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Date : 20021011

Dossier : T-985-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1060

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 OCTOBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                            KATINKA WEGERHOFF

                                                                                   

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande présentée aux termes de l'alinéa 300c) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), et de l'article 21 de la Loi sur la Cour fédérale, pour interjeter appel de la décision, rendue en date du 6 avril 2001, par laquelle le juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté canadienne présentée par la défenderesse.

[2]                 Il sera en outre fait référence à la décision rendue à l'égard de l'époux de la défenderesse, décision pour laquelle le demandeur a, dans le dossier T-986-01, interjeté un appel. Les deux dossiers ont été entendus en même temps. Le demandeur prétend que, dans les deux dossiers, le juge de la citoyenneté a commis des erreurs de fait et de droit dans son évaluation et que ses décisions devraient être annulées.

[3]                 La défenderesse doit, pour que la citoyenneté lui soit attribuée, remplir trois conditions :

a)          Elle doit avoir été légalement admise au Canada à titre de résidente permanente;

b)          Elle ne doit pas, depuis son admission, avoir perdu le titre de résidente permanente en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2;

c)          Elle doit avoir, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé pendant au moins trois ans (1 095 jours au Canada), la durée de résidence étant calculée selon la formule énoncée à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[4]                 En l'espèce, il n'existe aucune question en litige à l'égard des deux premières conditions. La principale question en litige soulevée par le demandeur est la question de savoir si la défenderesse a accumulé au moins trois ans de résidence et, notamment, si le temps passé aux États-Unis avec son époux pendant qu'il avait un visa d'étudiant peut être pris en compte dans le calcul des 1 095 jours de résidence requis pour remplir la condition en matière de résidence énoncée à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.


[5]                 La défenderesse est devenue résidente permanente le 8 mars 1993. Elle a déclaré, dans sa demande de citoyenneté datée du 16 mars 1999, qu'elle a été absente du Canada à trois reprises au cours des quatre années qui ont précédé sa demande, soit depuis le 16 mars 1995. Cependant, la preuve démontre que depuis qu'elle a quitté le Canada pour se rendre aux États-Unis avec son époux, la défenderesse n'est jamais revenue au Canada au cours de cette période de quatre ans. Les seuls jours qu'elle a passés au Canada sont les 144 jours qui ont été calculés par le juge de la citoyenneté et qui correspondent à la période précédant son départ du Canada.

[6]                 Le juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté présentée par la défenderesse même si ses jours de présence au Canada étaient largement en deçà des 1 095 jours de résidence requis. Dans sa réponse à une demande de renseignements additionnels faite par le demandeur, le juge de la citoyenneté a, en se fondant sur le fait que l'époux de la défenderesse était incapable de trouver un emploi au Canada, justifié l'approbation la demande de citoyenneté malgré le temps passé par la défenderesse aux États-Unis. Le juge de la citoyenneté a pris en compte le fait que l'époux de la défenderesse avait envoyé plus de 80 demandes d'emploi au Canada, sans succès, et qu'il participait à un programme d'échanges d'étudiants provenant de l'extérieur des États-Unis. En outre, le juge de la citoyenneté a estimé que la défenderesse était plus canadienne qu'américaine étant donné que son époux n'était qu'un visiteur aux États-Unis et qu'il y était considéré comme un étudiant étranger. Le juge de la citoyenneté a recommandé que la citoyenneté canadienne soit attribuée à la défenderesse étant donné qu'elle accompagnait son époux pendant qu'il étudiait aux États-Unis.


[7]                 Les renseignements additionnels fournis par le juge de la citoyenneté ont été présentés sous la forme des six questions proposées par Mme le juge Reed dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1re inst.), qui servent d'indicateurs pour décider si un individu a établi une résidence en centralisant un mode de vie au Canada. Les questions sont rédigées comme suit :

1.          La personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2.          Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3.          La forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4.          Quelle est l'étendue des absences physiques?

5.          L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger?

6.          Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?


[8]                 Étant donné que la défenderesse n'a déposé aucune documentation, il appert, en se fondant sur la documentation déposée par le demandeur, que l'une des deux questions en litige est celle de savoir si on peut prendre en compte le temps passé aux États-Unis depuis l'expiration du visa d'étudiant de l'époux de la défenderesse dans le calcul des jours de résidence requis. L'autre question est celle de savoir si ce temps passé aux États-Unis influe sur la « qualité des attaches avec le Canada » . Cependant, je répondrai aux six questions dans les présents motifs.

[9]                 Il est important, avant d'évaluer les questions en litige de la présente affaire, de reconnaître que la norme de contrôle appropriée d'une décision d'un juge de la citoyenneté, selon ce que M. le juge Lutfy a déclaré dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 410, est une norme qui est « proche de la décision correcte » . Le juge Lutfy a en outre déclaré :

[...] Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition.


[10]            La première question est celle de savoir si la défenderesse a été présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté. Il appert qu'elle a résidé au Canada pendant environ deux ans avant de partir vers les États-Unis avec son époux. À mon avis, sa période de résidence ne peut pas être jugée comme étant importante étant donné qu'elle ne serait même pas suffisante pour établir une résidence réputée aux termes de l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[11]            La deuxième question est celle qui consiste à établir où résident la famille proche et les personnes à charge de la défenderesse (ainsi que sa famille étendue). Dans la présente affaire, il n'existe pas de preuve à l'égard de la famille étendue de la défenderesse. La seule mention à l'égard de la famille se rapporte à son époux et à deux enfants qui sont tous allés aux États-Unis ensemble et à un beau-frère qui vit à Calgary depuis 20 ans. Cependant, rien ne démontre que le lien avec le beau-frère est un lien important. Par conséquent, en l'espèce, ce critère ne permet pas de conclure que la défenderesse a établi une résidence réputée ou a établi une résidence aux termes de l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[12]            De plus, la troisième question est également importante étant donné qu'elle touche la forme de présence physique au Canada depuis que la défenderesse et son époux sont partis vers les États-Unis. La défenderesse a prétendu qu'elle a accompagné son époux au Canada à quelques reprises. Cependant, la preuve démontre qu'elle n'est jamais venue au Canada depuis qu'elle est partie pour les États-Unis. Les seuls jours de présence au Canada sont les 144 jours établis par le juge de la citoyenneté. Cette forme de présence montre que la défenderesse n'avait pas une habitude de retour qui aurait établi une résidence réputée aux fins de remplir la condition prévue à l'alinéa 5(1)(c) de la Loi. À mon avis, la défenderesse n'était qu'en visite au Canada.


[13]            Relativement à la quatrième question énoncée dans la décision Koo (Re), précitée, à l'égard de l'étendue des absences physiques de la défenderesse, il n'est pas contesté qu'en l'espèce la défenderesse a été absente du Canada pendant 1 316 jours et présente pendant 144 jours. Les absences étaient dues au fait qu'elle accompagnait son époux qui participait à un programme d'échanges d'étudiants aux États-Unis. Le juge de la citoyenneté, même si elle se fondait sur le fait que l'époux de la défenderesse participait à un programme d'échanges, aurait dû être d'avis que, étant donné les nombreuses absences physiques du Canada, la défenderesse ne remplissait pas les conditions de résidence réputée prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[14]            À l'égard de la cinquième question, le juge de la citoyenneté a établi que les absences de la défenderesse étaient dues au fait que son époux achevait un programme d'échanges auquel il participait et que si son époux avait trouvé un emploi au Canada, ils y seraient revenus. Le juge de la citoyenneté a manifestement estimé que la situation de la défenderesse était temporaire. Cependant, je ne peux pas conclure ainsi si je me fonde sur le peu d'éléments de preuve au dossier, notamment sur le fait que bien que l'époux de la défenderesse affirme avoir postulé à 80 postes il n'existe pas de preuve, sauf pour deux lettres, qu'il a présenté des demandes d'emploi.


[15]            Quant à la dernière question, la défenderesse doit établir la qualité de ses attaches avec le Canada. Le juge de la citoyenneté a conclu que les attaches de la défenderesse avec le Canada étaient plus importantes que celles qu'elle avait avec tout autre pays compte tenu des liens que l'époux de la défenderesse maintenait avec son frère, ses amis et ses relations professionnelles. En outre, le juge de la citoyenneté a estimé que la raison pour laquelle l'époux de la défenderesse avait accepté le poste qu'on lui avait offert aux États-Unis était qu'il ne pouvait pas trouver de travail au Canada.

[16]            Je ne suis pas d'avis que les facteurs précédemment énoncés sont suffisants pour démontrer que la défenderesse avait des attaches plus importantes avec le Canada qu'avec les États-Unis. La défenderesse et son époux vivent aux États-Unis et les seuls liens tangibles avec le Canada sont un compte bancaire détenu à la Banque de Montréal, une carte de crédit visa CIBC et une carte d'assurance sociale. Toutefois, ce type de preuve n'a pas été jugé comme étant des indices convaincants d'attaches avec le Canada dans la décision Koo (Re), précitée, dans laquelle le juge Reed a déclaré ce qui suit à la page 300 :

[...] En ce qui concerne la qualité des attaches de l'appelant avec le Canada, ce dernier a acquis un grand nombre de ce que je pourrais appeler les indices types, probablement à la recommandation de ses experts-conseils : un bien sous forme d'une résidence; un permis de conduire; des comptes en banque; une assurance-maladie de la C.-B.; une fiche de bibliothèque (dont il se sert rarement, de toute évidence); une carte de membre d'un club de tennis (dont il ne se sert sûrement pas puisqu'il ne joue pas au tennis). Malgré ces indices officiels d'attaches avec le Canada, on ne m'a pas convaincue que la qualité de la résidence de l'appelant au Canada est plus importante que celle de sa résidence à Hong Kong. [...]

[17]            Par conséquent, en se fondant sur un minimum de preuve, soit le compte bancaire, la carte de crédit visa CIBC, la carte d'assurance sociale et les liens maintenus par l'époux de la défenderesse au Canada, il est impossible de conclure que la défenderesse avait des attaches plus importantes avec le Canada qu'avec les États-Unis où elle vivait avec son époux depuis 1995.


[18]            Finalement, dans la décision Chan c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. 376, au paragraphe 16, M. le juge Pelletier a déclaré que la résidence doit en premier lieu être établie pour qu'elle puisse être maintenue. La preuve au dossier n'appuie pas la décision du juge de la citoyenneté et, à mon avis, le juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait et de droit lorsqu'elle a appliqué le critère énoncé dans la décision Koo (Re), précitée. Il est clair que la défenderesse ne semble pas s'être installée au Canada de façon permanente et y avoir centralisé son mode de vie, mais qu'elle s'est plutôt installée aux États-Unis.

[19]            Je suis donc d'avis que le juge de la citoyenneté n'a pas appliqué de façon appropriée le critère énoncé dans la décision Koo (Re), précitée, et que, par conséquent, l'appel du demandeur devrait être accueilli. Toutefois, la présente décision n'empêche pas la défenderesse de présenter une demande de citoyenneté à une date ultérieure lorsque les conditions en matière de résidence auront été remplies.

                                                                ORDONNANCE

L'appel présenté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration est accueilli et la décision du juge de la citoyenneté est annulée. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-985-01

INTITULÉ :              Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c.

Katinka Wegerhoff

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 11 septembre 2002

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                     Le 11 octobre 2002

COMPARUTIONS :

Thi My Dung Tran                                                POUR LE DEMANDEUR

Frank Owen Wegerhoff                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thi My Dung Tran                                                POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)     

Frank Owen Wegerhoff                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Danville (Indiana)


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