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Date : 20190711


Dossier : IMM-5697-18

Référence : 2019 CF 928

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 11 juillet 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SAID ABDUKADIR FARAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 27 septembre 2018 par un agent principal [l’agent], lequel a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] du demandeur, présentée en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

Le contexte

[2]  Le demandeur, Said Abdukadir Farah, est un citoyen de la Somalie de confession musulmane soufie. Il affirme être exposé au risque de persécution par Al Chabaab en Somalie, et aussi en Ouganda, pays qui l’a reconnu comme réfugié en 2010.

[3]  Le demandeur affirme que, alors qu’il était enfant, sa famille a quitté Mogadiscio, en Somalie, à cause de la guerre civile, et a déménagé à Belet Hawa, en Somalie. En 1998, la situation à Mogadiscio s’étant améliorée, il y est retourné avec son frère, et ils ont commencé à étudier dans une école religieuse. En 2007, Al Chabaab a tué son frère, car ce dernier avait refusé de s’y joindre. Quelques mois plus tard, des membres d’Al Chabaab ont tiré dans la jambe du demandeur. Il s’est ensuite enfui en Ouganda. Il y a épousé une Somalienne, et ils se sont installés dans un camp de réfugiés. En mars 2010, le gouvernement ougandais les a acceptés comme réfugiés. La même année, il a appris qu’il était sécuritaire de retourner à Belet Hawa, en Somalie. Comme il n’était pas en mesure de gagner de l’argent au camp de réfugiés, en octobre 2010, dans l’espoir de trouver un emploi, il est retourné à Belet Hawa, où se trouvaient ses parents et sa fratrie. Cependant, Al Chabaab l’a capturé et accusé d’être un informateur ainsi qu’un espion. Il a été battu et, le 15 octobre 2017, il a été traduit devant un tribunal religieux qui l’a déclaré coupable et l’a condamné à mort. Deux jours plus tard, des soldats éthiopiens et des Somaliens soufis ont pris Belet Hawa. Le demandeur a été libéré et est retourné en Ouganda, où il a ensuite déménagé à Kampala avec sa famille.

[4]  D’après le demandeur, il était très actif au sein de la communauté somalienne en Ouganda, notamment au sein de l’Association communautaire somalienne. Il a tâché de dissuader les jeunes Somaliens de se joindre à Al Chabaab, et il est devenu connu dans la communauté somalienne comme un opposant à ce groupe.

[5]  En décembre 2014, il a commencé à recevoir des appels de numéros inconnus; les personnes au bout du fil l’accusaient d’être un espion soufi et menaçaient de le tuer. Elles parlaient en somalien et, pendant un de ces appels, ont dit au demandeur que le jugement rendu contre lui était toujours valide. De cela, le demandeur a compris que les menaces provenaient d’Al Chabaab. Bien qu’il soit allé voir la police à trois reprises, il n’a pas reçu d’aide. Il a reçu environ neuf appels de décembre 2014 jusqu’à ce qu’il quitte le pays. Un soir, un groupe d’hommes l’a pourchassé pendant qu’il marchait dans une rue sombre près de chez lui. Il a essayé de déménager ailleurs qu’à Kampala, mais toujours en Ouganda. Cependant, d’après ce qu’il affirme, il n’a pas pu louer un logement en raison de la discrimination envers les Somaliens. Il s’est également dit qu’il ne serait pas à l’abri d’Al Chabaab en Ouganda ou dans un autre pays africain. Le demandeur a quitté l’Ouganda avec l’aide d’un passeur. Après avoir traversé nombre d’autres pays, il est entré au Canada le ou vers le 10 décembre 2015. Il a demandé l’asile, mais sa demande a été jugée inadmissible, parce qu’il avait obtenu le statut de réfugié en Ouganda. Le 10 décembre 2015, une mesure d’exclusion a été prise à son égard.

[6]  Le 25 mai 2016, le demandeur a présenté une demande d’ERAR, qui a été ensuite rejetée par une décision rendue le 23 janvier 2017. Le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable sur l’ERAR et, sur consentement, l’affaire a été renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Le 27 septembre 2018, la nouvelle décision fut à nouveau défavorable. Cette dernière décision fait maintenant l’objet du présent contrôle.

La décision faisant l’objet du contrôle

[7]  L’agent a conclu que la question déterminante était la protection offerte par l’État. À cet égard, l’agent a dit avoir considéré les questions suivantes : si l’État offrait une protection adéquate en Ouganda, si le demandeur avait pris toutes les mesures raisonnables pour se réclamer de cette protection et s’il avait présenté une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à le protéger.

[8]  Faisant référence à un rapport de police présenté par le demandeur, l’agent a conclu qu’il démontrait que la police avait bel et bien pris les préoccupations du demandeur au sérieux et qu’elle menait une enquête. Aussi, sur la base de la preuve documentaire sur les conditions dans le pays, l’agent a conclu que l’Ouganda avait un gouvernement fonctionnel et que le demandeur pourrait demander la protection des autorités de l’État en cas de préjudice aux mains des gens d’Al Chabaab ou d’autres personnes.

[9]  L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État au moyen d’une preuve objective suffisante. L’agent a ensuite conclu [traduction« [qu’]elle » (le demandeur) n’avait pas présenté assez d’éléments de preuve objectifs pour démontrer [traduction« [qu’]elle » serait incapable d’apprécier [sic] le gouvernement pour obtenir de l’aide, au besoin. Le demandeur n’avait pas démontré [traduction« [qu’]elle » avait épuisé tous les recours à sa disposition au [traduction« Mexique ». Les incidents décrits par le demandeur ne démontrent pas non plus que la protection de l’État ne serait pas offerte, puisque l’incapacité des autorités à l’échelle locale de fournir une protection ne signifie pas que l’État dans son ensemble n’est pas en mesure de protéger ses résidents, à moins que ces échecs ne dénotent une incapacité générale de l’État ou son refus global d’assurer la protection. L’agent n’était pas convaincu du fait que le demandeur craignait avec raison d’être persécuté en cas de retour en Ouganda, parce qu’il disposerait de recours et de mesures de réparation.

[10]  L’agent a également rejeté l’observation du demandeur selon laquelle, en tant que Somalien vivant en Ouganda, il serait si discriminé que cela constituerait de la persécution et qu’à cause de son origine somalienne, il courrait un grand risque de préjudice s’il y retournait. Bien que le demandeur ait craint pour sa sécurité en Ouganda, pour les motifs déjà énoncés, l’agent a conclu que la preuve dont il disposait n’appuyait pas le fait que, dans ce pays, le demandeur serait exposé au risque de persécution ou de préjudice.

[11]  L’agent n’a pas procédé à une évaluation relative à la Somalie, puisque le demandeur n’était pas considéré comme une personne en danger en Ouganda et qu’il était en mesure de retourner dans ce pays.

Les questions en litige et la norme de contrôle

[12]  À mon avis, la seule question soulevée en l’espèce consiste à savoir si la décision de l’agent est raisonnable. Il est bien reconnu que les demandes d’ERAR portent sur des questions mixtes de faits et de droit, et que la norme de contrôle applicable dans de telles affaires est la décision raisonnable (Benko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1032, au par. 15; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, au par. 10 [Huang]).

Analyse

[13]  Le demandeur soutient que la décision de l’agent est déraisonnable, parce que l’agent a tiré une conclusion voilée quant à sa crédibilité en concluant qu’il n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. De plus, l’agent n’a pas tenu d’audience ni procédé à une analyse personnalisée relativement à la protection de l’État.

  i.  La conclusion voilée quant à la crédibilité

[14]  Le demandeur soutient que, dans sa déclaration solennelle à l’appui de son ERAR, il a affirmé avoir communiqué avec la police à trois reprises, sans succès. Toutefois, l’agent a pris le rapport de la police à la lettre et l’a préféré à la preuve du demandeur. Ce faisant, l’agent a tiré une conclusion voilée quant à la crédibilité. Autrement dit, l’agent n’a pas cru le demandeur. Il s’agissait d’une erreur, parce que les conclusions quant à la crédibilité doivent être formulées en termes clairs et ne peuvent pas être voilées (Hilo c Canada (Emploi et Immigration) (1991), 15 IMM LR (2d) 199 (CAF); Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, aux par. 17 et 18; Hurtado Prieto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 253, au par. 33; Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au par. 16; Majali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 275).

[15]  Voici la déclaration solennelle que le demandeur a déposée à l’appui du nouvel examen de son ERAR :

[traduction

Je suis allé voir la police avec un ami qui pouvait traduire. Je leur ai parlé de cet appel et du fait que je croyais qu’il provenait d’Al Chabaab. Ils ont dit qu’ils allaient examiner cela.

Les appels se sont poursuivis, et je suis retourné à la police une semaine plus tard, le 21 décembre 2014. Ils m’ont dit que ce genre de cas requérait du temps et de l’argent. Ils m’ont dit clairement qu’ils voulaient un pot-de-vin. Je leur ai dit que je n’avais pas d’argent, mais que j’avais besoin d’aide. Ils m’ont dit que, dans ce cas, ça prendrait beaucoup de temps. Lors des deux visites, ils m’ont aussi dit que, si j’avais des problèmes en Ouganda, je n’avais qu’à retourner dans mon pays.

J’ai demandé qu’on me donne une sorte d’attestation confirmant que j’étais allé voir la police. Je voulais ça principalement pour pouvoir laisser un document à ma famille, parce que je voulais que, si quelque chose m’arrivait, les gens sachent qu’Al Chabaab en était responsable. Par contre, les policiers n’ont pas voulu écrire sur papier que je soupçonnais Al Chabaab. Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas le faire, à moins que ce ne soit prouvé. Malgré cela, j’ai parlé à beaucoup de gens de ma communauté des menaces, de sorte que mon éventuel meurtre n’aurait pas été un mystère.

[…]

Je suis retourné à la police une troisième fois, mais on ne m’a pas pris au sérieux et on m’a encore insulté en me disant de retourner dans mon pays.

[16]  Le demandeur soutient que l’agent a relevé la protection de l’État comme étant l’unique question en litige et que, par conséquent, il est présumé avoir accepté la crédibilité du demandeur. Or, l’agent a écarté unilatéralement sa preuve.

[17]  Le défendeur soutient que le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas l’objet d’un contrôle judiciaire (Brar c Canada (Emploi et Immigration), [1986] ACF nº 346 (CA); Meneses Arias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 604, au par. 21). En outre, l’agent aurait pu croire le demandeur tout en concluant que la preuve n’était pas suffisante pour établir le bien-fondé de sa demande d’asile (Huang, aux par. 42 à 44).

[18]  Je souligne que l’agent a fait référence à la trousse de documents que le demandeur avait déposée à l’appui de sa demande d’ERAR, et qui comprenait notamment ses déclarations solennelles. L’agent a également pris acte de l’observation du demandeur selon laquelle il s’était adressé à la police à trois occasions distinctes, il n’avait pas reçu d’aide, mais il avait fait l’objet d’insultes et avait été exhorté à retourner dans son pays.

[19]  L’agent a également confirmé avoir reçu un rapport provenant du poste de police de Kampala à l’appui de l’ERAR. Après examen de ce document, je constate qu’il porte la date du 21 décembre 2014 et l’en-tête de la Direction des enquêtes criminelles, poste de police d’Old Kampala, à Kampala. Il est bref et énonce que le bureau mène une enquête sur les menaces que le demandeur lui a signalées : menaces de violence à son égard formulées par des inconnus. Il y est aussi question de l’ouverture d’une enquête pour trouver les coupables et du fait que le demandeur serait informé des progrès de l’affaire en temps opportun. Dans ses motifs, l’agent déclare que cet élément de preuve démontre que la police a pris l’incident du demandeur au sérieux et qu’elle menait une enquête sur l’affaire.

[20]  Le demandeur allègue que c’est ce dernier énoncé de l’agent qui comporte la conclusion défavorable quant à la crédibilité. Le demandeur soutient en particulier que cet énoncé démontre que l’agent n’a pas donné foi à la déclaration du demandeur selon laquelle la police avait demandé un pot-de-vin, ne l’avait pas aidé et lui avait dit de retourner en Somalie. Cependant, la lecture de cet énoncé de l’agent dans son contexte révèle que, à cette étape des motifs, il donnait surtout un aperçu des observations du demandeur et de la missive de la police et, essentiellement, prenait cette dernière à la lettre. L’agent a ensuite abordé la protection de l’État, puis a conclu que [traduction« les incidents décrits par le demandeur dans sa demande d’ERAR et ses observations ne prouvent pas que la protection de l’État ne lui serait pas offerte. L’incapacité des autorités à l’échelle locale de fournir une protection ne signifie pas que l’État dans son ensemble n’est pas en mesure d’offrir une protection ». Cela donne à penser que l’agent a accepté la version des faits du demandeur.

[21]  À mon avis, rien dans les motifs de l’agent n’appuie l’affirmation du demandeur selon laquelle l’agent n’a pas cru sa version des faits concernant ses tentatives d’obtenir la protection de l’État. En fait, la conclusion de l’agent n’était pas fondée sur des inférences découlant du contenu du rapport de police. L’agent a plutôt conclu qu’étant donné que la déclaration du demandeur ne portait que sur le manque de protection de la police locale, sa preuve n’était pas suffisante pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État. Il ne s’agissait donc pas d’une conclusion voilée quant à la crédibilité.

[22]  L’alinéa 113b) de la LIPR prévoit qu’une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires, lesquels sont prévus à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227. Une audience sera généralement tenue s’il y a un problème sérieux de crédibilité concernant la preuve qui est au cœur de la décision et qui, si elle est acceptée, justifierait d’accueillir la demande. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle l’agent n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité en termes voilés, je n’ai pas à répondre à l’observation du demandeur selon laquelle l’agent a commis une erreur en lui refusant une entrevue.

  ii.  La protection de l’État

[23]  Le demandeur soutient également que l’agent n’a pas effectué une analyse personnalisée relative à la protection de l’État et qu’il a fait fi de presque tous les éléments de preuve s’y rattachant. L’agent devait apprécier la capacité de l’État, en l’occurrence l’Ouganda, de protéger un réfugié somalien menacé par l’organisation terroriste Al Chabaab. Cependant, l’agent a totalement échoué à cet égard. Il a seulement effectué une analyse générale et superficielle fondée uniquement sur un long extrait d’un rapport du Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail du Département d’État des États‑Unis, le « Country Reports on Human Rights Practices for 2017 : Uganda » (rapports nationaux sur les pratiques en matière de droits de la personne pour 2017 : Ouganda) [le rapport du Département d’État], lequel ne traite pas des réfugiés somaliens. En outre, l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui portaient justement sur la capacité de protection contre Al Chabaab offerte par l’Ouganda et sur la discrimination policière envers les réfugiés somaliens dans ce pays.

[24]  Le défendeur soutient que le demandeur est simplement en désaccord avec l’agent quant à la force probante que ce dernier donne à la preuve et qu’il ne parvient pas à concilier son argumentation avec la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur a reçu de l’aide de la police et qu’il ne correspondait donc pas au profil des personnes décrites dans la preuve documentaire.

[25]  L’agent a inclus dans ses motifs un extrait du rapport du Département d’État. Il y est question de la république constitutionnelle de l’Ouganda dans son ensemble et du fait que les autorités civiles ont maintenu un contrôle efficient sur les forces de sécurité, puis il y est résumé les violations le plus sérieuses en matière de droits de la personne. L’agent a aussi cité un extrait du rapport portant sur le rôle de la police et de l’appareil de sécurité. Cela comprenait une description d’un incident suite auquel un tribunal disciplinaire de la police a déclaré neuf agents coupables d’exercice illégal ou inutile de leur pouvoir, en lien avec des agressions, en 2016, de militants non armés de l’opposition dans un contexte public. Le tribunal a pris des mesures, telles que des rétrogradations, des réprimandes et des amendes. Cependant, le rapport du Département d’État dit aussi qu’à cause de la corruption, des intérêts politiques et de la faiblesse de l’État de droit, les mécanismes d’enquête et de répression des abus par le gouvernement étaient inefficaces et l’impunité était omniprésente.

[26]  L’agent a déclaré que la recherche documentaire indiquait que les conditions n’étaient pas nécessairement toutes favorables, mais que l’Ouganda avait un gouvernement fonctionnel, possédait une force policière qui avait maintenu efficacement le contrôle dans des périodes d’agitation politique et sociale et disposait d’un mécanisme pour enquêter et punir les abus ainsi que la corruption de la police. L’agent a conclu qu’en cas de préjudice à cause d’Al Chabaab ou de toute autre personne, le demandeur pouvait s’adresser aux autorités de l’Ouganda pour de l’aide. Il a aussi conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de réfuter la présomption relative à la protection de l’État. C’est au cours de cette analyse que l’agent a utilisé le pronom [traduction« elle », pour parler du demandeur, concluant qu’il incombait à la demanderesse de démontrer qu’elle avait épuisé tous les recours à sa disposition dans son pays de nationalité et que, dans l’affaire dont l’agent était saisi, la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait épuisé tous les recours à sa disposition au Mexique et n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

[27]  Une simple coquille due à un « copier-coller » ne soulève pas forcement une erreur susceptible de contrôle (Somasundaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1166, au par. 46). En l’espèce, l’agent a ajouté que les incidents décrits par le demandeur ne prouvaient pas que la protection de l’État ne lui serait pas offerte en Ouganda. Cette conclusion se fondait sur le principe que l’incapacité des autorités locales d’offrir une protection ne signifie pas que l’État dans son ensemble n’est pas en mesure de protéger ses résidents, à moins que ces échecs ne dénotent une incapacité générale de l’État ou son refus global d’assurer la protection. Ce principe est juste.

[28]  Le demandeur soutient qu’il a présenté des éléments de preuve précis sur l’incapacité de l’Ouganda d’offrir une protection contre Al Chabaab, sur les discriminations de la police ougandaise envers les réfugiés dans ce pays et sur le fait qu’elle tend à considérer les réfugiés somaliens comme des terroristes, mais que l’agent ne s’est pas penché sur ces questions.

[29]  Le défendeur soutient que l’agent n’était pas tenu d’aborder tous les éléments de preuve documentaire déposés par le demandeur, dans la mesure où la décision montre que la preuve a été prise en compte. À cet égard, je fais remarquer que, dans ses motifs, l’agent a déclaré qu’il avait tenu compte des éléments de preuve documentaires présentés par le demandeur concernant la présence d’Al Chabaab en Ouganda et en Somalie ainsi que le traitement des réfugiés en Ouganda et du fait que cela avait une incidence sur leur accès à la protection de l’État et à la possibilité de refuge intérieur. L’agent a aussi déclaré s’être demandé si l’État offrait une protection adéquate en Ouganda, si le demandeur avait pris toutes les mesures raisonnables pour se prévaloir de cette protection et s’il avait présenté des éléments de preuve qui démontraient de façon claire et convaincante que l’État était incapable de le protéger.

[30]  Il est vrai que lorsqu’un élément de preuve important qui contredit la conclusion d’un décideur n’est pas mentionné, un tribunal peut déduire que le décideur a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 1998 CarswellNat 1981, au par. 17; Huang, au par. 27). Cela dit, la preuve que l’agent aurait négligée, selon le demandeur, ne porte pas expressément sur l’incapacité de l’Ouganda de protéger les réfugiés contre Al Chabaab, et ne donne pas à penser qu’un réfugié ayant le profil du demandeur serait à risque. Elle n’établit pas non plus de lien entre l’augmentation du nombre de réfugiés et une absence de protection de l’État qui concernerait globalement ou précisément les réfugiés somaliens et Al Chabaab. De plus, contrairement à l’affirmation du demandeur, cette preuve ne contient aucun élément précis démontrant que la police ougandaise a tendance à considérer les réfugiés somaliens en particulier comme des terroristes.

[31]  Dans l’ensemble, les documents sur les conditions dans le pays portent en grande partie sur le potentiel de risque d’attaques terroristes par Al Chabaab en Ouganda, notamment dans des endroits publics ou d’autres cibles géographiques. Les attaques réelles relatées dans la preuve sont peu nombreuses. La preuve documentaire ne donne pas non plus à penser qu’Al Chabaab mène des attaques contre les réfugiés somaliens et que l’État est incapable de les protéger contre de telles attaques. La seule mention d’une attaque personnelle remonte à 2015, lorsque cette dernière a entraîné la mort de la procureure de la poursuite dans le procès de membres d’Al Chabaab. Cependant, son profil est différent de celui du demandeur. Par conséquent, cette preuve n’est pas essentielle et, à mon avis, elle ne contredit pas la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’a pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

[32]  Il est vrai que la preuve documentaire comprenait un rapport de 2010 selon lequel la police ougandaise pouvait ne pas répondre aux plaintes des réfugiés, mais l’agent a pris acte de la preuve documentaire concernant le traitement des réfugiés en Ouganda qui a des répercussions sur leur accès à la protection de l’État. Essentiellement, le demandeur conteste le poids donné par l’agent à la preuve portant sur les conditions dans le pays. Cependant, il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve.

[33]  En fin de compte, l’agent n’était pas convaincu que le défaut de la police locale de répondre à la demande d’aide du demandeur établissait que l’Ouganda dans son ensemble ne pouvait pas protéger ses résidents ni que la preuve du demandeur à cet égard réfutait la présomption relative à la protection de l’État. Et, bien que le rapport du Département d’État ait contenu des informations contradictoires sur l’efficacité des enquêtes sur les violences de la police menées par le gouvernement, je fais remarquer que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve concernant un appel qu’il aurait fait à une autorité supérieure après l’échec de la police locale ou une plainte qu’il aurait déposée à cet égard. Le demandeur ne mentionne pas non plus d’éléments de preuve montrant qu’il aurait été déraisonnable de s’attendre à ce qu’il le fasse.

[34]  En conclusion, les motifs de l’agent étaient loin d’être parfaits, mais la perfection n’était pas la norme à satisfaire. La Cour n’interviendra pas, pourvu qu’elle soit en mesure de comprendre, après examen des motifs et du dossier, les raisons qui sous-tendent la décision, et pourvu que celle-ci appartienne aux issues raisonnables fondées sur la preuve et la loi. En l’espèce, je suis convaincue que la décision respecte ces exigences.

[35]  En ce qui concerne l’observation du demandeur selon laquelle les dépens devraient lui être adjugés, l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, ne permet pas d’attribuer des dépens dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire en matière d’immigration. Il ne s’agit pas d’une situation où des raisons spéciales justifient l’attribution des dépens à l’encontre du ministre (Ndungu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 208).


 

JUGEMENT dans le dossier IMM-5697-18

LA COUR STATUE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et qu’aucune n’est soulevée;

  3. qu’aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour d’août 2019

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5697‑18

INTITULÉ :

SAID ABDUKADIR FARAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 juin 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge Strickland

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

Le 11 juillet 2019

COMPARUTIONS :

Leigh Salsberg

Pour le demandeur

Monmi Goswami

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leigh Salsberg

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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