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Date : 20190625


Dossiers : IMM-4460-18

IMM-4461-18

Référence : 2019 CF 855

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2019

En présence de monsieur le juge Annis

Dossier : IMM-4460-18

ENTRE :

SANDY IBRAHIM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-4461-18

ET ENTRE :

RUBA IBRAHIM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Ruba Ibrahim [Ruba] et Sandy Ibrahim [Sandy], [ensemble «  les demanderesses »] contestent, par voie de contrôle judiciaire, la légalité d’une décision rendue le 20 août 2019 par un agent de l’Ambassade du Canada à Beyrouth au Liban [l’Agent], rejetant leurs demandes de résidence permanente parce qu’elles n’avaient ni les qualités de réfugié au sens de la Convention ni les qualités de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

I.  Faits

[2]  Ruba est une citoyenne de la Syrie, de religion chrétienne, âgée de 39 ans. Elle est mariée et a un garçon âgé de six ans qui est un citoyen canadien. Sandy est une citoyenne de la Syrie, de religion chrétienne, âgée de 35 ans. Elle est célibataire et n’a pas d’enfant. En Syrie, les demanderesses vivaient avec leurs parents dans la ville de Jaramanah, près de la capitale de Damas. Les demanderesses allèguent que cette région est devenue problématique et peu sécuritaire, suite au déclenchement des hostilités.

[3]  En octobre 2011, un visa de résident temporaire a été délivré à Ruba.

[4]  En janvier 2012, Ruba est arrivée au Canada, et en février 2012, elle a donné naissance à son fils.

[5]  En mars, Ruba a quitté le Canada pour retourner en Syrie.

[6]  En 2015, un mortier a touché l’automobile de Sandy. Cette dernière allègue qu’elle a dû vivre dans le sous-sol à cause des bombardements. En conséquence, elle et sa sœur ont décidé de quitter la Syrie le 10 décembre 2016, pour se réfugier au Liban. Ces dernières ont voyagé jusqu’en décembre 2016.

[7]  Les demanderesses affirment qu’elles ont quitté la Syrie en mars 2015 afin de se réfugier au Liban.

[8]  En 2017, les demanderesses ont déposé une demande de résidence permanente dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, plus spécifiquement, dans la catégorie des personnes de pays d’accueil. Le mari de la demanderesse et son fils sont inclus dans la demande de Ruba comme personnes à charge. Leur demande est parrainée par un groupe de personnes au Canada.

[9]  Le 5 juillet 2018, l’Agent a convoqué Ruba à son numéro de téléphone syrien et lui a demandé si elle était en Syrie. Les notes consignées par l’Agent dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] indiquent que Ruba a d’abord confirmé et ensuite nié qu’elle était en Syrie. Elle a répondu qu’ils vivaient à Achrafieh, au Liban. Lorsque l’Agent lui a demandé où son fils allait à l’école, Ruba a déclaré que son fils n’est pas allé à l’école depuis leur arrivée au Liban en 2016, parce que les écoles étaient dispendieuses au Liban.

[10]  L’Agent a noté dans les notes du SMGC que la Ruba et son mari ont tous les deux un haut niveau de scolarité et a exprimé des doutes à l’égard de l’allégation que leur fils n’était pas inscrit à l’école.

[11]  Ruba fut convoquée, avec sa sœur pour une entrevue concernant sa demande à l’Ambassade du Canada dans la ville de Beyrouth le 2 août 2018.

II.  Décision contestée

[12]  Le 2 août 2019, l’Agent a rencontré Ruba, son mari et sa sœur en entrevue. L’Agent a demandé plusieurs fois à Ruba quand elle avait quitté la Syrie pour la dernière fois. Celle-ci a confirmé qu’elle avait quitté la Syrie pour la dernière fois le 10 octobre 2016.

[13]  Après avoir parlé avec les deux sœurs ensemble, l’Agent a demandé à Ruba et à son mari de quitter la salle pour qu’il puisse parler à sa sœur.

[14]  Lorsque Ruba a été invitée à rejoindre la salle d’entrevue avec son mari, l’Agent l’a confrontée avec une photo qu’il avait trouvée sur le compte public Facebook de sa sœur. La photo démontrait Ruba, son mari, son fils et sa sœur, jouant dans la neige. La photo été libellée sur Facebook comme ayant été prise le 19 janvier 2018 à Saidnaya, en Syrie au nord de Damas.

[15]  Ruba a déclaré à l’Agent qu’il s’agissait d’une vieille photo, prise en Syrie avant qu’ils ne quittent en 2016. Elle a déclaré qu’elle ne savait pas pourquoi il était inscrit que la photo avait été prise en 2018, et que Facebook ne voulait rien dire puisqu’on pouvait y inscrire n’importe quoi.

[16]  Quand l’Agent lui a fait part de la réponse fournie par sa sœur à l’égard de la photo, soit que la photo avait été prise lors d’un voyage à Faraya au Liban en 2017, Ruba n’a pas été en mesure de fournir une explication pour justifier la contradiction. Elle a simplement répondu qu’elle ne savait pas quoi dire et a répété qu’il s’agissait de vieilles photos.

[17]  À ce stade de l’entrevue, l’Agent a informé les demanderesses qu’il avait de sérieuses préoccupations à l’égard de leur crédibilité, compte tenu des informations contradictoires qu’elles avaient fournies à l’égard de la provenance de la photo et de l’absence de preuves crédibles pour corroborer leur allégation qu’elles avaient résidé de façon continue au Liban pendant une période de deux ans et demi.

[18]  Lorsque l’Agent leur a demandé si elles avaient des documents pour démontrer qu’elles avaient vécu au Liban depuis presque trois ans, les demanderesses ont répondu qu’elles n’avaient pas de documents avec elles en ce moment.

[19]  Considérant cette contradiction, l’Agent a conclu que les demanderesses avaient fait de fausses déclarations à l’égard d’éléments centraux à l’évaluation de leurs demandes, soit leur lieu de résidence actuel, et la date à laquelle elles auraient été en Syrie pour la dernière fois. L’Agent a tiré une inférence négative du fait que les demanderesses ont fourni des explications contradictoires lorsqu’elles ont été confrontées à la photo. L’Agent a conclu que les demanderesses n’étaient pas crédibles et qu’elles n’avaient pas démontré qu’elles rencontraient les critères afin d’être reconnues comme étant des réfugiées au sens de la Convention ni qu’elles n’avaient les qualités de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. L’Agent a indiqué dans les deux décisions contestées :

Having taken into consideration the totality of the evidence before me, based on a balance of probabilities, I find that your declarations are more likely false than true and that your declarations regarding where you have been residing since 2016 are not credible.

Your declarations relate directly to your eligibility in the category in which you applied. Without true incredible testimony I am not satisfied that you meet the requirements of Article 96 or Regulation 147 of IRPA.

Thereby indicating that they did not qualify under paragraph 139(1)(e) of the Regulation in “the Convention refugee abroad class”.

[TRADUCTION]

J’ai examiné toute la preuve qui m’a été présentée et, selon la prépondérance des probabilités, je conclus qu’il est plus probable que vos déclarations concernant votre lieu de résidence depuis 2016 soient fausses que le contraire.

Ces déclarations sont directement reliées à votre admissibilité à la catégorie visée par votre demande. En l’absence d’un témoignage véridique, je ne suis pas convaincu que vous satisfaites aux exigences de l’article 96 de la LIPR ou à l’article 147 du Règlement.

Par conséquent, vous n’êtes pas admissible à la « catégorie des réfugiés outre-frontière au sens de la Convention » selon les termes de l’alinéa 139(1)e) du Règlement.

[20]  L’Agent a donc refusé les demandes des demanderesses. Celles-ci contestent cette décision dans le dossier actuel.

III.  Questions en litige

  • a) Est-ce qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale?

  • b) Est-ce que la décision de l’Agent concernant la fiabilité des cartes d’entrée officielles des demanderesses est raisonnable?

  • c) En ce qui concerne Ruba, est-ce que la décision de l’Agent concernant l’intérêt supérieur de l’enfant est raisonnable?

IV.  Analyse

A.  Est-ce qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale?

[21]  Les demanderesses argumentent qu’il y a eu un manquement d’équité procédurale découlant du fait que l’Agent ne leur aurait pas permis de soumettre d’autres preuves pouvant dissiper ses craintes.

[22]  Les demanderesses allèguent que lorsque l’Agent leur a demandé si elles avaient d’autres documents pouvant prouver leur présence au Liban depuis 2016, elles lui ont répondu qu’elles n’avaient que les documents demandés dans le courriel de l’ambassade, mais qu’elles pourraient lui faire parvenir d’autres preuves par la suite. Les notes détaillées ne font aucune mention du fait que les demanderesses auraient demandé la permission de déposer des documents supplémentaires.

[23]  Les demanderesses n’ont déposé aucun document supplémentaire, que ce soit pendant les deux semaines avant que l’Agent a rendu sa décision, ou dans le cadre du présent contrôle judiciaire à l’égard de leurs résidences au Liban qui auraient pu avoir un impact sur la décision de l’Agent.

[24]  Un agent n’a aucune obligation de faire part à un demandeur de ses réserves concernant sa demande qui découlent directement du texte de loi ou du règlement et qui ne portent pas sur la véracité des documents (Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, aux para 23-24; Zulhaz Uddin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1005 au para 38 [Uddin]). Il incombe aux demandeurs d’asile de produire des éléments de preuve à l’appui de leur demande. Il ne revient pas à l’agent de faire la preuve des demandeurs (Bukvic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 638 au para 34).

[25]  Dans Uddin, le juge O’Keefe a déclaré ce qui suit au para 38 :

[38]  […] Il incombe toujours au demandeur de convaincre l’agent au regard de tous les aspects de sa demande. L’agent n’est pas tenu de demander des renseignements additionnels lorsque les éléments produits par le demandeur sont insuffisants (voir Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 786, [2009] ACF no 910, au paragraphe 8; Veryamani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1268, [2010] ACF no 1668, au paragraphe 36). […]

[26]  En l’espèce, rien n’empêchait les demanderesses de déposer d’autres documents dans les deux semaines après l’entrevue, et je n’ai aucun motif de croire que les demanderesses ou leur avocat auraient tenté de soumettre des documents additionnels après l’entrevue. Enfin, les demanderesses n’ont déposé aucun document dans le cadre du présent contrôle judiciaire pour démontrer qu’elles possédaient des documents supplémentaires corroborant leurs dires, à l’égard de leurs résidences au Liban, qui auraient pu avoir un impact sur la décision de l’Agent.

[27]  Compte tenu de l’ensemble de la preuve, aucun manque d’équité procédurale n’a été démontré.

B.  Est-ce que la décision de l’Agent concernant la fiabilité des cartes d’entrée officielles des demanderesses est raisonnable?

[28]  Les demanderesses argumentent qu’un document censé avoir été délivré par une autorité étrangère doit être présumé valide à moins de preuve contraire (Masongo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 39 au para 12). En conséquence, les demanderesses maintiennent que l’Agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu que les cartes d’entrée officielles du Liban qu’elles ont présentées n’étaient pas fiables. En effet, la crédibilité des documents eux-mêmes ne peut être mise en doute sans raison valable (Irshad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 FC 1205 au para 30; Garrick c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 FC 611 au para 19).

[29]  Cela dit, la décision de l’Agent selon laquelle la carte d’entrée officielle du gouvernement libanais était de faible valeur probante n’indique pas que ce dernier aurait remis en doute la validité du document. L’Agent s’est plutôt fondé sur l’absence d’une traduction du document dans l’une des langues officielles pour conclure qu’il ne pouvait pas se fier à ce document pour conclure que les demanderesses sont demeurées au Liban depuis 2016.

[30]  Les demanderesses avaient le fardeau de placer devant l’Agent, tous les éléments de preuve nécessaire pour soutenir leurs allégations. Ceci comprend l’obligation de produire les extraits qui ne se trouvent pas dans l’une des deux langues officielles. À cet égard, le Guide du demandeur d’asile précise ce qui suit :

Mes documents doivent-ils être traduits?

Si vos documents ne sont ni en français ni en anglais, vous devez les faire traduire dans la langue officielle (le français ou l’anglais) que vous avez choisie pour l’audience. Vous devez fournir à la SPR les traductions et une déclaration du traducteur avec les copies des documents. La déclaration du traducteur doit comprendre ce qui suit :

  le nom du traducteur;

  la langue et le dialecte, le cas échéant, qui ont été traduits;

  une déclaration qui confirme que la traduction est exacte;

  la signature du traducteur.

[31]  En conséquence, l’Agent n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que la carte d’entrée officielle du gouvernement libanais n’était pas de valeur probante. De toute manière, une carte d’identité ne pourrait pas avoir pour effet d’étayer la crédibilité des demanderesses face aux contradictions et manquements de documents qui autrement prouvent une résidence au Liban depuis 2016.

C.  Est-ce que la décision de l’Agent concernant l’intérêt supérieur de l’enfant de Ruba est raisonnable?

[32]  Ruba argumente que l’Agent a commis une erreur en omettant de considérer l’intérêt supérieur de son fils Victore, un citoyen canadien qui n’a pas le droit de fréquenter l’école au Liban.

[33]  Le contexte d’une évaluation faite par un agent des visas chargé d’évaluer une demande déposée à l’extérieur du Canada dans la catégorie des personnes de pays d’accueil, en vertu des articles 96 de la Loi et 147 du Règlement, n’est pas équivalent à une demande pour considérations d’ordre humanitaire faite en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi. Les articles 96 de la Loi et 147 du Règlement n’exigent pas expressément que l’intérêt supérieur de l’enfant soit évalué.

[34]  En outre, c’est à Ruba qu’appartenait le fardeau de soumettre la preuve et l’information pertinente au sujet de la situation de son enfant si elle tenait à ce que l’Agent en tienne compte. Cette dernière n’a déposé aucune preuve portant sur le meilleur intérêt de son fils. On ne saurait donc reprocher à l’Agent de ne pas avoir tenu compte d’informations qui ne lui ont pas été communiquées (Pzarro Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 623 au para 40).

V.  Conclusion

[35]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT aux dossiers IMM-4460-18 et IMM-4461-18

LA COUR STATUE que :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées et aucune question ne sera certifiée;

  2. Les deux instances soient réunies et instruites conjointement selon la règle 105 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4460-18

INTITULÉ :

SANDY IBRAHIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET DOSSIER :

IMM-4461-18

INTITULÉ :

RUBA IBRAHIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 JUIN 2019

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JUIN 2019

COMPARUTIONS :

Sandra Palmieri

Pour leS DEMANDERESSES

Suzanne Trudel

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandra Palmieri

Avocate

Montréal (Québec)

Pour leS DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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