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Date : 20190625


Dossier : T‑1373‑18

Référence : 2019 CF 860

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2019

En présence de la juge en chef adjointe

ENTRE :

SINA GHAZI

demandeur

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le ministre du Revenu national demande à la Cour de radier la demande de contrôle judiciaire de monsieur Sina Ghazi, dans laquelle celui‑ci allègue que les agents taxateurs de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] ont agi avec partialité dans l’évaluation de sa dette fiscale. Selon le ministre, cette demande est une attaque détournée contre la compétence exclusive qu’exerce la Cour canadienne de l’impôt pour établir la dette fiscale d’un contribuable en application de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15 [LTA].

II.  Contexte

[2]  M. Ghazi conteste une décision datée du 19 juin 2018 de la directrice adjointe par intérim de la Division de la vérification de la TPS/TVH, dans laquelle celle‑ci indique qu’elle a refusé de suspendre la chef d’équipe, Mme Leslie Olson, ainsi que M. Daniel Malcolm, gestionnaire de section [les agents de l’ARC], pour les empêcher de continuer à s’occuper de la vérification le visant en raison de leur inconduite et d’une crainte raisonnable de partialité à son détriment.

[3]  M. Ghazi demande ce qui suit :

1.  Un bref de certiorari annulant la décision du 19 juin de la directrice adjointe.

2.  Un bref de mandamus enjoignant au ministre du Revenu national de cesser de lui causer un préjudice et de suspendre M. Malcom et Mme Olson pour les empêcher de continuer à s’occuper de la vérification le visant.

3.  Un bref de prohibition limitant l’intervention de M. Malcolm et de Mme Olson pour les empêcher de continuer à s’occuper de la vérification le visant et interdisant au ministre de le cotiser pour l’ensemble des taxes, intérêts et pénalités concernant la période allant du 01‑01‑2013 au 31‑12‑2017 avant qu’au moins 90 jours se soient écoulés après la décision de la Cour sur la présente demande.

4.  Les dépens de la demande.

[4]  Dans une requête en radiation, les faits allégués par le demandeur sont présumés être vrais. Dans son avis de demande, M. Ghazi formule les attaques suivantes contre la décision de la directrice adjointe de la défenderesse :

[traduction]

1.  Les agents de l’ARC ont fait preuve d’inconduite au cours de la vérification, laquelle a causé un préjudice au demandeur et a suscité une crainte raisonnable de partialité. Entre autres, Mme Olson a indiqué qu’elle était prédisposée à cotiser le demandeur, sans égard à toute information ou observation à l’effet contraire. Avec malveillance, M. Malcolm a critiqué vigoureusement le demandeur parce qu’il avait demandé la divulgation des notes du vérificateur (formule T2020) et il s’est honteusement plaint que la demande lui imposait un fardeau indu (remarquablement, le document demandé comptait seulement cinq pages).

2.  Le 28 mars et le 4 mai 2018, le demandeur a présenté des plaintes officielles distinctes liées au service en ce qui concerne l’inconduite de Mme Olson. Le 31 mai 2018, le demandeur a déposé une autre plainte officielle liée au service touchant l’inconduite persistante de M. Malcolm et Mme Olson. Le 8 juin, le demandeur a écrit à la directrice adjointe pour lui demander de faire enquête sur l’inconduite de M. Malcolm et de Mme Olson et de les suspendre pour les empêcher de continuer de participer à la vérification. Le 19 juin, la directrice adjointe a rendu une décision laconique dans laquelle elle indiquait qu’elle était convaincue que les politiques et les procédures de l’Agence du revenu du Canada avaient été respectées.

3.  La décision n’était pas raisonnable, entre autres parce qu’elle manquait de justification, de transparence et d’intelligibilité. Les bien maigres motifs de la décision étaient inadéquats; ils ne faisaient pas mention des faits étudiés ni des critères d’analyse qui auraient raisonnablement pu mener aux conclusions formulées. De plus, on n’a pas permis au demandeur d’avoir la possibilité de répondre aux conclusions. Lorsqu’elle a pris sa décision, la directrice adjointe a omis de respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

4.  En dernier lieu, la directrice adjointe a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qui ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans égard à la documentation dont elle était saisie. Plutôt que de se pencher sur les plaintes pour inconduite et partialité de la part de M. Malcolm et Mme Olson, la décision tient indument compte de facteurs non pertinents. De tels facteurs ne constituent pas un moyen de défense contre des allégations d’inconduite et de partialité.

[5]  Dans son analyse, la Cour doit tenir compte du fait que même si l’agente Olson, de l’ARC, n’avait pas encore délivré un avis de cotisation à M. Ghazi, elle l’avait avisé, dans une lettre datée du 29 janvier 2018, d’un rajustement projeté de la TPS/TVH de plus de 650 000 $, en sus des pénalités qu’il devait payer en raison du fait qu’il avait été considéré comme le constructeur dans la vente de deux biens immobiliers situés dans la région de Toronto. Cette lettre renvoie aux dispositions applicables de la LTA et se termine par l’avis suivant à M. Ghazi :

[traduction]

Si vous avez de plus amples renseignements au sujet des rajustements projetés que vous voudriez que nous prenions en considération ou si vous avez des questions, veuillez m’appeler au […] Si nous n’avons pas de nouvelles de votre part d’ici au 1er mars 2018, nous allons mettre un terme à notre examen et nous en tenir aux rajustements projetés.

Vous recevrez ensuite un avis de cotisation ou de nouvelle cotisation qui tiendra compte de ces changements, et il vous incombera de payer la TPS/TVH supplémentaire nette exigible.

[6]  Par l’entremise de son avocat, M. Ghazi a répondu le 6 février 2018 et il a demandé qu’on lui fournisse tous les faits concernant la cotisation et les pénalités envisagées ainsi qu’une explication du droit et des politiques applicables. M. Ghazi a également demandé que l’échéance du 1er mars 2018 soit repoussée à au moins 60 jours suivant la divulgation complète du dossier. L’avocat a réitéré ces demandes le 16 mars 2018 en ajoutant que si l’une ou l’autre d’entre elles était rejetée, il demanderait officiellement un examen de deuxième niveau par le gestionnaire des agents de l’ARC. Dans l’intervalle, il a demandé [traduction« qu’aucune autre décision ou mesure ne soit prise dans cette affaire jusqu’à ce que cet examen de deuxième niveau ait été mené à terme afin de protéger les droits de M. Ghazi de demander toute mesure de redressement possible en droit administratif (comme l’a décrit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, par. 37) ».

[7]  Le 19 mars 2018, l’agente Olson, de l’ARC, a répondu que le service de vérification n’allait pas divulguer son dossier de vérification, étant donné que M. Ghazi avait présenté une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels [AIPRP] relativement à celui‑ci. Elle a accepté de repousser au 24 avril 2018 l’échéance du 1er mars 2018, ce qui donnait au demandeur au moins 30 jours pour répondre à compter de la réception du résultat de la demande d’AIPRP.

III.  Questions en litige

[8]  La présente requête en radiation soulève la question et les sous‑questions suivantes :

La Cour fédérale est‑elle compétente pour se saisir de l’affaire exposée dans la demande de contrôle judiciaire? Pour répondre à cette question, la Cour doit tenir compte de ce qui suit :

(1) Est‑ce qu’un recours recevable en droit administratif susceptible d’être intenté devant la Cour fédérale ressort de l’avis de demande?

(2) Est‑ce que la Cour fédérale est empêchée de se saisir du recours en droit administratif par application de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ou d’un autre principe juridique?

(3) Est‑ce que la Cour peut accorder le redressement demandé?

IV.  Analyse

A.  Critère régissant la requête en radiation

[9]  La Cour d’appel fédérale a passé en revue le critère qui régit une requête en radiation dans l’arrêt Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250 :

[47] La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » [référence omise]. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande.

[Références omises.]

[10]  Il s’agit d’un seuil élevé à franchir et la demande ne sera radiée que dans les cas les plus clairs, étant donné que la Cour, dans le cadre d’une requête en radiation, ne dispose peut‑être pas de l’ensemble des faits et du droit pertinents.

B.  Question préliminaire – Preuve par affidavit

[11]  Étant donné que la défenderesse a présenté sa requête au titre de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, le demandeur fait valoir qu’elle n’est pas autorisée à produire une preuve par affidavit ou toute autre preuve liée à la requête. Selon la logique qui sous‑tend cette règle, la ou les failles dans l’avis de la demande doivent être apparentes à la face même de celle‑ci. La preuve par affidavit pourrait aussi susciter notamment des affidavits en réponse, des contre‑interrogatoires et des questions rejetées, ce qui entraînerait des délais et va à l’encontre du paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales, lequel prévoit que la Cour statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes. Le demandeur fait également valoir que la défenderesse ne présente pas fidèlement les faits et tente de se servir de la preuve par affidavit pour contester les faits présumés. Si la défenderesse doit s’en remettre à un affidavit pour appuyer sa requête, elle ne remplit pas le critère, étant donné qu’il n’est pas clair et évident que la demande est dénuée de toute possibilité d’être accueillie.

[12]  Toutefois, la règle générale qui interdit d’admettre des affidavits dans le cadre de requêtes en radiation souffre certaines exceptions, notamment « le fait pour un document d’être mentionné et incorporé par renvoi à l’avis de demande » (JP Morgan, par. 54).

[13]  En l’espèce, sont jointes à l’affidavit à titre de pièces, les lettres que se sont échangées le contribuable et les agents de l’ARC à la suite de la cotisation projetée. Y sont également jointes, les plaintes déposées par le contribuable au sujet du service. Tous ces documents sont mentionnés dans l’avis de demande et ils sont au cœur de la plainte formulée par M. Ghazi à l’endroit des agents de l’ARC. L’affidavit ne contient par ailleurs aucun autre élément de preuve.

[14]  Contrairement aux observations du demandeur, un affidavit qui ajoute simplement des documents mentionnés dans l’avis de demande ne suscite généralement pas « d’affidavits en réponse, de contre‑interrogatoires ni de questions rejetées ».

[15]  Par conséquent, l’affidavit fait sous serment par Jennifer Larner le 13 septembre 2018 sera admis en preuve dans le cadre de la requête en radiation.

C.  La Cour fédérale est‑elle compétente pour se saisir de l’affaire exposée dans la demande de contrôle judiciaire?

[16]  Selon le paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC 1985, c T‑2, la Cour de l’impôt a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) et de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15, entre autres.

[17]  En revanche, le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour fédérale la compétence de contrôler les décisions des offices fédéraux. Par conséquent, quand les circonstances s’y prêtent, les décisions de la défenderesse peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour (Canada c Addison & Leyen Ltd, 2007 CSC 33, par. 8 et 11). Mais en corollaire au paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales exclut de la compétence de la Cour fédérale les affaires qui peuvent être portées en appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

[18]  Bref, les affaires concernant le droit administratif peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, mais les affaires de cotisation fiscale doivent être réservées à la Cour de l’impôt.

[19]  M. Ghazi fait valoir qu’il n’est pas question de cotisation fiscale en l’espèce, ce qui empêche la Cour de l’impôt d’instruire un appel en vertu du paragraphe 12(1). En outre, la Cour d’appel fédérale a reconnu que la Cour de l’impôt ne peut pas contrôler des questions qui se rapportent au processus ou à la conduite du ministre. Le demandeur invoque les arrêts JP Morgan et Ereiser pour faire valoir que la Cour fédérale conserve sa compétence dans ces affaires.

[20]  En fait, les parties ont convenu que si les circonstances de l’avis de demande relèvent de la compétence de la Cour de l’impôt, notre Cour ne pourrait pas se saisir de la demande. Le désaccord repose sur la nature réelle de l’affaire.

(1)  Est‑ce qu’un recours recevable en droit administratif susceptible d’être intenté devant la Cour fédérale ressort de l’avis de demande?

[21]  M. Ghazi allègue la partialité et l’iniquité procédurale pour s’en prendre à la validité de la décision. Il affirme que la partialité est tout simplement injustifiable et devrait être suffisante pour casser une décision administrative. Il allègue également que la décision du 19 juin manque de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[22]  M. Ghazi soutient que le fait de demander un répartiteur de l’impôt impartial n’équivaut pas à se soustraire à une cotisation fiscale. Le demandeur ajoute que le préjudice est manifeste et qu’il englobe également [traduction« des délais et des dépenses superflus ».

[23]  Les motifs allégués par le demandeur paraissent de prime abord correspondre à des recours en droit administratif. Ils font partie des catégories de « l’irrecevabilité dans la procédure » et de « l’irrecevabilité quant au fond » qui sont décrites dans l’arrêt JP Morgan.

[24]  Par contre, la défenderesse fait valoir que le demandeur conteste essentiellement le fond de la cotisation fiscale. Elle soutient que la Cour ne devrait pas s’en tenir au libellé de l’avis de demande et qu’elle devrait prendre en considération que le demandeur allègue un « préjudice » sans expliquer la nature de celui‑ci. Elle mentionne également une lettre que M. Ghazi a envoyée à l’ARC, dans laquelle il explique que [traduction« la cotisation projetée de l’ARC est incompatible avec les faits et le droit et elle est sans fondement ».

[25]  L’étape cruciale en l’espèce consiste à établir l’objectif ultime de M. Ghazi : présente‑t‑il sa demande simplement pour corriger des vices de procédure ou est‑ce que la notion de vice de procédure sert à masquer son désir véritable de contrôler le processus de la cotisation fiscale? Voici comment le juge Stratas s’est exprimé dans l’arrêt JP Morgan :

[49] Forts d’outils perfectionnés pour jouer sur les mots et d’un esprit rusé, les plaideurs habiles peuvent faire paraître des questions relevant de la Cour canadienne de l’impôt comme s’il s’agissait de questions de droit administratif alors qu’il n’en est rien. Lorsque ces plaideurs ont illégitimement gain de cause, ils détournent l’intention du législateur de voir la Cour canadienne de l’impôt trancher exclusivement les questions qui relèvent de la Cour canadienne de l’impôt. Par conséquent, lorsqu’elle est saisie d’une requête en radiation, la Cour doit lire l’avis de demande de manière à saisir la véritable nature de la demande.

[50] La Cour doit faire une « appréciation réaliste » de la « nature essentielle » de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme [Références omises].

[26]  À la lecture de l’avis de demande (en plus de la correspondance échangée entre le conseiller juridique et les agents de l’ARC), il m’apparaît clairement que M. Ghazi cherche à contrôler le processus de la cotisation fiscale :

1.  Un bref de certiorari annulant la décision du 19 juin de la directrice adjointe.

2.  Un bref de mandamus enjoignant au ministre du Revenu national de cesser de causer un préjudice au demandeur et de suspendre M. Malcom et Mme Olson pour les empêcher de continuer à s’occuper de la vérification le visant.

3.  Un bref de prohibition limitant l’intervention de M. Malcolm et de Mme Olson pour les empêcher de continuer à s’occuper de la vérification le visant et interdisant au ministre de le cotiser pour l’ensemble des taxes, intérêts et pénalités concernant la période allant du 01‑01‑2013 au 31‑12‑2017 avant qu’au moins 90 jours se soient écoulés après la décision de la Cour sur la présente demande.

4.  Les dépens de la demande.

[Non souligné dans l’original.]

[27]  De plus, quand j’examine le fondement des allégations de partialité, je constate encore plus clairement que M. Ghazi s’inscrit réellement en faux contre le fait que certains éléments de preuve ont été laissés de côté ou ignorés ainsi que contre la demande au titre de la LTA.

[28]  En ce qui concerne la décision du 19 juin 2018, la directrice adjointe a vérifié si les agents de l’ARC se conformaient à la loi :

[traduction]

Compte tenu des préoccupations soulevées dans votre lettre du 8 juin 2018, j’ai examiné la manière dont la vérification est effectuée. Je suis convaincue que les politiques, les procédures de l’Agence du revenu du Canada (ARC) ainsi que la Loi sur la taxe d’accise (LTA) sont respectées. Il n’existe aucune raison ni motif de faire transférer le dossier de vérification.

[Non souligné dans l’original.]

[29]  En résumé, il est impossible de dégager des faits une véritable allégation de partialité. M. Ghazi allègue principalement un mauvais traitement de la preuve. Bien qu’il allègue des problèmes concernant l’équité procédurale, les « vices de procédure » dont il se plaint sont des questions de droit qui relèvent de la compétence de la Cour de l’impôt – il conteste la conclusion de la directrice adjointe selon laquelle les agents de l’ARC ont suivi la bonne procédure et ont appliqué judicieusement la LTA. Les questions de droit et les problèmes concernant le mauvais traitement de la preuve relèvent de la compétence de la Cour de l’impôt.

[30]  La partialité n’a aucune incidence sur le processus de cotisation fiscale, car les cotisations sont soit valides, soit invalides. Si la cotisation fiscale est invalide, le fait que le processus ait été entaché n’est pas pertinent et la seule façon de régler le problème consiste à interjeter appel devant la Cour de l’impôt. Les vices de procédure dans une cotisation fiscale établie par le ministre ne sont pas des motifs suffisants à eux seuls pour annuler la cotisation (Webster c Canada (Procureur général), 2003 CAF 388).

[31]  Au paragraphe 82 de l’arrêt JP Morgan, le juge Stratas a résumé les différents types de vices auxquels il est possible de remédier en interjetant appel à la Cour de l’impôt, dont l’un est applicable à l’avis de demande de M. Ghazi :

Les procédures inappropriées suivies par le ministre dans l’établissement de la cotisation. Les vices de procédure commis par le ministre dans l’établissement de la cotisation ne constituent pas, en eux‑mêmes, un motif permettant de frapper de nullité la cotisation : Main Rehabilitation Co c. Canada, 2004 CAF 403, au paragraphe 7; Webster, précité, au paragraphe 20; Canada c. The Consumers’ Gas Company Ltd., [1987] 2 C.F. 60 (C.A.), à la page 67. Dans la mesure où le ministre a ignoré un élément de preuve, en a fait abstraction, l’a écarté ou l’a mal interprété, un appel interjeté sous le régime de la procédure générale de la Cour canadienne de l’impôt est un recours approprié et curatif. En appel devant cette Cour, les parties auront la possibilité d’interroger au préalable, d’obtenir la communication de documents, de présenter des preuves documentaires, d’appeler des témoins et de faire des observations. La jouissance ultérieure de droits procéduraux peut remédier à des vices de procédure antérieurs : Posluns v. Toronto Stock Exchange et al., [1968] 1 S.C.R. 330; King v. University of Saskatchewan, [1969] S.C.R. 678, à la page 689; Taiga Works Wilderness Equipment Ltd. v. British Columbia (Director of Employment Standards), 2010 BCCA 97, au paragraphe 28; Histed v. Law Society of Manitoba, 2006 MBCA 89, 274 D.L.R. (4th) 326; McNamara v. Ontario (Racing Commission) (1998), 164 D.L.R. (4th) 99, 111 O.A.C. 375 (C.A.).

[Non souligné dans l’original.]

[32]  Même si la Cour de l’impôt ne peut pas remédier à un manquement à l’équité procédurale, il ne s’ensuit pas que la Cour fédérale ait ce pouvoir. Dans les affaires de dette fiscale, soit que la taxe est payable, soit elle ne l’est pas, selon les faits et le droit.

[33]  Bien que j’aie établi que le demandeur n’invoque pas véritablement la partialité, même s’il le faisait, l’arrêt JP Morgan précise clairement que cela ne modifierait pas sa cotisation.

[34]  M. Ghazi attire l’attention de la Cour sur le paragraphe 98 de l’arrêt JP Morgan pour faire valoir que la partialité est susceptible de contrôle par la Cour fédérale. Avec égards, je ne crois pas que la porte ouverte par le juge Stratas soit si grand ouverte. Le juge Stratas semble avoir voulu limiter l’intervention de la Cour aux cas de transactions inadéquates de l’ARC avec un contribuable qui débouchent sur un résultat inéquitable ou discriminatoire :

[98] Néanmoins, même à ce stade‑ci, on peut imaginer des exemples de contrôle judiciaire susceptibles d’éviter ces trois objections en matière de recours en contrôle judiciaire. Supposons que le ministre se livre à des méthodes d’enquête agressives contre des membres d’un parti politique auquel il est hostile dans des cas où un recours immédiat et efficace est nécessaire. Prenons également l’exemple du ministre qui établit une cotisation en application de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu contre l’un ou l’autre des cinq administrateurs d’une société relativement à la dette fiscale de cette société. Or, un seul des administrateurs est une personne de couleur. Le ministre établit la cotisation contre ce seul administrateur et uniquement en raison de la couleur de sa peau, dans des circonstances où un recours immédiat et efficace est nécessaire.

[Non souligné dans l’original.]

[35]  Tel n’est tout simplement pas le cas en l’espèce. M. Ghazi allègue simplement que les agents de l’ARC ont fait preuve de partialité à son endroit en faisant abstraction de la preuve.

[36]  De plus, M. Ghazi critique la lettre du 19 juin 2018 dans laquelle la directrice adjointe a établi qu’il n’existait aucun motif de transférer le dossier de vérification. Plus particulièrement, la directrice adjointe a affirmé ceci : [traduction« Je suis convaincue que les politiques, les procédures de l’Agence du revenu du Canada (ARC) ainsi que la Loi sur la taxe d’accise (LTA) sont respectées ». La question de savoir si les agents de l’ARC respectent les politiques et les procédures de l’ARC ainsi que la LTA est une question de droit qui relève de la compétence de la Cour de l’impôt. Voici un extrait pertinent de la décision Webster à ce sujet :

[21] J’ajouterais que le droit d’interjeter appel à la Cour de l’impôt à l’encontre d’une cotisation n’est pas un droit négligeable. Le mandat de la Cour de l’impôt est de dire, à la suite d’un procès au cours duquel les deux parties auront la possibilité de produire des documents et des témoignages, si les cotisations visées par l’appel sont valides ou invalides en droit. Si les cotisations sont invalides en droit, il n’importera pas de savoir si la procédure d’opposition était viciée. Si elles sont valides, elles subsisteront quand bien même la procédure d’opposition serait viciée.

[Non souligné dans l’original.]

[37]  Par conséquent, je suis d’avis que M. Ghazi n’exerce pas un recours recevable en droit administratif et que les questions soulevées dans sa demande de contrôle judiciaire relèvent de la compétence de la Cour de l’impôt.

(2)  Est‑ce que la Cour fédérale est empêchée de se saisir du recours en droit administratif en application de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ou d’un autre principe juridique?

[38]  Quoi qu’il en soit, même si M. Ghazi avait exercé un recours recevable en droit administratif, le redressement demandé est une mesure interlocutoire qui ne peut être accordée que dans des cas exceptionnels. Le contrôle judiciaire de décisions interlocutoires entraîne le fractionnement de la procédure administrative élaborée par le législateur.

[39]  Il se dégage clairement de la décision du 19 juin 2018 que l’ARC attendait toujours que le demandeur réponde aux préoccupations suscitées par son affirmation selon laquelle il n’était pas un constructeur au sens de la LTA. L’ARC n’a pas pris de décision définitive sur cette question, elle a seulement fait part de ses préoccupations au sujet de cet aspect de la cotisation projetée du demandeur. Comme l’a précisé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61, le processus administratif doit être terminé avant que le demandeur demande un redressement au tribunal :

[31] La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui‑ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[Non souligné dans l’original.]

[40]  Le juge Stratas a ajouté ce qui suit dans l’arrêt CB Powell :

[33] […] Les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces […] [références omises].

[41]  Par conséquent, le processus administratif devrait se poursuivre et, si jamais il aboutit à une cotisation qui est comparable avec la cotisation projetée de l’ARC, M. Ghazi sera en mesure de s’y opposer et, à terme, de déposer un appel de novo devant la Cour de l’impôt. Comme l’a affirmé le juge Stratas au paragraphe 91 de l’arrêt JP Morgan, l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales peut s’appliquer pour exclure la compétence de la Cour fédérale quand l’appel à la Cour de l’impôt peut être interjeté sur‑le‑champ ou plus tard.

[42]  Avec égards, je considère que l’étape supplémentaire franchie devant la Cour a entraîné des dépenses et des délais additionnels superflus.

[43]  Au‑delà de l’analyse qui précède, on doit se souvenir que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de refuser d’instruire une demande de contrôle judiciaire si le demandeur a à sa disposition un autre recours adéquat. En l’espèce, M. Ghazi a déposé une plainte officielle au sujet du service auprès du Bureau de l’ombudsman des contribuables ainsi qu’une plainte officielle concernant le service à la Division des appels de l’ARC. Il n’est pas nécessaire que le recours exercé soit identique, il doit seulement être adéquat. De plus, un redressement qui n’est pas couvert par l’ombudsman ou la Division des appels peut être demandé dans le cadre d’une action civile (JP Morgan, par. 89).

[44]  Le contrôle judiciaire est un moyen de dernier recours et il ne devrait pas être demandé lorsque d’autres redressements sont disponibles.

[45]  Dans l’arrêt Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, la Cour suprême du Canada a étudié les cas dans lesquels un autre recours adéquat serait un motif approprié pour radier une demande de contrôle judiciaire. Voici comment s’est exprimée la Cour suprême à ce sujet :

[42] Ces arrêts énoncent un certain nombre de considérations pertinentes pour décider s’il existe un autre recours ou tribunal approprié qui justifierait le refus discrétionnaire d’entendre une demande de contrôle judiciaire, notamment la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur alléguée, la nature de l’autre tribunal qui pourrait statuer sur la question et sa faculté d’accorder une réparation, l’existence d’un recours adéquat et efficace devant le tribunal déjà saisi du litige, la célérité, l’expertise relative de l’autre décideur, l’utilisation économique des ressources judiciaires et les coûts : Matsqui, par. 37; C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61 (CanLII), [2011] 2 R.C.F. 332, par. 31; Mullan, p. 430‑431; Brown et Evans, thèmes 3:2110 et 3:2330; Harelkin, p. 588. Pour qu’une autre réparation ou un autre tribunal soit adéquat, il n’est pas nécessaire que la procédure ou la réparation soit identique à celle que permet d’obtenir le contrôle judiciaire. Comme le disent Brown et Evans, [traduction] « dans chaque cas, la cour de révision applique le même critère fondamental : l’autre recours permet‑il en toutes circonstances de trancher le grief du demandeur? » : thème 3:2110.

[Non souligné dans l’original.]

[46]  À mon avis, M. Ghazi peut demander un redressement à la Cour de l’impôt relativement à la plupart de ses plaintes au sujet de la cotisation projetée par les agents de l’ARC ainsi que de la décision de la directrice adjointe. De plus, il a porté plainte au Bureau de l’ombudsman des contribuables alléguant notamment que la conduite des employés de l’ARC devait être examinée à la lumière de l’article 5 de la Charte des droits des contribuables. Dans la présente demande, M. Ghazi allègue qu’il n’a pas été traité équitablement ou courtoisement. À mon avis, cette allégation relève manifestement du mandat de l’ombudsman des contribuables qui est chargé « d’aider, de conseiller et de renseigner le ministre sur toute question relative aux services fournis à des contribuables par [l’ARC] ». En dernier lieu, l’ombudsman a le mandat de régler toute question « le plus efficacement possible » et de « communiquer avec les fonctionnaires désignés par [l’ARC] ». Certes, le pouvoir de l’ombudsman est limité et ses recommandations ne sont pas exécutoires. Toutefois, compte tenu de ma conclusion précédente selon laquelle il est possible de remédier à toute iniquité au moyen d’un appel de novo à la Cour de l’impôt, je conclus qu’une plainte à l’ombudsman constitue un autre recours adéquat dans ces circonstances.

[47]  Si M. Ghazi désire obtenir un autre redressement recevable, il lui serait peut‑être loisible d’intenter une poursuite civile. Comme le précise l’arrêt JP Morgan :

[89] En matière fiscale, dans les cas où le ministre s’est livré à une conduite fautive qui ne relève pas des pouvoirs de la Cour canadienne de l’impôt, des voies autres que le recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale peuvent être appropriées et efficaces : Société Télé‑Mobile, précité; Ereiser, précité, au paragraphe 38. Par exemple, il est possible d’obtenir une sanction du non‑respect d’une entente, d’actes malveillants, négligents ou frauduleux, du retard inexcusable et de l’abus de procédure par voie d’action pour rupture de contrat, négligence de nature réglementaire, déclaration inexacte faite par négligence, fraude, abus de procédure, ou faute dans l’exercice d’une charge publique : en matière fiscale, voir Swift c. Canada, 2004 CAF 316; Leroux v. Canada Revenue Agency, 2012 BCCA 63, au paragraphe 22; Gardner v. Canada (Attorney General), 2012 ONSC 1837, infirmé sur un autre point, 2013 ONCA 423; McCreight v. Canada (Attorney General), 2013 ONCA 483. La question de savoir si ces recours sont vraiment appropriés et efficaces dépend des circonstances de l’affaire.

[48]  La demande de contrôle judiciaire est donc prématurée, car d’autres recours adéquats sont à la disposition de M. Ghazi.

(3)  Est‑ce que la Cour peut accorder le redressement demandé?

a)  Mandamus

[49]  La défenderesse fait valoir que le demandeur ne satisfait pas au critère à sept volets régissant l’octroi d’un mandamus :

1.  Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

2.  L’obligation doit exister envers le demandeur;

3.  Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation;

4.  Le demandeur n’a aucun autre recours adéquat;

5.  L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

6.  Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

7.  Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

[50]  Elle affirme qu’il ne satisfait pas au premier volet, vu que le ministre n’a pas l’obligation légale de suspendre les employés de l’ARC. Étant donné que le demandeur ne satisfait pas au premier volet, il ne peut pas non plus satisfaire au deuxième et au troisième volet. De plus, le quatrième volet n’est pas rempli, car il existe d’autres recours adéquats.

[51]  M. Ghazi est plutôt d’avis que la thèse de la défenderesse n’est soutenue par aucun précédent et qu’un contre‑interrogatoire et une preuve par affidavit pourraient être nécessaires pour apprécier l’obligation du ministre et d’autres éléments du critère.

[52]  À mon avis, M. Ghazi n’a pas énoncé le fondement de l’obligation légale d’agir à caractère public du ministre pour suspendre les employés ou « cesser de lui causer un préjudice ». Le libellé de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, LC 1999, c 17, ne paraît pas imposer une telle obligation au ministre :

Attributions

Powers, duties, and functions of Minister

6 (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent d’une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit aux ministères ou organismes fédéraux, à l’exception de l’Agence, et liés :

6 (1) The powers, duties and functions of the Minister extend to and include all matters over which Parliament has jurisdiction, not by law assigned to any department, board or agency of the Government of Canada other than the Agency, relating to

a) [Abrogé, 2005, ch. 38, art. 40]

(a) [Repealed, 2005, c. 38, s. 40]

b) aux droits d’accise;

(b) duties of excise;

c) aux droits de timbre, à la préparation et à l’émission de timbres — à l’exclusion des timbres‑poste — et de papier timbré, et à la Loi sur la taxe d’accise, sauf disposition contraire de celle‑ci;

(c) stamp duties and the preparation and issue of stamps and stamped paper, except postage stamps, and the Excise Tax Act, except as therein otherwise provided;

d) sauf disposition contraire, aux impôts intérieurs, notamment l’impôt sur le revenu;

(d) internal taxes, unless otherwise provided, including income taxes;

d.1) à la perception des créances de Sa Majesté sous le régime de la partie V.1 de la Loi sur les douanes;

(d.1) the collection of debts due to Her Majesty under Part V.1 of the Customs Act; and

e) aux autres secteurs que le Parlement ou le gouverneur en conseil peut lui attribuer.

(e) such other subjects as may be assigned to the Minister by Parliament or the Governor in Council.

[53]  Vu que le demandeur n’a pas satisfait au premier volet du critère permettant d’accorder un bref de mandamus, il ne peut pas satisfaire non plus au deuxième et au troisième volets. En outre, comme nous l’avons vu ci‑dessus, d’autres recours adéquats sont à la disposition du demandeur. Il ne satisfait donc pas non plus au quatrième volet.

[54]  Étant donné qu’il est clair et évident que le critère du mandamus ne peut pas être rempli, cette ordonnance de redressement devrait être radiée de l’avis de demande.

b)  Prohibition

[55]  La Cour fédérale ne peut pas interdire au ministre de s’acquitter de ses obligations au titre de la LTA, notamment de cotiser les taxes conformément à la loi. Voici ce qu’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt JP Morgan :

[78] À cet égard, en ce qui a trait à l’établissement des cotisations par suite de l’assujettissement du contribuable à l’impôt, « [n]i le ministre du Revenu ni ses préposés n’ont quelque discrétion que ce soit dans l’application qu’ils doivent faire de la Loi de l’impôt sur le revenu »; ils sont tenus de « la suivre de manière absolue » [références omises]. Notre Cour ne peut empêcher le ministre de remplir ses fonctions [références omises].

[Non souligné dans l’original.]

[56]  Se penchant plus particulièrement sur la LTA, la Cour d’appel fédérale a statué comme suit dans l’arrêt Canada Agence du revenu c Société Télé‑Mobile, 2011 CAF 89 :

[4] Nous soulignons que si l’interdiction est accordée en raison de ces prétendues conséquences, le ministre ne peut pas établir une cotisation – en fait, en droit, le ministre devra renoncer au montant d’impôt qu’il estime dû, du seul fait que le contribuable subirait des difficultés.

[5] À notre avis, ça ne saurait être le cas. La Cour ne peut pas empêcher le ministre de remplir ses fonctions prévues au paragraphe 275(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, d’établir une cotisation au titre de la TPS payable en vertu de la loi simplement parce que cela aura pour effet d’imposer des obligations injustes et onéreuses et de causer des difficultés financières au contribuable.

[57]  Selon la LTA, le ministre est tenu d’établir une cotisation sans délai, comme le prévoit le paragraphe 81.1(3), mais elle n’est pas liée par l’information fournie ou demandée par le contribuable au titre du paragraphe 81.1(4) :

Établissement d’une cotisation

Completion of assessment

(3) Une cotisation doit être établie avec toute la célérité raisonnable et peut être exécutée de la manière et en la forme et selon la procédure que le ministre juge appropriée.

(3) An assessment shall be completed with all due dispatch and may be performed in such manner and form and by such procedure as the Minister considers appropriate.

Le présent paragraphe ne lie pas le ministre

Minister not bound

(4) Le ministre n’est pas lié par une déclaration, une demande ou des renseignements fournis par ou au nom d’une personne et il peut établir une cotisation, malgré toute déclaration, demande ou renseignements ainsi fournis ou malgré le fait qu’aucune déclaration, demande ni renseignements n’ont été fournis.

(4) The Minister is not bound by any return, application or information supplied by or on behalf of any person and may make an assessment, notwithstanding any return, application or information so supplied or that no return, application or information has been supplied.

[58]  Dans un extrait de la décision ColasCanada Inc. c Canada (Revenu national), 2014 CF 452 (traitant du recours en mandamus), la Cour aborde également la question du moment opportun :

[29] De plus, je pense que l’on doit réaliser qu’accorder un tel remède permettrait à ColasCanada de contrôler à sa guise le moment où un dossier de vérification est somme toute prêt et sujet à engendrer un avis de cotisation. L’économie et l’efficacité du régime fiscal ne peuvent envisager une telle avenue.

[59]  Ces extraits démontrent que la Cour fédérale ne peut pas s’ingérer dans l’exécution des obligations du ministre relativement à l’établissement de cotisations et qu’elle ne devrait pas s’ingérer dans la façon dont le ministre décide d’établir des cotisations, y compris le choix du moment. Par conséquent, la Cour fédérale ne peut pas accorder un bref de prohibition qui dicterait l’identité des personnes qui s’occupent du processus de vérification ou qui comprendrait une contrainte de temps dans ce processus. Ces décisions relèvent de la compétence exclusive du ministre.

[60]  Pour ces motifs, la demande de redressement du demandeur en vue de restreindre l’intervention des agents de l’ARC dans la vérification et de restreindre les pouvoirs du ministre en matière de vérifications doit être radiée.

D.  Dernier facteur à considérer

[61]  Après l’audition de la présente requête, l’avocat de M. Ghazi a écrit à la Cour, avec copie conforme à la défenderesse, afin de me mettre au courant de la décision rendue par notre Cour le 15 mars 2019 dans Valero Energy Inc. c Canada (Procureur général), 2019 CF 319, dans laquelle la juge Martine St‑Louis a rejeté une requête en radiation dans des circonstances similaires, selon l’avocat.

[62]  Sans entrer trop en détail dans les motifs de la Cour dans la décision Valero, il suffit de dire que les faits dans cette affaire peuvent être distingués des faits dont je suis saisie. La juge St‑Louis traitait d’une décision discrétionnaire de l’ARC de déroger à l’obligation légale imposée à un résident de retenir 15 % des honoraires et des paiements versés à un fournisseur non résident. Premièrement, les retenues pratiquées en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu ne sont pas des cotisations (Beggs c La Reine, 2016 CCI 11). Deuxièmement, les décisions discrétionnaires de l’ARC et de la défenderesse ne relèvent pas de la compétence exclusive de la Cour de l’impôt; elles sont susceptibles de contrôle par notre Cour.

V.  CONCLUSION

[63]  En résumé, la requête de la défenderesse est accueillie et la demande de contrôle judiciaire est radiée pour les motifs suivants :

1.  Le contrôle judiciaire est un moyen de dernier recours;

2.  La plupart des affaires soulevées par M. Ghazi relèvent de la compétence de la Cour de l’impôt, selon le paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt;

3.  Quant à la question des critiques virulentes de la part d’un agent de l’ARC, si elle ne relève pas de la compétence de la Cour de l’impôt, elle pourrait être traitée adéquatement au moyen d’une plainte à l’ombudsman des contribuables;

4.  Le bref de prohibition et le bref de mandamus ne sont pas ouverts au demandeur dans ces circonstances.


JUGEMENT dans le dossier T‑1373‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La requête de la défenderesse est accueillie;

  2. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est radiée sans permission de la modifier;

  3. Les dépens sont adjugés en faveur de la défenderesse.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour d’août 2019

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1373‑18

INTITULÉ :

SINA GHAZI c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MARS 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 25 JUIN 2019

COMPARUTIONS :

Bobby J. Sood

POUR Le demandeur

 

Nancy Arnold

POUR LA défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Ward Phillips & Vineberg, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR Le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA défenderesse

 

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