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Date : 20190618


Dossier : IMM‑5218‑18

Référence : 2019 CF 828

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

JEM RASECK CANTALEJO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Jem Raseck Cantalejo, est un citoyen des Philippines né le 14 décembre 1993. Sa mère est arrivée au Canada en 2009 à titre de travailleuse étrangère. Elle avait présenté une demande de résidence permanente dans le cadre du Programme des candidats de la province de l’Alberta, mais celle‑ci avait été refusée parce que son mari de l’époque était interdit de territoire pour cause de criminalité. Sa demande visait aussi ses quatre enfants, dont l’aîné, le demandeur en l’espèce.

[2]  En juillet 2016, la mère du demandeur a obtenu la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Elle a alors pu parrainer ses deux plus jeunes enfants, tous deux des « enfants à charge » au sens du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR].

[3]  En décembre 2017, le demandeur, qui était parrainé par sa mère, a présenté une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial. Puisqu’il était âgé de plus de 22 ans et qu’il avait par conséquent dépassé la limite d’âge pour être considéré comme un « enfant à charge » au sens de l’article 2 du RIPR, il a demandé qu’une dispense lui soit accordée pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[4]  Dans une décision communiquée au demandeur et à sa mère le 22 octobre 2018, un agent d’immigration de la section des visas de l’ambassade du Canada à Manille [l’agent des visas] a refusé la demande parrainée de résidence permanente. L’agent des visas a conclu que le demandeur n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial, parce qu’il était âgé de 24 ans au moment de la réception de la demande et que rien n’indiquait que son état physique ou mental l’empêchait d’être autonome sur le plan financier. L’agent a ensuite conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne suffisaient pas pour justifier la dispense demandée.

[5]  Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’agent des visas. Il soutient qu’elle est déraisonnable, parce que l’agent des visas n’a pas examiné la question de savoir s’il était membre de la famille de fait de sa mère. Il soutient également que l’analyse des autres considérations d’ordre humanitaire ne respectait pas les exigences d’empathie et de compassion énoncées dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy].

II.  Analyse

[6]  Il est bien établi que la décision d’un agent des visas d’accorder ou de refuser une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire est discrétionnaire et soulève une question mixte de fait et de droit. Par conséquent, les conclusions d’un agent des visas sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et commandent une grande retenue de la part de la Cour (Kanthasamy, au paragraphe 44; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18; Mukilankoyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 161, au paragraphe 21; Pervaiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 680 [Pervaiz], au paragraphe 15; Frank c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 270 [Frank], au paragraphe 15).

[7]  Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, le rôle de la Cour consiste à se demander si la décision de l’agent des visas appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Il peut exister plusieurs issues raisonnables et « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

[8]  En ce qui a trait aux considérations d’ordre humanitaire, le demandeur soutient que l’agent des visas, dans son appréciation, n’a pas tenu compte du fait que sa situation correspondait à la définition de membre de la famille de facto énoncée dans les instructions sur l’exécution du programme [IEP] dont disposait le demandeur. Selon ces IEP, les membres de la famille  de fait sont des personnes n’appartenant pas à la catégorie du regroupement familial, mais qui peuvent néanmoins être admissibles au parrainage pour des motifs d’ordre humanitaire en raison de leur situation de dépendance envers un membre de la famille qui est au Canada ou qui présente une demande afin d’y immigrer. Dans les IEP sur lesquelles s’appuie le demandeur, il est expressément mentionné qu’un enfant ayant dépassé l’âge limite peut être reconnu à titre de membre de la famille de fait. Bien que l’agent des visas ait reconnu la dépendance financière du demandeur envers sa mère, il n’a effectué aucune analyse afin de décider si cela faisait de lui un membre de la famille de fait.

[9]  L’argument du demandeur n’est pas fondé, et ce, pour plusieurs raisons.

[10]  Premièrement, le demandeur n’a pas porté à l’attention de l’agent des visas la question concernant les membres de la famille de facto (Pervaiz, au paragraphe 33; Sandhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1032 [Sandhu], au paragraphe 20). De plus, contrairement à ce qui a été conclu dans l’affaire John c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 85 [John], on ne saurait dire que les faits dans la demande de résidence permanente du demandeur en l’espèce étaient exposés d’une manière si claire qu’ils sautaient aux yeux de l’agent des visas (John, au paragraphe 14).

[11]  Deuxièmement, bien que les guides opérationnels soient des lignes directrices précieuses pour les agents des visas dans l’exercice de leurs fonctions, ils n’ont pas force de loi et ne sont pas contraignants (Frank, au paragraphe 21).

[12]  Troisièmement, la Cour a reconnu que les agents des visas n’ont pas l’obligation d’examiner explicitement la question de la qualité de membre de la famille de fait dans tous les dossiers qui leur sont soumis (Pervaiz, au paragraphe 33; Da Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 347, au paragraphe 24; Frank, au paragraphe 30; Sandhu, au paragraphe 20).

[13]  Quatrièmement, même si l’agent des visas n’a pas effectué une analyse distincte afin de savoir si le demandeur était un membre de la famille de fait, je suis convaincue qu’il a tenu compte de tous les facteurs à considérer dans le contexte du lien familial de fait. Comme l’a mentionné la Cour dans la décision Frank, lorsqu’une relation familiale de fait est alléguée dans le cadre d’une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, un facteur important à prendre en considération pour établir le bien‑fondé de la demande est la mesure dans laquelle le demandeur aurait de la difficulté à satisfaire ses besoins financiers et affectifs sans le soutien et l’aide de sa famille au Canada (Frank, au paragraphe 26).

[14]  En l’espèce, l’agent des visas a expressément mentionné le fait que le demandeur avait reçu une aide financière de sa mère et il a fait remarquer à bon droit que ce dernier continuerait vraisemblablement à recevoir cette aide s’il demeurait aux Philippines. L’agent des visas a aussi conclu que le parcours scolaire du demandeur dans des établissements d’enseignement privés depuis l’école primaire ainsi que ses études  pour obtenir un diplôme de premier cycle en gestion hôtelière et en restauration dans un collège privé lui permettraient probablement de trouver plus facilement un emploi aux Philippines ou à l’étranger. À mon avis, cette conclusion était à la fois raisonnable et étayée par la preuve documentaire objective concernant la situation aux Philippines, laquelle démontrait que le demandeur n’avait pas le profil d’une personne susceptible d’y subir des difficultés importantes.

[15]  L’agent des visas a aussi raisonnablement tenu compte de la relation familiale existant entre le demandeur et sa mère (sa répondante au Canada). Les motifs de sa décision indiquent qu’il a compris que le demandeur serait parrainé par sa mère et que cette dernière voulait faire venir tous ses enfants au Canada. Les motifs indiquent aussi qu’il a tenu compte du lien affectif existant entre le demandeur et sa mère, en faisant cependant remarquer que rien n’empêcherait la mère du demandeur de lui rendre visite, comme elle l’avait fait dans le passé.

[16]  Par conséquent, je conclus que l’agent des visas a examiné les facteurs pertinents dont il faut tenir compte dans le contexte d’une relation familiale de fait.

[17]  Je reconnais que la décision de l’agent des visas en l’espèce n’est pas le résultat que souhaitaient le demandeur et sa mère. L’issue défavorable pour ces derniers découle du fait que le demandeur a présenté très peu d’éléments de preuve pour démontrer son niveau de dépendance envers les autres membres de sa famille, et ce, tant sur le plan financier qu’affectif. En réponse à la lettre d’équité procédurale que lui avait envoyée l’agent des visas, laquelle avait pour but de lui donner l’occasion de fournir des renseignements et des documents supplémentaires afin de motiver sa demande autrement, puisqu’il n’était plus une personne à charge au sens du RIPR, le demandeur a simplement réitéré les arguments qu’il avait présentés initialement dans sa demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il incombait au demandeur de faire le nécessaire afin d’établir l’existence de circonstances d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier une dispense à l’égard des exigences légales habituelles de la LIPR (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5; Bacha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1382, au paragraphe 11, citant Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1356, au paragraphe 32). L’agent des visas a jugé que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait.

[18]  Enfin, en ce qui a trait à l’examen des autres circonstances d’ordre humanitaire, je ne suis pas convaincu que l’agent des visas n’a pas respecté les exigences d’empathie et de compassion énoncées dans l’arrêt Kanthasamy. Bien que le demandeur soit en désaccord avec l’appréciation de la preuve faite par l’agent des visas, il n’appartient pas à la Cour de réexaminer les éléments de preuve dont disposait l’agent des visas afin d’en arriver à un résultat différent.

[19]  Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification en vue d’un appel et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5218‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de juillet 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER 


DOSSIER :

IMM‑5218‑18

INTITULÉ :

JEM RASECK CANTALEJO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juin 2019

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

La juge ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 18 juin 2019

COMPARUTIONS :

Jean D. Munn

POUR LE DEMANDEUR

Camille N. Audain

For The Respondent

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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