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Date : 20190626


Dossiers : IMM‑3435‑18

IMM‑3436‑18

IMM‑3437‑18

Référence : 2019 CF 863

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

Dossier : IMM‑3435‑18

ENTRE :

MAYA WARD

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur



Dossier : IMM‑3436‑18

ET ENTRE :

NOWAR WARD

LAMA ALDBIAT

KINDA WARD

NAYA WARD

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM‑3437‑18

ET ENTRE :

MOHANNAD WARD

MAISAA EID

FARAH WARD

MARAH WARD

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur


JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le présent jugement concerne trois demandes de contrôle judiciaire, présentées en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), des décisions prises par un agent d’immigration international (l’agent) à l’ambassade du Canada à Beyrouth, au Liban, le 24 mai 2018.

[2]  Les trois demandes, portant les numéros IMM‑3435‑18, IMM‑3436‑18, et IMM‑3437‑18, ont été entendues conjointement et concernent neuf membres de la même famille élargie. Les demandeurs sont des citoyens syriens qui ont demandé la résidence permanente à titre de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil. L’agent a rejeté leurs demandes au motif qu’ils ne résidaient pas à l’extérieur de leur pays de persécution, la Syrie.

[3]  Je ferai droit aux présentes demandes pour les motifs qui suivent.

II.  Les faits

[4]  Les personnes énumérées ci‑dessous seront collectivement appelées les demandeurs. Pour plus de commodité et non par manque de respect, elles seront désignées individuellement par leurs prénoms.

[5]  La demanderesse dans le dossier numéro IMM‑3435‑18 est Maya Ward, une citoyenne syrienne, née le 5 septembre 1985 à Damas, en Syrie. Les parents et le jeune frère de Maya résident toujours en Syrie.

[6]  Les demandeurs dans le dossier numéro IMM‑3436‑18 sont une famille syrienne, qui comprend Nowar Ward, sa femme Lama Aldbiat, et leurs deux filles, Kinda Ward, âgée de 21 ans et Naya Ward, âgée de 17 ans.

[7]  Les demandeurs dans le dossier numéro IMM‑3437‑18 sont une famille syrienne, comprenant Mohannad Ward, sa femme Maisaa Eid, et leurs deux filles jumelles, Farah Ward et Marah Ward, toutes les deux âgées de 14 ans.

[8]  Les demandeurs sont membres de la même famille élargie. Mohannad et Nowar sont des frères et Maya est leur nièce.

[9]  Les demandeurs ont déposé des demandes de résidence permanente datées du 30 août 2016. Dans leurs demandes, Nowar et Mohannad ont déclaré leurs femmes et leurs enfants à titre de personnes à charge.

[10]  Les demandeurs ont sollicité la résidence permanente à titre de réfugiés parrainés par le secteur privé dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou la catégorie de personnes de pays d’accueil. Leurs demandes ont été parrainées par un groupe de cinq Canadiens qui ont placé des fonds en fiducie.

[11]  Les demandeurs sont des musulmans ismaéliens, un groupe religieux minoritaire en Syrie.

[12]  Dans l’exposé circonstancié joint à sa demande, Maya a expliqué comme suit la situation de sa famille en Syrie et leur décision de quitter la Syrie pour aller au Liban en septembre 2014 :

  1. Maya a grandi à Damas, en Syrie avec ses parents et son jeune frère.

  2. Lorsque la révolte a commencé en Syrie en 2011, leur quartier est devenu très dangereux parce que le régime syrien et des groupes d’opposition s’y affrontaient.

  3. En juillet 2012, leur quartier a été détruit et la famille a dû quitter le foyer. Maya et sa mère ont été obligées de quitter leur emploi d’enseignantes.

  4. Maya et sa famille ont été déplacées à plusieurs reprises en Syrie au cours des deux années suivantes en raison des attaques lancées par des extrémistes religieux, notamment un incident au cours duquel l’appartement de la famille a été incendié en partie.

  5. En mai 2014, le père de Maya a été enlevé et n’a été relâché qu’en janvier 2015 après que la famille élargie de Maya ait payé une forte rançon.

  6. Maya s’est enfuie au Liban en septembre 2014 avec sa mère et son frère et elle s’est établie à Tripoli.

  7. La mère et le frère de Maya sont retournés en Syrie en décembre 2014, à cause du coût élevé de la vie au Liban alors qu’ils ne trouvaient pas de travail et de la nécessité de rechercher le père de Maya qui avait été enlevé.

[13]  Dans l’exposé circonstancié joint à sa demande, Nowar a expliqué comme suit sa situation familiale en Syrie et leur décision de quitter la Syrie pour le Liban en août 2015 :

  1. La famille est venue au Canada en 2006 en qualité de résidents permanents. Ils ont vécu au Canada pendant environ quatre mois, mais ils sont retournés en Syrie, Nowar et Lama n’ayant pu se trouver du travail au Canada.

  2. Avant la révolte syrienne de 2011, Nowar travaillait pour la compagnie Syrian Airlines et Lama travaillait comme ingénieur civil.

  3. Lorsque la révolte a commencé, la famille n’a pas été en mesure de revenir au Canada, parce que la période requise pour répondre aux obligations se rattachant à la résidence permanente avait expiré.

  4. En mai 2013, la famille a perdu son logement à Damas, en Syrie, quand leur quartier a été détruit au cours des combats qui opposaient le régime syrien et les groupes d’opposition.

  5. La famille a été menacée par des groupes religieux extrémistes qui croyaient qu’en tant que musulmans ismaéliens, ils soutenaient le régime syrien.

  6. La famille a été exposée à de graves dangers quand elle vivait en Syrie; il y a eu notamment un incident au cours duquel Nowar a été blessé par un tireur embusqué qui a tué deux passants.

  7. En raison de ce danger, la famille s’est enfuie au Liban en août 2015 et elle s’est établie à Tripoli, au Liban.

[14]  La Cour ne dispose pas d’un exposé circonstancié pour la demande de Mohannad et de sa famille. Mohannad a toutefois déclaré dans sa demande que sa famille résidait au Liban depuis 2013. Leur situation est exposée ci‑dessous.

[15]  Le 11 avril 2018, Mohannad a déposé un formulaire dans lequel il a mentionné que, depuis novembre 2014, lui et Maisaa faisaient des allers-retours entre la Syrie et le Liban, six ou sept fois par an, et demeuraient en Syrie une vingtaine de jours à chaque voyage. Mohannad a également précisé que depuis novembre 2014, Farah et Marah vivent en Syrie avec leurs grands-parents et fréquentent l’école.

[16]  Le 13 avril 2018, Maya a déposé un formulaire dans lequel elle a mentionné qu’elle faisait des allers-retours entre la Syrie et le Liban depuis juillet 2015, à raison de six ou sept fois par année.

[17]  Le 18 avril 2018, les demandeurs ont passé une entrevue à l’ambassade du Canada à Beyrouth, au Liban (les entrevues). L’agent a mené trois entrevues distinctes : une avec Maya, une avec Nowar et sa famille, et une avec Mohannad et sa famille.

[18]  Les seules preuves dont dispose la Cour au sujet du déroulement des entrevues sont les notes versées par l’agent au Système mondial de gestion des cas (SMGC). L’agent a préparé des notes du SMGC pour chaque entrevue. Une partie importante des notes de l’agent a toutefois été reproduite dans les trois dossiers.

[19]  Dans ses notes concernant l’entrevue de Mohannad, l’agent décrit comme suit sa situation familiale :

[traduction]

i)  Mohannad a terminé ses études pour devenir avocat en 2012, mais il n’a pas été en mesure de pratiquer le droit en raison de la situation régnant en Syrie et il a travaillé en fait comme peintre en bâtiment.

ii)  La famille a vécu à Damas, en Syrie, jusqu’en août 2013, parce que des manifestants ont alors commencé à exiger que les musulmans ismaéliens quittent la Syrie.

iii)  En août 2013, la famille s’est enfuie au Liban et a vécu à Tripoli.

iv)  La famille est revenue en Syrie en 2014, et elle s’est établie à Salamiyah, pour que Farah et Marah puissent fréquenter l’école.

[20]  Selon les témoignages recueillis par l’agent lors de chacune de ces entrevues, Maya, Nowar et Mohannad ont séjourné tant en Syrie qu’au Liban. L’agent a ensuite informé chacun des demandeurs qu’il craignait qu’ils ne fassent pas partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil, parce qu’ils résidaient en Syrie et avaient l’intention de retourner en Syrie après leur entrevue. Le passage suivant est tiré des notes de l’agent concernant l’entrevue de Maya, mais il a été, pour l’essentiel, reproduit dans les notes concernant les entrevues de Nowar et de Mohannad :

[traduction]

À ce moment de l’entrevue, j’ai informé la DP que je craignais qu’elle ne réponde pas à la définition de réfugié ou de pays d’accueil, aux termes de la LIPR. J’ai expliqué aux demandeurs qu’un réfugié est, au départ, quelqu’un qui demande l’asile dans un pays d’asile alors qu’apparemment [elle] résidait toujours en Syrie et était venu au Liban à quelques reprises en 2018 pour remplir des formulaires et passer des entrevues. J’ai informé la DP que j’avais des motifs raisonnables de croire que, si elle était bien à l’extérieur de son pays de persécution aujourd’hui, elle n’avait pas l’intention de se trouver à l’extérieur de [son] pays de persécution. Outre les formulaires à remplir et l’entrevue à passer, aucune preuve ne m’a été présentée indiquant qu’ils auraient quitté leur pays de persécution.

[21]  Les notes de l’agent indiquent qu’en réponse à ces préoccupations :

  1. Maya a déclaré qu’elle avait résidé au Liban entre septembre 2014 et juillet 2015 et qu’elle ne pouvait demeurer légalement plus d’un mois au Liban.

  2. Mohannad a déclaré qu’alors que ses enfants vivaient en Syrie, lui-même vivait au Liban et voyageait constamment entre la Syrie et le Liban.

[22]  Chacun des demandeurs a fourni des preuves supplémentaires à l’agent après les entrevues.

[23]  Maya a transmis les documents suivants à l’agent :

  1. Un certificat de résidence émanant du ministère libanais de l’Intérieur et des Municipalités, daté du 22 avril 2018, indiquant que Maya avait résidé à Tripoli, au Liban, du 15 janvier 2015 au 1er novembre 2015.

  2. Un certificat de résidence émanant du ministère libanais de l’Intérieur et des Municipalités, daté du 19 avril 2018, indiquant que Maya était une « visiteuse fréquente » à Tayr Dabba, au Liban, entre janvier 2017 et avril 2018.

  3. Un dossier libanais d’entrées-sorties indiquant ses entrées légales au Liban (deux entrées en 2014, une en mars 2018 et une en avril 2018, pour l’entrevue).

[24]  Maya a également précisé, dans un courriel envoyé à l’agent, daté du 17 mai 2018, que pendant la plus grande partie du temps qu’elle avait passé au Liban, elle était en situation irrégulière et qu’elle pourrait fournir d’autres éléments d’information au besoin.

[25]  Dans un courriel daté du 17 mai 2018, Nowar a expliqué qu’il était retourné au Liban en janvier 2017 et qu’il avait vécu dans le village de Tayr Dabba. Nowar a ajouté que sa famille avait traversé illégalement la frontière en 2015 et en 2016 et il a présenté des documents étayant sa déclaration, selon laquelle il résidait au Liban :

  1. Des instructions du directeur général de la Syrian Airlines, datées du 3 avril 2018, prolongeant le congé non payé de Nowar jusqu’au 10 décembre 2018 pour lui permettre de rester au Liban.

  2. Un certificat de résidence, daté du 19 avril 2018, émanant du ministère de l’Intérieur et des Municipalités, de Tayr Dabba, au Liban, indiquant que Nowar était un « visiteur fréquent » à Tayr Dabba depuis le début de 2017.

  3. Un certificat de résidence, daté du 27 avril 2018, émanant du ministère de l’Intérieur et des Municipalités, de Tripoli, au Liban, indiquant que sa famille avait résidé à Tripoli entre août 2015 et décembre 2016.

  4. Un dossier libanais d’entrées-sorties de Nowar, indiquant une entrée et une sortie le 22 mars 2018, une entrée au Liban le 9 avril 2018 et un départ du Liban le 18 avril 2018.

[26]  Dans un courriel envoyé à l’agent, daté du 17 mai 2018, Mohannad a précisé que sa famille s’était installée à Salamiyah, en Syrie, à la fin de 2014, pour résider avec les parents de Maisaa, afin de permettre à Farah et à Marah de fréquenter l’école. Mohannad a ajouté qu’il avait vécu illégalement au Liban, d’abord à Tripoli jusqu’en novembre 2016 et ensuite, à Tayr Dabba, un village situé dans le sud du Liban. Mohannad avait joint à son courriel les documents suivants étayant son affirmation selon laquelle il résidait au Liban :

  1. Un certificat de résidence émanant du ministère de l’Intérieur et des Municipalités, daté du 22 avril 2018, indiquant que Mohannad, [traduction] « ainsi que sa famille », avaient vécu à Tripoli d’août 2013 à novembre 2016.

  2. Un certificat de résidence émanant du ministère de l’Intérieur et des Municipalités, daté du 19 avril 2018, indiquant que Mohannad résidait à Tayr Dabba depuis janvier 2017 et qu’il continuait à y vivre.

  3. Un dossier libanais d’entrées-sorties, montrant que Mohannad était entré au Liban le 18 mars 2018, avait quitté le pays le 22 mars 2018, et y était revenu le 8 avril 2018.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[27]  Dans trois inscriptions distinctes consignées au SMGC et datées du 24 mai 2018, l’agent examine les éléments de preuve fournis par les demandeurs, signale certaines incohérences entre le témoignage des demandeurs au sujet du temps qu’ils avaient passé au Liban et leurs dossiers libanais d’entrées-sorties faisant état des traversées légales de la frontière, et conclut que Maya, Nowar, et Mohannad n’étaient pas crédibles, et que les demandeurs n’étaient arrivés au Liban qu’au cours du printemps de 2018.

[28]  L’agent a conclu qu’étant donné que les demandeurs résidaient en Syrie, ils n’appartenaient pas à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ni à la catégorie de personnes de pays d’accueil, et qu’il y avait donc lieu de rejeter leurs demandes. L’extrait ci‑dessous est tiré des notes versées au SMGC concernant la situation de Maya, mais il est reproduit mot à mot dans les notes concernant les deux autres dossiers :

[traduction]

[…] Après avoir examiné l’ensemble des preuves fournies, je conclus, tout bien considéré, que la demanderesse n’est pas crédible et qu’elle s’est contredite entre ce qu’elle a déclaré lors de l’entrevue relative à son admissibilité et sa réponse à la lettre d’équité procédurale. Par conséquent, j’estime que la demanderesse ne répond pas à la définition de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à la catégorie de personnes de pays d’accueil. D’après l’ensemble des éléments de preuve fournis dans la demande et les déclarations faites pendant l’entrevue, je ne suis pas convaincu qu’il existe une possibilité raisonnable ou des motifs solides de conclure que la demanderesse a une crainte fondée de persécution, étant donné que la demanderesse continue à résider dans le pays dont elle tente d’obtenir la protection.

En outre, d’après l’ensemble des éléments de preuve fournis par la demanderesse dans le dossier et dans sa réponse à la partie de l’entrevue portant sur l’équité procédurale, et à la lumière de la situation qui existe en Syrie, je ne suis pas convaincu qu’il existe une possibilité raisonnable ou des motifs solides de croire que le conflit armé qui se déroule en Syrie continue d’avoir des conséquences graves et personnelles pour la demanderesse, puisque celle-ci continue de se trouver dans le pays où elle a sa résidence habituelle.

Par conséquent, la demanderesse ne répond pas aux conditions prescrites par l’article 96 de la Loi et à l’article 147 du Règlement. Pour les motifs que je viens d’exposer, je rejette la demande.

[29]  Dans trois lettres de décision distinctes, datées du 24 mai 2018, l’agent a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil, au motif qu’ils ne résidaient pas au Liban, mais qu’ils résidaient en réalité dans le pays dont ils demandaient la protection (les décisions). Les parties essentielles de l’analyse de l’agent sont reproduites dans l’extrait ci‑dessous :

[traduction]

J’estime que vous ne répondez pas à la définition de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, étant donné que vous vivez dans le pays dont vous tentez d’obtenir la protection. Vu l’ensemble des éléments de preuve fournis dans votre demande et lors de votre entrevue, je ne suis pas convaincu qu’il existe une possibilité raisonnable ou de motifs solides établissant que vous craignez avec raison d’être persécutée. Vous ne répondez donc pas aux exigences de cette disposition.

[…]

J’estime que vous ne répondez pas à la définition de la catégorie de personnes de pays d’accueil, étant donné que vous continuez à résider dans le pays dont vous tentez d’obtenir la protection. Vu l’ensemble des éléments de preuve fournis dans votre demande et lors de votre entrevue et compte tenu de la situation qui existe en Syrie, je ne suis pas convaincu qu’il existe une possibilité raisonnable ou de motifs solides établissant que le conflit armé qui se déroule en Syrie continue d’avoir des conséquences graves et personnelles pour vous, étant donné que vous vivez dans votre pays de résidence. Vous ne répondez donc pas aux exigences de cette disposition.

[Non souligné dans l’original.]

[30]  Dans les lettres de décision concernant Maya et Mohannad, l’agent conclut ensuite qu’ils ne sont pas visés par l’alinéa 139(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), parce qu’ils se sont établis à nouveau dans leur pays de nationalité, la Syrie. L’extrait ci‑dessous figure dans les deux lettres de décision :

[traduction]

Après avoir soigneusement examiné votre demande, je conclus que vous ne répondez pas à ces conditions. Vous vous êtes réinstallés dans le pays de votre nationalité, la Syrie. Vous ne répondez donc pas aux exigences de cette disposition.

[31]  À l’exception des quelques lignes qui portent sur l’alinéa 139(1)d) et qui ne figurent pas dans la lettre de décision concernant Nowar et sa famille, les trois lettres de décision sont identiques.

IV.  Questions en litige

  1. L’agent a‑t‑il mal interprété les critères applicables à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et à la catégorie de personnes de pays d’accueil?

  2. L’agent a‑t‑il conclu à tort que les demandeurs n’avaient pas résidé au Liban?

  3. L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a déduit l’inexistence d’un danger du fait du présumé retour en Syrie des demandeurs?

V.  Dispositions pertinentes

[32]  Aux termes de l’alinéa 139(1)e) du Règlement, un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui fait partie, entre autres possibilités, de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil :

139 (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

[…]

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

139 (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

(e) the foreign national is a member of one of the classes prescribed by this Division;

[33]  L’article 96 de la LIPR définit ainsi le réfugié au sens de la Convention :

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[34]  L’article 147 du Règlement définit la catégorie de personnes de pays d’accueil :

147 Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

147 A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

 

[35]  Aux termes de l’alinéa 139(1)d) du Règlement, un visa de résident permanent est délivré à l’étranger s’il est établi qu’aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un autre pays que le Canada.

139 (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

[…]

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

139 (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

(d) the foreign national is a person in respect of whom

there is no reasonable prospect, within a reasonable period, of a durable solution in a country other than Canada, namely

(i) voluntary repatriation or resettlement in their country of nationality or habitual residence, or

(ii) resettlement or an offer of resettlement in another country;

VI.  Norme de contrôle

[36]  La décision rendue par un agent des visas appelé à décider si un demandeur appartient à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à la catégorie de personnes de pays d’accueil soulève habituellement des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, et elle est assujettie par conséquent à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Saifee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 589, au paragraphe 25 [Saifee]). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[37]  Les demandeurs soutiennent, en se fondant sur une remarque incidente formulée dans le jugement Saifee, précité, au paragraphe 26, que c’est la norme de la décision correcte qu’il convient d’appliquer aux décisions des agents des visas sur de pures questions de droit, comme l’interprétation que fait l’agent de la LIRP et du Règlement. Le jugement Saifee a toutefois été rendu peu après l’arrêt Dunsmuir, et la Cour a établi dans les décisions qui l’ont suivi que l’interprétation que donne un agent des visas de la LIPR et du Règlement a droit à la déférence et devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Ameni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 164, aux paragraphes 17 à 30 [Ameni]; Tareen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1260, au paragraphe 16).

VII.  Analyse

A.  L’agent a‑t‑il mal interprété les critères applicables à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et à la catégorie de personnes de pays d’accueil?

[38]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a eu tort d’exiger comme condition préalable à l’acceptation des demandeurs soit dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières, soit dans la catégorie de personnes de pays d’accueil qu’ils établissent leur résidence à l’extérieur de la Syrie.

[39]  Les demandeurs invoquent le jugement Ameni, précité, dans lequel le juge Brown a fait droit à une demande de contrôle judiciaire au motif que l’agent d’immigration avait assorti l’appartenance à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et à la catégorie de personnes de pays d’accueil d’une condition préalable de résidence. Le juge Brown a conclu aux paragraphes 24 et 27 qu’il suffisait que le demandeur se trouve à l’extérieur de son pays de nationalité :

[24]  Pour ce qui est des expressions utilisées dans la décision, il n'est indiqué nulle part dans la LIPR ou le RIPR que les personnes qui présentent une demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou de statut de personne de pays d’accueil doivent « habiter à l’extérieur de leur pays de nationalité », « habiter au Pakistan », « étayer leur preuve de résidence » ou être « résidents » du Pakistan comme l’ont souligné les agents. En outre, les demandeurs ne sont pas tenus d’« étayer leur preuve de résidence continue » ou d’« établir leur résidence » au Pakistan.

[…]

[27]  Je suis d’accord avec l’argument des demandeurs selon lequel il faut simplement se trouver à l’extérieur du pays de nationalité. Cette décision est conforme avec les directives à cet égard acceptées à l’échelle internationale. Le paragraphe 88 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés de l’UNHCR est rédigé comme suit : « C’est une des conditions générales de la reconnaissance du statut de réfugié que le demandeur qui a une nationalité se trouve hors du pays dont il a la nationalité. Il n’y a aucune exception à cette règle. La protection internationale ne peut pas jouer tant qu’une personne se trouve sur le territoire de son pays d’origine. » [Non souligné dans l’original.] Il est à noter que le verbe utilisé n’est pas « résider » ni « habiter », mais plutôt « se trouver ».

[Non souligné dans l’original.]

[40]  Le juge Brown a conclu aux paragraphes 28 et 29 que le fait pour l’agent d’immigration d’imposer une telle condition de résidence était déraisonnable :

[28]  Je suis d’avis que pour établir la qualité des liens avec un autre pays que le pays de nationalité, les personnes qui présentent une demande de protection à titre de réfugié au sens de la Convention ou de personnes de pays d’accueil à l’extérieur du Canada doivent seulement établir les éléments exigés dans la Loi, c’est‑à‑dire qu’elles « se trouvent hors » du pays dont elles ont la nationalité. Autrement dit, elles doivent se trouver à l’extérieur de ce pays. Les agents ne possèdent pas l’autorisation légale nécessaire pour exiger que les demandeurs respectent une exigence plus rigoureuse. Je suis également d’avis qu’ils ont agi de manière déraisonnable et sans autorisation légale dans la mesure où, comme je l’ai observé dans la présente espèce, ils ont exigé que les demandeurs résident ou vivent à l’extérieur du pays dont ils ont la nationalité, alors qu’il suffisait qu’ils se trouvent à l’extérieur de leur pays de nationalité.

[29]  Les agents ont résumé leurs conclusions comme suit : [traduction] « […] Je ne crois pas qu’ils habitent à l’extérieur de leur pays de nationalité. Par conséquent, ils ne répondent pas aux critères d’admissibilité à la réinstallation au Canada en tant que réfugiés au sens de l’article 96 de la Loi et de l’article 147 du Règlement ». Il s’agit d’une analyse inadmissible des causes est des effets. Cette conclusion est donc déraisonnable. Qui plus est, dans la mesure où la décision repose sur cette conclusion et sur l’exigence sous-jacente, mais inexistante, relative à la résidence, cette conclusion doit être annulée. Par souci d’exhaustivité, j’estime en toute déférence que même si les agents ont appliqué le mauvais critère juridique, ma conclusion est la même : la décision doit être annulée.

[41]  Le juge Diner a, dans le jugement Amani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1215 [Amani], repris à son compte ce raisonnement, ainsi que la conclusion selon laquelle l’agent d’immigration avait imposé de façon déraisonnable une condition de résidence.

[42]  Les demandeurs soutiennent qu’à la date des entrevues, le 18 avril 2018, ils se trouvaient à l’extérieur de la Syrie et qu’ils respectaient donc la condition qui exigeait qu’ils se trouvent hors de leur pays de nationalité. Selon eux, l’agent a agi de façon déraisonnable en insistant sur leur lieu de résidence, en imposant une obligation de « résidence » plus rigoureuse que celle prévue par la LIPR et le Règlement, et en rejetant leurs demandes au motif qu’ils ne résidaient pas à l’extérieur de la Syrie.

[43]  Le défendeur n’aborde pas vraiment cette question, et s’en tient plutôt, dans ses arguments, aux conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées par l’agent et aux conclusions selon lesquelles les demandeurs n’étaient pas exposés à un danger en Syrie, ce qui, selon le défendeur, était déterminant et raisonnable. En particulier, le défendeur a fait ressortir les incohérences relevées entre les déclarations faites au cours des entrevues selon lesquelles les demandeurs affirmaient résider en Syrie, et les observations présentées après l’entrevue tendant à démontrer qu’ils résidaient au Liban.

[44]  Le défendeur a également tenté d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Ameni, en faisant valoir que le jugement Ameni n’avait pas modifié l’exigence selon laquelle un membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières doit être personnellement exposé à un risque grave s’il réside dans son pays de nationalité. Le défendeur soutient que l’agent a conclu, de façon raisonnable, que les demandeurs n’étaient pas exposés à un tel risque et qu’il a donc rejeté, à raison, leurs demandes.

[45]  L’argument du défendeur repose sur le fait pour l’agent de tenir compte de la résidence des demandeurs n’était qu’un des facteurs de son analyse globale du danger auquel étaient exposés les demandeurs pendant qu’ils vivaient en Syrie et que cette analyse globale était raisonnable. Je ne suis pas d’accord. Les arguments du défendeur tentent de détourner le débat de l’essence des décisions, en l’occurrence l’imposition d’une condition de résidence non prévue par la LIPR ou le Règlement.

[46]  L’agent a mal interprété les conditions applicables à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et à la catégorie de personnes de pays d’accueil, et cette erreur a entraîné directement le rejet des demandes par l’agent. Comme l’ont établi les jugements Ameni et Amani, l’imposition de résidence est à la fois erronée et déraisonnable.

[47]  Pour appartenir à l’une ou l’autre de ces catégories, la personne concernée n’a tout simplement qu’à se trouver hors de son pays de persécution. Le 18 avril 2018, date des entrevues, les demandeurs respectaient cette condition.

[48]  Il semble que l’agent ait utilisé cette condition de résidence pour rejeter sommairement les trois demandes. À preuve, l’agent a copié, sans aucun souci d’adaptation, la même lettre de décision, ainsi qu’une partie importante des notes, pour les trois décisions concernées.

[49]  Le défendeur invite la Cour à centrer son analyse sur les autres conclusions de l’agent qui figurent dans les notes versées au SMGC portant sur l’absence de crédibilité des demandeurs et sur la gravité du danger auquel ils seraient exposés en résidant en Syrie. Cependant, il est clair que ces conclusions sont nécessairement reliées au fait que l’agent a insisté à tort sur la condition de résidence que les demandeurs devaient, d’après lui, respecter. Il en résulte que l’agent n’a pas vraiment examiné le fond des demandes et n’a pas pris en compte, de façon raisonnable, le profil de risque auquel les demandeurs étaient exposés en Syrie.

[50]  À l’audience, le défendeur a systématiquement rappelé que les demandeurs étaient retournés travailler en Syrie et que, par conséquent, ils ne pouvaient être exposés à un danger. Cependant, comme les demandeurs l’ont souligné en réplique, l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve établissant que Maya avait réussi à reprendre le travail après avoir été obligée de quitter son poste d’enseignante en juillet 2012. De même, les éléments de preuve dont disposait l’agent démontraient que Mohannad n’avait pas travaillé depuis novembre 2014. Les éléments de preuve dont disposait l’agent, dont l’incapacité de certains des demandeurs à se trouver un bon emploi, établissent clairement que les demandeurs seraient exposés à un risque grave en Syrie. Fait plus important encore, l’agent n’a jamais vraiment pris en considération ce danger.

[51]  J’estime que l’agent a exigé à tort que les demandeurs établissent, comme condition préalable pour démontrer leur appartenance à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à la catégorie de personnes de pays d’accueil, qu’ils résidaient de façon continue au Liban. Cette erreur a fait en sorte que l’agent n’a pas effectué une analyse raisonnable des risques auxquels les demandeurs étaient exposés dans leur pays de nationalité, et par conséquent, il n'a pas véritablement évalué l’appartenance des demandeurs à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à la catégorie de personnes de pays d’accueil. Pour cette seule raison, il convient de renvoyer ces dossiers pour nouvel examen.

[52]  Je n’aborderai pas les autres questions soulevées par les demandeurs, parce qu’elles découlent de cette première erreur commise par l’agent. Je formulerai toutefois de brefs commentaires à leur sujet.

[53]  S’agissant de la deuxième question, l’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas résidé au Liban, mais qu’ils y étaient arrivés pour la première fois au printemps 2018 pour remplir des formulaires et participer à des entrevues. Pour en arriver à cette conclusion, l’agent s’est appuyé sur des dossiers libanais d’entrées-sorties qui montraient que les demandeurs avaient franchi la frontière au printemps 2018, pour écarter leurs témoignages et leurs certificats de résidence, selon lesquels ils avaient passé de longues périodes au Liban. L’analyse et les conclusions de l’agent découlent directement du fait qu’il a exigé, à tort, le respect d’une condition de résidence et celles-ci n’appellent donc pas un examen indépendant.

[54]  La conclusion de l’agent est néanmoins très problématique pour deux raisons. Premièrement, il est tout à fait contraire à la logique que l’agent utilise les dossiers libanais d’entrées-sorties, des dossiers où sont enregistrées les traversées légales de la frontière, pour écarter les éléments de preuve présentés par les demandeurs pour démontrer qu’ils avaient franchi la frontière illégalement. Deuxièmement, le raisonnement tenu par l’agent témoigne de son incompréhension totale de la situation qui existait au pays, telle que décrite dans les documents portant sur le sujet, en particulier en ce qui concerne la fréquence des traversées illégales de la frontière entre le Liban et la Syrie.

[55]  Il ressort de l’ensemble de la preuve soumise à l’agent que les demandeurs en général, et Maya, Nowar et Mohannad en particulier, ont passé de longues périodes au Liban depuis le début de la crise en Syrie.

[56]  S’agissant de la troisième question, l’agent a conclu à l’absence de tout danger du fait que les demandeurs seraient retournés en Syrie. Il n’y a pas lieu non plus d’examiner cette conclusion de façon indépendante, parce qu’elle découle directement à la fois de l’imposition erronée d’une obligation de résidence et de la conclusion erronée selon laquelle les demandeurs étaient uniquement venus au Liban au printemps 2018 pour remplir des formulaires et passer des entrevues.

[57]  De toute façon, même si les demandeurs étaient uniquement venus au Liban au printemps 2018, fait que j’estime extrêmement improbable, en déduire qu’ils ne couraient pas de danger est tout à fait discutable, compte tenu de la situation des demandeurs. En particulier, l’agent n’a pas tenu compte des éléments suivants :

  1. Le témoignage de Maya, tel qu’il ressort des notes de l’agent, selon lequel son logement avait été détruit en partie par des bombes et que son père avait été enlevé.

  2. Le témoignage qu’a fourni Nowar lors des entrevues selon lequel sa famille avait vécu des bombardements aussi récemment que [traduction] « hier et avant-hier ».

  3. Le témoignage fourni par Mohannad lors des entrevues, où il dit à propos de la situation à Salamiyah, en Syrie qu’elle était terrible et qu’il craignait d’y retourner.

  4. Les documents relatifs à la situation qui existe en Syrie indiquent que l’immense majorité des demandeurs d’asile syriens ont besoin de la protection accordée aux réfugiés et que les minorités religieuses comme les musulmans ismaéliens sont exposés à un danger particulièrement grave.

[58]  Il est difficile de comprendre comment un agent d’immigration pourrait, sans avoir vraiment examiné ces éléments de preuve, conclure raisonnablement que les demandeurs ne seraient pas exposés à un danger s’ils résidaient en Syrie.

VIII.  Question certifiée

[59]  À l’audience, le défendeur a proposé que soit certifiée la question suivante :

[traduction]

Le fait pour l’étranger d’effectuer des séjours temporaires dans un pays tiers alors qu’il continue à vivre dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il a sa résidence habituelle ou de retourner dans ce pays lui permet-il de satisfaire à l’exigence légale prévue à l’alinéa 139(1)e) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, suivant laquelle il doit faire partie d’une catégorie établie dans [cette] section [article 96 de la Loi et article 147 du Règlement]?

[60]  Les demandeurs s’opposent à la certification de cette question.

[61]  Les conditions applicables à la certification d’une question ont été exposées par la Cour d’appel fédérale dans Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au paragraphe 46 :

[46] La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au paragraphe 36, les critères de certification. La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle-même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, 29 Imm. L.R. (4th) 211, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186, aux paragraphes 15 et 35).

[62]  J’estime que la certification de la question proposée n’est pas justifiée. Ce n’est pas une question importante ou de portée générale. En fait, il s’agit d’une question de nature factuelle, puisque la réponse à cette question dépendra des faits particuliers de l’affaire.

IX.  Conclusion

[63]  Il est fait droit à ces demandes de contrôle judiciaire. Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans les dossiers nos IMM‑3435‑18, IMM‑3436‑18 et IMM‑3437‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. Les décisions faisant l’objet du contrôle sont annulées et les dossiers renvoyés à un autre agent d’immigration pour que celui-ci rende des nouvelles décisions.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de septembre 2019

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3435‑18

 

INTITULÉ :

MAYA WARD c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DOSSIER :

IMM‑3436‑18

 

INTITULÉ :

NOWAR WARD et aUTRES c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DOSSIER :

IMM‑3437‑18

 

INTITULÉ :

MOHANNAD WARD et aUTRES c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 26 JUIN 2019

 

COMPARUTIONS :

Leigh Salsberg

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Modupe Oluyomi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leigh Salsberg

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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