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Date : 20190702


Dossier : IMM-5918-18

Référence : 2019 CF 881

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE : 

NESHA MARGARET ALEXANDER

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Nesha Margaret Alexander, est une citoyenne de la Grenade qui a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Un agent principal d’immigration [l’agent] a refusé la demande, et elle sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  Mme Alexander affirme que, lorsque l’agent a refusé la demande, ce dernier a commis une erreur du fait qu’il a appliqué le mauvais critère juridique et qu’il a examiné sa demande de façon arbitraire et donc déraisonnable.

[3]  Le défendeur soutient que la décision est raisonnable. Le défendeur a aussi avancé l’argument de la conduite irréprochable; Mme Alexander s’oppose à cet argument, en invoquant le fait que cela ne faisait pas partie des motifs pour lesquels l’agent a refusé la demande.

[4]  Après avoir examiné les observations, je ne puis conclure que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle. Il n’est pas nécessaire que j’examine les observations du défendeur portant sur la conduite irréprochable. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci‑dessous.

II.  Le contexte

[5]  Mme Alexander est arrivée au Canada en septembre 2001, munie d’un visa de visiteur. En mars 2007, une mesure d’exclusion a été prise contre elle. En juillet 2007, elle a reçu une décision défavorable d’examen des risques avant renvoi. Son renvoi était prévu pour le 29 septembre 2007, mais elle ne s’est pas présentée. En octobre 2007, un mandat a été lancé en vue de son arrestation. En août 2015, elle a donné naissance à son fils, un citoyen canadien.

[6]  En juillet 2017, se fondant sur des considérations d’ordre humanitaire, Mme Alexander a demandé que sa demande de résidence permanente soit traitée à partir du Canada. Elle a invoqué les éléments suivants : l’intérêt supérieur de son enfant né au Canada; son rôle en tant que principale responsable des soins de l’enfant; la relation de l’enfant avec son père, un résident permanent au Canada; les conditions défavorables à la Grenade.

[7]  Dans son examen de la demande, l’agent a abordé l’intérêt supérieur de l’enfant, les conditions défavorables à la Grenade, l’établissement de Mme Alexander au Canada et les facteurs défavorables découlant de son historique en matière d’immigration.

[8]  L’agent a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant que Mme Alexander demeure au Canada, en faisant observer qu’elle est la principale responsable des soins de l’enfant, que le père ne serait pas en mesure de s’occuper de l’enfant tout seul, que la qualité de la vie au Canada est meilleure qu’à la Grenade, et que l’enfant serait séparé de son père et de ses tantes s’il allait vivre avec sa mère à la Grenade. Toutefois, l’agent a fait observer que si Mme Alexander retournait à la Grenade, son fils serait avec elle et elle continuerait à lui prodiguer ses soins et à lui donner son amour; que la famille élargie à la Grenade serait là et lui apporterait son soutien pendant la période transitoire; que l’enfant s’adapterait facilement, en raison de son âge. L’agent a soupesé ces considérations et a conclu que le fils de Mme Alexander serait défavorablement touché par le renvoi de sa mère, et qu’il s’agissait d’un facteur important.

[9]  L’agent a accordé un poids positif aux conditions défavorables à la Grenade, plus précisément, à la criminalité et à l’insécurité. L’agent a aussi examiné l’incidence émotionnelle du retour à la Grenade, après une longue absence. L’agent a conclu que ces circonstances étaient atténuées par le fait que Mme Alexander avait vécu à la Grenade pendant la majorité de sa vie, qu’elle était jeune et faisait preuve d’ardeur au travail, et qu’elle aurait le soutien de sa famille. L’agent a néanmoins reconnu qu’une longue période d’adaptation serait nécessaire, et, encore une fois, il a accordé une considération favorable à ce facteur.

[10]  En ce qui a trait au degré d’établissement de Mme Alexander, l’agent a conclu qu’elle avait démontré un degré moyen d’établissement et qu’il s’agissait là d’un facteur favorable, en faisant toutefois remarquer que ce degré d’établissement n’était pas exceptionnel.

[11]  L’agent a ensuite traité des facteurs défavorables. Il a fait observer que Mme Alexander avait dépassé la durée du séjour autorisée par son visa de visiteur, qu’elle ne s’était pas présentée en vue de son renvoi, qu’elle faisait l’objet d’un mandat d’arrestation depuis octobre 2007 et qu’elle avait travaillé pendant de nombreuses années sans autorisation. L’agent a conclu que cela équivalait à une contravention claire aux dispositions législatives du Canada en matière d’immigration, et qu’il s’agissait d’un contrepoids important aux facteurs favorables.

[12]  Malgré les importantes difficultés liées au retour, les effets sur son fils et l’établissement de Mme Alexander au Canada, l’agent a conclu que les considérations d’ordre humanitaire étaient insuffisantes pour justifier l’octroi d’une dispense.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[13]  La demande soulève les questions litigieuses suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère juridique?

  2. L’agent a‑t‑il examiné la demande de façon arbitraire et donc déraisonnable?

[14]  La question de savoir si l’agent a adopté le bon critère juridique sera contrôlée selon la norme de la décision correcte. L’examen de la demande fait par l’agent soulève des questions mixtes de faits et de droit qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Cezair c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 886, aux paragraphes 14 et 15; Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068, aux paragraphes 25 et 26).

IV.  Analyse

A.  L’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère juridique?

[15]  Mme Alexander fait valoir que l’agent a adopté un critère des difficultés dans son examen de la demande, ce qui va à l’encontre de l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], rendu par la Cour suprême du Canada.

[16]  Certes, l’agent a conclu que [traduction« les difficultés auxquelles Mme Alexander serait exposée en cas de décision défavorable sont insuffisantes pour justifier la levée d’une interdiction réglementaire fondée sur des considérations d’ordre humanitaire », mais je ne suis pas convaincu que l’agent a commis une erreur à cet égard.

[17]  L’arrêt Kanthasamy de la Cour suprême n’énonce pas le principe que la prise en considération des difficultés dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est inappropriée. Au contraire, ce qui est inapproprié, c’est le fait de prendre en considération les difficultés sans « soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes » (Kanthasamy, au paragraphe 33 [en italiques dans l’original]). Cela a été redit récemment par le juge Alan Diner, au paragraphe 16 de la décision Miyir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73, lorsqu’il a déclaré que :

[16] Pour les besoins des demandes dont la Cour est saisie, il convient de souligner que la Cour suprême ne rejette pas, dans l’arrêt Kanthasamy, la notion de « difficultés » dans les demandes pour considérations d’ordre humanitaire; au contraire, l’analyse de la Cour suprême indique que les « difficultés », évaluées de manière équitable, avec souplesse, et eu égard à la situation globale du demandeur, demeurent importantes pour l’analyse des considérations d’ordre humanitaire (Mulla c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 445, par. 13; Nwafidelie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 144, par. 22 [Nwafidelie]).

[18]  En l’espèce, le contrôle judiciaire de la décision de l’agent ne peut pas être limité à l’examen d’une seule phrase à la fin des motifs de l’agent. Une référence aux difficultés ne peut pas, en soi, établir une erreur commise par un décideur (Boukhanfra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 4, au paragraphe 11). La décision doit être examinée dans son ensemble. L’arrêt Kanthasamy nous enseigne qu’une cour siégeant en révision doit aller au‑delà des termes utilisés par l’agent et examiner si l’agent a pris en compte toutes les considérations d’ordre humanitaire soulevées, et les a soupesés.

[19]  Les motifs de l’agent reflètent un examen approfondi de la situation de Mme Alexander, y compris l’intérêt supérieur de son enfant. Ces facteurs ont été soupesés au regard de l’inobservation et de la déconsidération par Mme Alexander des dispositions législatives canadiennes en matière d’immigration. Les difficultés ont été prises en compte, mais il s’agissait d’un seul facteur qui a été traité dans le contexte de toutes les circonstances examinées par l’agent, et non pas à l’exclusion de ces circonstances. L’agent n’a pas commis d’erreur qui justifie l’intervention de la Cour.

B.  L’agent a‑t‑il examiné la demande de façon arbitraire et donc déraisonnable?

[20]  La demanderesse soutient que le fait que l’agent n’a pas expliqué pourquoi les nombreux facteurs favorables de la décision ont été supplantés par l’inobservation et la déconsidération par Mme Alexander des dispositions législatives canadiennes en matière d’immigration rend la décision déraisonnable. Je ne suis pas de cet avis.

[21]  Il est évident, après examen de la décision, que l’agent n’a pas fait fi de l’intérêt supérieur de l’enfant ou des aspects favorables de la demande. L’agent a souligné de manière juste chacun de ces facteurs et les a appréciés, et il a conclu que ceux‑ci militaient en faveur de la demande de Mme Alexander. En examinant les intérêts de l’enfant, l’agent a rapidement reconnu que ces intérêts étaient en faveur du fait que Mme Alexander demeure au Canada, et que ce facteur devait se voir accorder une importante considération. Toutefois, aucun de ces facteurs, y compris l’intérêt supérieur d’un enfant, n’est individuellement décisif (Kanthasamy, au paragraphe 33; Legault c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CAF 125, aux paragraphes 11 et 12, refus de la demande d’autorisation de former un pourvoi à la CSC, [2002] ACSC n° 220; Hawthorne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 2).

[22]  Après avoir abordé et caractérisé les aspects favorables de la demande, l’agent a ensuite apprécié les éléments défavorables : la longue durée de l’inobservation et de la déconsidération par Mme Alexander des dispositions législatives du Canada en matière d’immigration. Mme Alexander ne souscrit pas à la manière avec laquelle l’agent a soupesé ce facteur défavorable au regard des aspects favorables de la demande, et cela se comprend; toutefois, il est bien établi en droit que le simple désaccord est un fondement insuffisant pour permettre de conclure que la décision de l’agent était déraisonnable.

[23]  L’agent s’est livré à une analyse transparente des aspects favorables et défavorables de la demande, il a soupesé ces facteurs, et il est arrivé à une conclusion. Le processus décisionnel de l’agent était justifié, transparent et intelligible, et le résultat appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

V.  Conclusion

[24]  La demande est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question en vue de la certification et l’espèce n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑5918‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de juillet 2019.

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5918‑18

 

INTITULÉ :

NESHA MARGARET ALEXANDER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 juin 2019

 

Jugement et motifS :

Le juge GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

Le 2 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Nilufar Sadeghi

 

Pour la demanderesse

Andrea Shahin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen et Associés

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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