Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190627


Dossier : IMM-4220-18

Référence : 2019 CF 870

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

YAOCHUN ZHANG

XUCHEN ZANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Monsieur Yaochun Zhang est le demandeur principal en l’espèce et Xuchen Zhang est son fils. Ils sont citoyens de la Chine. M. Zhang affirme craindre d’être persécuté en Chine parce qu’il a trois autres fils et contrevient par le fait même à la politique de planification familiale, en vigueur dans le pays.

[2]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger, conclusion que la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmée.

[3]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La demande soulève les questions suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle agi de manière inéquitable en soulevant de nouvelles questions sans préavis?

  2. Les conclusions de la SAR quant à la crédibilité et à la crainte de persécution étaient‑elles déraisonnables?

[4]  Pour les motifs qui suivent, j’estime que la SAR n’a pas agi de manière inéquitable. Toutefois, je conclus que le traitement de la preuve par la SAR relativement à la crainte de M. Zhang d’être persécuté compromet le caractère raisonnable de la décision.

II.  Contexte

[5]  Monsieur Zhang s’est marié avec Mme Li, son épouse actuelle, en 2002. Il déclare avoir quatre fils. Mme Li est la mère de trois des quatre enfants de M. Zhang : Xuchen, né en Chine en 2002, et deux garçons nés au Canada en 2014 et en 2017. M. Zhang a un quatrième fils issu d’une union précédente.

[6]  Après la naissance de Xuchen en 2002, Mme Li a été obligée de recourir à une méthode de contraception conformément à la politique de planification familiale. Elle ne s’est pas conformée entièrement aux mesures requises et, en novembre 2013, elle a découvert qu’elle était enceinte. En raison de sa grossesse, Mme Li ne s’est pas présentée à un examen de contrôle prévu par la politique de planification familiale et est allée se cacher, car elle craignait d’être contrainte à subir un avortement forcé. Des dispositions ont été prises avec un passeur et elle s’est envolée pour le Canada en décembre 2013. Pendant que son épouse vivait dans la clandestinité, M. Zhang a reçu un avis du Bureau de la planification familiale au sujet de l’examen manqué. La demande d’asile au Canada de Mme Li a finalement été refusée.

[7]  En juin 2014, Mme Li a donné naissance au troisième fils de M. Zhang, au Canada. M. Zhang, qui était resté en Chine, craignait que son épouse ou lui‑même ne soient stérilisés et que Xuchen ne soit exposé à des répercussions préjudiciables advenant le retour de Mme Li en Chine avec un troisième fils né en violation de la politique de planification familiale. Il affirme aussi que le couple souhaitait avoir d’autres enfants et qu’ils en seraient empêchés en Chine.

[8]  M. Zhang a trouvé un passeur et a pris des dispositions en vue de quitter la Chine avec Xuchen. Après être passés par les États‑Unis, ils sont arrivés au Canada en juillet 2015, où ils ont demandé l’asile. Mme Li a donné naissance au quatrième fils de M. Zhang en 2017.

III.  Norme de contrôle

[9]  L’appréciation que fait la SAR de la preuve et ses conclusions qui reposent sur un examen des questions mixtes de fait et de droit commandent la déférence et l’application de la norme de la décision raisonnable (Zhuang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 263, au par. 10).

[10]  Les questions d’équité procédurale sont examinées au regard de la norme de la décision correcte, où l’équité est évaluée en se demandant si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur Général), 2018 CAF 69, au par. 54).

IV.  Analyse

A.  La SAR a-t-elle agi de manière inéquitable en soulevant de nouvelles questions sans préavis?

[11]  Dans sa décision, la SAR a conclu que les documents des autorités de la planification familiale exigeant de se soumettre à des examens de contrôle et imposant de se présenter à un examen n’étaient pas authentiques. La SAR a également conclu que si Mme Li avait visité un hôpital chinois et que sa grossesse avait été constatée, cette information aurait été consignée et portée à l’attention des autorités de la planification familiale.

[12]  Les demandeurs soutiennent que ces questions étaient nouvelles et que la SAR n’avait pas le droit de les soulever avant d’avoir d’abord avisé les demandeurs et de leur avoir donné l’occasion d’y répondre.

[13]  Il n’y a eu aucun manquement à l’équité. Selon la jurisprudence, une « nouvelle question » s’entend d’une question n’appartenant pas aux moyens d’appels soulevés par les parties. Les questions nouvelles sont différentes, sur les plans juridique et factuel, des questions soulevées dans l’appel (R c Mian, 2014 CSC 54, cité dans Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725, aux par. 66 et 67). Lorsque des questions soulevées et examinées par la SAR sont liées aux observations des parties ou aux conclusions de la SPR, la SAR a le droit d’évaluer la preuve de façon indépendante ou de tirer des conclusions quant à la crédibilité (Bebri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 726, au par. 16).

[14]  La SPR a tenu compte de la documentation provenant des autorités de la planification familiale et a souligné l’absence de mesures coercitives. À la suite de l’examen de ces éléments de preuve, la SAR n’a pas soulevé de nouvelle question; elle est simplement parvenue à une conclusion encore plus définitive que celle de la SPR.

[15]  Par ailleurs, la SAR n’a pas soulevé de « nouvelle question » en concluant qu’il était invraisemblable que les autorités de la planification familiale ignorent que Mme Li était tombée enceinte. La SAR s’est plutôt livrée à une évaluation indépendante de la preuve en se penchant sur la thèse des demandeurs selon laquelle la seule violation dont les autorités avaient connaissance était le défaut de Mme Li de se présenter à un examen de contrôle.

B.  Les conclusions de la SAR quant à la crédibilité et à la crainte de persécution étaient‑elles déraisonnables?

[16]  Monsieur Zhang soutient que la SAR a commis un certain nombre d’erreurs en tirant ses conclusions relatives à la crédibilité et à la crainte de persécution. Je conclus que la SAR a commis une erreur dans son examen des risques auxquels s’exposerait M. Zhang advenant son retour en Chine avec deux autres enfants nés au Canada.

[17]  Le défendeur affirme que la SAR a conclu de façon raisonnable que l’existence des deux enfants nés au Canada ne contreviendrait pas à la politique de planification familiale. Le défendeur soutient que la conclusion de la SAR est conforme à la preuve selon laquelle seuls les citoyens chinois sont visés par la politique de planification familiale. Le défendeur souligne que les enfants sont Canadiens, que la Chine ne reconnaît pas la double citoyenneté et qu’il était par conséquent raisonnable de conclure que la probabilité que les enfants soient reconnus en tant que citoyens chinois était mince. Le défendeur ajoute que même si M. Zhang se trouvait en violation de la politique de planification familiale, la SAR a raisonnablement conclu qu’il ne s’exposerait pas à un risque réel de stérilisation et que les sanctions pécuniaires ne sont pas assimilables à de la persécution. Je ne suis pas d’accord.

[18]  Le défendeur s’appuie sur des extraits de la législation chinoise en matière de planification familiale, sur des extraits de règlements, ainsi que sur un rapport de 2016 du Département d’État des États‑Unis pour démontrer que la SAR a conclu de façon raisonnable que les non‑citoyens ne sont pas visés par la politique de planification familiale. La preuve documentaire citée par le défendeur fait référence aux citoyens chinois et aux obligations imposées à ces derniers; toutefois, il est manifestement question des citoyens adultes visés par les obligations de planification familiale, et non de leurs enfants. Par exemple, l’énoncé selon lequel [traduction« les citoyens ont l’obligation de pratiquer la planification des naissances conformément à la loi » ne concerne pas les enfants mineurs.

[19]  Le défendeur s’appuie également sur l’affaire Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 95 [Li], où le juge George Locke affirme au paragraphe 14 qu’« [i]l serait étonnant que des sanctions pour violation de la politique de planification familiale soient imposées relativement à des enfants qui ne sont pas citoyens du pays et n’y habitent pas ». La décision Li n’est d’aucun secours au défendeur. Dans le cadre de cette affaire, le demandeur avait sollicité un examen des risques avant renvoi. Comme en l’espèce, il s’agissait d’enfants de citoyens chinois, nés au Canada Toutefois, contrairement à la présente instance, l’agent avait conclu que les enfants canadiens pourraient très bien demeurer au Canada puisque l’épouse du demandeur n’allait pas être renvoyée. C’est dans ce contexte que le juge Locke a conclu que la Chine était plus tolérante envers les enfants nés à l’extérieur du pays et qui devaient demeurer à l’étranger.

[20]  Ni la jurisprudence ni la preuve documentaire n’appuient la conclusion de la SAR selon laquelle les enfants nés au Canada qui retournent en Chine avec leurs parents ne seraient pas visés par la politique de planification familiale.

[21]  De la même manière, en évaluant le risque de persécution, la SAR indique qu’elle « reconnaît que la stérilisation a toujours cours en Chine », mais poursuit en affirmant qu’elle « ne dispose pas d’éléments de preuve ou de documents qui donnent à penser qu’il s’agit du cas de l’appelant principal ». En tirant cette conclusion, la SAR invoque les avis des autorités de la planification familiale reçus par M. Zhang et souligne que ceux‑ci ne font pas référence à la stérilisation.

[22]  Le rapport du Département d’État des États‑Unis indique que la stérilisation forcée est encore infligée aux personnes qui violent la politique des deux enfants, et que les frais de compensation sociale [traduction« peuvent atteindre dix fois le revenu disponible annuel d’une personne ». M. Zhang a déposé un article décrivant un incident de stérilisation forcée. La SAR n’a pas tenu compte du rapport du Département d’État et a rejeté l’article sous prétexte qu’il était incomplet. L’existence de ces deux sources mine la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y avait aucune preuve que M. Zhang pourrait être soumis à la stérilisation. Lorsque des éléments de preuve directement pertinents ne sont pas examinés ou analysés par le décideur, il est loisible d’inférer que le décideur a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve ou en faisant abstraction de la preuve contradictoire (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (1re inst.), au par. 17).

[23]  En concluant qu’il n’a pas été démontré que M. Zhang courrait un danger, la SAR a négligé de tenir compte de la preuve. Cette omission mine l’intelligibilité et, par conséquent, le caractère raisonnable de la décision.

V.  Conclusion

[24]  La demande est accueillie. Les parties n’ont relevé aucune question grave de portée générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4220-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie;

  2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen;

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6ejour d’août 2019.

Semra Denise Omer, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4220-18

 

INTITULÉ :

YAOCHUN ZHANG, XUCHEN ZANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 JUIN 2019

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Suzanne M. Bruce

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DéFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.