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                                                                                                                                 Date : 20050421

                                                                                                                    Dossier : IMM-6351-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 543

ENTRE :

                                                         WAFA EL JAJI TOUITA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel de l'immigration (SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), dans laquelle la SAI a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour instruire l'appel de la demanderesse, en vertu des articles 192, 196 et 64(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

CONTEXTE


[2]                La demanderesse est une citoyenne canadienne qui a épousé M. Abdul Kader Touita en 1997. Ils ont quatre enfants, tous nés au Canada. Elle a présenté une demande pour parrainer M. Touita le 22 décembre 2000, et M. Touita a présenté une demande de résidence permanente au Canada.

[3]                M. Touita est né en Algérie le 30 mars 1963. Il a été admis au Canada en tant que visiteur le 9 janvier 1994. Le 11 décembre 1995, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que M. Touita n'avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni la qualité de personne à protéger. Cette décision était fondée principalement sur une affirmation de M. Touita, à savoir qu'il était membre du Front Islamique du Salut (FIS).

[4]                La SPR a procédé à une analyse détaillée du FIS, et a conclu que M. Touita n'était pas un réfugié au sens de la Convention puisqu'il était visé par la section Fa) de l'article premier de la Convention de 1951 des Nations-Unies relative au statut de réfugié. Cette disposition indique clairement que la Convention ne s'applique pas aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de croire qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Le 7 mai 1996, notre cour a rejeté la demande de permission introduite par M.Touita relativement à cette décision de la SPR, la demanderesse ayant omis de déposer un dossier.

[5]                Il convient de remarquer que la demanderesse allègue maintenant, dans son affidavit à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, que son mari n'a jamais été associé au FIS et qu'il a inventé cette histoire sur recommandation de l'avocat qui le représentait au moment de la présentation de sa demande d'asile.

[6]                Le 29 janvier 1998, la demanderesse a présenté une demande d'exemption ministérielle afin que sa demande de résidence permanente soit traitée au Canada. Cette demande a été rejetée le 3 juillet 1998 au motif que les considérations d'ordre humanitaire étaient insuffisantes.


[7]                Le 23 octobre 1998, la SAI a autorisé le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration à rejeter l'appel de la demanderesse, au motif que la SAI n'avait pas compétence pour instruire l'appel par suite de la décision du 3 juillet 1998 de refuser l'exemption. En outre, le 4 novembre 1998, la Cour fédérale du Canada a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision du 3 juillet 1998.

[8]                Le 5 mars 1999, la demanderesse a présenté une autre demande de dispense de visa d'immigrant, qui a été refusée le 11 mars 1999.

[9]                Tel que mentionné précédemmment, la demanderesse a présenté une demande pour parrainer M. Touita le 22 décembre 2000 et M. Touita a soumis une demande de résidence permanente le 10 avril 2001.

[10]            L'agent des visas à Damas en Syrie a demandé à ce que M. Touita assiste à une entrevue à Damas. M. Touita a informé l'agent, par l'entremise de son avocat, qu'il ne serait pas en mesure d'assister à l'entrevue à la date proposée (le 25 juillet 2001), puisqu'il était en attente de son passeport et qu'un de ses enfants allait bientôt naître. L'agent des visas a proposé une autre date, le 25 septembre 2001, et M. Touita a également répondu, par l'entremise de son avocat, qu'il était toujours dans l'attente de son passeport de l'Algérie, sans lequel il ne pouvait voyager.


[11]            Il semble que l'agent des visas n'ait jamais reçu la seconde lettre. Comme on avait informé M. Touita que s'il n'assistait pas à l'entrevue du 25 septembre 2001, il serait réputé avoir abandonné sa demande, l'agent des visas est venu à la conclusion qu'il entrait dans la catégorie des personnes non admissibles visées à l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration de 1976, du fait qu'il ne s'était pas conformé aux dispositions de la Loi et du Règlement. En outre, il a également jugé qu'il n'était pas admissible en vertu de l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immigration de 1976, qui exclut les personnes à l'égard desquelles il existe des motifs raisonnables de croire qu'elles ont commis des crimes contre l'humanité. L'agent des visas est arrivé à cette conclusion en s'appuyant sur la décision précédente de la SPR.

[12]            Le 15 novembre 2001, la demanderesse a interjeté appel devant la SAI de la décision qui refusait la demande d'établissement au Canada parrainée présentée par son mari, le tout en vertu du paragraphe 77(3) de la Loi sur l'immigration de 1976. La SAI a prononcé sa décision le 21 juin 2004, et a rejeté l'appel pour défaut de compétence. Cette décision fait maintenant l'objet d'une demande de contrôle judiciaire.

DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE

[13]            La SAI a décidé qu'elle n'avait pas compétence pour instruire l'appel de M. Touita, en vertu du paragraphe 64(1) et des articles 190, 192 et 196 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Voici le libellé de ces dispositions :



64.(1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

[. . .]

190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.

192. S'il y a eu dépôt d'une demande d'appel à la Section d'appel de l'immigration, à l'entrée en vigueur du présent article, l'appel est continué sous le régime de l'ancienne loi, par la Section d'appel de l'immigration de la Commission.

196. Malgré l'article 192, il est mis fin à l'affaire portée en appel devant la Section d'appel de l'immigration si l'intéressé est, alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi, visé par la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi.

64.(1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

[. . .]

190. Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.

192. If a notice of appeal has been filed with the Immigration Appeal Division immediately before the coming into force of this section, the appeal shall be continued under the former Act by the Immigration Appeal Division Board.

196. Despite section 192, an appeal made to the Immigration Appeal Division before the coming into force of this section shall be discontinued if the appellant has not been granted a stay under the former Act and the appeal could not have been made because of section 64 of this Act.


[14]            La SAI a également conclu que M. Touita était visé au paragraphe 64(1) de la LIPR, en application du paragraphe 320(2) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, qui se lit comme suit :


320.(2) La personne qui, à l'entrée en vigueur du présent article, avait été jugée appartenir à une catégorie visée à l'un des alinéas 19(1)j) et l) de l'ancienne loi est interdite de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux sous le régime de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

320.(2) A person is inadmissible under the Immigration and Refugee Protection Act on grounds of violating human or international rights if, on the coming into force of this section, the person had been determined to be a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(j) or (l) of the former Act.


[15]            S'appuyant essentiellement sur le raisonnement adopté par mon collègue le juge Phelan dans la décision Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [2004] A.C.F. no 814, la SAI a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour instruire cet appel puisque l'article 196 de la LIPR s'applique aux appels à l'égard des parrainages et que la demanderesse est une personne visée au paragraphe 64(1) de la LIPR.

[16]            La SAI était d'avis que l'esprit de la LIPR vise clairement à limiter les droits d'appel par rapport à ceux qui existaient en vertu de l'ancienne Loi. Si le législateur avait eu une autre intention, il l'aurait expliqué clairement.


[17]            De plus, l'article 196 doit être interprété conformément aux objets de la Loi et à l'intention du législateur. Ces objectifs figurent à l'alinéa 3(1) de la LIPR, et comprennent la réunification des familles et la sécurité des Canadiens. Comme l'article 64 est clairement centré sur les objectifs liés à la sécurité des Canadiens et qu'il est étroitement lié à l'article 196, la SAI a conclu que cette dernière disposition visait à assujettir les demandeurs, y compris les parrains, à la disposition de la nouvelle Loi et à limiter la possibilité de poursuivre des appels en vertu de l'ancienne Loi.

[18]            En dernier lieu, la SAI a avancé que si l'article 196 ne s'appliquait pas aux demandes de parrainage, cela signifierait que les résidents permanents sujets aux mesures de renvoi et visés à l'article 64 seraient traités moins favorablement que les personnes qui n'ont aucun statut au Canada.

QUESTION EN LITIGE

[19]            L'article 196 de la LIPR doit-il être interprété de façon à englober tous les appels, y compris ceux interjetés par les parrains devant la SAI en vertu de l'article 77 de l'ancienne Loi sur l'immigration?

ANALYSE

[20]            Il s'agit encore là d'un autre cas qui soulève la difficile question de savoir si l'article 196 de la LIPR doit être interprété de façon à mettre fin aux appels de parrainage présentés avant l'entrée en vigueur de cette Loi. J'ai examiné à fond les diverses décisions de la présente Cour qui traitent de cette question, et j'ai examiné attentivement les arguments des deux parties. J'arrive à la conclusion que le point de vue le plus acceptable est celui du juge Phelan dans la décision Williams c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 814, suivi et développé par mes collègues les juges Gauthier, Mactavish et Martineau, respectivement dans Canada (M.C.I.) c. Bhalrhu, [2004] A.C.F. no 814, Kang c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 297, et Alleg c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 348.


[21]            En toute déférence pour l'opinion contraire exprimée dans Canada (M.C.I.) c. Sohal, [2004] A.C.F. no 813, je conclus que l'article 196 doit être interprété de façon à englober les appels en matière de parrainage, compte tenu du libellé de l'article en soi, de la relation entre cet article et les autres articles de la Loi, particulièrement les articles 197 et 64, ainsi que de l'objet de la LIPR. Vue le contexte global et l'économie de la Loi, cette interprétation me semble être la plus concluante et celle qui reflète le mieux l'intention du législateur.

[22]            Par conséquent, je n'ai d'autre choix que de rejeter la demande de contrôle judiciaire. Il est vrai que les faits sous-jacents à l'appel interjeté auprès de la Section d'appel de l'immigration sont quelque peu troublants, mais le législateur n'a pas prévu d'exception, que ce soit dans le contexte de l'article 64 ou dans celui de l'article 196, pour les cas où une personne est considérée interdite de territoire pour des raisons de sécurité, pour atteinte aux droits de la personne ou aux droits internationaux, ou pour grande criminalité ou criminalité organisée. L'application d'une disposition législative, une fois interprétée adéquatement, ne peut varier selon les faits de chaque espèce; autrement, la loi n'offrirait aucune certitude.

                                                                                                                           « Yves de Montigny »         

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6351-04

INTITULÉ :                                                    WAFA EL JAJI TOUITA

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 22 mars 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LeJuge de Montigny

DATE DES MOTIFS :                                   Le 21 avril 2005

COMPARUTIONS :

Silvia R. Maciunas                                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Marie Crowley                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silvia R. Maciunas

Ottawa (Ontario)                                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

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