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Date : 20190628


Dossier : T-1356-18

Référence : 2019 CF 877

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2019

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

RAY DAVIDSON

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Ray Davidson — un fonctionnaire fédéral qui se représente lui-même devant la Cour — avait de bonnes intentions. Il a consacré beaucoup de temps et d’énergie à soulever une question d’importance pour le public, à savoir les problèmes de discrimination systémique dans le processus de recrutement fédéral.

[2]  Monsieur Davidson a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne [la « Commission »], qui a rejeté sa plainte, après avoir conclu que celle-ci était « frivole » et qu’elle ne relevait pas de sa compétence. Dans sa plainte, M. Davidson a allégué que les ministères fédéraux n’embauchaient pas de personnes de race noire pour occuper des postes supérieurs et qu’il disposait de preuves statistiques pour le prouver. La Commission a conclu, entre autres, que M. Davidson ne satisfaisait pas au critère de la preuve prima facie en matière de discrimination et a rejeté sa plainte.

[3]  Aussi louables que soient les intentions de M. Davidson, la preuve n’étaye pas ses arguments. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la Commission est raisonnable et fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47.

II.  Contexte

A.  Plainte de M. Davidson

[4]  Le 30 décembre 2015, M. Davidson a déposé une plainte auprès de la Commission, dans laquelle il a allégué que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (le SCT) faisait preuve de discrimination en n’embauchant pas de personnes racialisées, contrevenant ainsi aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 (la LCDP).

[5]  Monsieur Davidson travaille au gouvernement fédéral en tant qu’analyste principal, Accès à l’information et protection des renseignements personnels. Il s’identifie en tant que Noir.

[6]  La plainte déposée par M. Davidson auprès de la Commission comporte deux volets.

[7]  Premièrement, il a posé sa candidature auprès de plusieurs ministères en vue d’obtenir une promotion ou un nouveau poste, mais sa candidature n’a pas été retenue. Toutefois, il n’a pas présenté de demande d’emploi au SCT, et il n’a jamais travaillé pour cet organisme.

[8]  La plainte de M. Davidson porte principalement sur les demandes d’emploi suivantes, qui ont été déposées auprès d’organismes fédéraux et qui ont été rejetées, de même que sur les raisons qui lui ont été fournies pour justifier le rejet de sa candidature :

  • - ministère des Pêches et des Océans (2010) : M. Davidson n’a pas réussi l’étape de l’entrevue du processus de recrutement;

  • - ministère des Pêches et des Océans (juin 2016) : la demande a été rejetée parce que M. Davidson n’avait pas [traduction] « suffisamment de preuves attestant son expérience »;

  • - Innovation, Sciences et Développement économique Canada (date non communiquée) : la candidature de M. Davidson n’a pas été retenue, étant donné qu’il a fourni des réponses incorrectes;

  • - Patrimoine canadien (août 2016) : la candidature de M. Davidson n’a pas été retenue, parce qu’il a répondu de manière inadéquate à l’une des questions;

  • - Bibliothèque et Archives Canada (septembre 2016) : la candidature de M. Davidson n’a pas été retenue, parce que [traduction] « ses réponses n’étaient pas aussi complètes que ce à quoi s’attendait le jury de sélection ».

[9]  Deuxièmement, M. Davidson a obtenu des données en présentant des demandes d’accès à l’information à la Commission de la fonction publique du Canada. Selon lui, les données qu’il a obtenues démontrent que, bien que le gouvernement fédéral prenne à son service des membres des minorités visibles, les personnes de race noire sont rarement embauchées ou promues à des postes supérieurs au sein des ministères fédéraux.

[10]  Dans cette optique, M. Davidson a mis l’accent sur un point de données : bien que les membres des minorités visibles soient parfois nommés (12,2 %), les personnes qui s’identifient comme étant de race noire ne font presque jamais l’objet d’une nomination. Monsieur Davidson a souligné que, selon ses données, 3,1 % des candidats étaient des personnes de race noire, mais qu’aucun d’entre eux n’a été embauché à un poste supérieur.

[11]  De l’avis de M. Davidson, les facteurs susmentionnés démontrent qu’une discrimination systémique est exercée au gouvernement fédéral et que le SCT aggrave plus avant le problème.

B.  Décision de la Commission

[12]  Lorsqu’elle a rejeté la plainte de M. Davidson, la Commission a mis l’accent sur deux principales questions à trancher.

[13]  Premièrement, la Commission a conclu qu’au sens de la LCDP, la plainte de M. Davidson était frivole. Selon l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, la Commission doit statuer sur toute plainte, à moins que celle-ci ne soit « frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi ». La Commission a expliqué que le terme « frivole » a été interprété comme décrivant, entre autres, une plainte sans fondement raisonnable à l’appui de la discrimination dont aurait été victime le plaignant, et qu’il doit être manifeste et évident que la plainte est vouée à l’échec : LCDP, alinéa 41(1)d); voir aussi Hérold c Canada Agence du revenu, 2011 CF 544, par. 35 (Hérold).

[14]  En l’espèce, la Commission a conclu que M. Davidson [traduction] « n’a présenté aucun renseignement ou fait qui permettrait de démontrer » qu’il a été [traduction« traité différemment en raison de sa couleur ». En outre, la Commission a conclu qu’une plainte n’est pas forcément [traduction] « raisonnable » simplement parce que de vagues affirmations — fondées sur des statistiques élémentaires — ont été formulées.

[15]  Deuxièmement, la Commission a estimé que, comme le prévoyait l’alinéa 41(1)c) de la LCDP, elle n’était pas tenue d’entendre la plainte, puisqu’elle n’avait pas compétence pour le faire. La Commission a en effet conclu à son absence de compétence car, selon l’alinéa 40.1(2)b) de la LCDP, elle ne peut connaître des plaintes qui sont « fondées uniquement sur des données statistiques qui tendent à établir la sous-représentation des membres des groupes désignés dans l’effectif de l’employeur ». La Commission a conclu que M. Davidson avait fondé sa plainte sur des preuves statistiques, sans préciser en quoi il avait personnellement été victime de discrimination. Ce dernier n’a fourni aucun renseignement quant à la discrimination dont il a prétendument fait l’objet dans le cadre de ses diverses demandes d’emploi. Par conséquent, la Commission a conclu que, conformément à sa loi habilitante, il lui était interdit d’examiner cette plainte.

III.  Questions préliminaires

A.  Intitulé de la cause

[16]  L’intitulé de la cause désigne comme défendeur le « président du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada ». Au cours de l’audience, M. Davidson a insisté sur le fait qu’il s’agissait là de l’organisme fédéral approprié aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire. Toutefois, il a indiqué qu’il était disposé à modifier l’intitulé, si cela n’avait aucune incidence sur les questions dont la Cour était saisie.

[17]  Le procureur général du Canada attire l’attention sur le fait que l’intitulé de la cause devrait être modifié afin de désigner le « procureur général du Canada », et je suis d’accord avec lui. Suivant l’alinéa 303(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), le demandeur doit désigner à titre de défendeur toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée dans le cadre de la demande. Le président du SCT n’est pas directement touché par la question que soulève M. Davidson.

[18]  De plus, le paragraphe 303(2) des Règles dispose que le procureur général du Canada doit être désigné à titre de défendeur si, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, personne ne peut être désigné en application du paragraphe 303(1) des Règles.

[19]  L’intitulé de la cause est donc modifié, et le « Président du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada » est remplacé par le défendeur approprié, à savoir le « Procureur général du Canada ».

B.   Radiation de l’affidavit du demandeur

[20]  Le défendeur a demandé que soient radiées certaines parties de l’affidavit de M. Davidson et presque toutes les pièces qu’il a déposées, au motif que celles-ci sont de nature argumentative ou qu’elles renferment des renseignements dont ne disposait pas la Commission. La plupart des arguments en question sont de nature technique.

[21]  Étant donné que la présente demande concerne un plaideur qui se représente lui-même, je garde en tête les déclarations faites par le juge Phelan dans la décision Murray c Commission canadienne des droits de la personne, 2004 CF 1541. Dans cette affaire, la Commission avait rejeté la plainte de discrimination déposée par Mme Murray à l’endroit de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC). Dans le cadre du contrôle judiciaire, la défenderesse a tenté de faire radier certaines parties de l’affidavit de Mme Murray qui, elle aussi, se représentait elle-même. Aux paragraphes 3 et 4, le juge Phelan a déclaré ce qui suit :

L’ARC a présenté une requête en vue de faire radier certaines parties de l’affidavit de Murray, parce que les assertions en question constituent du ouï-dire, qu’elles sont de nature hypothétique ou argumentative, qu’elles ne sont pas pertinentes ou qu’elles renferment des conclusions et arguments juridiques. Il est essentiel de lire la Règle 81 des Règles de la Cour à la lumière de la proposition générale selon laquelle la preuve par ouï-dire est admissible lorsqu’elle est nécessaire, pertinente et convaincante. Même si les objections de la défenderesse sont peut-être bien fondées au plan technique, l’ARC ne sera pas lésée si la Cour accorde à Murray, qui se représente elle-même, une certaine marge de manœuvre pour présenter sa cause [...]

En conséquence, la Cour rejette l’objection de l’ARC quant à l’admission de ces parties de l’affidavit et a accordé aux assertions en question le poids qu’il convient.

[Non souligné dans l’original.]

[22]  Je constate que presque toutes les pièces contestées par le défendeur sont des communications adressées à la Commission ou provenant de celle-ci. Les pièces en cause sont peu utiles à la Cour, et la Commission est assurément au fait de celles-ci. L’issue de l’affaire ne dépend donc pas de ces dernières.

[23]  Compte tenu de ce qui précède, je ne radierai pas les paragraphes 2 à 5, 9 et 10 à 12, ni les pièces B, C, D, E, F, G, I et L de l’affidavit de M. Davidson. Toutefois, la pièce J est radiée puisqu’il s’agit d’une chaîne de courriels échangés après que la décision de la Commission a été rendue.

IV.  Question en litige

[24]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : la décision de la Commission de rejeter la plainte de M. Davidson est-elle raisonnable?

V.  La loi et la jurisprudence

[25]  Le paragraphe 41(1) de la LCDP confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte dans certaines circonstances. Le paragraphe 41(1) est ainsi libellé :

Irrecevabilité

 41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

Commission to deal with complaint

 41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 (a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 (c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 (d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 (e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[26]  Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Barrette, [2000] 4 CF 145 [Barrette], la Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 22, que le paragraphe 41(1) habilite la Commission à s’assurer, par un « processus d’examen préalable », qu’une plainte mérite d’être examinée. Dans son interprétation de l’arrêt Barrette, le juge Near a déclaré, au paragraphe 18 de la décision English-Baker c Canada (Procureur général), 2009 CF 1253, que « la Commission n’est pas tenue d’enquêter sur chaque plainte à ce stade. Elle doit rechercher si, prima facie, la plainte serait irrecevable pour l’un des motifs prévus au paragraphe 41(1) et, dans l’affirmative, décider si elle va tout de même statuer sur la plainte. »

VI.  Norme de contrôle

[27]  Il est bien établi en droit que les décisions de la Commission résultant de l’examen préalable effectué en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP sont examinées selon la norme de la décision raisonnable : Zulkoskey c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CAF 268, au par. 15.

[28]  Une décision est raisonnable si le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible, et qu’il donne lieu à une décision appartenant aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47 [Dunsmuir].

VII.  Positions des parties

[29]  Monsieur Davidson soutient que sa [traduction] « plainte ne peut être jugée frivole [...] parce qu’il existe un lien direct confirmé avec des personnes identifiables ». Il prétend que, même si les données qu’il a fournies ont été anonymisées pour protéger la vie privée des gens, elles font néanmoins référence à de véritables personnes racialisées, qui n’ont pas réussi à obtenir un poste au sein du gouvernement fédéral. En outre, il laisse entendre qu’il a lui-même été incapable d’obtenir un poste au sein de divers organismes fédéraux en raison de sa race. Selon M. Davidson, ces deux facteurs prouvent que sa plainte n’est pas frivole.

[30]  Le défendeur affirme que la plainte de M. Davidson [traduction] « ne peut être jugée frivole [...] parce qu’il existe un lien direct confirmé avec des personnes identifiables » eu égard à l’acte reproché, à savoir le défaut de nommer des personnes de race noire à divers postes gouvernementaux. Selon le défendeur, M. Davidson n’a communiqué [traduction« aucun fait important » à l’appui de l’allégation selon laquelle sa race — un motif de distinction illicite — est la raison pour laquelle sa candidature n’a pas été retenue à l’issue du processus de sélection.

VIII.  Analyse

[31]  Je suis d’accord avec le défendeur, et je conclus que l’analyse de la Commission sur la question du caractère frivole de la plainte est raisonnable. Trois motifs sous-tendent cette conclusion.

[32]  Premièrement, la Commission a défini et appliqué le critère approprié afin d’en arriver à la conclusion que la plainte de M. Davidson était frivole. La Cour a confirmé à plusieurs reprises que le critère énoncé dans la décision Hérold est déterminant quant à la façon d’interpréter le terme « frivole » à l’alinéa 41(1)d) de la LCDP : Hagos c Canada (Procureur général), 2014 CF 231, au par. 38; O’Grady c Bell Canada, 2012 CF 1448, au par. 60; Konesavarathan c Radio de l’Université de Guelph, 2018 CF 1217, au par. 33. Dans la décision Hérold, le juge Rennie a déclaré ce qui suit au paragraphe 35 : « [...] le critère à appliquer pour savoir si une plainte est ou non frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi est le suivant : compte tenu de la preuve, apparaît-il manifeste et évident que la plainte est vouée à l’échec? ».

[33]  En l’espèce, la Commission a opté pour le critère établi dans Hérold, après avoir souligné que pour déposer une plainte en vertu du paragraphe 40(1) de la LCDP, un individu doit avoir des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire.

[34]  Deuxièmement, au moment d’appliquer ce critère, la Commission a correctement souligné la nécessité de présenter des éléments de preuve. Dans la décision Love c Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, 2014 CF 643, le juge Russell a déclaré ce qui suit, au paragraphe 69 :

Les plaignants ne sont pas tenus de présenter des éléments de preuve à l’étape précédant l’ouverture de l’enquête, mais l’exigence d’établir l’existence de motifs raisonnables à l’appui de la plainte implique qu’ils ne peuvent pas non plus se contenter de formuler de simples allégations [...] Le plaignant n’a pas à prouver que ce qu’il dit est vrai, mais il doit alléguer des faits qui, s’ils étaient avérés, établiraient un lien avec un motif de discrimination illicite. Il ne peut simplement affirmer que ce lien existe.

[Non souligné dans l’original.]

[35]  En ce qui le concerne, M. Davidson devait produire certains éléments de preuve démontrant qu’il n’avait pas été choisi pour occuper un poste supérieur au gouvernement fédéral en raison de sa race. Monsieur Davidson a présenté une liste d’emplois (résumés ci-dessus, au paragraphe 8) pour lesquels il a posé sa candidature, mais n’a pas été choisi. Dans la plupart des cas, les raisons pour lesquelles sa candidature n’a pas été retenue lui ont été communiquées, et comprennent notamment le fait : qu’il n’a pas répondu correctement à certaines questions de l’entrevue; qu’il n’a pas fourni suffisamment de preuves concernant l’expérience requise pour occuper le poste à pourvoir; qu’il a omis de fournir des réponses complètes. Outre ces raisons et la liste d’emplois pour lesquels il a posé sa candidature, M. Davidson n’a présenté aucune preuve indiquant qu’il a personnellement été victime de discrimination dans sa recherche d’emploi en raison de sa race.

[36]  Devant un ensemble de preuves composé essentiellement des affirmations de M. Davidson, il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que les allégations de ce dernier [traduction] « sembl[aient] être de vagues affirmations [qui n’étaient] étayées par aucun fait ».

[37]  Troisièmement, en ce qui concerne les données fournies par M. Davidson, deux problèmes se posent : (1) les données sont difficiles à interpréter; (2) ce qu’elles démontrent n’est pas clair. Même M. Davidson lui-même a reconnu au cours de l’audience que ces données ne sont pas facilement accessibles aux décideurs.

[38]  Plus important encore, M. Davidson a déclaré à plusieurs reprises lors de l’audience que des membres des minorités visibles sont embauchés au sein des organismes fédéraux et qu’ils y réussissent bien. Le problème, selon lui, vient du fait que les personnes de race noire ne sont pas promues à des postes supérieurs au sein de l’administration fédérale.

[39]  Pour prouver ce qu’il avance, M. Davidson a présenté des tableaux montrant le nombre de candidats membres de minorités visibles. Une colonne contient le nombre de membres de minorités visibles qui ont été nommés. Les tableaux contiennent également des colonnes intitulées [traduction] « Candidats membres de minorités visibles qui se disent de race NOIRE » et [traduction] « Nominations de membres de minorités visibles qui se disent de race NOIRE ».

[40]  Les tableaux n’appuient pas l’argument de M. Davidson selon lequel les candidats de race noire ne sont pas embauchés par les organismes fédéraux. Le problème tient à ce que l’auto‑identification en tant que personne de race noire peut venir brouiller les cartes.

[41]  Pour se fier à une sous-catégorie (personnes de race noire) d’un ensemble de données (minorités visibles), il est essentiel de s’assurer que la catégorie plus générale a été codée correctement. Dans les tableaux fournis par M. Davidson, il est difficile de savoir s’il faut conclure qu’aucun candidat de race noire n’a obtenu de poste supérieur au sein du gouvernement parce qu’une colonne indique que 0 % des candidats de race noire s’étant volontairement déclarés comme tels ont été nommés.

[42]  Monsieur Davidson a convenu qu’il est possible que, parmi les membres des minorités visibles qui ont posé leur candidature et qui ont été nommés, certains d’entre eux soient des personnes de race noire ayant choisi de ne pas « se déclarer volontairement » comme telles. Par conséquent, il est possible, voire probable, que la colonne des minorités visibles contienne des personnes de race noire qui ont décidé de ne pas déclarer leur race.

[43]  En outre, même si les données ne présentaient pas les problèmes susmentionnés, elles ne seraient d’aucune aide pour M. Davidson, étant donné que le critère de la preuve prima facie en matière de discrimination exige que ce dernier ait personnellement été victime d’un comportement discriminatoire fondé sur un motif illicite. Une orientation sur la question est donnée dans la décision Stukanov c Canada (Procureur général), 2018 CF 854 [Stukanov]. Le juge Ahmed a souligné qu’il incombe au plaignant de « citer des faits concrets qui sont susceptibles d’établir un lien entre les actes reprochés et un motif de distinction illicite [...] [Le plaignant] doit faire plus que démontrer son appartenance à un groupe protégé et l’existence de préjudices généralisés envers ce groupe; il doit présenter une preuve suffisante pour établir un lien entre les actes reprochés et le motif de distinction illicite » : Stukanov, au paragraphe 18.

[44]  Tel qu’il a été mentionné précédemment, M. Davidson n’a pas fourni suffisamment de renseignements afin de démontrer en quoi il a personnellement été victime de discrimination, et ainsi prouver ses allégations. Il a simplement présenté la liste des postes à pourvoir pour lesquels sa candidature n’a pas été retenue et les raisons, à première vue valables et non discriminatoires, qui lui ont été données pour justifier le fait qu’il n’ait pas été choisi. Mis à part ces affirmations, la Commission n’a été saisie d’aucune preuve ni d’aucun indicateur démontrant que la candidature de M. Davidson n’a pas été retenue à l’issue du processus de recrutement fédéral parce qu’il est de race noire ou à cause de pratiques discriminatoires.

[45]  En outre, les données présentées sur la prétendue discrimination systémique ne permettraient pas de combler les lacunes dans la preuve pour ce qui est de savoir en quoi M. Davidson a personnellement été victime de discrimination.

[46]  Comme la Cour a conclu qu’il était raisonnable de la part de la Commission de juger frivoles les allégations de M. Davidson, nul besoin d’évaluer la raisonnabilité de l’autre motif, à savoir le défaut de compétence, invoqué par cette dernière pour rejeter la plainte de M. Davidson.

IX.  Conclusion

[47]  Monsieur Davidson est fermement convaincu qu’une discrimination systémique est exercée dans le cadre du processus de recrutement fédéral. Il mérite des félicitations pour les efforts qu’il a faits afin de faire la lumière sur une injustice apparente. Toutefois, en l’absence des éléments de preuve nécessaires, il était raisonnable de la part de la Commission de rejeter la plainte de M. Davidson en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP.

[48]  La santé des institutions d’une société repose, en partie, sur le fait que ces institutions reflètent ou non la diversité et les différences au sein de cette société. Bien que dans ce cas-ci, la demande de M. Davidson ait été rejetée, il est à espérer que les préoccupations d’ordre général qu’il a soulevées sur la question de l’inclusion dans le cadre des décisions d’embauche liées aux postes de cadres supérieurs au sein du gouvernement fédéral seront prises en compte.


JUGEMENT dans le dossier T-1356-18

LA COUR STATUE que :

  1. la demande est rejetée;

  2. l’intitulé de la cause est modifié afin de désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1356-18

 

 

INTITULÉ :

RAY DAVIDSON c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 FÉVRIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

 

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JUIN 2019

 

COMPARUTIONS :

M. Ray Davidson

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Mme Vanessa Wynn-Williams

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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