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Date : 20190628


Dossier : IMM‑3929‑18

Référence : 2019 CF 875

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

PRIYA SOOROOJEBALLY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’une conseillère pour les migrations du haut‑commissariat du Canada, section de l’immigration, au Sri Lanka [l’agente], qui a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et qui a statué que la demanderesse était interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

Contexte

[2]  La demanderesse, Priya Sooroojebally, est citoyenne de Maurice. À l’appui de sa demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) en qualité d’interprète/traductrice (CNP 5125), elle a produit deux lettres de recommandation. La première, avait été rédigée sur le papier à correspondance du haut‑commissariat de Maurice par Jevin Pillay Ponisamy, chef de mission, et était datée du 18 décembre 2014. Cette lettre décrit l’emploi de la demanderesse au haut‑commissariat comme celui d’une recherchiste/secrétaire qui avait des compétences en tant que traductrice/interprète et elle énumère ses tâches qui comprenaient 35 heures par semaine de services de traduction/interprétation et cinq heures par semaine de travaux de recherche et de secrétariat. En ce qui concerne l’emploi de la demanderesse à l’hôtel Mehar Castle, elle a présenté une lettre datée du 10 novembre 2014 indiquant qu’elle avait fourni des services d’interprétation aux clients de l’hôtel; cette lettre portait la signature de Jagdish Chander Bhasin, le beau‑père de la demanderesse.

[3]  Une agente d’immigration a décidé qu’il était nécessaire de faire une enquête sur le terrain pour vérifier l’emploi de la demanderesse à l’hôtel Mehar Castle et de faire une vérification, par téléphone, de son emploi au haut‑commissariat de Maurice, à Delhi.

[4]  Un rapport anti‑fraude de l’Unité de l’évaluation a été rédigé à la suite d’une visite à l’hôtel Mehar Castle. Le rapport a conclu que, en raison d’un remaniement récent de la direction, la plupart des employés en poste à l’hôtel ne faisaient pas partie du personnel au moment où la demanderesse a allégué y avoir travaillé. Toutefois, ceux qui se souvenaient d’elle l’ont désignée comme la bru du propriétaire et ont indiqué qu’elle n’avait pas travaillé à l’hôtel et que l’établissement n’avait jamais eu de traducteur.

[5]  Le haut‑commissariat de Maurice a fait parvenir une lettre datée du 7 septembre 2016 qui indiquait que la demanderesse occupait un poste de secrétaire/recherchiste et que ses fonctions étaient celles de secrétaire du conseiller commercial affecté au haut‑commissariat de Maurice à New Delhi. Les notes du Système mondial de gestion des cas [les notes du SMGC] indiquent que le haut‑commissariat de Maurice a précisé ce qui suit en réponse à un courriel de suivi : [traduction« Pour donner suite à votre courriel daté du 7 septembre 2016, veuillez prendre note que les renseignements sur l’expérience de travail antérieure de Mme P. Sooroojebaly ne sont pas disponibles comme l’indique son CV ».

[6]  Par conséquent, une lettre datée du 16 mai 2018 a été envoyée à la demanderesse, dans laquelle l’agente a indiqué qu’elle était préoccupée par la possibilité que la demanderesse ait fait de fausses déclarations sur son expérience professionnelle en qualité d’interprète/traductrice au haut‑commissariat de Maurice et à l’hôtel Mehar Castle [la lettre d’équité procédurale]. La lettre mentionnait que ces préoccupations découlaient d’enquêtes qui avaient permis de conclure que le haut‑commissariat de Maurice était incapable de confirmer de façon indépendante que la demanderesse avait une compétence quelconque à titre d’interprète/traductrice et elle précisait que la demanderesse avait été employée seulement à titre de recherchiste/secrétaire. De plus, il appert qu’elle n’aurait jamais été employée à l’hôtel Mehar Castle à quelque titre que ce soit et que l’établissement n’avait jamais engagé d’interprète/traducteur.

[7]  En réponse, la demanderesse a produit des observations écrites sous la forme d’une lettre de son avocat datée du 15 mai 2018, laquelle était accompagnée de documents supplémentaires. Plus particulièrement, des copies des registres des paiements de l’hôtel, une lettre du 7 juin 2018 du beau‑père de la demanderesse dans laquelle celui‑ci indiquait que l’hôtel Mehar Castle avait connu un changement de direction, ce qui expliquait pourquoi l’actuelle équipe de direction ne se trouvait pas nécessairement bien placée pour attester l’expérience professionnelle de la demanderesse, ainsi qu’une convention de location connexe pour l’hôtel. En ce qui concerne l’emploi de la demanderesse au haut‑commissariat de Maurice, trois lettres supplémentaires d’anciens membres du personnel diplomatique ont été présentées : une lettre datée du 15 juin 2018 émanant de Joyker Nayeck; une lettre datée du 12 juin 2018 émanant de Jevin Pillay Ponisamy; une lettre datée du 14 juin 2018 émanant de Suresh Seeballuck.

[8]  La demande de la demanderesse a été rejetée par la suite.

La décision faisant l’objet du contrôle

[9]  Dans une lettre datée du 10 juillet 2018, l’agente a rejeté la demande de la demanderesse [la lettre de refus]. L’agente a indiqué qu’elle avait conclu que la demanderesse était interdite de territoire au Canada en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, parce qu’elle avait fait une présentation erronée d’un fait ou qu’elle avait eu une réticence sur ce fait en ce qui concerne son emploi à titre d’interprète/traductrice au haut‑commissariat de Maurice et à l’hôtel Mehar Castle. La lettre indiquait que cette conclusion reposait sur des enquêtes qui avaient permis de découvrir que le haut‑commissariat de Maurice était incapable de confirmer de manière indépendante que la demanderesse avait de l’expérience à titre d’interprète/traductrice et qu’il avait indiqué que, selon ses dossiers, elle avait été employée comme recherchiste/secrétaire. De plus, la demanderesse n’avait jamais été employée à l’hôtel Mehar Castle à quelque titre que ce soit et l’hôtel Mehar Castle n’avait jamais engagé d’interprète/traducteur.

[10]  Ces présentations erronées ou sa réticente à divulguer ces faits importants auraient pu provoquer des erreurs dans l’application de la LIPR; même si la demanderesse avait eu la possibilité de répondre à ces préoccupations, l’examen de sa réponse n’a pas réussi à les dissiper.

[11]  Les motifs énoncés dans la lettre de refus sont accompagnés par les notes du SMGC.

Questions en litige et norme de contrôle

[12]  À mon avis, les questions que soulève la présente affaire peuvent être formulées comme suit :

[13]  La première question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Bao c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 268 [Bao]). Cette norme s’attache à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel et à la question de savoir si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47). La deuxième question est contrôlable selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43; Clement c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 703, au par. 11).

Question préliminaire – Preuve par affidavit

[14]  La demanderesse et le défendeur ont tous deux produit une preuve par affidavit dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Plus particulièrement, la demanderesse a déposé un affidavit daté du 23 novembre 2018 [l’affidavit de la demanderesse], l’affidavit du 22 novembre 2018 de Jevin Pillay Ponisamy [l’affidavit de Ponisamy] et l’affidavit du 21 novembre 2018 de Joyker Nayeck [l’affidavit de Nayeck]. Le défendeur a déposé l’affidavit du 4 avril 2019 de Kristin Erickson [l’affidavit d’Erickson], l’affidavit du 4 avril 2019 de Shalini Hosalli [l’affidavit d’Hosalli] et l’affidavit du 4 avril 2019 de Shirani Mahagedara [l’affidavit de Mahagedara].

[15]  En règle générale, le dossier de la preuve qui est soumis à la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier dont disposait le décideur. Il existe des exceptions reconnues à cette règle générale, y compris l’admission d’un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, qui porte à l’attention de la Cour des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif ou qui fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux par. 19 et 20 [Association des universités et collèges]).

[16]  Mme Hosalli est une adjointe aux programmes qui a participé au traitement de la demande de résidente permanente de la demanderesse. Dans son affidavit, Mme Hosalli explique que les documents qui y sont joints ont été omis par inadvertance dans le dossier authentique du tribunal [DAT]. Cet affidavit est admissible, étant donné qu’il fournit simplement de l’information qui aurait dû être incluse dans le DAT, qu’il aide la Cour à comprendre qu’il y a eu une omission et qu’il lui permet de disposer du dossier complet dont le décideur était ou aurait dû être saisi. Dans ce sens, il s’agit d’informations générales.

[17]  Mme Mahagedara est une agente d’immigration qui a préparé le dossier au titre de l’article 9 des Règles des Cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22. Dans son affidavit, Mme Mahagedara décrit la préparation du dossier en vertu de l’article 9 qui, à l’étape de l’autorisation, consiste à fournir une copie de la décision qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire ainsi que de ses motifs écrits, et elle indique qu’il existe une divergence entre le contenu du dossier préparé au titre de l’article 9 et le contenu du DAT (le premier ne contenait pas de copie complète des notes du SMGC). L’affidavit indique également qu’il existe [traduction« plusieurs explications raisonnables » pour cette divergence, notamment la possibilité qu’une imprimante ait manqué de papier; cependant, même si la déposante a préparé le dossier au titre de l’article 9, elle affirme qu’elle ignore pourquoi il ne contenait pas le dossier complet. Cet affidavit est inadmissible et superflu. L’affidavit d’Erickson atteste que Mme Erikson a comparé les « motifs » au sens de l’article 9 (notes du SMGC) et les « motifs » du DAT, et confirme que ces derniers sont complets.

[18]  L’affidavit d’Erickson aborde la divergence entre le DAT et le dossier préparé au titre de l’article 9, et il est admissible dans cette mesure. Toutefois, Mme Erickson indique également qu’elle était la décideuse dans cette affaire. Elle affirme qu’elle ne se souvient pas d’avoir pris connaissance d’une demande transmise par courriel le 7 septembre 2016 par le haut‑commissariat du Canada au haut‑commissariat de Maurice à New Delhi, comme en font mention les notes du SMGC (pièce A jointe à l’affidavit d’Hosalli) et elle déclare qu’elle n’a donc pas tenu compte de ce courriel lorsqu’elle a pris sa décision. En ce qui concerne une lettre envoyée par courriel le 7 septembre 2016 par le haut‑commissariat de Maurice au haut‑commissariat du Canada qui se trouve dans le DAT et qui fait mention d’un courriel du haut‑commissariat du Canada au haut‑commissariat de Maurice daté du 1er septembre 2016 (pièce B jointe à l’affidavit d’Hosalli), Mme Erickson affirme qu’elle ne se souvient pas d’avoir pris connaissance d’une demande écrite du Canada à Maurice et qu’elle n’a donc pas tenu compte du courriel du 1er septembre 2016 du Canada lorsqu’elle a pris sa décision. De plus, pour ce qui est d’un courriel daté du 6 juillet 2016 du haut‑commissariat de Maurice au haut‑commissariat du Canada qui se trouve dans le DAT et qui mentionne un courriel du haut‑commissariat du Canada au haut‑commissariat de Maurice daté du 27 juin 2016 (pièce D jointe à l’affidavit d’Hosalli), Mme Erickson affirme à nouveau qu’elle ne se souvient pas d’avoir pris connaissance d’une demande écrite du Canada à Maurice lorsqu’elle a statué dans cette affaire et qu’elle n’a donc pas tenu compte du courriel du 27 juin 2016 quand elle a pris sa décision.

[19]  À mon avis, il n’est pas loisible à une décideuse de produire un affidavit pour expliquer qu’elle ne se souvient pas d’avoir pris connaissance de documents précis et pour faire valoir qu’elle n’a donc pas tenu compte de ces documents quand elle a rendu sa décision. De plus, en déposant un affidavit dans lequel elle affirme ne pas avoir tenu compte de documents précis dans sa prise de décision, Mme Erickson tente essentiellement d’expliquer ou d’améliorer sa décision. Cela n’est pas permis (Sellathurai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CAF 255, aux par. 45 à 47 [Sellathurai]).

[20]  L’affidavit d’Erickson aborde ensuite le contenu de la lettre d’équité procédurale et une entrée datée du 16 mai 2018 dans le SMGC que Mme Erickson a faite et qui, selon elle, énonce ses nombreuses préoccupations cernées par des préposés à la vérification ainsi que son appréciation de ces préoccupations. Elle affirme que les préoccupations déterminantes sont expressément exposées dans la lettre d’équité procédurale. En ce qui concerne l’entrée du 10 juillet 2018 dans les notes du SMGC qu’elle a faite dans le but de résumer les motifs de sa décision, elle indique que ceux‑ci sont expressément décrits dans la lettre de refus. Là encore, à mon avis, il n’est pas loisible à la décideuse de produire de la preuve par affidavit pour expliquer sa décision et pour témoigner de ce qu’elle croit déterminant (Sellathurai). Et, même si ce point n’est pas soulevé par la demanderesse, cela pourrait être considéré comme une tentative de la part de Mme Erickson de se distancier de son entrée antérieure dans les notes du SMGC, dans laquelle elle se disait préoccupée de la possibilité qu’il y ait eu collusion entre la demanderesse et des employeurs bienveillants au haut‑commissariat de Maurice pour faire une fausse présentation des fonctions qu’elle y aurait exercées, ainsi qu’entre la demanderesse et son beau‑père en ce qui concerne son emploi à l’hôtel Mehar Castle. Compte tenu de ce qui précède, sauf pour l’explication de la divergence entre le DAT et le dossier préparé au titre de l’article 9, l’affidavit d’Erickson est inadmissible.

[21]  L’affidavit de la demanderesse décrit principalement des événements qui sont évidents à la lecture du dossier. Dans la mesure où l’affidavit est un argument ou ajoute des renseignements qui n’étaient pas devant la décideuse, autres que ceux qui soutiennent l’allégation de manquement à l’équité procédurale, je lui accorde peu de valeur probante. L’affidavit de Ponisamy décrit surtout la correspondance que le déposant avait fournie au sujet de l’emploi de la demanderesse, ce qui est évident à la lecture du dossier. L’affidavit de Ponisamy n’a pas été soumis à la décideuse, il n’appartient à aucune des exceptions et il n’est pas admissible. J’arrive à la même conclusion pour les mêmes motifs en ce qui a trait à l’affidavit de Nayeck.

Question no 1 : La conclusion de fausses déclarations tirée par l’agente est‑elle raisonnable?

[22]  La demanderesse fait valoir que des erreurs ont été commises dans les vérifications effectuées à la demande du haut‑commissariat du Canada et que celles‑ci ont été aggravées par une appréciation déraisonnable de sa réponse à la lettre d’équité procédurale. Elle soutient que l’agente a préféré la preuve produite au moyen d’une vérification sur place déficiente à l’hôtel Mehar Castle et d’une vérification par courriel auprès du haut‑commissariat de Maurice, au détriment de la preuve qu’elle avait présentée en réponse à la lettre d’équité procédurale, en raison de préoccupations non fondées de l’agente au plan de la crédibilité. La demanderesse fait valoir que l’agente a établi que le beau‑père de la demanderesse et ses supérieurs au haut‑commissariat de Maurice avaient agi de concert pour appuyer sa demande de résidence permanente en fournissant des renseignements falsifiés, mais qu’elle n’a effectué aucune appréciation ou analyse motivée à l’appui de ses conclusions. Les motifs, le dossier et l’affidavit d’Erickson n’énoncent aucun fondement ni explication raisonnables à l’appui de cette conclusion.

[23]  Pour sa part, le défendeur fait valoir que l’agente avait de justes raisons de statuer que la demanderesse avait directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ce qui entraînait ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. L’agente a apprécié de façon raisonnable la preuve produite par la demanderesse à la lumière de la preuve recueillie de manière indépendante par l’équipe de vérification, et elle a conclu de façon raisonnable que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse avait fait une présentation erronée de son expérience professionnelle.

Analyse

[24]  En ce qui concerne l’expérience de travail de la demanderesse à l’hôtel Mehar Castle, l’agente a inscrit dans les notes du SMGC que, en réponse à la lettre d’équité procédurale, la demanderesse avait précisé que son expérience à l’hôtel Mehar Castle n’était pas pertinente, parce qu’elle ne comptait pas sur celle‑ci pour recueillir les points nécessaires dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral). La preuve qu’elle avait déjà fournie (lettres d’emploi de son beau‑père et bulletins de paye) et la preuve produite avec sa réponse à la lettre d’équité procédurale (registres de paiements de l’hôtel) servaient plutôt à confirmer son emploi dans cet établissement.

[25]  L’agente a également pris note de l’observation de la demanderesse selon laquelle l’équipe de direction actuelle de l’hôtel n’était peut‑être pas bien placée pour confirmer son expérience à titre d’interprète dans l’établissement, comme l’indique une lettre d’emploi mise à jour de son beau‑père, et une copie d’une convention de location datée de novembre 2016 pour l’hôtel. Toutefois, l’agente a conclu que contrairement à l’affirmation du beau‑père de la demanderesse, qui laissait entendre que les nouveaux dirigeants n’avaient qu’un mois d’expérience, quand les enquêteurs ont effectué leur vérification sur place, ils ont parlé au directeur de l’hôtel qui avait beaucoup de connaissances et d’expérience au sujet des activités de l’hôtel ainsi qu’à un employé qui travaillait à l’hôtel bien avant le changement de direction.

[26]  Je constate que le rapport anti‑fraude de l’Unité de l’évaluation des risques indique que lorsque l’équipe s’est rendue à l’hôtel, le réceptionniste a confirmé qu’il n’y travaillait que depuis quelques jours, il n’a pas pu confirmer l’identité de la demanderesse à l’aide d’une photo et il a demandé aux enquêteurs d’attendre le propriétaire de l’hôtel. Toutefois, un membre du personnel qui se trouvait à la réception a reconnu la demanderesse sur la photo et a indiqué que celle‑ci était l’épouse du fils cadet de l’ancien propriétaire. De plus, la famille résidait à côté de l’hôtel, mais elle avait récemment quitté pour s’établir au Canada. Le membre du personnel a ensuite été invité par le réceptionniste à s’abstenir de parler aux enquêteurs. Le directeur actuel s’est ensuite présenté et il a confirmé que l’hôtel était précédemment la propriété du beau‑père de la demanderesse et du fils de celui‑ci, Raju Bhasin (l’époux de la demanderesse), qui avaient tous deux déménagé au Canada en août 2017. Un autre fils se trouvait au Canada depuis 10 ans. Avant de prendre en charge l’hôtel, le directeur avait exploité une entreprise de transport. Il a affirmé qu’il connaissait bien la famille, étant donné qu’il avait été associé en affaires avec elle pendant des années et qu’il fournissait des services de taxi à ses clients. Quand on lui a demandé si des membres féminins de la famille s’occupaient de la gestion de l’hôtel, il a indiqué que les deux filles du propriétaire étaient mariées et qu’elles s’occupaient de leur famille respective. De plus, il a ajouté que la demanderesse ne s’occupait pas de l’hôtel et qu’elle n’y travaillait pas, à quelque titre que ce soit. Il a également signalé que son père était un commissaire de police et il a indiqué le lieu de travail de la demanderesse. Quand on lui a demandé si l’hôtel avait offert des services d’un traducteur, il a affirmé que l’hôtel n’en avait pas besoin, parce que la plupart de ses clients parlaient anglais ou hindi.

[27]  Lorsqu’on lui a demandé si les enquêteurs pouvaient parler à l’un ou l’autre des plus anciens membres du personnel, le directeur a indiqué qu’il ne restait que la personne avec laquelle ils s’étaient entretenus auparavant à la réception ainsi qu’un gardien. Les enquêteurs ont ensuite parlé au gardien qui leur a indiqué qu’il travaillait à l’hôtel depuis 15 ans, qu’il connaissait bien la famille et que tous ses membres se trouvaient actuellement au Canada. Quand on lui a montré des photos de la demanderesse, il l’a identifiée comme la bru du propriétaire et il a affirmé qu’elle n’avait jamais travaillé à l’hôtel à quelque titre que ce soit et qu’il ne l’avait jamais vu venir à l’hôtel.

[28]  Les entrées dans les notes du SMGC font état de préoccupations au sujet de la vraisemblance qu’un petit hôtel de 24 chambres ait besoin d’engager un interprète à temps plein. Le rapport de la vérification sur place a aussi confirmé que l’hôtel ne comptait que 24 chambres et qu’il ne s’y trouvait pas de salle de conférence ni de bureau.

[29]  Même si la réponse à la lettre d’équité procédurale allègue que la demanderesse avait produit une preuve suffisante pour établir qu’elle avait travaillé comme interprète à l’hôtel entre septembre 2008 et décembre 2012, l’agente a conclu qu’après avoir apprécié la preuve présentée par la demanderesse par rapport à la preuve recueillie par l’équipe qui s’est rendue sur place, elle préférait la preuve de cette équipe qui est consignée dans son rapport, lequel avait conclu qu’il semblait que la demanderesse avait fait une présentation erronée de son expérience de travail en qualité de traductrice à l’hôtel. L’agente a indiqué qu’elle était convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse n’avait jamais été employée à l’hôtel à quelque titre que ce soit. La déclaration de ce fait important était liée à la recevabilité de sa demande, elle constituait une tentative de fermer une piste d’enquête au sujet des activités personnelles de la demanderesse au cours de cette période et elle aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR; pour ce seul motif, l’agente a statué que la demanderesse était interdite de territoire au Canada.

[30]  Compte tenu du dossier soumis à l’agente, il est manifeste que celle‑ci a préféré la preuve recueillie par l’Unité d’évaluation des risques qui se trouvait dans le rapport anti‑fraude établi après une investigation en milieu non protégé, étant donné qu’elle est constituée de renseignements obtenus de personnes qui n’avaient aucun intérêt dans l’issue de la demande et aucun motif de faire de fausses déclarations au sujet des antécédents de travail de la demanderesse. De plus, deux des personnes interviewées connaissaient manifestement la demanderesse et étaient liées depuis longtemps à l’hôtel et à ses activités.

[31]  Bien que je convienne que les motifs de l’agente sont concis, celle‑ci n’était pas tenue d’accepter aveuglément la réponse à la lettre d’équité procédurale (Lamsen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 815, au par. 17). De plus, comme l’agente l’a fait remarquer, même si le beau‑père de la demanderesse a affirmé que l’un des dirigeants avait seulement un mois d’expérience – déclarant dans sa lettre mise à jour que ce fait jumelé à un changement dans la clientèle [traduction« explique pourquoi leurs commentaires témoignent seulement de la réalité actuelle » –, trois personnes ont en fait été interrogées et deux d’entre elles avaient plus d’un mois d’expérience et connaissaient la demanderesse ainsi que sa belle‑famille. Cela étant dit, l’agente a pris acte de la preuve produite par la demanderesse dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale en ce qui concerne son emploi à l’hôtel, mais elle a conclu qu’elle était contredite par les conclusions du rapport d’enquête. Il était loisible à l’agente de préférer ce dernier.

[32]  Il ne s’agit pas d’un cas dans lequel l’agente aurait fait abstraction ou aurait fait une interprétation erronée de la preuve concernant l’emploi allégué de la demanderesse à l’hôtel. L’agente a plutôt préféré la preuve indépendante exposée dans le rapport d’enquête, qui se trouve au dossier, qui contredisait la preuve produite en réponse à la lettre d’équité procédurale. Même si l’agente n’a pas tiré une conclusion explicite selon laquelle les documents à l’appui de l’emploi (bulletins de paye et registres des paiements de l’hôtel) étaient frauduleux, il est manifeste, sans égard à l’existence de ces documents, que l’agente ne les a pas considérés comme le reflet d’un emploi réel.

[33]  En ce qui concerne l’importance de la présentation erronée, contrairement à ses observations courantes, la demanderesse a d’abord invoqué son expérience à l’hôtel Mehar Castle quand elle a préparé sa demande de résidence permanente. Plus particulièrement, dans ses observations datées du 22 décembre 2014, l’avocate de la demanderesse à l’époque a expliqué son calcul des points attribués à la demanderesse conformément aux articles 78 à 83 de la LIPR. Dans le cadre de cet exercice, elle a accordé 15 points d’expérience à la demanderesse pour ses six années d’expérience accumulées à l’hôtel Mehar Castle et au haut‑commissariat de Maurice, pour un total de 74 points, ce qui est supérieur à la note de passage de 67 points.

[34]  Même si la demanderesse prétend maintenant ne plus compter sur cette expérience pour présenter sa demande, elle ne parviendra pas à l’effacer ou à la soustraire à l’examen dans le contexte d’une présentation erronée. Son cas est analogue à une situation dans laquelle un demandeur fait une fausse déclaration dont s’aperçoivent les autorités et tente par la suite de l’escamoter avant qu’une décision soit rendue. Dans de telles circonstances, la fausse déclaration peut et est généralement considérée comme une présentation erronée substantielle (voir, par exemple, Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512, au par. 25 [Khan]). Comme je l’ai fait remarquer dans la décision Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au par. 29, un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande. L’analyse de la notion de fait important ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande (Haque c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 315, aux par. 12 et 17; Khan, aux par. 25, 27 et 29; Shanin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 423, au par. 29; Appiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1043, au par. 15).

[35]  Même si je conviens avec la demanderesse que le traitement qu’a fait l’agente de la preuve concernant son emploi au haut‑commissariat de Maurice était déraisonnable, je n’ai pas à m’en préoccuper, compte tenu de ma conclusion énoncée ci‑dessus au sujet du caractère raisonnable de sa décision sur la fausse déclaration substantielle de la demanderesse en ce qui concerne son emploi à l’hôtel Mehar Castle. La conclusion de fausses déclarations tirée par l’agente à cet égard est déterminante.

Question no 2 : Y a‑t‑il eu manquement au devoir d’équité procédurale?

[36]  La demanderesse fait également valoir que la décision de l’agente est inéquitable au plan procédural, parce qu’elle est fondée sur une conclusion voulant que les divers diplomates mauriciens aient été de collusion avec la demanderesse afin d’appuyer sa demande de résidence permanente, et que cette avant‑dernière conclusion a empêché toute enquête sérieuse, comme vérifier l’expérience professionnelle de la demanderesse en communiquant avec M. Ponisamy ou le beau‑père de la demanderesse. Et l’agente n’a pas non plus fait part de ses préoccupations au sujet de la collusion à la demanderesse dans la lettre d’équité procédurale.

[37]  Même si les notes du SMGC indiquent en fait que l’agente était préoccupée par la possibilité de collusion, sa décision finale n’a pas été prise pour ce motif, et je ne suis pas convaincue que ses motifs soient entachés par cette préoccupation, comme l’allègue la demanderesse. De plus, la lettre d’équité procédurale précise que l’agente était préoccupée par la possibilité que la demanderesse ait présenté erronément son expérience professionnelle à titre d’interprète/traductrice au haut‑commissariat de Maurice et à l’hôtel Mehar Castle. La lettre indique que cette préoccupation découle des enquêtes du haut‑commissariat du Canada, qui ont permis de conclure que le haut‑commissariat de Maurice était incapable de confirmer de manière indépendante que la demanderesse avait de l’expérience à titre d’interprète/traductrice et qu’il déclarait qu’elle avait été employée seulement comme recherchiste/secrétaire; la demanderesse n’a jamais été employée à l’hôtel Mehar Castle à quelque titre que ce soit et l’établissement n’avait jamais engagé d’interprète/traducteur. La lettre d’équité procédurale n’était pas imprécise et elle faisait part à la demanderesse des préoccupations de l’agente.

[38]  De plus, il ne s’agit pas d’une situation comme celle qui existait dans la décision Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1012, dans laquelle l’agent était conscient que la personne avec laquelle il avait pris contact n’était pas l’employeur de la demanderesse, que cette personne avait fourni des renseignements contradictoires avant de déposer un affidavit confirmant qu’elle n’était pas l’employeur et indiquant que les questions devaient être adressées à l’employeur. Dans ce cas, la Cour a statué que l’omission de tenir compte de l’affidavit et de communiquer avec l’employeur ou d’expliquer pourquoi il n’y avait eu aucun contact affaiblissait la transparence et l’intelligibilité de la décision. En l’espèce, toutefois, le beau‑père de la demanderesse a prétendu être l’employeur, sa preuve a été présentée par la demanderesse et a été prise en considération par l’agente. De plus, le haut‑commissariat du Canada a communiqué directement avec le haut‑commissariat de Maurice afin de faire confirmer son emploi par cet organisme. L’agente n’était pas tenue de prendre contact avec les anciens supérieurs de la demanderesse; en tout état de cause, la preuve de M. Ponisomy a été soumise à l’agente et elle a été répétée dans ses lettres subséquentes et des lettres de tiers.

[39]  À mon avis, la demanderesse était au courant des préoccupations de l’agente et elle a eu la possibilité d’y répondre. Je ne suis pas convaincue qu’il y ait eu manquement au devoir d’équité procédurale dans ces circonstances.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3929‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification et l’espèce n’en soulève aucune;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour d’août 2019

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3929‑18

INTITULÉ :

PRIYA SOOROOJEBALLY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 MAI 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 JUIN 2019

COMPARUTIONS :

Mario D. Bellissimo

Tamara Thomas

POUR La demanderesse

Suzanne Bruce

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE défendeur

 

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