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Date : 20190625


Dossier : IMM-1165-18

Référence : 2019 CF 856

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

SHASHA SUN

demanderesse

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  VUE D’ENSEMBLE

[1]  La demanderesse, Shasha Sun, est une citoyenne chinoise. Elle a présenté une demande d’asile au Canada au motif qu’elle craignait avec raison d’être persécutée en Chine parce qu’elle fréquentait l’Église du Dieu tout‑puissant (Éclair de l’Orient). La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté sa demande dans une décision datée du 16 juin 2017. La demanderesse a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR. Dans une décision rendue le 13 février 2018, la SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR.

[2]  La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], au motif que la décision de la SAR est déraisonnable.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  CONTEXTE

[4]  La demanderesse est née en Chine en avril 1996. Elle allègue qu’en avril 2014, une amie lui a fait connaître l’Église du Dieu tout‑puissant (Éclair de l’Orient) pour l’aider à faire face à ses problèmes personnels. La demanderesse a commencé à participer aux activités de l’Église en juin 2014. Elle affirme qu’un membre de l’Église a été arrêté alors qu’il distribuait des dépliants de l’Église en novembre de la même année. La demanderesse soutient qu’après avoir été mise au courant de cette arrestation, elle s’est cachée chez un parent. Elle a ensuite décidé de quitter la Chine et de demander l’asile au Canada.

[5]  Un passeur a aidé la demanderesse à obtenir un visa d’étudiant pour le Canada en mars 2015. (En décembre 2014, la demanderesse avait été admise au programme de baccalauréat en hôtellerie et en gestion du tourisme à l’Université du Cap-Breton.) Ce visa d’étudiant était valide pour trois ans. La demanderesse a quitté la Chine en utilisant son propre passeport. Elle est arrivée au Canada le 17 avril2015. Il semble qu’elle n’ait jamais fréquenté l’université une fois arrivée au Canada.

[6]  La demanderesse a attendu jusqu’en août 2016 avant d’entamer des démarches pour obtenir l’asile. Elle a présenté sa demande en septembre 2016.

[7]  La demanderesse allègue que le Bureau de la sécurité publique chinois [le PSB] a arrêté et détenu l’amie qui l’avait initiée à la foi, ainsi que le mari de cette amie, le 20 juin 2016. La demanderesse affirme avoir appris que le PSB s’était rendu chez elle le surlendemain pour l’arrêter. La demanderesse explique qu’elle a été informée que le PSB s’était présenté à son domicile à trois autres reprises entre juillet et novembre 2016. Au cours de ces visites, le PSB a interrogé et menacé les parents de la demanderesse et leur a dit que la demanderesse devait se présenter au PSB.

[8]  Le ministre est intervenu à l’audience tenue devant la SPR et a présenté des observations écrites concernant ses réserves quant à la crédibilité de la demanderesse.

[9]  La SPR a estimé que la demanderesse avait établi son identité en tant que citoyenne chinoise. Elle a toutefois tiré au sujet de la crédibilité de la demanderesse plusieurs conclusions défavorables qui ont eu un effet déterminant sur le sort de la demande d’asile.

[10]  La SPR a conclu que, comme la demanderesse avait quitté la Chine avec son propre passeport, le PSB devait le savoir. Il était par conséquent difficile de croire que le PSB aurait demandé à plusieurs reprises à ses parents où elle se trouvait. La SPR a également fait observer que la demande d’asile avait été présentée 16 mois après l’arrivée de la demanderesse au Canada. La SPR a tenu compte du témoignage de la demanderesse d’asile selon lequel elle n’avait pas été en mesure de présenter sa demande parce qu’elle souffrait de troubles dépressifs, mais la SPR n’a pas jugé satisfaisantes les explications données pour justifier tout le temps qui s’était écoulé. La SPR n’a pas non plus été convaincue par l’affirmation de la demanderesse suivant laquelle elle avait retardé le dépôt de sa demande parce qu’elle craignait d’être expulsée si sa demande était rejetée. Enfin, la SPR a jugé imprécises les explications de la demanderesse quant au rôle qu’ont joué la prière et la fréquentation de l’Église pour l’aider à se sentir suffisamment bien pour déposer sa demande. Si, comme certains éléments de preuve tendaient à le démontrer, la demanderesse avait commencé à fréquenter une église au Canada en août 2015, on ne savait pas avec certitude pourquoi il lui avait fallu attendre une année de plus avant de se sentir prête à présenter sa demande d’asile. Le long délai qui s’est écoulé avant qu’elle ne présente sa demande et les raisons insatisfaisantes qu’elle avait fournies pour expliquer ce retard ont amené la SPR à tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de la demanderesse.

[11]  La SPR a également tenu compte du fait que la demanderesse avait tenté d’obtenir un visa d’étudiant aux États-Unis à deux reprises en 2013. Ces demandes de visas renfermaient des renseignements qui différaient à plusieurs égards de ceux qui avaient été présentés à l’appui de sa demande d’asile au Canada. La demanderesse a reconnu que les renseignements contenus dans les demandes de visa américain étaient faux. Elle a expliqué qu’un parent l’avait aidée à remplir les formulaires. La SPR a jugé ses explications insatisfaisantes. L’utilisation de faux renseignements pour appuyer une demande visant à obtenir un statut dans un autre pays et les raisons insatisfaisantes données pour expliquer ce fait ont amené la SPR à tirer une autre conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de la demanderesse.

[12]  La SPR a également examiné les connaissances que la demanderesse avait de la foi qu’elle professait. La SPR a entrepris cette analyse à la lumière des conclusions défavorables qu’elle avait tirées au sujet de la crédibilité de la demanderesse. La SPR a conclu que la connaissance de base de la foi de la demanderesse [traduction] « ne suffisait pas pour établir qu’elle soit réellement pratiquante ou qu’elle pratiquerait sa foi en Chine, selon la prépondérance des probabilités ». La SPR a accordé peu de poids à la lettre écrite par une personne qui avait rencontré la demanderesse lors de services religieux au Canada, parce que l’auteur de cette lettre n’avait ni prêté serment ni fait de déclaration solennelle, et que la SPR avait des réserves plus générales au sujet de la crédibilité de la demande. La SPR a également tenu compte des lettres écrites par les parents de la demanderesse et par une personne chez qui la demanderesse affirmait avoir vécu en clandestinité. À la lumière des conclusions défavorables tirées au sujet de la crédibilité, la SPR a jugé que les lettres étaient insuffisantes pour démontrer l’authenticité de la foi de la demanderesse ou pour corroborer son allégation suivant laquelle le PSB était à sa recherche.

[13]  En résumé, la SPR a estimé que la crédibilité de la demanderesse était ébranlée à plusieurs égards. Par conséquent, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités [traduction] « la demanderesse d’asile n’est pas une adepte de l’Église du Dieu tout‑puissant (Éclair de l’Orient), le PSB ne s’intéresse pas aux allées et venues de la demanderesse et la fréquentation de l’Église du Dieu tout‑puissant par la demanderesse au Canada n’est pas authentique ». Se fondant sur ces conclusions, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[14]  La demanderesse a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR en invoquant principalement les erreurs qu’aurait commises la SPR dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse. Plus précisément, la demanderesse affirmait que la SPR avait commis une erreur en tirant des conclusions défavorables sur sa crédibilité quant à l’intérêt qu’aurait eu le PSB à son égard, au temps qu’elle avait laissé s’écouler avant de présenter sa demande, aux renseignements erronés que contenaient ses demandes de visa étudiant aux États‑Unis, et à sa demande pour se voir reconnaître le statut de réfugié sur place.

[15]  La demanderesse n’a pas tenté de déposer de nouveaux éléments de preuve à l’appui de son appel et elle n’a pas demandé d’audience devant la SAR.

[16]  Le ministre n’a pas participé à l’appel.

[17]  Dans ses motifs de rejet de l’appel, le commissaire de la SAR s’est appuyé sur l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], de la Cour d’appel fédérale, ainsi que sur la décision rendue par un tribunal de trois commissaires de la SAR dans l’affaire X (Re), 2017 CanLII 33034 (CA CISR). Selon son interprétation de ces décisions relativement aux conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit, le commissaire devait « examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après avoir examiné attentivement la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a commis une erreur comme le prétend l’appelante ». Bien que le commissaire n’en fasse pas expressément mention, il faut présumer qu’il a également suivi la consigne formulée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica (telle qu’elle a été étoffée par le tribunal de trois commissaires de la SAR), selon laquelle la SAR doit normalement appliquer la norme de la décision correcte à toutes les conclusions de la SPR, mais lorsque celle-ci jouit d’un avantage certain par rapport à la SAR pour tirer une conclusion de fait précise, la SAR peut examiner ladite conclusion en fonction de la norme du caractère raisonnable, qu’elle adapte à son propre contexte. Cela dit, la RAD ne s’est pas fondée sur principe de la déférence envers les conclusions de la SPR pour statuer sur les moyens d’appel.

[18]  La SAR a rejeté l’appel pour les motifs suivants.

[19]  Premièrement, la SAR a examiné la crédibilité du témoignage de la demanderesse relativement au fait que le PSB aurait cherché à l’arrêter. Après avoir examiné les méthodes d’enquête du PSB et les mécanismes de surveillance chinois, la SAR a conclu que le PSB se serait montré de plus en plus agressif à chaque visite au lieu d’agir chaque fois de la même manière, comme l’affirmait la demanderesse. De plus, la SAR a souligné les mesures importantes prises par la Chine pour réprimer l’Église du Dieu tout-puissant (Éclair oriental). La SAR a conclu que le témoignage de la demanderesse contredisait les méthodes courantes du PSB. La SAR a donc confirmé la conclusion défavorable relative à la crédibilité tirée par la SPR sur ce point.

[20]  Deuxièmement, la SAR a examiné l’explication de la demanderesse selon laquelle le temps qu’elle avait laissé s’écouler avant de présenter sa demande d’asile était attribuable à son état psychologique. Selon la compréhension de la SAR, la demanderesse affirmait que ses problèmes psychologiques l’avaient empêchée d’avoir les idées claires et d’être en mesure de prendre des décisions. La SAR a conclu que les agissements de la demanderesse – notamment sa décision de venir au Canada dans le but précis de demander l’asile – étaient incompatibles avec ces explications. En outre, la SAR a fait observer que, selon le rapport psychologique produit par la demanderesse, bon nombre des symptômes étaient apparus des mois après son arrivée au Canada. Même si la demanderesse avait eu de la difficulté à s’adapter à sa nouvelle vie au Canada, cela n’expliquait pas pourquoi elle n’avait pas immédiatement demandé l’asile, puisqu’elle affirmait qu’elle avait eu l’intention de le faire sans tarder. La SAR a également estimé que le fait pour la demanderesse de ne pas avoir mentionné dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA qu’elle avait parlé à un consultant en immigration bien avant de présenter sa demande « min[ait] grandement la crédibilité de son explication » pour justifier la présentation tardive de sa demande. Enfin, la SAR a conclu que la crainte de la demanderesse d’être expulsée n’expliquait pas de façon satisfaisante l’important laps de temps qui s’est écoulé dans la présente affaire. La SAR a par conséquent confirmé la conclusion défavorable tirée par la SPR au sujet de la crédibilité.

[21]  Troisièmement, la SAR a tenu compte du fait que la demanderesse avait soumis de faux renseignements lorsqu’elle avait présenté une demande de visa pour étudier aux États‑Unis. La SAR a également tenu compte de l’explication fournie par la demanderesse suivant laquelle elle était mineure à l’époque et que c’était un membre de sa famille qui avait rempli les formulaires. La SAR a toutefois souligné que la demanderesse avait dix-sept ou dix-huit ans à l’époque où les demandes avaient été produites. De plus, la SAR a fait observer que la demanderesse avait recouru à un passeur pour l’aider à obtenir un visa d’étudiant canadien. La SAR a convenu avec la SPR que les agissements de la demanderesse démontraient qu’elle était prête à fournir de faux renseignements pour appuyer une demande d’obtention de statut relativement à l’immigration dans un autre pays. À l’instar de la SPR, la SAR a estimé que ces conclusions lui permettaient de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[22]  Quatrièmement, la SAR a examiné la lettre soumise par un membre de l’Église de la demanderesse au Canada. La SAR a estimé que cette lettre renfermait peu d’éléments qui appuyaient la demande d’asile de la demanderesse. La lettre contredisait le témoignage de la demanderesse elle-même quant à la fréquence avec laquelle elle se rendait à cette Église. La lettre ne disait rien d’autre sur la foi de la demanderesse à part le fait qu’elle fréquentait cette Église. Enfin, la SAR a fait observer que la demanderesse n’avait commencé à fréquenter cette Église au Canada qu’après avoir rencontré le consultant en immigration. La SAR a également examiné l’argument de la demanderesse selon laquelle sa fréquentation de l’Église et la lettre d’appui du membre de l’Église démontraient l’authenticité de sa foi. La SAR a jugé cet argument peu convaincant en raison des réserves déjà exprimées au sujet de la crédibilité. La SAR a répété les conclusions défavorables qu’elle avait déjà tirées au sujet de la crédibilité de la demande pour reconnaître à la demanderesse le statut de réfugié sur place. Elle a conclu que la demanderesse n’était pas, selon la prépondérance des probabilités, une adepte de cette religion.

[23]  En résumé, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la demanderesse était membre de l’Église du Dieu tout-puissant (Éclair oriental) en Chine, qu’elle était recherchée en Chine parce qu’elle pratiquait cette religion, ou que le gouvernement chinois était au courant du fait que la demanderesse pratiquait cette religion au Canada. La SAR a par conséquent conclu « qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que l’appelante soit persécutée ni personnellement exposée, selon la prépondérance des probabilités, à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumise à la torture si elle devait retourner en Chine ». En conséquence, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR.

IV.  NORME DE CONTRÔLE

[24]  Les conclusions tirées par la SAR sur les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Huruglica, au paragraphe 35). Cette règle vaut également pour les conclusions tirées par la SAR au sujet de la crédibilité et pour son appréciation des conclusions de la SPR quant à la crédibilité (Koffi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 4, au paragraphe 27).

[25]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc, 2016 CSC 3, au paragraphe 18). Autrement dit, la cour de révision doit examiner à la fois le résultat et les motifs qui y ont mené (Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2, au paragraphe 27). La cour de révision s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). La cour de révision ne doit intervenir que si ces critères ne sont remplis. Il ne lui appartient pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve ou de substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61 [Khosa]).

V.  QUESTION EN LITIGE

[26]  Pour contester la décision de la SAR, la demanderesse invoque plusieurs motifs qui se résument essentiellement à affirmer que la décision est déraisonnable.

VI.  ANALYSE

[27]  À mon avis, aucun des moyens invoqués par la demanderesse pour contester la décision de la SAR ne saurait être retenu.

[28]  Premièrement, la demanderesse soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de conclure que la preuve était insuffisante pour établir l’authenticité de sa foi. Je ne suis pas de cet avis. La SAR a tenu compte de la fréquentation de l’Église par la demanderesse au Canada, de ses connaissances de base de la foi et de la lettre produite par un autre fidèle de l’Église. La SAR a apprécié ces éléments de preuve à la lumière des problèmes de crédibilité qu’elle avait relevés. La SAR a donné des explications suffisantes pour justifier ses conclusions, qui étaient fondées sur la preuve. En termes simples, la demanderesse me demande de soupeser à nouveau les éléments de preuve examinés par la SAR, ce qu’il ne m’est pas permis de faire (Khosa, aux paragraphes 59 et 61).

[29]  Deuxièmement, la demanderesse affirme qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de tirer une conclusion défavorable au sujet du temps qu’elle avait laissé s’écouler avant de présenter sa demande d’asile. Comme je l’ai déjà expliqué dans d’autres affaires (voir Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 334, au paragraphe 24), présenter tardivement une demande d’asile qui aurait pu être présentée plus tôt peut avoir une valeur probante en ce qui a trait à la crédibilité du demandeur qui affirme craindre d'être persécuté dans son pays d’origine. Lorsqu’un demandeur d’asile n’a pas demandé l’asile à la première occasion raisonnable, le décideur doit en tenir compte pour évaluer l’importance de ce fait. En l’espèce, c’est exactement ce qu’a fait la SAR (comme la SPR avant elle). Selon le témoignage de la demanderesse, sa seule raison de venir au Canada était de demander l’asile, mais elle a attendu 16 mois avant de le faire. La SAR a estimé que l’explication donnée par demanderesse pour justifier ce long laps de temps était insuffisante et, pour cette raison, elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demande. Il s’agit d’une conclusion raisonnable pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demanderesse conteste cette décision en me demandant en réalité de soupeser à nouveau les éléments de preuve et de tirer une conclusion différente. La demanderesse est de toute évidence en désaccord avec la conclusion de la SAR, mais elle n’a pas démontré que cette conclusion est déraisonnable.

[30]  Troisièmement, la demanderesse affirme que la SAR a commis une erreur en ne prenant pas en considération que le fait qu’elle avait fréquenté l’Église au Canada avant de présenter sa demande d’asile démontrait l’authenticité de sa foi. Il incombait à la SAR de se prononcer sur la valeur probante du témoignage de la demanderesse quant à sa fréquentation de l’Église. Je conviens avec la demanderesse que ce témoignage n’appuie pas logiquement la conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse n’a commencé à fréquenter une église au Canada qu’après avoir consulté un consultant en immigration relativement à sa demande d’asile. La demanderesse a expliqué que cette consultation avait eu lieu vers le mois d’octobre 2015, mais suivant la preuve, elle fréquentait déjà l’Église avant cette date (quoique sporadiquement). Néanmoins, il y a d’autres raisons pour lesquelles la SAR avait des doutes raisonnables quant à la crédibilité de la demanderesse. Il n’était pas déraisonnable de la part de la SAR d’évaluer la sincérité de la pratique religieuse de la demanderesse au Canada à la lumière de ces réserves.

[31]  Quatrièmement, la demanderesse soutient que la SAR n’a pas abordé la question de savoir si les adeptes de l’Église du Dieu tout-puissant (Éclair oriental) peuvent pratiquer librement leur religion en Chine. Je ne suis pas de cet avis. En réalité, la SAR a précisé que « la preuve objective montre clairement que les autorités chinoises considèrent les adeptes de l’Église du Dieu tout-puissant comme appartenant à une secte ». La SAR a ensuite décrit les mesures déployées par les services de sécurité chinois pour réprimer l’Église du Dieu tout-puissant.

[32]  Enfin, la demanderesse soutient que la SAR n’a pas procédé à une évaluation indépendante de sa demande. La demanderesse a raison de dire que la SAR doit procéder à une analyse indépendante. Comme le juge Diner l’a fait remarquer dans Jeyaseelan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 278, « [u]n appui démesurément respectueux à toutes les conclusions de la SPR ainsi qu’un rehaussement de celles-ci peut mener à remettre en question l’analyse de la SAR » (au paragraphe 19).

[33]  Comme je l’ai déjà expliqué, le commissaire de la SAR s’est appuyé sur Huruglica et sur une décision ultérieure rendue par un tribunal de trois commissaires de la SAR. La demanderesse ne m’a pas convaincu que le commissaire n’a pas effectué l’analyse indépendante qu’il était tenu d’effectuer. Le commissaire a examiné les arguments de la demanderesse suivant lesquels la SPR avait tiré à tort de nombreuses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité. Plutôt que de se contenter de confirmer les conclusions de la SPR, le commissaire a entrepris sa propre analyse de chacune des conclusions défavorables sur la crédibilité. Le commissaire a examiné le dossier, le témoignage de la demanderesse, la preuve documentaire versée au dossier, ainsi que les arguments présentés par la demanderesse en appel. J’estime que la décision de la SAR de faire siennes les conclusions défavorables tirées par la SPR sur la crédibilité reposait sur sa propre évaluation indépendante. Ce motif de contrôle doit par conséquent être rejeté.

VII.  CONCLUSION

[34]  Pour ces motifs, la demande contrôle judiciaire est rejetée.

[35]  Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier no IMM-1165-18

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de juillet 2019

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1165-18

 

INTITULÉ :

SHASHA SUN c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 DÉCEMBRE 2018

 

JUGeMENT et motifs :

le juge NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 25 JUIN 2019

 

COMPARUTIONS :

Hart A. Kaminker

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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