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Date : 20190621


Dossier : IMM-5860-18

Référence : 2019 CF 846

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2019

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

DORSHON KEVINE GLASGOW

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent d’exécution [l’agent] de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] le 28 novembre 2018, par laquelle il a refusé une demande visant à reporter le renvoi du demandeur du Canada, initialement prévu le 30 novembre 2018.

[2]  Dans une ordonnance datée du 29 novembre 2018, le demandeur s’est vu accorder un sursis quant à son renvoi du Canada en attendant l’issue du présent contrôle judiciaire. La Cour a accordé l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire le 9 avril 2019.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur, Dorshon Kevine Glasgow, est un citoyen de Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines [Saint-Vincent] né le 22 août 1999. Il a grandi dans un environnement marqué par la violence familiale. Son père était d’ailleurs lié à des gangs, et le demandeur et sa mère ont été menacés par des membres de gangs.

[4]  En 2007, la mère du demandeur s’est enfuie au Canada. Le demandeur a été confié aux soins de sa grand-mère paternelle, qui l’a maltraité physiquement.

[5]  En juillet 2009, à l’âge d’environ neuf ans, le demandeur est entré au Canada pour rejoindre sa mère et a obtenu un visa de résident temporaire pour une période maximale de six mois.

[6]  En août 2009, le demandeur et sa mère ont présenté une demande du statut de réfugié au sens de la Convention. Cette demande d’asile a été rejetée en octobre 2010. Le demandeur et sa mère ont demandé le contrôle judiciaire de ce refus, mais l’autorisation a été refusée.

[7]  En mai 2011, le demandeur et sa mère ont présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été refusée en octobre 2011.

[8]  En juin 2011, le demandeur et sa mère ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi. Cette demande a été rejetée en 2011.

[9]  En février 2012, le demandeur et sa mère ont reçu l’ordre de se présenter le 29 février 2012 pour recevoir les instructions de renvoi du Canada. Ils n’ont pas assisté à cette entrevue et un mandat d’arrestation a été délivré contre la mère du demandeur. Aucun mandat n’a été délivré contre le demandeur, car il était mineur.

[10]  En juin 2012, le demandeur et sa mère ont présenté une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été refusée en mai 2013.

[11]  En décembre 2016, le demandeur et sa mère ont présenté une troisième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée en septembre 2017 [la décision de 2017 relative aux motifs d’ordre humanitaire].

[12]  Dans chacune de ces trois demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur était mineur et figurait donc comme mineur à charge dans une demande axée sur sa mère. De plus, les trois demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ont été présentées sans l’aide d’un avocat, bien que les deux dernières aient été faites avec l’aide, dans une certaine mesure, de représentants du Centre de réfugiés de FCJ (ceux-ci n’étant pas accrédités).

[13]  En janvier 2018, le demandeur a signé une directive de se présenter pour un renvoi prévu le 1er février 2018. Le demandeur ne s’est pas présenté pour son renvoi et un mandat d’arrêt a été lancé contre lui.

[14]  En juin 2018, le requérant a obtenu son diplôme de l’école secondaire Downsview à Toronto.

[15]  Le 11 novembre 2018, le demandeur a attiré l’attention d’un agent de police de Toronto à un contrôle routier. Il a par la suite a été détenu par l’ASFC.

[16]  Le 16 novembre 2018, le demandeur a reçu l’ordre de se présenter pour son renvoi le 30 novembre 2018.

[17]  Le 20 novembre 2018, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ainsi qu’une demande de report de son renvoi du Canada jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur a sollicité un report en raison de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en instance, ainsi que de circonstances d’ordre humanitaire.

III.  La décision contestée

[18]  Le 28 novembre 2018, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire du refus présumé de sa demande de report. Plus tard dans la journée, l’agent a rendu une décision rejetant la demande de report du renvoi du demandeur du Canada [la décision].

[19]  Abordant d’abord la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en instance, l’agent a souligné ce qui suit :

  • (i) le dépôt d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne donne pas automatiquement droit à un report. Le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution d’accorder un report est plutôt limité.

  • (ii) La demande venait d’être déposée et une décision n’était pas imminente.

  • (iii) La demande serait toujours traitée après le départ du demandeur du Canada.

  • (iv) La demande est la quatrième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire visant le demandeur, bien que les trois précédentes aient été présentées par la mère du demandeur.

[20]  En ce qui concerne les éléments de preuve relatifs à des motifs d’ordre humanitaire, l’agent a examiné la preuve de l’établissement du demandeur au Canada et a reconnu que la situation actuelle du demandeur est largement attribuable aux choix faits par sa mère. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que le demandeur ne pourrait pas se réintégrer ou qu’il subirait des difficultés irréparables ou excessives s’il était renvoyé à Saint‑Vincent. L’agent a fait remarquer que le demandeur pouvait rester en contact avec ses amis et sa famille par téléphone ou par Internet.

[21]  Par conséquent, l’agent a refusé la demande de report du renvoi du demandeur.

[22]  Le 29 novembre 2018, le demandeur s’est vu accorder un sursis de son renvoi du Canada en attendant l’issue du présent contrôle judiciaire.

[23]  Le 14 décembre 2018, le demandeur a été relâché par les autorités de l’immigration.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[24]  La seule question à trancher en l’espèce est celle qui consiste à savoir si la décision était raisonnable. Les parties reconnaissent que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9).

V.  Analyse

[25]  Le pouvoir discrétionnaire dont dispose un agent d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est très limité (Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au par. 54 [Lewis]). La simple existence d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en instance ne constitue pas un empêchement à l’exécution d’une mesure de renvoi valide (Lewis, précité au par. 57).

[26]  Dans les cas où une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire antérieurement déposée n’a pas encore été tranchée, les agents d’exécution ne disposent pas du pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi, à moins qu’il existe des « considérations spéciales » ou une « menace à la sécurité personnelle » [Forde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1029, au par.  36, le juge en chef Crampton (Forde)]. Ce pouvoir discrétionnaire limité a également été décrit comme étant réservé aux cas « où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain » [Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, au par. 51].

[27]  Le demandeur soutient que la décision était déraisonnable pour deux raisons :

  • (i) l’agent n’a pas tenu compte de la preuve des circonstances impérieuses invoquées par le demandeur;

  • (ii) l’agent a abdiqué son rôle en matière d’évaluation des risques.

A.  Examen de la preuve par l’agent

[28]  Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en omettant de tenir compte des circonstances de son cas – la pauvreté et les mauvais traitements qu’il a subis à Saint-Vincent, son établissement au Canada et les difficultés auxquelles il serait confronté s’il était renvoyé à Saint‑Vincent, notamment l’incapacité de poursuivre ses études. Le demandeur soutient que l’agent a omis de reconnaître ou d’examiner les éléments de preuve documentaires dont il disposait sur la pauvreté et le chômage à Saint-Vincent, ainsi que sur les risques d’exploitation sexuelle et d’exploitation liée au travail.

[29]  Je conclus que l’agent a raisonnablement tenu compte des éléments de preuve dont il disposait, conformément au rôle limité de l’agent d’exécution qui examine une demande de report.

[30]  À plusieurs égards, l’agent a fait une analyse approfondie de la preuve, reconnaissant la durée du séjour du demandeur au Canada, son degré d’établissement au Canada et les difficultés de réintégration dans une société qu’il a quittée à l’âge de neuf ans. L’agent a reconnu que le demandeur sera séparé de ses amis et parents au Canada. L’agent a également mentionné la possibilité de rester en contact avec ses amis et sa famille à distance.

[31]  L’agent a soupesé cette preuve avant de conclure de façon raisonnable qu’il n’y avait aucune circonstance impérieuse ou considération spéciale justifiant l’octroi d’un report.

[32]  Le fait de ne pas tenir compte de chaque argument ou élément de preuve ne met pas en doute la validité des motifs ou du résultat obtenu par l’agent [Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16].

[33]  Le demandeur insiste également sur la décision de 2017 fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, dans laquelle l’agent d’immigration a conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur du demandeur de demeurer au Canada, avant de finalement conclure que cet intérêt supérieur ne justifiait pas l’octroi de la résidence permanente au demandeur et à sa mère.

[34]  Toutefois, comme le défendeur l’a fait remarquer à juste titre, le mandat de l’agent en l’espèce est beaucoup plus restreint que celui d’un agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire. En outre, le demandeur est maintenant un adulte, et les considérations relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant découlant de la décision de 2017 fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne sont pas déterminantes. Enfin, les circonstances d’ordre humanitaire du demandeur seront examinées en temps opportun au moyen de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire récemment présentée. Rien ne permet non plus de présumer que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en instance sera tranchée dans un délai précis, comme le soutient le demandeur.

[35]  Enfin, le demandeur conteste la remarque de l’agent selon laquelle il pourrait rester en contact avec ses amis et sa famille au Canada par Internet et par téléphone, citant des preuves documentaires indiquant qu’Internet à Saint‑Vincent est peu répandu. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure qu’il serait en mesure de s’offrir l’accès à Internet ou d’acheter un téléphone. Bien que la situation économique à Saint-Vincent soit certainement moins favorable que celle qui existe au Canada, la remarque de l’agent était raisonnable dans les circonstances.

B.  Pouvoir discrétionnaire de l’agent

[36]  Le demandeur conteste une déclaration de l’agent concernant les limites de son pouvoir discrétionnaire. L’agent a écrit, au sujet de la décision de 2017 fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :

[traduction]

[...] Je tiens à souligner que je ne suis pas un agent d’IRCC et que je n’ai pas le pouvoir délégué ni l’expertise nécessaire pour évaluer la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire rendue par un agent. Je reconnais simplement que les circonstances d’ordre humanitaire de M. Glasgow ont été soulevées et examinées dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, avant son renvoi du Canada.

[37]  Le demandeur soutient que cette déclaration laisse entendre que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et qu’il n’a pas fait un examen approfondi de la preuve à l’appui du report du renvoi, y compris de la preuve concernant la violence armée et les homicides à Saint‑Vincent.

[38]  Comme il a été mentionné précédemment, la capacité d’un agent d’exécution d’évaluer les facteurs d’ordre humanitaire est limitée. Cette déclaration de l’agent ne prouve pas que l’exercice du pouvoir discrétionnaire a été entravé et ne rend pas la décision déraisonnable.

[39]  En outre, le demandeur ne se présente pas à la Cour les mains propres. Les autorités cherchent à expulser le demandeur et sa mère depuis 2012, et le demandeur a omis à plusieurs reprises de se présenter pour son renvoi. Le demandeur a également fait évaluer ses considérations d’ordre humanitaire à trois occasions distinctes, chaque demande ayant été refusée, et une quatrième demande est en instance, laquelle n’a pas été présentée en temps opportun.

[40]  Je conclus que la décision de l’agent de refuser une demande de report du renvoi du demandeur du Canada en attendant l’issue de sa plus récente demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était raisonnable. La présente demande est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5860-18

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de juillet 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5860-18

 

INTITULÉ :

DORSHON KEVINE GLASGOW c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 juin 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 21 juin 2019

 

COMPARUTIONS :

RICHARD WAZANA

Pour le demandeur

 

DAVID JOSEPH

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mohan Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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