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Date : 20190703


Dossier : IMM-3639-18

Référence : 2019 CF 885

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

BAHAA WAKED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Waked, est un citoyen libanais. La demande de parrainage présentée par sa conjointe pour qu’il obtienne le statut de résident permanent a été refusée, l’agente de Citoyenneté et Immigration Canada [l’agente] ayant conclu que leur mariage n’était pas authentique.

[2]  Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agente en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, [la LIPR], M. Waked soutient que celle-ci a commis un manquement à l’équité procédurale de plusieurs façons et qu’elle a agi de manière déraisonnable en s’en tenant aux arrangements financiers du couple.

[3]  Le défendeur soutient que l’agente a conclu à raison que le couple n’avait pas démontré un degré de codépendance suffisant et qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été établi.

[4]  La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-dessous.

II.  Les faits

[5]  Monsieur Waked a rencontré son épouse, Mme Nour Khatib, en 2004 lors d’une fête de fiançailles au Liban, où elle résidait à l’époque. Après avoir immigré au Canada en 2005, Mme Khatib est une citoyenne canadienne.

[6]  Madame Khatib est revenue au Liban en 2009 pour rendre visite à sa famille, et M. Waked relate qu’ils ont commencé une relation à ce moment-là. Cette relation s’est poursuivie après son retour au Canada. Muni d’un visa de résident temporaire, M. Waked a rendu visite à Mme Khatib au Canada en 2013, puis il est resté au Canada grâce à un permis d’études. Il a résidé avec la famille de Mme Khatib pendant ce temps.

[7]  Le couple s’est fiancé en juillet 2014 et s’est marié en avril 2015 lors d’une cérémonie religieuse. Après leur mariage, les époux ont commencé à vivre ensemble dans la chambre principale de la maison familiale de Mme Khatib.

[8]  Monsieur Waked a déposé sa demande au titre de la catégorie des époux, pour laquelle sa conjointe a présenté une demande de parrainage, en juillet 2016. Dans une lettre datée du 9 juillet 2018, l’agente a refusé la demande, après avoir conclu que le mariage n’était pas authentique.

III.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[9]  Après avoir reconnu que M. Waked et Mme Khatib vivaient dans la même maison depuis 2013, l’agente a fait observer qu’[traduction] « il y a lieu de s’attendre à ce que les membres d’un couple qui partagent le même domicile depuis un certain temps apprennent à mieux se connaître et à mieux connaître leur routine quotidienne et leurs activités », et elle a conclu qu’ils [traduction] « se connaissaient suffisamment ».

[10]  Au sujet de photos prises lors du mariage, l’agente a fait remarquer qu’elles étaient [traduction] « très informelles et impersonnelles », car les invités portaient des tenues décontractées. Interrogée à ce sujet, Mme Khatib a répondu qu’elle aimait les choses simples. Cependant, l’agente a conclu que sa réponse n’était pas compatible avec la déclaration de M. Waked selon laquelle Mme Khatib aimait [traduction] « bien s’habiller et aller dans des endroits chics ». L’agente a également souligné que les photos prises lors de la célébration du mariage ne montraient aucun ami ni membre de la famille. L’agente n’a pas retenu l’explication selon laquelle les membres du couple n’étaient pas en mesure de fournir davantage de photos de la célébration en raison d’une panne d’ordinateur, car elle était d’avis qu’ils auraient probablement pu obtenir des photos auprès d’autres invités présents.

[11]  L’agente a jugé que les éléments suivants n’étaient pas convaincants : 1) les réponses justifiant la fermeture d’un compte conjoint et le fait de ne pas en avoir ouvert un autre (elle a en outre souligné que M. Waked n’avait pas d’accès direct au compte personnel de Mme Khatib, même s’il avait accès à sa carte de crédit et à sa carte bancaire); 2) l’explication donnée par le couple pour justifier leurs réponses différentes au sujet d’un solde important sur le compte bancaire de Mme Khatib; 3) l’ignorance de M. Waked concernant le virement d’une autre somme importante de son épouse à ses parents; et 4) l’explication fournie selon laquelle M. Waked n’était pas couvert par le régime d’avantages sociaux de son épouse après qu’elle a commencé son nouvel emploi en mars 2018.

[12]  L’agente a conclu que, même si les membres du couple vivaient ensemble et se connaissaient bien, ils n’avaient pas fourni [traduction] « suffisamment de renseignements pour étayer la mise en commun de leurs affaires financières ou courantes », compte tenu de la durée de leur relation. Ils n’avaient pas [traduction] « fourni suffisamment de renseignements importants démontrant le degré de codépendance ou de cohabitation entre époux auquel il y a raisonnablement lieu de s’attendre dans une relation conjugale authentique ».

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[13]  La demande soulève les questions suivantes :

  • (1) L’agente a-t-elle agi de façon inéquitable?

  • (2) La conclusion de l’agente selon laquelle le mariage n’est pas authentique était-elle déraisonnable?

[14]  La question relative à l’équité procédurale sera examinée selon la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54). La question de savoir si la décision de l’agente était raisonnable soulève des questions mixtes de fait et de droit qui doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 877, au paragraphe 13).

V.  Analyse

A.  L’agente a-t-elle agi de façon inéquitable?

[15]  Monsieur Waked soutient que le processus n’était pas équitable à plusieurs égards.

[16]  Premièrement, M. Waked affirme que l’agente a, au cours de l’entrevue, indiqué qu’un appel [traduction] « anonyme » aurait été reçu, mais qu’elle n’a pas fourni suffisamment de précisions à ce sujet et n’a pas abordé cet aspect de l’entrevue dans ses notes. Selon lui, bien que l’agente nie avoir reçu un appel anonyme ou avoir évoqué un tel appel, d’autres aspects de l’entrevue ne sont pas rapportés dans ses notes d’entrevue et, par conséquent, ses souvenirs ne doivent pas permettre d’écarter le témoignage clair qu’il a fait sous serment sur ce point. Il ajoute que l’agente n’a pas nié l’existence de l’appel; elle a plutôt déclaré ne pas avoir reçu d’appel.

[17]  Deuxièmement, M. Waked soutient que des problèmes d’interprétation ont rendu le processus inéquitable. Il affirme que l’interprète n’a pas bien saisi ce qu’il a dit au sujet de la provenance d’une somme importante dans le compte de Mme Khatib et que l’agente l’a empêché de corriger ces erreurs. Là encore, il affirme que les notes de l’agente sont manifestement incomplètes et que, vu l’absence de toute référence aux problèmes d’interprétation qui ont été soulevés, il est vraisemblable qu’elle n’ait pas consigné cette interaction. En tout état de cause, il soutient que le problème d’interprétation a compromis son droit d’être entendu.

[18]  Troisièmement, l’agente aurait également agi de manière inéquitable en ne demandant pas de preuve de la provenance des fonds dans le compte de Mme Khatib. Monsieur Waked soutient qu’une telle preuve pouvait être faite, mais qu’en réalité le couple a été dissuadé de la fournir.

[19]  Enfin, M. Waked souligne que le dossier certifié du tribunal [le DCT] ne contient pas les photos auxquelles l’agente renvoie dans sa décision. Il s’appuie sur Akram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1105 [Akram], aux paragraphes 16 à 23, pour affirmer qu’il s’agit d’un manquement à l’équité procédurale.

[20]  Aucun de ces arguments n’est convaincant.

[21]  L’affirmation de M. Waked selon laquelle la décision de l’agente aurait été influencée par un appel anonyme ne se concorde pas avec le contenu de la décision de l’agente ni avec ses notes d’entrevue. L’agente affirme également qu’aucun appel anonyme n’a été reçu.

[22]  Dans les cas où le souvenir du demandeur contredit le contenu des notes d’un agent, la Cour se fonde généralement sur le fait que l’agent n’a aucun intérêt personnel dans l’issue de l’affaire et qu’il a consigné ses notes peu de temps après l’entrevue pour privilégier la version des événements de celui-ci (Sellappha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1379, aux paragraphes 70 et 71; Khela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 134, au paragraphe 18; Pompey c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 862, au paragraphe 36; Alvarez Vasquez c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1083, au paragraphe 53). Monsieur Waked fait valoir qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de privilégier les notes de l’agente, car 1) elles ne tiennent pas compte des questions de l’agente permettant d’établir que l’interprète et M. Waked se sont compris et sont, en conséquence, manifestement incomplètes; et 2) l’agente nie seulement avoir reçu un appel anonyme, et non l’existence d’un tel appel.

[23]  Aucun des arguments n’est convaincant. Le fait pour l’agente de ne pas aborder l’exactitude de l’interprétation dans ses notes d’entrevue est compréhensible; le dossier comprend un document intitulé « Déclaration de l’interprète » dans lequel il en est question. Il n’est pas non plus utile de soumettre les mots choisis par l’agente à un examen minutieux. Je tiens à faire remarquer que, malgré les mots qu’elle emploie pour nier avoir reçu un appel anonyme, l’agente indique par ailleurs que ses préoccupations quant au mariage n’avaient aucun lien avec un appel anonyme. Cette précision s’accorde avec l’absence de référence à un tel appel dans ses notes ou dans sa lettre de décision. Lorsque les éléments de preuve sont contradictoires, je préfère la version des faits de l’agente.

[24]  Cependant, même si je privilégiais la version de M. Waked, j’estime que l’agente s’est acquittée de son devoir d’agir équitablement. Selon M. Waked, l’agente a évoqué l’appel et lui a donné l’occasion de réagir. Puisque l’obligation d’équité se situe à l’extrémité inférieure du spectre dans le contexte d’une demande de visa (Sapojnikov c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 964, au paragraphe 26; Amiri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 205, au paragraphe 31), ces éléments sont suffisants pour démontrer que l’agente s’est acquittée de son devoir.

[25]  Je ne puis non plus conclure que la traduction inexacte reprochée à l’interprète constitue un manquement à l’équité. Monsieur Waked a choisi l’interprète et n’a soulevé aucun problème d’interprétation lors de l’entrevue ou peu après. Il a même signé un document indiquant qu’il [traduction] « comprenait la nature et l’effet des renseignements traduits ». L’absence de préoccupations quant à l’exactitude de l’interprétation à la première occasion a été considérée comme une renonciation au droit de s’opposer ultérieurement (Jovinda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1297, au paragraphe 31).

[26]  Le fait pour l’agente de ne pas avoir invité le demandeur de fournir la preuve de la provenance des fonds dans le compte de Mme Khatib ne constitue pas non plus un manquement à l’équité. La demande de l’agente, exprimée dans ses notes, n’était pas de la nature à dissuader le demandeur de produire des éléments permettant d’établir la provenance des fonds. Il incombe au demandeur qui présente une demande fondée sur la LIPR d’établir les faits et les circonstances qui permettent de l’étayer. Les questions d’un agent ne déplacent pas ce fardeau. Ni M. Waked ni Mme Katlib n’ont été empêchés de produire des documents une fois l’entrevue terminée.

[27]  Monsieur Waked reproche à l’agente d’avoir soulevé ce point dans un affidavit qu’elle a souscrit plus tard pour tenter d’ajouter des motifs à sa décision. Je ne crois pas que les faits dont l’agente témoigne sur ce point dans son affidavit constituent des motifs supplémentaires, mais je n’ai pas tenu compte du témoignage de l’agente sur ce point pour régler la question à trancher.

[28]  Enfin, le fait que certaines photos mentionnées par l’agente ne figuraient pas dans le DCT ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale. Dans Akram, jugement sur lequel s’appuie M. Waked, la Cour examinait la transcription d’une audience tenue devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR] où il était  fait mention d’un formulaire de renseignements personnels et d’un affidavit ne figurant pas dans le DCT. Le juge Yvan Roy a conclu que ces documents manquants étaient pertinents et importants. Il a également signalé des jugements dans lesquels la Cour précise qu’une décision doit être cassée lorsqu’il est admis qu’un demandeur a présenté un document qui ne figure pas dans le DCT et qu’il est n’est pas clair si ce document a été présenté au décideur. Il a conclu que l’absence de ces documents dans le DCT signifiait que la SPR ne disposait pas de tous les documents pertinents et, ainsi, constituait un manquement à l’équité procédurale.

[29]  L’affaire Akram se distingue de la présente espèce. En l’espèce, il est clair que l’agente disposait des photos en cause, car elle y fait référence dans sa décision. Le contenu des photos décrit par l’agente dans sa décision n’est pas contesté. Le contenu des photos était pertinent, mais non déterminant dans l’évaluation de la demande par l’agente. Dans ce contexte, M. Waked n’a démontré aucun désavantage ni aucun préjudice, et donc aucun manquement à l’équité.

B.  La conclusion de l’agente selon laquelle le mariage n’est pas authentique était-elle déraisonnable?

[30]  Monsieur Waked soutient que l’agente n’a pas agi avec le soin requis pour évaluer sa relation avec Mme Khatib. Il fait valoir que l’agente a agi de manière déraisonnable en s’en tenant aux arrangements financiers du couple et qu’elle n’a pas suffisamment tenu compte de l’évolution de leur relation, de leur connaissance mutuelle et de leurs arrangements en matière de cohabitation, qui sont tous compatibles avec une relation authentique.

[31]  J’estime que la décision de l’agente n’est pas déraisonnable. Il est évident que l’agente a accordé une grande importance aux arrangements financiers du couple lorsqu’elle a évalué la demande, mais j’estime qu’elle ne l’a pas fait de manière à exclure d’autres facteurs pertinents pour l’évaluation de leur relation.

[32]  L’agente a admis que les membres du couple se connaissaient, mais elle a souligné [traduction] « il y a lieu de s’attendre à ce que les membres d’un couple qui partagent le même domicile depuis un certain temps apprennent à mieux se connaître et à mieux connaître leur routine quotidienne et leurs activités ». L’agente n’était manifestement pas convaincue, selon les faits spécifiques dont elle disposait, qu’il convenait d’accorder à ce facteur une importance significative dans l’évaluation de la relation.

[33]  L’agente a également examiné les photos fournies pour prouver le mariage officiel du couple et sa célébration ultérieure avec la famille et les amis. L’agente a fait remarquer que les photos de la cérémonie semblaient [traduction] « très informelles et impersonnelles ». L’agente a souligné l’incompatibilité entre les explications de Mme Khatib sur la cérémonie simple illustrée sur les photos et la description de la personnalité de Mme Khatib par M. Waked. L’agente a également souligné que les photos de la célébration concernaient principalement le couple et qu’il n’y avait aucune photo [traduction] « montrant une célébration avec la famille et les amis ». L’agente a demandé une explication, mais a estimé qu’elle n’était pas satisfaisante et a expliqué pourquoi.

[34]  Monsieur Waked s’oppose au traitement réservé par l’agente aux éléments de preuve et conteste les conclusions qu’elle a tirées. Cependant, cela ne suffit pas à rendre la décision déraisonnable. Les motifs exposés par l’agente quant au traitement des éléments de preuve et ses conclusions finales démontrent la transparence et l’intelligibilité de son processus décisionnel et la justification de sa décision.

VI.  Conclusion

[35]  La demande est rejetée. Les parties n’ont soumis aucune question grave aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER NO IMM-3639-18

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de septembre 2019

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3639-18

 

INTITULÉ :

BAHAA WAKED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 21 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 3 JUILLET 2019

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats spécialisés en droit de l’immigration

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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