mme Doan concernant ses antécédents en matière d’immigration étaient donc contradictoires. La SAI a également observé que, dans l’une de ses demandes de visa d’étudiant, elle avait déclaré avoir suivi des cours en gestion d’établissements de restauration au niveau collégial et, dans sa demande de résidence permanente, elle a déclaré avoir reçu un diplôme. Cependant, devant la SAI, elle a déclaré qu’elle n’avait fait que des études secondaires et, à la question de savoir si elle avait fait des études collégiales, elle a répondu qu’elle n’avait fait que des études secondaires. La SAI a conclu que, bien que les antécédents scolaires de Mme Doan n’aient pas de lien direct avec l’authenticité du mariage, cette contradiction nuit néanmoins à la fiabilité et la crédibilité de son témoignage.

[21]  La SAI a admis la preuve de transferts de fonds de M. Phan à Mme Doan, les dossiers de communication de septembre 2014 à octobre 2016 et les photographies de leur voyage au Vietnam en 2016. Toutefois, ces éléments de preuve n’ont pu dissiper les doutes quant à la crédibilité ni justifier les éléments contradictoires et l’insuffisance d’éléments de preuve concernant les communications et l’évolution de la relation. Ces lacunes, dans leur ensemble, minent l’authenticité de leur mariage, qui n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités.

[22]  Rappelant que « si la preuve permet de conclure que le mariage n’était pas authentique, il existe donc une présomption que le mariage visait l’acquisition d’un statut. Le fardeau d’établir le contraire revient absolument au demandeur », la SAI a conclu qu’il n’avait pas été satisfait à ce fardeau en l’espèce (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 417, au paragraphe 16 [Kaur]). Plus particulièrement, M. Phan n’a pas mentionné dans sa demande de parrainage que les demandes de visa d’étudiant de Mme Doan avaient été refusées. La SAI a ensuite conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

IV.  Questions en litige

[23]  La présente demande ne soulève qu’une seule question importante :

A.  La SAI a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que le mariage du couple n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR?

V.  Norme de contrôle

[24]  La conclusion de la SAI, portant qu’un mariage n’est pas authentique ou qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable puisqu’elle soulève des questions de fait et de droit (Shahzad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 999, au paragraphe 14; Al Mousawmaii c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1256, au paragraphe 12 [Al Mousawmaii]).

VI.  Analyse

[25]  Monsieur Phan soutient que, dans son évaluation des deux volets fondée sur le paragraphe 4(1) du RIPR, la SAI devait prendre en compte l’ensemble de la preuve, dont les éléments de preuve postérieurs au mariage concernant l’engagement mutuel du couple (Lawrence c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 369, aux paragraphes 9 à 11 [Lawrence]). Il affirme que la SAI n’a pas tenu compte des éléments de preuve démontrant l’authenticité du mariage, plus précisément des éléments de preuve postérieurs au mariage. La SAI a commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’elle s’en est tenue dans sa décision aux préoccupations liées à la crédibilité, ce qui revenait à scruter les éléments de preuve à la loupe. De l’avis de M. Phan, ces conclusions sur la crédibilité ne pouvaient l’emporter sur les autres éléments de preuve dignes de foi dont disposait la SAI. Monsieur Phan ajoute que ces conclusions sur la crédibilité n’étaient pas fondées sur des témoignages contradictoires entendus par la SAI. Ces conclusions étaient plutôt fondées sur les différences relevées entre les déclarations respectives faites à l’agent par chacun des époux, et entre les déclarations de chacun faites devant l’agent et leur témoignage devant la SAI.

[26]  Monsieur Phan ajoute que, devant la SAI, il a présenté des éléments de preuve concernant la communication, la cohabitation, la consommation du mariage, l’expression d’amour et d’affection, le soutien financier et la participation de la famille à la cérémonie de mariage. À son avis, tous ces facteurs sont des indices d’un mariage authentique. Monsieur Phan souligne que l’ampleur des communications et des rapports soutenus entre les époux démontre la connaissance de la vie quotidienne que l’un ou l’autre avait de l’autre partie, notamment pour ce qui intéresse la famille et le travail, et démontre que leur mariage est authentique. Monsieur Phan conteste en outre la conclusion de la SAI selon laquelle les communications entre 2012 et 2014 n’étaient pas suffisantes, parce qu’elle n’a essentiellement pas tenu compte des nombreux éléments de preuve relatifs aux communications par message texte de 2014 à 2016 pour tirer sa conclusion.

[27]  Le défendeur soutient qu’en septembre 2010, le paragraphe 4(1) du RIPR a été modifié de manière à préciser que le critère relatif à la « mauvaise foi » appliqué aux relations conjugales est disjonctif, et qu’ainsi, le défaut de remplir l’une ou l’autre des deux exigences (authenticité ou intention) et l’intention qui sera déduite du comportement des parties pourront entraîner le refus de la demande. Qui plus est, il n’existe pas un mode d’analyse unique pour déterminer si une relation est authentique, et la crédibilité est un aspect primordial de la décision (Keo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1456, au paragraphe 23).

[28]  Le défendeur soutient en outre que M. Phan conteste dans ses arguments l’appréciation de la preuve faite par la SAI ainsi que les conclusions de fait concernant le but principal et l’authenticité du mariage du couple. Le défendeur souscrit aux conclusions de la SAI quant à la crédibilité parce qu’il croit qu’il était loisible à la SAI de les tirer et parce qu’elles sont fondées sur la preuve versée au dossier. Selon le défendeur, la SAI a conclu à raison que les témoignages du couple étaient vagues et de nature générale, et que les préoccupations de la SAI sur la façon dont le couple s’est rencontré et sur la façon dont leur relation a évolué étaient raisonnables et très pertinentes.

[29]  Le défendeur fait aussi valoir que la SAI n’a pas omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents. Il est vrai que le couple a fourni de « nombreux documents », mais ce nombre n’est pas pour autant un gage de la crédibilité ou de la fiabilité des éléments de preuve sur la façon dont leur relation a commencé et a évolué. Le défendeur fait remarquer que, selon la SAI, les éléments de preuve concernant leurs communications avant 2014 étaient insuffisants et que sa conclusion était importante en raison d’autres lacunes quant à la crédibilité relativement à cette période. De l’avis du défendeur, la SAI était justifiée de tirer une conclusion défavorable, parce qu’aucun élément de preuve n’avait été fourni pour corroborer les communications. De plus, la SAI a tenu compte de la preuve photographique et de la preuve de transferts d’argent, et elle pouvait raisonnablement conclure que ces éléments ne dissipaient pas les doutes quant à la crédibilité.

[30]  Comme les parties l’ont constaté, il ne semble pas y avoir de critère clair qui permet de conclure à l’exclusion dont les conditions sont énoncées au paragraphe 4(1) du RIPR, et la SAI peut tenir compte de plusieurs facteurs pour rendre sa décision. La SAI a énoncé, dans Chavez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] D.S.A.I. no 353, au paragraphe 3 [Chavez] – une décision qui a été suivie par de nombreux autres tribunaux ‑, les facteurs pertinents pour l’évaluation fondée sur le paragraphe 4(1) du RIPR. Ces facteurs sont, notamment, les suivants (Pabla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1141, au paragraphe 27) :

[...] l’intention des parties du mariage, la durée de la relation, le temps qu’elles ont passé ensemble, leur comportement au moment de leur première rencontre, de leurs fiançailles et/ou de leur mariage, leur comportement après le mariage, la connaissance que chaque partie a des antécédents de l’autre, l’ampleur des communications et des rapports soutenus, la prestation d’un soutien financier, la connaissance des enfants de l’autre partie et le partage de la responsabilité liée aux soins de ces enfants, la connaissance de la famille élargie de l’autre partie et la communication avec cette famille, ainsi que la connaissance de la vie quotidienne de l’autre partie. [...]

[31]  En outre, en termes simples, le critère disjonctif applicable au paragraphe 4(1) du RIPR commande, suivant l’alinéa a), d’évaluer l’intention des époux au moment du mariage, ou le but principal du mariage, et suivant l’alinéa b), l’authenticité de leur mariage au moment présent (Al Mousawmaii, au paragraphe 15). Les facteurs énoncés dans Chavez semblent pouvoir être appliqués dans les deux cas. De plus, les conclusions défavorables tirées quant à la crédibilité sont certainement importantes dans l’analyse de la SAI fondée sur le paragraphe 4(1) du RIPR (Truong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 422, aux paragraphes 30 à 40 [Truong]). Vu la nature disjonctive du critère, l’étranger qui a initialement contracté un mariage dans le but d’acquérir un statut ou un privilège, mais dont le mariage est devenu un mariage authentique au fil du temps, est néanmoins exclu de la catégorie du regroupement familial (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2014 CF 1077, au paragraphe 7; Alcina Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 995, au paragraphe 66).

[32]  À la lumière de ces éléments, la Cour a certaines réserves en ce qui concerne la décision de la SAI. Notamment, la SAI a soulevé, sous la rubrique intitulée « Authenticité du mariage » (motifs de la SAI aux paragraphes 4 à 23), plusieurs doutes quant à la crédibilité qui semblent se rattacher aux intentions du couple au moment de son mariage - par exemple, les déclarations discordantes faites à l’agent et l’insuffisance d’éléments de preuve concernant leurs communications au cours des deux premières années de leur relation. À la fin de sa décision, sous la rubrique intitulée « But principal », la SAI a précisé que, sur preuve de l’inauthenticité du mariage, elle peut présumer qu’il visait, au moment où il a été contracté, l’acquisition d’un statut, et elle a rappelé les préoccupations qu’elle a déjà exprimées dans la partie portant sur l’authenticité (motifs de la SAI, au paragraphe 24 (où la SAI renvoie au paragraphe 16 de Kaur)).

[33]  Il semble que la plupart des incohérences soulevées par la SAI portent sur le but principal du mariage au moment où il a été contracté et sur la crédibilité globale du couple, et moins sur la question de savoir si le mariage est authentique au moment présent. De plus, la Cour est d’accord avec M. Phan pour dire que la preuve d’engagement après le mariage peut lui être utile dans son appréciation du but principal (Lawrence, au paragraphe 18; Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 902, au paragraphe 15). En d’autres termes, la preuve du comportement des époux depuis leur mariage qui permet d’en établir l’authenticité milite en leur faveur dans l’appréciation du but principal de leur mariage. Or, la SAI a conclu à l’inauthenticité du mariage en s’appuyant principalement sur les conclusions liées à la crédibilité du couple et sur les facteurs qui démontrent l’intention du couple avant le mariage; elle a présumé, en conséquence, que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi.

[34]  Il appert donc que la présomption de la SAI et sa manière d’aborder les deux volets n’étaient peut‑être pas tout à fait justes. Cela dit, pour les motifs qui suivent, la Cour estime qu’il ne s’agissait pas d’une erreur importante ou susceptible de contrôle.

[35]  Les nombreuses incohérences relevées par la SAI sont importantes et étayent raisonnablement sa conclusion de mauvaise foi quant au mariage. À cet égard, la SAI a souligné les éléments discordants présentés à l’agent sur les points suivants : quelles personnes étaient présentes au moment où le couple s’est rencontré; la question de savoir si la tante de Mme Doan les avait présentés l’un à l’autre; le fait que Mme Doan n’a pas divulgué qu’elle avait présenté dans le passé deux demandes de résidence temporaire; les réponses mensongères à la question de savoir avec qui M. Phan vivait au Canada; et, hormis quatre enveloppes, l’absence totale d’éléments établissant les communications du couple entre juillet 2012 et août 2014. Non seulement ces conclusions étaient‑elles pertinentes pour arrêter la véritable intention des époux au moment de leur mariage au Vietnam, mais la SAI avait assurément le droit de se livrer à un examen très minutieux de leurs témoignages et des éléments de preuve après avoir tiré des conclusions quant à la crédibilité relativement à des faits qui n’ont pas nécessairement un lien direct avec les intentions du couple au moment de leur mariage (Truong, au paragraphe 30). De plus, la Cour a conclu que, bien qu’il ne soit pas déterminant, le défaut de divulguer les antécédents en matière d’immigration est un facteur pertinent pour apprécier l’authenticité d’un mariage (Nelson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1139, au paragraphe 18; Aburime c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 194, au paragraphe 23).

[36]  Avec égards, la Cour tient à souligner que M. Phan invoque à tort le jugement Lawrence. Dans cette affaire, la SAI n’avait pas tenu compte du comportement du couple après le mariage dans son évaluation du but principal, refusant essentiellement de le faire. Or, en l’espèce, la SAI a expressément abordé les éléments de preuve dont elle disposait, même si son examen portait sur ce qu’elle a appelé l’authenticité du mariage. La SAI a manifestement tenu compte de ces éléments de preuve dans son analyse et, en définitive, elle a choisi de donner une plus grande importance aux conclusions sur la crédibilité, ce qui l’a menée à conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le couple a contracté un mariage de mauvaise foi :

[23]  Je reconnais que [M. Phan] et [Mme Doan] ont évoqué durant leur témoignage leurs projets d’ouvrir une entreprise au Canada et que [M. Phan] a fourni la preuve documentaire de transferts de fonds à [Mme Doan], des dossiers de communication se rapportant à la période allant de septembre 2014 à octobre 2016, ainsi que des photos [du] voyage de retour [de M. Phan] au Vietnam en 2016; j’estime cependant, selon la prépondérance des probabilités, que ces éléments ne suffisent pas pour l’emporter sur les préoccupations soulevées quant à la crédibilité ni les dissiper.

[37]  Au final, la conclusion selon laquelle les préoccupations liées à la crédibilité l’emportent sur d’autres éléments de preuve concernant l’authenticité d’un mariage ressortit entièrement à la SAI; dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour ne doit pas apprécier à nouveau la preuve sur laquelle repose à cette conclusion (Parmar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 323, au paragraphe 25). Par ailleurs, les motifs de la SAI démontrent clairement qu’elle n’a pas ignoré les éléments de preuve pertinents.

[38]  Monsieur Phan peut ne pas adhérer à la décision de la SAI, mais la Cour estime que, dans l’ensemble, la décision de la SAI selon laquelle Mme Doan est exclue de la catégorie du regroupement familial au titre du paragraphe 4(1) du RIPR fait partie des issues raisonnables. Aucun élément du dossier ne va carrément à l’encontre de ses conclusions ou de sa décision d’accorder une plus grande valeur aux contradictions et aux conclusions défavorables quant à la crédibilité qu’elle a tirées (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no1425 (QL), 1998 CanLII 8667 (CF), aux paragraphes 16 à 17). La Cour tient à souligner que la SAI a soupesé tous les éléments de preuve dont elle disposait et qu’en définitive, sa décision peut suffisamment se justifier et ses motifs démontrent la transparence et l’intelligibilité de son processus décisionnel, de sorte que la Cour n’interviendra pas (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

[39]  La Cour estime que la SAI pouvait décider que le couple a contracté un mariage de mauvaise foi et qu’en conséquence, elle n’est pas justifiée d’intervenir.

VII.  Conclusion

[40]  Pour ces motifs, la Cour conclut que la décision de la SAI est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question grave de portée générale générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier no IMM‑4393‑18

LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Le 20e jour de septembre 2019.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4393‑18

INTITULÉ :

KY LUU PHAN c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 avril 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 12 juillet 2019

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

Pour le demandeur

 

Gordon Lee

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee and Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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