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Date : 20010316

Dossier : IMM-953-00

Citation neutre : 2001 CFPI 195

ENTRE :

                                       MEI FENG XIAO

                                                                                    demanderesse

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

           MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

Introduction

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire contre la décision d'une formation de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR), datée du 9 février 2000, dans laquelle la SSR a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.


Les faits

[2]                La demanderesse est née le 12 octobre 1982. Originaire de la province du Fujian de la République populaire de Chine, elle est arrivée par bateau en Colombie-Britannique le 31 août 1999 ou vers cette date; elle n'était pas accompagnée d'un membre adulte de sa famille ou d'un tuteur légal, dans la mesure où on peut établir son identité.

[3]                Depuis sa détention initiale en vertu de formalités d'immigration à son arrivée, la demanderesse vit en compagnie d'environ 70 autres mineurs qui, comme elle, ne sont pas accompagnés et qui sont également arrivés par bateau en provenance de la province du Fujian, dans un foyer collectif administré par le Ministry of Children and Families, à Burnaby (C.-B.).

[4]                Plusieurs des revendications des mineurs portent sur des questions similaires; aussi, plusieurs d'entre elles ont été entendues conjointement par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La revendication de la demanderesse n'a cependant pas été jointe à ces dernières vu que sa situation particulière soulève la question supplémentaire de la persécution religieuse, et compte tenu du fait qu'elle risque davantage d'être persécutée, si elle retourne en Chine, vu que les femmes qui y sont détenues seraient davantage susceptibles d'être persécutées. Sa revendication soulevait donc les questions litigieuses communes aux revendications jointes, en plus d'autres questions particulières.


[5]                Le procureur général a retenu les services du même cabinet d'avocats pour représenter la demanderesse ainsi que les autres mineurs relativement à leurs revendications du statut de réfugiés au sens de la Convention. Les revendications initiales jointes de 24 mineurs ont été entendues en même temps que celle de la demanderesse. Les observations dans le cadre des revendications initiales jointes ne devaient être faites que le 6 décembre 1999, soit cinq jours après l'audition de la revendication de la demanderesse. Le commissaire Vanderkooy de la SSR a présidé l'audition des revendications jointes ainsi que celle de la demanderesse.

[6]                L'avocat de la demanderesse a demandé l'autorisation de faire des observations écrites plutôt que des observations orales vu le nombre de questions litigieuses, la grande quantité d'éléments de preuve, la complexité des arguments et le fait que certains arguments n'avaient pas été exposés dans le cadre des revendications jointes. La Commission a rejeté la demande et limité à une heure la durée des observations orales. Monsieur Vanderkooy n'était pas disposé à discuter de l'affaire : il a dit que les motifs oraux constituaient la norme, que les autres auditions n'étaient pas pertinentes, et qu'il devait quitter la salle à 17 h. En conséquence, la demanderesse fait-elle valoir, les observations orales en sa faveur ont été faites de façon extrêmement précipitée. La Cour estime qu'il n'y a aucune raison d'annuler la décision de la SSR à l'égard des plaintes susmentionnées.


3. Les questions litigieuses

a.    La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant de fournir à la demanderesse une occasion convenable de présenter son cas, comme le soutient son avocat, la privant ainsi de la justice naturelle étant donné qu'elle n'a pas bénéficié d'une audition en bonne et due forme, comme elle le soutient également?

b.    La Commission a-t-elle commis une erreur en définissant mal le groupe social particulier de la demanderesse? et

c.    La Commission a-t-elle violé les règles de la justice naturelle lorsqu'elle a omis de traiter de l'un des principaux arguments de la demanderesse?

4. Les observations de la demanderesse

a. L'absence d'une occasion véritable de présenter le cas

[7]                Le tribunal qui n'accorde pas au demandeur l'occasion de convenablement présenter son cas viole les principes de justice naturelle[1]. Cette question dépend en grande partie de ce que le demandeur estime comme étant « convenable » et de la question de savoir si ce que le demandeur cherche vraiment à obtenir est un privilège extraordinaire, par opposition à l'articulation de véritables droits.

[8]                Dans l'affaire Iossifov c. M.E.I.[2], M. le juge McKeown a dit :


[2]            Je conclus qu'elle n'a pas donné au requérant la possibilité de faire valoir sa revendication comme il convient. Je sympathise avec la Commission qui essaie de limiter le temps consacré aux affaires dont elle est saisie, mais elle doit respecter les principes de justice naturelle. Elle a, à plusieurs reprises, empêché le requérant de présenter de façon méthodique les preuves sur la persécution dont il avait fait l'objet avant 1990. [...] Qui plus est, elle n'a tiré dans sa décision aucune conclusion sur la question de savoir s'il y avait eu persécution par le passé. Je conviens que la principale question qui se pose en l'espèce est de savoir s'il y a une crainte fondée de persécution à l'avenir, mais je ne pourrai prononcer sur ce point sans décider au préalable s'il y a eu persécution par le passé.

[9]                L'avocat de la demanderesse a demandé à deux reprises l'autorisation de faire des observations écrites plutôt que des observations orales. Les mesures prises par une formation différemment constituée de la Commission qui a entendu une autre revendication seulement deux jours auparavant montraient le caractère raisonnable de la demande. À cette occasion, une formation de deux membres, soit les commissaires Hamelin et Graub, a accueilli la demande d'autorisation de fournir des observations écrites après que des observations ont été faites dans le cadre de l'audition principale des revendications jointes. L'autorisation de présenter des observations écrites aurait également fourni une solution de rechange à la décision de limiter le temps consacré aux observations. Cependant, il se peut fort bien que M. Vanderkooy avait raison de dire que les autres auditions n'étaient pas pertinentes.


[10]            La demanderesse soutient qu'à tout le moins, il incombe à la SSR l'obligation de tenir compte des motifs qui étayent la demande lorsque le demandeur établit l'existence de circonstances ou raisons atténuantes qui empêchent le revendicateur de convenablement faire valoir ses arguments. La demanderesse avance également que la SSR aurait dû fournir les motifs de son refus. La Commission a rejeté sa demande sans lui fournir d'explication satisfaisante, et elle a fixé un délai de façon arbitraire et décisive sans explication. L'avocat s'est opposé plusieurs fois, mais la SSR a refusé de discuter de l'affaire. Cependant, l'avocat estimait peut-être qu'un quelconque délai serait avantageux. On peut considérer l'affaire sous l'un et l'autre angle.

[11]            La demanderesse a produit des extraits de la transcription de l'audition en vue d'établir que les observations orales ont été faites de manière précipitée. On pourrait également conclure que l'avocat n'avait pas encore clairement conçu ses observations. Comme dans l'affaire Iossifov, l'avocat soutient qu'on l'a empêché de présenter les éléments de preuve de façon méthodique. La Cour ratifie et adopte le contenu des paragraphes 6 et 7 qui se trouvent à la page 3 du mémoire du défendeur. Par conséquent, la SSR est réputée avoir omis de tenir compte d'au moins un des principaux arguments de la demanderesse, savoir que si elle était renvoyée en Chine, elle risquerait à nouveau de faire l'objet d'un trafic. La Commission n'est pas parvenue à une conclusion définitive concernant cet argument et, partant, a refusé de renvoyer au risque de persécution future. On fait valoir qu'il s'agit d'une erreur de droit, bien que la Commission évite de formuler une quelconque hypothèse à ce sujet.

[12]            Malgré les assurances de M. Vanderkooy selon lesquelles l'autre audition n'était pas pertinente en ce qui concerne l'instance relative à la revendication de la demanderesse, il a néanmoins expressément examiné la preuve et les observations que contenaient les revendications jointes, à la page 12 de sa décision :


[TRADUCTION] Dans le cadre de ces revendications du statut de réfugiés jointes, c'est à peine si on a établi l'existence d'une pratique religieuse ou d'une appartenance à un groupe social particulier véritable ou apparente qui s'oppose au gouvernement de la Chine. [Non souligné dans l'original.]

L'avocat de la demanderesse persiste à interpréter ce passage comme étant un renvoi à certaines des revendications jointes de deux demandeurs ou plus, et non aux propres prétentions du demandeur.

[13]            Malgré les assurances selon lesquelles l'audition conjointe qu'il avait présidée n'était pas pertinente en ce qui concerne la demanderesse, M. Vanderkooy a néanmoins renvoyé à l'audition conjointe lorsqu'il a rejeté la revendication du statut de réfugié de la demanderesse. L'avocat de la demanderesse a soutenu que cette démarche était déraisonnable et inéquitable pour sa cliente. La Cour ne voit pas les choses de cette façon.

b. Le groupe social particulier


[14]            Lorsque l'avocat a tenté d'exposer l'argument concernant l'appartenance de la demanderesse à un groupe social particulier, le président de l'audience a laissé entendre que cet aspect de la revendication était de nature fondamentale et qu'il n'était pas nécessaire de l'expliquer de nouveau. Dans ses observations orales, l'avocat a renvoyé à l'arrêt de principe de la Cour suprême du Canada au sujet de l'appartenance à un groupe social particulier ainsi qu'à un certain nombre de décisions de la SSR et de la Cour fédérale pour étayer sa proposition selon laquelle les personnes âgées de moins de 18 ans constituent un groupe social particulier, savoir les enfants.

[15]            L'enfant est défini sur le plan international comme étant une personne âgée de moins de 18 ans. Or, la demanderesse fait valoir, sans toutefois fournir de preuve documentaire, qu'elle avait 17 ans, et elle soutient qu'elle appartient à ce groupe social particulier. La SSR a effectivement accepté qu'elle était, à l'époque pertinente, âgée de 17 ans, sans renvoyer à la période pendant laquelle sa mère était enceinte d'elle. En outre, il n'existe aucune exigence selon laquelle il doit y avoir un conflit entre un groupe social particulier et le gouvernement en cause[3]. En conséquence, la demanderesse soutient que la SSR a commis une erreur de droit en interprétant mal le groupe social particulier de la demanderesse. Elle-même ou son avocat semble oublier qu'il incombe à la demanderesse d'établir le bien-fondé de sa demande.

c. L'omission de traiter de l'argument concernant le trafic


[16]            Après avoir soutenu que la demanderesse appartenait à un groupe social particulier d'enfants au sens de la Convention relative aux droits de l'enfant, l'avocat de la demanderesse a défini le terme « persécution » en se fondant sur les Directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié de la CISR, comme s'il s'agissait du droit applicable en la matière. La SSR a néanmoins respecté le paragraphe 69(4) de la Loi, même s'il ressortait clairement du témoignage de la demanderesse qu'elle était tout à fait en mesure d'apprécier la nature de l'instance.

[17]            Dans l'arrêt Baker c. M.C.I.[4], la Cour suprême du Canada a conclu que les valeurs qui se reflètent dans le droit international en matière de droits de la personne contribuent à définir la démarche contextuelle qu'il convient d'adopter en matière d'interprétation des lois. La demanderesse s'est fondée sur des instruments internationaux qui proscrivent le trafic des personnes. Plusieurs instruments internationaux dénoncent depuis longtemps le travail forcé et le trafic des personnes, notamment les mineurs. Étant donné qu'elle faisait l'objet d'un trafic, la demanderesse a été privée d'un droit de la personne fondamental, ce qui a donné lieu à de la persécution. Il ressort de la preuve que comme la demanderesse a déjà fait l'objet d'un trafic, elle se trouverait probablement de nouveau dans cette situation si elle rentrait en Chine. Par conséquent, la demanderesse a-t-elle soutenu, il est probable qu'elle soit de nouveau persécutée de cette façon, étant donné qu'elle l'a déjà été. Cet argument ne constitue pas un élément de preuve : il s'agit simplement d'une hypothèse, même s'il s'agit d'une hypothèse éclairée.


[18]            Dans sa décision, la SSR n'a pas adopté la démarche que proposent les Directives et l'arrêt Baker. La Commission n'a pas vraiment examiné les dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant, et elle n'a pas non plus renvoyé aux autres instruments internationaux qui ont été cités. En fait, la SSR n'a jamais conclu que le risque de trafic constituait de la persécution. La Convention relative aux droits de l'enfant (résolution 44/25 de l'A.G. de l'ONU du 20 novembre 1989) est exhaustive. Bien que l'âge de 18 ans soit l'âge le plus avancé d'un mineur, la transition n'est pas soudaine; la Convention reconnaît clairement que l'atteinte de la maturité est un processus qui se prolonge dans le temps, de sorte que certains « mineurs » acquièrent graduellement leur maturité, avant d'atteindre l'âge de 18 ans. Le jeune de 17 ans est donc un mineur « âgé » , ce qui semble être le cas dans la présente affaire. Divers extraits de la Convention illustrent ce point :

Article premier

Au sens de la présente Convention, un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable.

Article 5

Les Etats parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu'ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l'enfant, de donner à celui-ci, d'une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l'orientation et les conseils appropriés à l'exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention.

Article 11

1. Les Etats parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d'enfants à l'étranger.

2. À cette fin, les Etats parties favorisent la conclusion d'accords bilatéraux ou multilatéraux ou l'adhésion aux accords existants.

Article 12

1. Les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.


2. À cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.

Article 14

1. Les Etats parties respectent le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

2. Les Etats parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l'enfant, de guider celui-ci dans l'exercice du droit susmentionné d'une manière qui corresponde au développement de ses capacités.

[Dossier du demandeur, aux pages 64 à 67 et suivantes]

La Convention est trop longue pour être citée en entier, mais elle renvoie par ailleurs au développement des capacités de l'enfant, sans faire état de transition soudaine. Les dispositions s'adaptent fort bien à la situation de la demanderesse, malgré le fait que son avocat ait tenté de la présenter comme étant une enfant impuissante.

[19]       On a déjà établi qu'un tribunal commet une erreur de droit lorsqu'il omet de convenablement tenir compte de l'ensemble de la preuve dont il dispose ou de convaincre la Cour qu'il a effectivement considéré cette preuve[5]. La demanderesse soutient que comme la SSR a très peu renvoyé aux arguments concernant le trafic ou aux documents étayant ces derniers, elle a omis de tenir compte d'éléments de preuve importante. Par contre, voici des extraits pertinents de la décision écrite du président de l'audience qui a eu lieu devant la SSR, décision à laquelle l'autre commissaire a souscrit. Voici ce que la formation a écrit au sujet du témoin Dr Graham Johnson, qui a témoigné devant la SSR :


[TRADUCTION] Il n'est ni un expert, ni un universitaire spécialisé en droit. En fait, il semble que son opinion la plus précise au sujet des peines qui sont habituellement imposées aux émigrants illégaux (transcription de son témoignage, aux pages 51, 81 et suiv., et 91) est fondée sur un article produit en preuve, le Fuzhou Ribao du 28 septembre 1999 (pièce 5.1, vol. 1, onglet 1. Les pourcentages que le Dr Johnson a utilisés diffèrent de ceux dont l'article fait état, mais ils y sont similaires, d'un point de vue comparatif).

***

Il ressort également de la transcription que ce témoin paraissait hésiter à établir le bien-fondé de ses sources d'information peu fiables au sujet du Fujian. Il a fourni des explications douteuses à des questions précises à ce sujet. Par exemple, il a mentionné que les arrivées récentes au Canada de navires transportant des personnes originaires du Fujian alarmaient le gouvernement chinois (à la page 60), laissant entendre que celles qui retournaient dans ce pays étaient maintenant beaucoup plus susceptibles de subir de graves répercussions. Voici les sources sur lesquelles il a fondé cette affirmation, selon lui, par ordre de pertinence :

i)               des cadres supérieurs du ministère des affaires étrangères à Beijing (aux pages 4 et 47);

ii)              qui étaient des cadres très supérieurs du ministère des affaires étrangères et sont maintenant à la retraite dans un ONG correspondant (à la page 57);

iii)             des amis qui sont d'anciens diplomates, à l'occasion d'un dîner « mondain » qui a eu lieu en son honneur (à la page 58);

iv)            en fait, il s'agissait d'un déjeuner qui n'avait rien à voir avec la question des émigrants illégaux, qui a eu lieu en août 1999 à Beijing, et à l'occasion duquel ces amis se sont mis à discuter de cette question avec lui (à la page 89.

Il a également concédé que le ministère des affaires étrangères de la Chine n'a aucune compétence en ce qui concerne les peines imposées aux migrants illégaux. En somme, ce témoin a décrit ses sources comme très fiables; cependant, il est ressorti d'un interrogatoire judicieux qu'il s'agissait plutôt d'une conversation à l'occasion d'un déjeuner en compagnie de fonctionnaires à la retraite qui n'avaient aucune responsabilité à l'égard de la question. J'estime qu'il s'agit malheureusement d'une explication équivoque au sujet des sources, ce qui rend son témoignage non fiable et non pertinent en ce qui concerne les présentes revendications.


En outre, je ne peux souscrire à l'argument de l'avocat selon lequel l'importante couverture médiatique au Canada (pièce 6, vol. III) de l'arrivée des quatre navires de passage de clandestins au Canada est susceptible d'inciter les autorités chinoises à punir de façon sévère et démesurée les revendicateurs qui retourneront vers leur pays au point où cela constituerait des actes de persécution, et non des poursuites. Cela n'a tout simplement pas été établi. À cet égard, compte tenu de ma conclusion qu'il hésitait à établir le bien-fondé de ses sources (qui, à mon avis, n'étaient pas valables), je rejette le témoignage du Dr Johnson selon lequel les quatre navires qui sont arrivés dans les eaux de la C.-B. « étaient une grande source d'embarras pour la Chine » et « qu'on déciderait de prendre des mesures pour dissuader les gens de s'adonner à de telles pratiques » . Lorsqu'on l'a interrogé à cet égard, il a commencé à se rétracter, affirmant qu'il s'agissait d'une source de perplexité plutôt que d'embarras, et ce non pour le gouvernement chinois, mais pour ses hôtes à l'occasion de son déjeuner à Beijing (à la page 60).

En conséquence, j'estime que la revendicatrice n'a pas établi qu'elle avait une crainte fondée d'être persécutée parce qu'elle avait illégalement quitté la Chine.

(Dossier de la demanderesse, aux pages 15 et 16)

En fait, la revendicatrice craint que se produise ce qu'elle savait possible dès le début de son aventure, même avant de monter à bord du navire des passeurs de clandestins (les snakeheads), savoir qu'elle fasse l'objet d'une poursuite et non de persécution.

d. La crédibilité de la demanderesse

[20]       La demanderesse soutient que le tribunal n'a pas conclu qu'elle n'était pas un témoin crédible de façon générale, mais seulement à l'égard de la question de sa religion. Le tribunal a conclu qu'elle avait 17 ans, qu'elle était originaire de la province du Fujian et qu'elle était arrivée en Colombie-Britannique à bord d'un navire de passage de clandestins le 31 août 1999 ou vers cette date. La SSR a conclu que la demanderesse était crédible en ce qui concerne les faits essentiels sur lesquels se fondait l'argument au sujet du trafic qu'elle avait fait valoir à l'audition.


e. Résumé

[21]       La demanderesse soutient qu'elle a fourni à l'audition une preuve claire et convaincante établissant le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugiée au sens de la Convention, mais qu'en raison de la façon dont la Commission a exigé qu'elle présente son cas, on a mal interprété la preuve et les arguments et négligé d'en tenir compte. La demanderesse et son avocat n'ont pas été très convaincants lorsqu'ils ont exposé ces dernières prétentions. Par ailleurs, voici ce que la demanderesse a déclaré dans son témoignage au sujet de sa maturité grandissante qui lui permettait de prendre elle-même les décisions importantes dans sa vie, comme le prévoit la Convention relative aux droits de l'enfant, précitée :

[TRADUCTION]

Q.         Bon. Maintenant, Mei Feng, je vais vous poser quelques questions au sujet de votre voyage au Canada. Qui a décidé que vous deviez partir?

R.          Il s'agit de ma propre décision.

Q.         D'accord. Pourquoi avez-vous quitté votre pays?

R.          Pour deux raisons. D'abord, en raison des grandes difficultés de la famille, des conditions difficiles. Ensuite, quand je viendrai au Canada, je pourrai librement pratiquer ma religion.

Q.         D'accord. Qu'entendez-vous par « les conditions difficiles dont souffre votre famille »

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Un instant, un instant -- je m'excuse, mais je pense qu'il s'agit d'un témoignage important. Tout comme l'était -- si je puis renvoyer à cela, ce que j'ai entendu. C'est la revendicatrice qui a décidé de partir. Elle a pris elle-même cette décision, puis vous lui avez demandé pourquoi.


M. PUDDICOMBE : Ma question est de savoir pourquoi elle a quitté son pays, c'est cela.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Oui, d'accord. J'aimerais entendre de nouveau la réponse.

R.          Mon parent m'a laissé venir aussi.

M. PUDDICOMBE :

Q.         D'accord. La question que le commissaire --

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Un instant -- je pense que je la comprends. Elle dit ... Vos parents ont accepté que vous veniez, vous aussi.

R.         Oui.

M. PUDDICOMBE :

Q.         Je pense que la question que le président de l'audience se posait, et que je me posais moi aussi, était pourquoi avez-vous quitté votre pays?

R.          Ouais, parce que je vivais dans des conditions difficiles chez moi, et je peux librement pratiquer ma religion au Canada.

Q.         D'accord. Quand vous dites « conditions difficiles » , qu'entendez-vous par là?

R.          La famille doit beaucoup d'argent.

Q.         D'accord. Y a-t-il d'autres conditions difficiles?

R.          J'ai de nombreux frères et soeurs qui vivent à la maison.

Q.         D'accord. Y a-t-il une source de revenu autre que l'argent que fait votre père en pratiquant la pêche?

R.          Non.

Q.         Quel âge ont votre frère et votre soeur?

R.          Ma soeur a 16 ans, mon frère, 14.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Sa soeur a 16 ans, son frère, 14.


L'INTERPRÈTE : Quatorze.

R.          J'en ai un autre qui a 11 ans.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Un frère?

R.          Un frère, oui.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Quatre (s'exprimant en chinois) dans la famille?

R.          Ouais, quatre dans la famille.

***

Q.         Savez-vous combien coûte le voyage?

R.          Je l'ignore.

Q.         Comment doit-on défrayer les coûts du voyage? Qui payera?

R.          Je l'ignore.

Q.         Quand vous avez quitté la Chine, qu'aviez-vous l'intention de faire en arrivant au Canada? Que deviez-vous faire en arrivant?

R.          J'ai deux intentions, deux raisons. D'abord, je veux gagner de l'argent pour aider mon père à rembourser la dette. Une autre raison, c'est que je veux librement pratiquer ma religion.

***

R.          Parce que je n'étais pas persécutée quotidiennement. Parce qu'à l'époque, je n'y pensais jamais vraiment.

Q.         Quand vous avez quitté la Chine, dans votre esprit, quittiez-vous la Chine parce que vous vouliez venir ici pour gagner de l'argent, ou quittiez-vous la Chine parce que vous y étiez persécutée en raison de votre religion?

R.          Les deux.


Q.         Et aviez-vous l'intention de dire à quelqu'un, une fois que vous auriez quitté la Chine, que vous y étiez persécutée?

R.          Oui, mais quand l'Immigration m'a posé des questions, j'étais très nerveuse, donc j'ai oublié de le faire.

Q.         D'accord. Et je vous poserai seulement une autre question sur ce point. Si vous étiez nerveuse ou si vous avez oublié, comment se fait-il que vous avez correctement répondu à toutes les autres questions qu'ils vous ont posées?

R.          Je me souviens de tout très clairement, ou je me souviens d'eux très bien, du reste.

Q.         Donnez-moi quelques exemples du -- du-- du fait que vous -- désolé, je vais me reprendre. Que voulez-vous dire quand vous dites que vous n'étiez pas directement persécutée en raison de votre religion?

R.          Peut-être qu'avant que je vienne au Canada, le gouvernement n'est pas venu pour m'arrêter encore -- ne m'a pas arrêtée encore.

Q.         Ont-ils déjà arrêté un membre de votre famille?

R.          Non.

Q.         Avez-vous déjà eu des ennuis avec le gouvernement en raison de vos croyances religieuses?

R.          Non, ni chez moi, ni dans ma famille.

Q.         D'accord.

Notre Cour estime que la SSR n'a pas commis d'erreur ni fait d'omission en tranchant la présente affaire sur le fondement de ce témoignage de la demanderesse.


5. Les observations du défendeur

a. La décision de la SSR

[22]       La question que la Commission devait trancher était de savoir si la demanderesse avait une crainte fondée d'être persécutée en raison de sa religion et de son appartenance à un groupe social particulier. La SSR a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, qu'elle n'était pas un témoin crédible et qu'elle n'avait pas établi que sa crainte d'être persécutée avait un fondement objectif.

b. L'absence d'une occasion véritable de convenablement présenter le cas

[23]       Le défendeur soutient que l'imposition d'une limite de 45 minutes aux plaidoiries ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. Il n'incombe à une formation de la SSR aucune obligation de donner la possibilité de fournir des observations écrites, ou de donner au demandeur un délai illimité pour faire des observations orales. La SSR a le devoir de régler une affaire expéditivement, et de donner une occasion raisonnable de présenter des observations. En l'espèce, les arguments de la demanderesse comprennent 50 pages de transcription d'audience. La demanderesse a présenté une collection volumineuse de jurisprudence. Elle a eu une occasion raisonnable de faire des observations et l'équité procédurale a été respectée. Les paragraphes 68(2) et 69.1(5) le prévoient.


[24]       La décision Iossifov peut être distinguée de la présente affaire. Elle portait sur une situation dans laquelle le demandeur avait été empêché de présenter une preuve pour établir sa prétention de persécution. En l'espèce, la demanderesse a obtenu davantage que le délai alloué à l'origine pour présenter sa preuve. Une limite raisonnable, comme celle qui est démontrée dans la présente affaire, au délai alloué aux observations orales ne constitue pas un manquement à la justice naturelle.

c. Le groupe social particulier

[25]       Le défendeur prétend que la SSR n'a pas eu tort de conclure que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. La crainte de la demanderesse a été provoquée par la méthode qu'elle a choisie pour quitter la Chine, et non par le fait qu'elle avait moins de 18 ans. Comme la Cour suprême du Canada l'a affirmé dans Canada (Procureur général) c. Ward[6], la crainte elle-même était fondée sur une action, et non sur une affiliation.


[26]       La jurisprudence montre que c'est l'intention du persécuteur qui est pertinente pour déterminer si le préjudice qu'une personne craint est relié à un motif de la Convention. En l'espèce, les persécuteurs présumés sont les passeurs de clandestins qui font sortir des gens de Chine. Aucune preuve n'a été présentée à la Commission que les passeurs de clandestins visaient la demanderesse parce qu'elle était mineure ou en raison d'un motif de la Convention. La preuve a montré que les passeurs de clandestins agissaient dans un but lucratif, si ce n'est avec une avidité impitoyable. Par conséquent, il n'existait pas de lien entre le préjudice craint et un motif de persécution énuméré dans la définition d'un réfugié au sens de la Convention.

d. L'omission de traiter du trafic comme de la persécution

[27]       Étant donné que la Commission n'a pas jugé que la demanderesse avait une crainte en raison de son appartenance à un groupe social particulier, il n'était pas nécessaire qu'elle analyse davantage tous les aspects de la crainte présumée. En outre, la SSR n'est pas tenue d'aborder toute la preuve qui a été présentée[7].

[28]       La Cour d'appel fédérale a conclu que la définition de la persécution consistait en la [TRADUCTION] « succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; [...] préjudice ou ennuis constants quelle qu'en soit l'origine » [8]. La SSR a correctement appliqué la définition quand elle a affirmé :


[...] je ne crois pas non plus que les sanctions mentionnées, découlant de ces lois d'application générale en Chine, soient graves ou disproportionnées à un point tel qu'elles équivalent à la persécution. En ce qui concerne la possibilité que les personnes détenues pour avoir illégalement quitter la Chine soient battues, il n'a pas été démontré de manière fiable qu'il existe plus qu'une simple possibilité que cette jeune revendicatrice soit visée.

                                                                                                                           (Mémoire de la demanderesse, à la page 13)

e. Résumé

[29]       En droit, il incombe à la demanderesse de fournir la preuve de sa revendication du statut de réfugié. Le défendeur prétend que la demanderesse n'a pas présenté une preuve suffisante pour établir une crainte fondée de persécution. Cette conclusion pouvait raisonnablement être tirée par la Commission compte tenu de la preuve dont celle-ci disposait et ne constituait pas une erreur de droit. La Cour adopte et approuve les arguments énoncés dans le mémoire du défendeur déposé en l'espèce.

6. Recours

[30]       La demanderesse sollicite le redressement suivant :

a.          Une ordonnance intérimaire selon laquelle le dossier du tribunal dans la présente affaire, y compris tous les documents déposés en relation avec la revendication du statut de réfugié de la demanderesse, doivent être remis par le tribunal dans les deux semaines suivant la date de l'ordonnance;

b.          Une ordonnance annulant la décision de la Commission;

c.          Une déclaration selon laquelle la demanderesse a démontré le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié; et

d.          Une ordonnance prévoyant le renvoi de la présente affaire devant une formation différemment constituée pour qu'elle rende une décision en accord avec la décision de la Cour.


La demanderesse n'a pas réussi à établir le bien-fondé de son affaire et, en conséquence, sa demande doit être rejetée.

[31]       La demande du défendeur visant à obtenir que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée est accueillie.

Ottawa (Ontario)

Le 16 mars 2001

     « F.C. Muldoon »     

J.C.F.C.            

O R D O N N A N C E

La présente demande d'autorisation de Mei Feng Xiao en vue de présenter une demande de contrôle judiciaire et d'obtenir un tel contrôle de la décision, datée du 31 janvier 2000, dans laquelle la Section du statut de réfugié a conclu, dans le dossier de la SSR no V99-03527, qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, est rejetée.

                                                                                                                     « F.C. Muldoon »     

J.C.F.C.            

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                 IMM-953-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :    MEI FENG XIAO c. Le ministre de la Citoyenneté                                                       et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                     VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 31 janvier 2001

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE de Monsieur le juge Muldoon

EN DATE DU :                                     16 mars 2001

ONT COMPARU :                              

M. Joshua B. Sohn                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Mme Sandra Weafer                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Joshua B. Sohn                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (C.-B.)

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR



[1]            Ho c. M.E.I. (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 38 (C.F. 1re inst.); Yang c. M.E.I. (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 48 (C.F. 1re inst.).

[2]      (1993), 71 F.T.R. 28 (1re inst.).

[3]            Narvaez c. M.C.I., [1995] 2 C.F. 55 (C.F. 1re inst.); Diluna c. M.E.I., IMM-3201-94, 14 mars 1995, le juge Gibson, [1995] A.C.F. no 399 (1re inst.).

[4]            [1999] 2 R.C.S. 817, [1999], 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.).

[5]            Ioda c. M.E.I., (1993), 65 F.T.R. (C.F. 1re inst.).

[6]               [1993] 2 R.C.S. 689.

[7]               Hassan c. M.E.I. (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)

[8]            Rajudeen c. M.E.I. (1984), 55 N.R. 129, à la page 133.

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