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Date : 20190618


Dossier : IMM-5919-18

Référence : 2019 CF 827

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

ATHALIA MICHEL-QUERETTE

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Athalia Michel-Querette (la Demanderesse) a décidé de quitter Haïti en août 2017, et a demandé l’asile au Canada le 3 septembre 2017. Sa demande de protection a été refusée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut des réfugiés (CISR) le 13 septembre 2018, essentiellement puisque la SPR n’était pas convaincu que la Demanderesse ait établi qu’il y a une possibilité sérieuse de persécution advenant son retour en Haïti, ou qu’elle serait exposée au risque d’être torturé, à une menace à sa vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle devait retourner à son pays.

[2]  La Demanderesse demande le contrôle judiciaire de cette décision, soumettant que la SPR a commis trois erreurs : (i) elle a mal interprété et appliqué les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe (les Directives) de la CISR ; (ii) elle n’a pas adéquatement motivé sa décision concernant les Directives; et (iii) la décision n’est pas raisonnable en ce qui concerne la détermination que la Demanderesse n’est pas une personne à risque personnalisé en Haïti. J’en conviens que les deux premières questions sont liées, et donc je les traiterai ensemble.

[3]  Les parties sont d’accord que la norme de contrôle applicable dans ce contexte est celle de la décision raisonnable, et je suis d’accord avec cette conclusion (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93; Kaké c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 852 au para 29 [Kaké]; Plaisimond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 998 au para 32.

[4]  Pour résumer l’affaire en espèce : la Demanderesse est citoyenne haïtienne et une femme vivant seule, son conjoint ayant disparu en 1997. Suite à sa disparition, la Demanderesse vivait seule avec sa jeune fille à Port-au-Prince. Après le tremblement de terre dévastateur d’Haïti, et avec l’aide financière de ses sœurs qui habitent au Canada, la Demanderesse est allée s’installer à un autre endroit près de Port-au-Prince. En 2015, elle a subi une agression armée dans la rue. Deux ans plus tard, en juillet 2017, cinq individus non-identifiés et armés ont fait irruption chez elle, et un d’entre eux a tenté de la violer. Un autre membre du groupe l’en a empêché, mais ces hommes ont battu la Demanderesse en présence de sa fille.

[5]  La Demanderesse s’est cachée dans une autre ville, chez son oncle, où elle a été soignée par des médecins traditionnels. Quelques semaines plus tard, elle est revenue à Port-au-Prince, où elle a vécu avec une amie et collègue du travail, jusqu’à son départ du pays. Sa fille est restée en Haïti avec cette même amie.

[6]  Il est pertinent de noter que la Demanderesse a pris des vacances aux États-Unis en 2013, 2014 et en mai 2017, mais que celle-ci n’y a jamais demandé l’asile, disposant d’un visa américain.

I.  Application des Directives

[7]  L’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] confère au président le pouvoir de donner des directives. Les Directives encadrent les revendicatrices de statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. La jurisprudence a établi que « malgré que les Directives No 4 n’aient pas une force contraignante, les tribunaux doivent néanmoins mettre en œuvre les principes entérinés dans les Directives No 4 de façon à leur donner un sens [citations omises] » (Kaké, au para 37).

[8]  La Demanderesse soumet que la SPR n’a pas appliqué les Directives d’une façon appropriée, et que la décision de la SPR n’explique pas comment les Directives sont appliquées dans l’analyse. Elle note qu’il n’y a qu’une seule référence aux Directives dans la décision, au paragraphe 19, indiquant que « [l]e tribunal a considéré les Directives no 4 au sujet des Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe ». La Demanderesse soumet que sans plus d’explication, les motifs de la SPR ne sont pas bien motivés, et sont déraisonnables.

[9]  Le Défendeur prétend, par contre, que la décision reflète l’application des facteurs énumérés dans les Directives, et que les conclusions du SPR sont raisonnables, compte tenu des faits et de la loi. Les motifs de la décision sont adéquats, considérant les faits établis par la preuve de la Demanderesse elle-même.

[10]  La SPR a fondé sa décision essentiellement sur le fait que la crainte de la Demanderesse en tant que femme seule en Haïti est mise en doute. Elle est sans mari depuis 2009, mais a attendu huit ans avant de fuir l’Haïti et déposer une demande d’asile. Durant cette période, elle a quitté l’Haïti pour des vacances aux États-Unis à trois reprises, et a donc eu l’occasion de demander l’asile, soit aux États-Unis, ou au Canada, auparavant. Ses sœurs qui vivent au Canada auraient aussi pu l’aider à venir au Canada lors de ses voyages aux États-Unis.

[11]  La SPR explique que la Demanderesse n’est pas une « femme seule » en Haïti, considérant qu’elle a plusieurs membres de sa famille là-bas, et que son historique passé démontre qu’elle a aussi un réseau social et professionnel fort. La preuve au dossier démontre qu’elle a l’appui, au besoin, de sa famille, ses amis, son employeur et ses collègues de travail et qu’elle leur fait confiance.

[12]  La Demanderesse prétend aussi que la SPR a mal interprété les Directives, et n’a pas expliqué dans sa décision comment les Directives ont été appliquées dans l’analyse de son dossier. Il n’y a pas d’allégation liée à une disposition spécifique des Directives. Il s’agit plutôt d’un argument que le manque d’explication dans la décision est suffisant pour établir que celle-ci est déraisonnable.

[13]  Je ne suis pas persuadé que la décision de la SPR est déraisonnable. On ne demande pas à la SPR de citer les directives article par article, et non plus de faire une annotation précise de chaque point. La loi exige que la décision doive démontrer comment la SPR a appliqué les directives dans l’analyse des faits de la cause en l’espèce (Kaké, au para 37). Ici, la SPR a traité des prétentions de la Demanderesse d’une façon précise et liée aux faits.

[14]  À la lecture de la décision et du dossier, il est évident que la SPR a suivi les principes énumérés dans les Directives en analysant la preuve de la Demanderesse. Bien que la SPR n’identifie pas d’emblée les lignes directrices des Directives, son analyse des faits et de la preuve applique le cadre d’analyse des Directives. La décision reflète que la SPR a traité des faits pertinents et droits qui s’appliquent, ce qui est exactement ce que demande l’arrêt Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9.

[15]  Pour ces motifs, je n’accepte pas l’argument de la Demanderesse sur les Directives.

II.  Raisonnabilité

[16]  En ce qui concerne la deuxième question, j’en conviens que la description par le Défendeur est la plus appropriée, c’est-à-dire, la question de base est de savoir si la décision de la SPR, soit que la Demanderesse n’a pas établi qu’elle fera face à un risque personnalisé d’une menace à sa vie ou un risque de traitements ou peins cruels et inusités, est déraisonnable.

[17]  La SPR a conclu que la Demanderesse a été victime de crimes aléatoires en 2015 et 2017, et que ces incidents n’étaient pas suffisants pour établir, selon la prépondérance des possibilités, qu’elle fera face à un risque personnalisé, tel que requis par l’article 97(1)b) de la LIPR. La Demanderesse fait référence à la décision dans Loyo de Xicara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 593, cependant, je trouve que les faits de cette cause ne sont pas semblables à ceux de l’affaire de la Demanderesse. La Demanderesse n’a pas allégué qu’il y a un lien entre les deux incidents, et la preuve ne démontre pas de telle connexion, ni aucun fondement qui indiquerait qu’elle ait été attaquée pour un motif quelconque.

[18]  La jurisprudence est constante en ce que la partie demanderesse a le fardeau d’établir un risque personnalisé advenant son retour à son pays d’origine, et que le risque de crime aléatoire auquel font face indistinctement et de façon générale toutes les personnes vivant dans son pays ne satisfait pas les normes de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR (Soimin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 218; Josile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 39).

[19]  La conclusion de la SPR que la Demanderesse n’a pas établi qu’elle fera face à un risque personnalisé est bien motivée et fondée sur la preuve. Je ne suis pas persuadé que la décision de la SPR sur cette question est déraisonnable.

III.  Conclusion

[20]  Pour tous ces motifs, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[21]  Aucune question n’a été soumise à des fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-5919-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5919-18

INTITULÉ :

ATHALIA MICHEL-QUERETTE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa, ontario

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 juin 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

PENTNEY J.

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JUIN 2019

COMPARUTIONS :

Me Jean Auberto Juste

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Carolyn Phan

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean Auberto Juste

Avocat

Ottawa (Ontario)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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