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Date : 20050429

 

Dossier : IMM-8299-03

 

Référence : 2005 CF 584

 

 

 

OTTAWA (Ontario), le 29 avril 2005

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                               

 

 

ENTRE :

 

                                                RAPHIAPILLAI MANVALPILLAI

                                                      SELLAM MANVALPILLAI

 

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

 

 

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 4 novembre 2003 par laquelle un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a estimé que les demandeurs ne seraient pas exposés au risque d’être persécutés s’ils retournaient au Sri Lanka.

 

 


LES FAITS

 

[2]               Les demandeurs sont des Tamouls du nord du Sri Lanka. Raphiapillai Manvalpillai est âgé de 82 ans et sa femme, Sellam Manvalpillai, est âgée de 80 ans. Les demandeurs sont arrivés au Canada en mai 1996 à titre de visiteurs. Ils ont présenté une demande d’asile en novembre 1996. Leur demande a été refusée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en juillet 1998 et l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour fédérale leur a également été refusée.

 

[3]                Les demandeurs ont ensuite présenté une demande d'examen des risques à titre de membres de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). En mai 2003, alors que quatre ans et demi s’étaient écoulés depuis la présentation de leur demande d'examen des risques, les demandeurs ont été informés que leur demande avait été automatiquement convertie en demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) à la suite de lentrée en vigueur de la nouvelle Loi sur limmigration et la protection des réfugiés. Le 18 juillet 2003, lavocat des demandeurs a formulé de nouvelles observations et a soumis à lagent chargé de lERAR une preuve documentaire à jour.

 


[4]               Dans une décision datée du 8 septembre 2003, l’agent chargé de l’ERAR a conclu que les demandeurs ne seraient pas en danger s’ils retournaient au Sri Lanka. Les demandeurs ont saisi notre Cour d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision le 23 octobre 2003. Le 6 novembre 2003, le juge Harrington a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION ISSUE DE L’ERAR

 

[5]               Dans les observations qu’ils ont adressées à l’agent chargé de l’ERAR, les demandeurs ont expliqué qu’ils avaient commencé à avoir des problèmes avec les forces de sécurité sri-lankaises au début des années quatre-vingts. Leurs fils ont été arrêtés et torturés par les autorités parce qu’ils étaient soupçonnés d’être des partisans des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), un mouvement terroriste. Les demandeurs ont été forcés de céder leur maison aux TLET, qui leur ont extorqué de l’argent, et ils ont été en constants déplacements. Ils ont dit que, s’ils retournaient au Sri Lanka, ils seraient persécutés par les autorités parce qu’ils seraient associés aux TLET. De plus, parce qu’ils sont âgés et qu’ils ne sont pas en bonne santé, ils seraient des proies faciles si l’armée sri-lankaise, les TLET ou d’autres groupes paramilitaires voulaient leur extorquer de l’argent.

 

[6]               Après avoir examiné la preuve documentaire, l’agent chargé de l’ERAR a conclu que les demandeurs ne seraient pas en danger s’ils retournaient au Sri Lanka. L’agent s’est notamment appuyé sur les conclusions suivantes :

[traduction]


i.          La situation s’est améliorée de façon spectaculaire depuis que les demandeurs ont quitté le Sri Lanka. En 2002, le gouvernement et les TLET ont convenu d’un cessez-le-feu qui s’est traduit par une diminution marquée du nombre de violations des droits de la personne. Le gouvernement a également mis sur pied des organismes spécialisés, et notamment une commission des droits de la personne, pour répondre aux préoccupations qui avaient été exprimées au sujet des droits de la personne. Ainsi, si les demandeurs devaient rencontrer des difficultés avec les forces de sécurité ou avec les TLET, ils pourraient demander de l’aide à ces organismes.

 

ii.          Les éléments les plus récents de la preuve documentaire objective démontrent que le gouvernement du Sri Lanka est déterminé à s’occuper des cas de violation des droits de la personne et à punir leurs auteurs.

 

iii.         Bien qu’il soit possible que les demandeurs soient interrogés à leur arrivée, il est peu probable, vu leur âge, qu’ils fassent l’objet de mesures de représailles de la part des autorités ou des TLET. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour penser qu’ils constitueraient des proies faciles pour ceux qui voudraient leur extorquer de l’argent.

 

iv.         Les demandeurs disposent par ailleurs d’une possibilité de refuge intérieur à Colombo depuis que les citoyens des régions du nord du pays ne font plus l’objet de restrictions en ce qui concerne leurs déplacements.

 

 

SURSIS

 

[7]               Dans les motifs de son ordonnance, le juge Harrington a conclu que la décision issue de l’ERAR soulevait une sérieuse question d’équité procédurale. Voici ce qu’il dit au paragraphe 12 :

Dans cette affaire, l'agent a choisi des documents parmi ceux qui ont été présentés et sur lesquels les demandeurs ignoraient que l'on pouvait se fonder.

 

Et au paragraphe 13 :

 

On peut certainement prétendre que, lorsqu'un agent entend se fonder sur des renseignements différents de ceux produits par le demandeur en les choisissant avec soin, il faudrait que son « avis soi[t] divulgué et qu'un droit de réplique suffisant soit prévu conformément aux exigences de la justice naturelle » .

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

1.         L’agent a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale en se fondant sur des documents sans les avoir d’abord divulgués aux demandeurs?

 


2.         L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents et contradictoires?

 

 

ANALYSE

 

Première question

 

L’agent a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale en se fondant sur des documents sans les avoir d’abord divulgués aux demandeurs?

 

[8]        Selon les demandeurs, l’agent a fortement tablé sur des éléments de preuve documentaire qu’il ne leur a pas communiqués avant de rendre sa décision. Les demandeurs s’élèvent en particulier contre le fait que l’agent s’est fondé sur l’Immigration and Nationality Directorate Report-April 2002 (le rapport IND), un rapport diffusé sur Internet par l’European Country of Origin Information Network et le rapport de 2002 du Département d’État américain sur le Sri Lanka.

 

[9]        Dans l’arrêt Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461, la Cour d’appel s’est penchée sur la question précise que soulèvent les demandeurs en l’espèce. Le juge Mackay, qui était le juge de première instance dans l’affaire Mancia, s’était dit d’avis que l’agent chargé d’évaluer les risques n’avait pas manqué à son obligation d’agir avec équité en consultant trois articles publiés après que le demandeur eut déposé ses nouvelles observations. Les articles faisaient partie du domaine public et ne renfermaient pas de nouveaux éléments d’information qui n’étaient par ailleurs pas déjà disponibles. La Cour d’appel a confirmé la décision et a énoncé le critère suivant au sujet de la divulgation au paragraphe 27 sous la plume du juge Décary :


[L]équité n'exige pas que l'agent chargé de la révision des revendications refusées divulgue, avant de trancher l'affaire, les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays, s'ils étaient accessibles et s'il était possible de les consulter dans les Centres de documentation au moment où le demandeur a présenté ses observations;

[L’]équité exige que l'agent chargé de la révision des revendications refusées divulgue les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays, s'ils sont devenus accessibles et s'il est devenu possible de les consulter après le dépôt des observations du demandeur, à condition qu'ils soient inédits et importants et qu'ils fassent état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d'avoir une incidence sur sa décision.

 

[10]      J’ai examiné la preuve documentaire sur laquelle l’agent chargé de l’ERAR s’est fondé et je conclus qu’il n’a pas manqué à son devoir d’agir avec équité en ne communiquant pas les documents avant de rendre sa décision. En premier lieu, les documents sont antérieurs aux observations les plus récentes que les demandeurs ont soumis à l’agent et en second lieu, le public peut les consulter.

 

[11]      Dans le cas qui nous occupe, l’arrêt Mancia, précité, de la Cour d’appel fédérale énonce clairement le critère à appliquer pour déterminer si l’agent chargé de l’ERAR a manqué à son obligation d’agir avec équité. Pour les motifs déjà exposés, j’en arrive à la conclusion que, d’après le critère applicable, il n’y a pas eu de manquement.

 


Seconde question

L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents et contradictoires?

 

[12]      En l’espèce, les demandeurs contestent les conclusions de fait de l’agent. Ils affirment que la conclusion de l’agent est manifestement déraisonnable étant donné qu’il disposait d’éléments de preuve documentaire suivant lesquels la situation au Sri Lanka demeurait critique malgré le cessez-le-feu. J’ai examiné les documents en question et il m’est impossible de conclure que l’agent a commis une erreur en rendant sa décision. Il est de jurisprudence constante que la Cour ne doit pas chercher à soupeser de nouveau la preuve (voir le jugement Saliaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. 1506 (C.F.), au paragraphe 60). À mon avis, c’est précisément ce que les demandeurs cherchent à obtenir de la Cour. Le rapport de 2002 du Département d’État américain sur le Sri Lanka fait état du cessez-le-feu mais mentionne également que les exécutions et les extorsions se poursuivent. L’agent chargé de l’ERAR n’est pas tenu d’expliquer pourquoi il a choisi d’écarter certaines parties du rapport et de se fonder sur d’autres parties du même rapport. Il ressort à l’évidence du rapport que la situation s’est améliorée mais qu’il y a encore des assassinats et des extorsions.

 

Demande non réglée fondée sur des motifs d’ordre humanitaire


[13]      Il se peut que la présente demande devienne sans objet lorsque la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que les demandeurs ont présentée et qui est pendante depuis longtemps sera examinée. Les motifs que les demandeurs invoquent pour justifier leur crainte de retourner au Sri Lanka, après avoir passé neuf ans au Canada, ont trait à leur âge et à leur incapacité de subvenir à leurs propres besoins au Sri Lanka où plus aucun de leurs neuf enfants ne se trouve et où leur maison a été abandonnée il y a longtemps lorsqu’ils se sont enfuis de la zone de guerre. Comme il existe une possibilité raisonnable que leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit accueillie, la décision de l’agent chargé de l’ERAR et le contrôle judiciaire de cette dernière décision par notre Cour risquent de devenir sans objet.

 

[14]      Aucun des avocats n’a recommandé la certification d’une question. Aucune question ne sera donc certifiée.

 

                                                                ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

                                   « Michael A. Kelen »                                                                                                        _______________________________

          JUGE

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-8299-03

 

INTITULÉ :                                       RAPHIAPILLAI MANVALPILLAI et al.

demandeurs

 

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE JEUDI 21 AVRIL 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE                     

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE VENDREDI 29 AVRIL 2005                    

 

 

COMPARUTIONS :             Jegan N. Mohan

 

pour les demandeurs

 

Jamie Todd

 

pour le défendeur

                                                                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mohan & Mohan

Avocats

Toronto (Ontario)

pour les demandeurs                

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur


                         COUR FÉDÉRALE

 

                              Date : 20050429

 

                               Dossier : IMM-8299-03

 

ENTRE :

 

RAPHIAPILLAI MANVALPILLAI ET AL

 

demandeurs

 

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LIMMIGRATION

 

                                                                   défendeur

 

 

 

                                                                                   

 

MOTIFS DE LORDONNANCE

ET ORDONNANCE

 

                                                                                    

 

 


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