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Date : 20050324

Dossier : IMM-2387-04

Référence : 2005 CF 414

Toronto (Ontario), le 24 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

EMAD MUSTAFA ELMASKUT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Emad Mustafa Elmaskut est un ressortissant libyen qui prétend avoir été persécuté par les autorités libyennes parce que son oncle s'oppose depuis longtemps au gouvernement. Sa demande d'asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission avait de sérieux doutes au sujet de la crédibilité de M. Elmaskut et était préoccupée par le peu de documents produits par ce dernier au soutien de sa demande. Elle a aussi considéré que le temps que M. Elmaskut avait pris à demander l'asile traduisait une absence de crainte subjective de persécution.

[2]                M. Elmaskut soutient que la qualité des services d'interprétation qui lui ont été fournis laissait grandement à désirer et que, pour cette raison, il n'a pas eu droit à une audience équitable. Je suis aussi de cet avis. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

Principes régissant le droit à l'assistance d'un interprète

[3]                La Cour d'appel fédérale a souligné, dans Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 191, que les principes régissant le droit à l'assistance d'un interprète, garanti à l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, s'appliquent aux audiences de la Section de la protection des réfugiés.

[4]                Se fondant sur les principes formulés par la Cour suprême du Canada dans R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, la Cour a indiqué dans Mohammadian que l'interprétation doit être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante. Elle n'a toutefois pas à répondre à la norme de la perfection.

[5]                Le demandeur n'est pas tenu de démontrer qu'il a réellement subi un préjudice du fait d'erreurs d'interprétation. Il doit cependant, règle générale, contester la qualité de l'interprétation dès qu'il peut le faire au cours de l'audience sur sa demande d'asile.

[6]                Le demandeur d'asile peut renoncer à son droit à une interprétation conforme à la norme établie dans Mohammadian, mais le seuil est élevé à cet égard : Tran, précité.

En l'espèce, l'interprétation satisfaisait-elle à la norme établie dans Mohammadian?

[7]                Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), M. Elmaskut demandait les services d'un interprète parlant le libyen, un dialecte de l'arabe. L'interprète qui lui a été assigné était un Irakien d'origine arabe.

[8]                Au soutien de sa demande, M. Elmaskut a déposé l'affidavit d'un interprète de Libye, Salaheddine Kessantini. Ce dernier y déclare que l'arabe parlé dans les différentes régions du monde arabe varie considérablement. Pour corroborer ses dires, il joint à son affidavit un article paru dans une revue spécialisée qui traite des variations dans les dialectes arabes et qui souligne les différences importantes entre les dialectes du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord.


[9]                M. Kessantini déclare aussi qu'il a écouté les bandes sonores de l'audience et a comparé l'enregistrement avec la transcription de l'audience. Sur six sujets différents, il relève des divergences entre ce qui a été réellement dit à M. Elmaskut ou par lui et ce qui figure dans la transcription. Il constate aussi que l'interprète a commis, pendant toute l'audience, de nombreuses fautes grammaticales qui ont pu être source de confusion.

[10]            L'avocat du défendeur reconnaît que l'interprétation effectuée lors de l'audience sur la demande de M. Elmaskut n'a peut-être pas été parfaite, mais il soutient que cette interprétation satisfait à la norme établie dans Mohammadian. Selon lui, il ne suffit pas de relever cinq ou six supposées erreurs dans une longue transcription pour conclure que l'interprétation a été inadéquate.

[11]            Le défendeur soutient également que M. Elmaskut aurait dû faire part de ses doutes au sujet de la qualité de l'interprétation dès le début de l'audience, compte tenu du fait qu'il a affirmé s'être rendu compte immédiatement que l'interprète était irakien.

[12]            Enfin, le défendeur prétend qu'une lecture de la transcription révèle que M. Elmaskut a répondu aux questions qui lui étaient posées et qu'il n'a pas hésité à demander des précisions lorsqu'il ne comprenait pas une question.


[13]            Les erreurs relevées par M. Kessantini ont trait à des éléments fondamentaux de la décision de la Commission. Plusieurs concernent la question du délai qui s'est écoulé avant que M. Elmaskut demande l'asile au Canada; une autre se rapporte au fait qu'il n'a pas demandé la protection d'un autre pays et une autre, au fondement même de sa crainte de persécution.

[14]            Par conséquent, bien que l'interprétation ne doive peut-être pas être parfaite, je suis convaincue qu'en l'espèce l'interprétation du témoignage de M. Elmaskut comportait des erreurs sur des questions qui touchent au coeur même de sa demande.

[15]            Il est vrai que la Commission avait de nombreuses raisons de ne pas croire M. Elmaskut, mais il est impossible de savoir si elle serait arrivée à la même conclusion concernant la véracité de son témoignage n'eût été les erreurs d'interprétation.

[16]            Il reste à me prononcer sur la prétention selon laquelle M. Elmaskut aurait dû faire part de ses doutes concernant la qualité de l'interprétation au début de l'audience sur sa demande d'asile. L'affidavit de M. Elmaskut est clair : il ne comprend pas l'anglais et c'est pourquoi il ne s'est pas rendu compte des problèmes d'interprétation à l'audience. Étant donné le seuil très élevé que doit franchir la preuve de la renonciation du demandeur d'asile à son droit à une interprétation adéquate, j'estime que, dans les circonstances, le fait que M. Elmaskut n'a pas contesté la qualité de l'interprétation à l'audience ne signifie pas qu'il a renoncé à ses droits à cet égard.


Conclusion

[17]            Pour ces motifs, je conclus que l'interprétation de ce qui s'est dit à l'audience sur la demande d'asile de M. Elmaskut ne satisfait pas à la norme de la fidélité et de la compétence. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Certification

[18]            Aucune partie n'a proposé une question à des fins de certification, et aucune question semblable n'est soulevée en l'espèce.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue de nouveau sur l'affaire;

2.          qu'aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

          « A. Mactavish »          

         Juge                             

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-2387-04

INTITULÉ :                                                             EMAD MUSTAFA ELMASKUT

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 23 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                           LE 24 MARS 2005

COMPARUTION :

Omar Shabbir Khan                                                   POUR LE DEMANDEUR

Bernard Assan                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Omar Shabbir Khan                                                   POUR LE DEMANDEUR

Hamilton (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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