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Date : 20050525

Dossier : T-1533-04

Référence : 2005 CF 741

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

Stan Eksal et Chuck Lovallo

demandeurs

- et -

le procureur général du Canada

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]         Les demandeurs, Stan Eksal et Chuck Lovallo, sont deux employés de l'Agence du revenu du Canada (ARC). Dans le système de classification des employés de l'ARC, leurs postes étaient classifiés au niveau 5, au sein du groupe MG. Ils ont déposé un grief contre cette classification devant le Comité des griefs de classification de l'ARC (le Comité) en faisant valoir que leurs postes devraient être classifiés à un niveau supérieur, soit au niveau MG-06. Dans un rapport daté du 30 juillet 2004, le Comité a conclu que les postes visés par le grief devaient être classifiés au niveau MG-05. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]         Avant de commencer, je signale que la terminologie de la classification est souvent obscure et difficile à comprendre. Je me suis efforcée d'utiliser les termes - aussi déroutants qu'ils puissent paraître aux yeux d'un profane - que les parties ont employés.

Questions en litige

[3]         La présente demande soulève deux questions :

1.       Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.       Le Comité a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de certains des postes visés par le numéro de poste MG-305 qui ne gèrent pas d'activités par l'intermédiaire de plus d'un superviseur?

Question no 1 : Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[4]         Les demandeurs et le défendeur m'ont soumis une analyse pragmatique et fonctionnelle détaillée de la norme de contrôle à appliquer aux décisions du Comité. Les demandeurs font valoir que la norme devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter et le défendeur soutient qu'il devrait s'agir de la norme de la décision manifestement déraisonnable. À mon sens, il n'est pas nécessaire de déterminer quelle est la norme qui s'applique, car je suis convaincue que, selon l'une ou l'autre de ces deux normes, la décision n'a pas à être infirmée.

Question no 2 : Le Comité a-t-il commis une erreur?

[5]         Les demandeurs occupent le poste de gestionnaire de région/zone au sein de la Direction générale de l'informatique (DGI) de l'ARC. Ce poste porte la désignation de gestionnaire de support de la technologie de l'information, MG-606. Les personnes qui occupent le poste MG-606 gèrent directement un effectif de 11 à 15 employés, par l'intermédiaire d'un superviseur subalterne. Au sein de l'ARC, chaque poste comporte un titre descriptif et un numéro, de même qu'une classification. Il est question en l'espèce de postes désignés MG-606 (on trouve aussi la désignation MG-0606, ce qui rend les choses encore plus déroutantes), qui sont assortis de la classification MG-05, soit le niveau 5 sous la rubrique générale du Groupe de gestion (MG).

[6]         Il est utile de décrire comment la classification est effectuée. Les postes en question sont examinés et des cotes leur sont attribuées en fonction d'un certain nombre de « facteurs et éléments » . Ces cotes sont ensuite converties en points que l'on additionne, et les postes sont classés au sein de l'ARC en fonction du nombre total de points obtenus.

[7]         Dans l'opération de classification initiale, le poste MG-606 valait 660 points, soit 20 de moins que le niveau MG-06. Dans leur grief devant le Comité, les demandeurs se sont plaints de deux éléments de leur classification : la « Connaissance du contexte » et le « Leadership des ressources humaines » . Dans sa décision, le Comité a souscrit en partie aux observations des demandeurs et réévalué leur pointage, le faisant passer de 29 à 40 pour l'élément « Connaissance du contexte » , et haussant ainsi l'évaluation de la cote A4 à la cote A5. Il a cependant refusé de faire passer de 5 à 6, comme le voulaient les demandeurs, la cote relative à l'élément « Leadership » . Les cotes relatives à l'élément « Leadership » sont évaluées en « degrés » . Pour cet élément, le degré 5 se traduit par 125 points, et le degré 6 par 140 points. Résultat, il manque aux demandeurs à peine 9 points pour obtenir le pointage de 680 qu'exige la classification MG-06. Si les demandeurs avaient eu gain de cause devant le Comité au sujet de l'élément « leadership » , ils auraient obtenu 15 points de plus (140 au lieu de 125) et auraient été classés au niveau supérieur, soit MG-06.

[8]         Les arguments que les demandeurs ont fait valoir devant le Comité au sujet de l'élément « leadership » sont les suivants :

[Traduction] Stan Eksal gère un effectif de 16 employés par l'intermédiaire d'un superviseur subalterne. Charles Lovallo gère un effectif de 17 employés par l'intermédiaire d'un superviseur subalterne. Tous deux constituent le premier palier de la procédure de règlement des griefs, sont exemptés et sont investis de pouvoirs en matière de budgets et de dotation du personnel. Tous deux gèrent des employés qui travaillent à des endroits géographiques différents. Ils satisfont à deux facteurs spéciaux. Dans la région du Pacifique, leurs homologues assument les mêmes responsabilités en matière de leadership et gèrent leurs activités par l'intermédiaire de superviseurs subalternes, compte tenu de 2 facteurs spéciaux. Il n'y a pas de différence marquée entre les responsabilités en matière de leadership des postes MG-607, 305 et 606. L'évaluation appropriée de cet élément est le degré 6.

[9]         L'analyse et la conclusion du Comité au sujet de l'élément essentiel du « leadership » sont les suivantes :

[Traduction] Les critères relatifs au degré 5 comportent les responsabilités suivantes : recommander des niveaux de ressources humaines; approuver des plans de travail; établir des équipes de projet ou des groupes de travail multidisciplinaires comprenant plusieurs superviseurs subalternes et en coordonner les travaux; élaborer des grandes priorités et des plans de travail; proposer des nouvelles façons d'atteindre les objectifs, telles que le partenariat ou le travail en équipe; contribuer au perfectionnement professionnel en assurant une orientation fonctionnelle.

Les critères relatifs au degré 6 comportent les responsabilités suivantes : organiser le travail en fonction d'objectifs multiples; approuver des niveaux de ressources humaines; établir et approuver de grands objectifs et de grandes priorités; approuver l'adoption de nouvelles façons d'atteindre les objectifs, comme le partenariat et le travail en équipe; favoriser un milieu de travail juste et équitable; favoriser un climat de travail propice à la formation continue.

En outre, selon l'outil de référence en gestion, le degré 6 consiste à « gérer les activités par l'intermédiaire de superviseurs subalternes, compte tenu de facteurs spéciaux (voir la p. 20 du dossier du défendeur). Le titulaire du poste visé par le grief est chargé de la gestion d'employés, et ce, directement ou par l'intermédiaire d'un superviseur subalterne, et le Comité recommande que le poste soit classé au degré 5.

[...]

Comme l'atteste une comparaison de la description de travail et des critères, le poste visé par le grief ne satisfait qu'à deux des critères du degré 6 : favoriser un milieu de travail juste et équitable, et favoriser un climat de travail propice à la formation continue.

Le Comité des griefs de classification recommande donc que l'on attribue le degré 5 et une cote de 125 points au poste en question, et il est d'accord avec la classification existante de l'ARC.

[10]       Les arguments que les demandeurs ont fait valoir devant moi sont fondés sur le poste 305. Les demandeurs rappellent que des preuves ont été soumises au Comité indiquant que sept des postes MG-305 ne comportent qu'un seul superviseur subalterne, sinon aucun. De l'avis des demandeurs, il faudrait comparer leurs postes à ceux du niveau MG-305 qui ne gèrent pas d'activités par l'intermédiaire de plusieurs superviseurs subalternes, plutôt qu'à la description de travail qui exige la gestion des activités par l'intermédiaire de plusieurs superviseurs subalternes. Autrement dit, une fois qu'il a été établi qu'un poste de niveau MG-06 ne comptait qu'un seul superviseur subalterne ou n'en comptait aucun, le Comité ne pouvait pas conclure que l'un des critères relatifs au niveau MG-06 est la présence de « plusieurs superviseurs subalternes » . À leur avis, le Comité n'a pas respecté le principe prépondérant de la comparabilité des postes en matière de classification. Ils font valoir que le Comité s'est trompé, tout comme l'avait fait le délégué de l'administrateur général pour les griefs de classification dans Chong c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no 1600 (C.F. 1re inst.). Je ne suis pas d'accord.

[11]       Il ressort d'un examen de l'organigramme de l'ARC qu'il y a, au sein du groupe MG-305, un certain nombre de titulaires de poste qui ne gèrent pas d'activités par l'intermédiaire de plus d'un superviseur. Cependant, les demandeurs ne contestent pas que, suivant l'exigence relative au leadership telle qu'elle est énoncée dans la description de travail concernant le groupe MG-305, les titulaires de ces postes gèrent les activités par l'intermédiaire de plus d'un superviseur subalterne. La question est de savoir si la présence de ces personnes qui ne satisfont pas à ce critère du poste MG-305 signifie que le Comité doit conclure que ledit critère de la gestion des activités par l'intermédiaire de plus d'un superviseur n'est pas une exigence du poste. C'est, d'après les demandeurs, ce qu'il faudrait faire. Je ne puis souscrire à cet argument. Les anomalies que l'on relève dans une structure de classification vaste et complexe ne peuvent pas constituer l'élément moteur d'un système de classification équitable; cela reviendrait à classifier les postes en fonction du plus petit dénominateur commun, plutôt qu'en fonction d'une série objective de critères énoncés dans des descriptions de travail établies.

[12]       Comme il a été indiqué, la description de travail relative au groupe MG-305 oblige à gérer les activités par l'intermédiaire de plusieurs superviseurs subalternes. Les titulaires de postes du groupe MG-305 qui ne le font pas ne devraient pas être classifiés au même niveau. Pour parler franchement, si ces titulaires de postes ne gèrent pas les activités par l'intermédiaire de plus d'un superviseur subalterne, ils sont classifiés à tort à un échelon supérieur. Il ne faudrait pas que des employés désireux de faire hausser leur propre échelon invoquent l'existence d'erreurs dans le système. S'il fallait que je souscrive à la position des demandeurs, les erreurs évidentes que comporte le système de classification de l'ARC s'aggraveraient et, en fin de compte, entraîneraient son échec total. L'élément de comparaison approprié, s'il y en a un, devrait être la description de travail relative aux postes du groupe MG-305.

[13]       Comment le Comité a-t-il examiné les arguments des demandeurs? Il n'en a pas fait abstraction. Il a dit :

[Traduction] Le syndicat a également fait état de postes du groupe MG-0305 dont le titulaire est chargé de gérer les activités par l'intermédiaire de plusieurs superviseurs subalternes. En fait, selon les organigrammes que le syndicat a soumis, un grand nombre des postes créés par rapport au groupe MG-0305 ne satisfaisaient pas clairement au critère de la présence de plusieurs superviseurs subalternes. Là encore, ces arguments débordaient du cadre du mandat du Comité des griefs de classification et il faut y répondre dans le cadre des activités de surveillance. Le Comité des griefs de classification n'a pas pour mandat de « rectifier » les mesures qui ne font pas l'objet d'un grief.

[14]       La première phrase de ce passage dénote que le Comité a bel et bien examiné le poste MG-305. Elle indique correctement que le titulaire d'un poste du groupe MG-305 est « chargé de gérer les activités par l'intermédiaire de plusieurs superviseurs subalternes » . Cette différence suffit pour établir que les postes du groupe MG-305 ne se comparent pas à ceux qu'occupent les demandeurs, lesquels reconnaissent qu'ils ne gèrent pas les activités par l'intermédiaire de plus d'un superviseur subalterne.

[15]       Le reste du paragraphe traite des postes irréguliers. En fait, le Comité, tout comme moi, conclut que la classification de ces postes est incorrecte. Le Comité indique aussi que la présente situation est une question de « mandat » , affirmant qu'il n'a pas pour mandat de rectifier ces classifications erronées. J'aurais préféré que le Comité exprime cette pensée en disant que les postes irréguliers ne sont pas pertinents, compte tenu de l'exigence claire et nette que comportent les postes du groupe MG-305 en rapport avec l'élément « leadership » . Quoi qu'il en soit, le résultat est le même; l'élément de comparaison approprié est le poste décrit dans la description de travail, et non les personnes qui sont parvenues d'une certaine façon à obtenir une classification supérieure en répondant à des exigences moindres.

[16]       Les demandeurs font valoir que les postes irréguliers du groupe MG-305 doivent être considérés comme corrects. Ils ajoutent que la classification de ces postes au niveau MG-06 est « finale et exécutoire » et que le Comité doit présumer qu'ils sont classifiés correctement. En fait, ils soutiennent que le Comité doit régler toute erreur de classification au sein de l'ARC. C'est exactement pourquoi, selon moi, la comparaison doit être faite avec la description de travail plutôt qu'avec les cas irréguliers.

[17]       Les demandeurs se fondent en lui accordant beaucoup de poids sur la décision Chong, dans laquelle le juge McKeown a annulé une décision rendue à la suite d'un grief de classification concernant un poste en Colombie-Britannique et Yukon. Dans cette affaire, les demandeurs avaient soumis au comité une description de travail et un pointage concernant un poste ontarien qui, selon eux, était quasi identique au poste de la Colombie-Britannique et Yukon. Le comité a refusé de prendre en considération le poste ontarien parce qu'il n'avait pas pour mandat de juger la valeur d'autres postes ne faisant pas l'objet d'un grief de classification. La Cour a statué que « les principes d'équité et d'uniformité exigent que deux postes dont la description est identique aient la même classification, à moins qu'il y ait des raisons de leur accorder des traitements différents » . L'affaire a été « renvoyée au comité pour qu'il examine les différences entre le poste ontarien et celui de la C.-B. et du Yukon » .

[18]       Contrairement à ce qui s'est passé dans Chong, le Comité, dans l'affaire qui m'est soumise, a bel et bien examiné le poste du groupe MG-305 et l'a rejeté en tant qu'élément de comparaison direct parce qu'il exige que les titulaires gèrent leurs activités par l'intermédiaire de plus d'un superviseur subalterne. En l'espèce, le Comité n'a pas refusé de prendre en considération le poste du groupe MG-305. Ce qu'il a refusé de faire - à juste titre selon moi - c'est d'inclure dans cette comparaison les postes qui ne satisfaisaient pas au critère du leadership.

[19]       En résumé, je suis convaincue que la décision n'est pas déraisonnable. Plus précisément, le Comité n'a pas tiré sa conclusion en ne tenant pas compte des éléments de preuve dont il avait été saisi. Comme il s'agissait du seul motif sur lequel les demandeurs fondaient la présente demande, celle-ci sera rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.       La demande est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-1533-04

INTITULÉ :                                                                 STAN EKSAL et al.

                                                                                     c.

                                                                                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU

                                                                                     CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                           OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                         LE 10 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE :
                                                LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                                LE 25 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham                                                      POUR LES DEMANDEURS

Stéphane Hould                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne s.r.l.                                          POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Ottawa (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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