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Dossiers : T‑1765‑18

T‑1716‑18

T‑1913‑18

Référence : 2019 CF 553

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2019

En présence de monsieur le juge Brown

Dossier : T‑1765‑18

ENTRE :

ALLAN J. HARRIS

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

Dossier : T‑1716‑18

ET ENTRE :

RAYMOND LEE HATHAWAY

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

Dossier : T‑1913‑18

ET ENTRE :

MIKE SPOTTISWOOD

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Nature des procédures

[1]  Les présents motifs donnent suite à la requête de la Couronne en radiation de l’action intentée par le demandeur Allan J Harris [M. Harris], ainsi qu’à la requête présentée par M. Harris en vue d’obtenir une ordonnance lui accordant des mesures provisoires le soustrayant à l’application de la limite de possession et d’expédition de cannabis thérapeutique de 150 g. Ils portent également sur des actions connexes intentées par les demandeurs Raymond Lee Hathaway [M. Hathaway] et Mike Spottiswood [M. Spottiswood] qui ont fait l’objet d’une gestion de l’instance conjointe avec celle de M. Harris. Messieurs Harris et Hathaway sont les principales affaires dans ce groupe. Chacun des demandeurs cherche à obtenir un jugement déclarant inconstitutionnelles certaines dispositions relatives au cannabis utilisé à des fins médicales.

A.  Résumé de l’action de M. Harris

[2]  Monsieur Harris est autorisé à consommer 100 g de cannabis à des fins médicales par jour, ce qui équivaut à un kilogramme tous les 10 jours et à trois kilogrammes environ par mois. Il sollicite un jugement déclarant que diverses dispositions du Règlement sur le cannabis, DORS/2018‑144, qui imposent une limite de 150 g pour l’expédition et la possession de cannabis dans un lieu public, sont inconstitutionnelles parce qu’elles constituent une menace de mise à l’amende ou d’incarcération pour lui et les autres personnes à qui de grandes quantités, comme la sienne, sont prescrites. Selon M. Harris, la limite de 150 g porte atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne que lui garantit l’article 7, et cette limite est discriminatoire à son égard au mépris des droits à l’égalité que lui garantit l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), c 11 [Charte]. Monsieur Harris soutient qu’en raison de cette limite, il lui est impossible de prévoir des déplacements à une distance qui l’éloigne de chez lui pendant plus d’une journée et demie.

[3]  En résumé, je rejette la requête de la Couronne en radiation, à l’exception de certains énoncés de la déclaration de M. Harris. De plus, j’accorde à M. Harris une exemption de 10 jours à la limite de possession et d’expédition de 150 g, de sorte qu’il peut posséder et se faire expédier 1 000 g de cannabis thérapeutique.

B.  Résumé de l’action de M. Hathaway

[4]  Monsieur Hathaway affirme qu’il est handicapé en raison d’une tumeur inopérable à la colonne vertébrale et qu’il possède une autorisation aux termes du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales, DORS/2016‑230 [RACFM], lui permettant de consommer 100 g de cannabis par jour. Il sollicite un jugement déclarant que diverses dispositions du RACFM, qui imposent une limite de 150 g pour la possession et l’expédition de cannabis, sont inconstitutionnelles parce qu’elles font peser une menace de mise à l’amende ou d’incarcération sur les patients à qui de grandes quantités sont prescrites. Le règlement invoqué par M. Hathaway a été abrogé en 2018. Il a eu l’occasion de modifier sa déclaration, mais ne l’a pas fait; son action est par conséquent rejetée pour cause de caducité.

C.  Résumé de l’action de M. Spottiswood

[5]  Monsieur Spottiswood affirme être autorisé à consommer du cannabis pour des [traduction] « problèmes de santé permanents » sans donner plus de détails. Il sollicite un jugement déclarant que le paragraphe 273(2) du Règlement sur le cannabis, qui exige que la période d’usage d’une ordonnance, ou « document médical », ne dépasse pas un an, porte atteinte aux droits à la vie et à la sécurité que l’article 7 de la Charte garantit aux patients atteints d’une maladie permanente comme lui. Il affirme que les patients visés par le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, DORS/2001‑227 [RAMFM] (le volet réglementaire du régime d’utilisation de la marihuana à des fins médicales en place entre 2001 et 2014) dont les licences ont été prolongées depuis 2014 n’ont aucun problème à conserver leur autorisation sans renouveler leurs licences. Bref, je radie aussi l’action de M. Spottiswood sans autorisation de la modifier.

II.  Historique et fondement du droit à la marijuana thérapeutique

[6]  J’ai exposé le fondement du droit à la marijuana thérapeutique dans Harris c Canada, 2018 CF 765 [Harris I], aux paragraphes 11 et 12, et, à cette fin, je me suis appuyé sur les motifs du juge Phelan dans Allard c Canada, 2016 CF 236 [Allard (action)] :

[11]  Le droit de posséder et de cultiver de la marijuana à des fins médicales fait l’objet de litiges au Canada depuis près de deux décennies. Le juge Phelan donne un aperçu de cet historique dans la décision Allard c Canada, 2016 CF 236, de laquelle je tire les passages qui suivent :

1  Je suis saisi d’une contestation fondée sur la Charte présentée par quatre personnes relativement au régime concernant la marihuana à des fins médicales actuel qui est prévu par le Règlement sur la marihuana à des fins médicales, DORS/2013‑119 (le RMFM). Il est important de se rappeler ce sur quoi la présente affaire porte de même que ce sur quoi elle ne porte pas.

2  La présente affaire ne porte pas sur la légalisation générale de la marihuana ou sur la libéralisation de sa consommation à des fins récréatives ou de sa consommation en tant que mode de vie. Elle ne porte pas non plus sur la commercialisation de la marihuana à de telles fins.

3  Il est question de l’accès à la marihuana à des fins médicales par des personnes qui sont malades, notamment celles qui souffrent de douleurs aiguës ou qui souffrent de troubles neurologiques parfois mortels, ainsi que les personnes qui sont sur le point de mourir.

4  Nous avons affaire en l’espèce à une décision s’inscrivant dans un courant jurisprudentiel qui a commencé par l’arrêt R c Parker, (2000) 49 OR (3d) 481, 188 DLR (4th) 385 (Cour d’appel de l’Ontario) (Parker), et abouti à l’arrêt R c Smith, 2015 CSC 34, [2015] 2 RCS 602 (Smith), où l’on a examiné, souvent d’un œil critique, les efforts faits par le gouvernement en vue de réglementer la consommation de la marihuana à des fins médicales ainsi que les divers obstacles empêchant l’accès à cette drogue dont certains ont besoin.

5  Comme d’autres affaires, cette dernière tentative de restriction d’accès se heurte aux écueils de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 (la Charte), particulièrement l’article 7, et n’est pas sauvegardée par l’article premier.

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

[…]

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

6  La Cour a conclu que la liberté des demandeurs et la sécurité de leur personne sont visées par les restrictions en matière d’accès imposées par le RMFM et qu’il n’a pas été établi que les restrictions en matière d’accès sont conformes aux principes de justice fondamentale.

[12]  Je me contenterai de dire que le droit d’utiliser la marihuana et le cannabis à des fins médicales est garanti par la Charte, une question juridique sur laquelle ne plane aucun doute, car elle a été tranchée par notre Cour, la Cour suprême du Canada et les cours supérieures des provinces. De plus, le droit d’utiliser la marihuana et d’autres produits du cannabis à des fins médicales est un droit conféré aux individus sur demande, par le gouverneur en conseil dans une législation subordonnée, c.‑à‑d. un règlement adopté conformément à la législation pertinente.

[7]  La jurisprudence, les lois et les règlements pertinents suivants mettent en contexte les observations des parties et l’analyse de la Cour.

III.  Questions en litige

[8]  Les questions en litige soulevées par M. Harris dans sa déclaration modifiée [demande de M. Harris] et par M. Spottiswood dans sa déclaration [demande de M. Spottiswood] seront examinées ensemble. Le tribunal tranchera les questions suivantes :

  i.  La déclaration de M. Hathaway devrait‑elle être radiée?

  ii.  La demande de M. Harris ou celle de M. Spottiswood devraient‑elles être radiées?

IV.  Les lois et règlements pertinents

[9]  Le paragraphe 272(1) du Règlement sur le cannabis précise quelles sont les personnes autorisées à fournir un « document médical » (ordonnance) pour le cannabis thérapeutique :

Autorisation — praticien de la santé

Authorization — health care practitioner

272 (1) Si le cannabis est nécessaire en raison de l’état de santé d’un individu qui est soumis à ses soins professionnels, le praticien de la santé est autorisé, à l’égard de cet individu :

272 (1) A health care practitioner is authorized, in respect of an individual who is under their professional treatment and if cannabis is required for the condition for which the individual is receiving treatment,

a) à fournir un document médical;

(a) to provide a medical document;

[10]  Un « praticien de la santé » est défini comme étant, « [s]auf indication contraire, médecin ou infirmier praticien ». Un médecin est généralement une personne autorisée, en vertu des lois d’une province, à exercer la médecine dans cette province. Un infirmier praticien est généralement une personne qui, en vertu des lois d’une province, est autorisée à exercer la profession d’infirmier praticien ou toute autre appellation équivalente et l’exerce dans cette province. (Voir : Règlement sur le cannabis, au paragraphe 264(1).)

[11]  Un « document médical » est un « [d]ocument que fournit un praticien de la santé et qui justifie l’usage de cannabis à des fins médicales » (Règlement sur le cannabis, au paragraphe 264(1)).

A.  Limites de possession de 30 g et de 150 g

[12]  Monsieur Harris demande que lui soient accordées des mesures le soustrayant à l’application des limites de possession et d’expédition prévues dans le Règlement sur le cannabis.

[13]  L’alinéa 8(1)a) de la Loi sur le cannabis autorise les adultes à posséder, dans un lieu public, du cannabis en quantité équivalant à 30 g de cannabis séché :

Possession

Possession

8 (1) Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi :

8 (1) Unless authorized under this Act, it is prohibited

a) il est interdit à tout individu âgé de dix-huit ans ou plus de posséder, dans un lieu public, une quantité totale de cannabis, d’une ou de plusieurs catégories, équivalant, selon l’annexe 3, à plus de trente grammes de cannabis séché;

(a) for an individual who is 18 years of age or older to possess, in a public place, cannabis of one or more classes of cannabis the total amount of which, as determined in accordance with Schedule 3, is equivalent to more than 30 g of dried cannabis;

...

...

[14]  Les articles 266 et 267 du Règlement sur le cannabis limitent la possession dans un lieu public selon différentes circonstances. La limite est fixée à 150 g de cannabis séché pour les adultes comme M. Harris (voir les alinéas 266(2)b) (Client inscrit sur le fondement d’un document médical) et 266(3)b) (Personne inscrite)). Monsieur Harris demande aussi que des mesures lui soient accordées relativement à l’alinéa 290e) (Refus de remplir une commande d’achat), au paragraphe 293(1) (Remplacement du cannabis retourné) et aux sous‑alinéas 297e)(iii) (Rapport mensuel) et 348(3)a)(ii) (Exigences – distribution ou vente) du Règlement sur le cannabis, mais j’estime que sa demande relève de l’alinéa 266(3)b) vu sa qualité de personne inscrite. Cette qualité l’autorise à posséder « 150 g de cannabis séché » dans un lieu public.

[15]  La limite de 150 g du Règlement sur le cannabis dont il est question ci‑dessus s’ajoute à la quantité autorisée dans la Loi sur le cannabis. Voir l’article 268 du Règlement sur le cannabis :

Cumul des quantités

Cumulative quantities

268 La quantité de cannabis qu’un individu est autorisé à avoir en sa possession au titre des articles 266 ou 267 s’ajoute à toute autre quantité de cannabis qu’il peut avoir en sa possession sous le régime de la Loi.

268 Any quantity of cannabis that an individual is authorized to possess under section 266 or 267 is in addition to any other quantity of cannabis that the individual may possess under the Act.

[16]  Par conséquent, la quantité maximale totale de cannabis que M. Harris est autorisé à avoir en sa possession dans un lieu public est de 180 g. Selon le paragraphe 2(1) de la Loi sur le cannabis, un « lieu public » est « tout lieu auquel le public a accès de droit ou sur invitation, expresse ou implicite; y est assimilé tout véhicule à moteur situé dans un endroit soit public soit situé à la vue au public ».

[17]  La Loi sur le cannabis et le Règlement sur le cannabis ne prescrivent aucune limite à la possession de cannabis dans un lieu non « public », comme une maison ou une habitation privée.

B.  Limite d’expédition de 150 g

[18]  Monsieur Harris demande aussi des mesures de réparation relativement à la limite d’expédition de cannabis de 150 g. Les dispositions du Règlement sur le cannabis qui imposent cette limite sont l’alinéa 290(1)e) (Refus de remplir une commande d’achat), le paragraphe 293(1) (Remplacement du cannabis retourné), et les sous‑alinéas 297(1)e)(iii) (Rapport mensuel) et 348(3)a)(ii) (Exigences – distribution ou vente).

C.  Durée de l’ordonnance ou du document médical

[19]  Monsieur Spottiswood demande des mesures de réparation relativement à la période maximale d’usage d’un document médical, prévue au paragraphe 273(2) du Règlement sur le cannabis :

Période maximale

Maximum period

273 (2) La période d’usage indiquée dans le document médical ne peut excéder un an.

273 (2) The period of use specified in a medical document must not exceed one year.

V.  Le droit applicable à une requête en radiation

[20]  J’ai examiné la jurisprudence en matière de requêtes en radiation dans Harris I, précité, aux paragraphes 14 et 18 :

[14]   La juge Heneghan énonce ce qui suit dans la décision Lee c Canada, 2018 CF 504, au paragraphe 7, à l’égard du critère applicable aux requêtes en radiation :

Le critère applicable à une requête en radiation d’un acte de procédure, à savoir s’il est évident et manifeste qu’un acte de procédure ne révèle aucune cause d’action raisonnable, a été établi dans l’arrêt Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959. Il est par ailleurs précisé au paragraphe 24 de la décision Bérubé c Canada, 2009 CF 43, que pour qu’une déclaration comprenne une cause d’action raisonnable, elle doit comporter les trois éléments suivants :

i.  alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action;

ii.  indiquer la nature de l’action qui doit se fonder sur ces faits;

iii.  préciser le redressement sollicité qui doit pouvoir découler de l’action et que la Cour doit être compétente pour accorder.

[15]   Il incombe à la partie qui présente la requête de satisfaire au critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959 [Hunt], selon le juge Roy, dans la décision Al Omani c Canada, 2017 CF 786, aux paragraphes 12 à 16 :

[12]   Le critère applicable à la radiation d’une allégation en vertu de l’article 221 des Règles place très haut la barre. En premier lieu, on présume que les faits énoncés dans la déclaration peuvent être prouvés. La Cour doit conclure qu’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action raisonnable : R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45, au paragraphe 17; Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959 [Hunt], à la p[age] 980. Il incombe à la défenderesse de remplir ce critère : Sivak c Canada, 2012 CF 272, 406 FTR 115 [Sivak], au paragraphe 25.

[13]   Dans l’affaire Hunt, la Cour suprême a penché en faveur de la formulation de la règle en Angleterre, au motif que « si le demandeur a une chance de réussir, il ne devrait pas alors être [traductionprivé d’un jugement » ([à la] p[age] 980), ce qui, à vrai dire, place haut la barre pour avoir gain de cause dans une requête en radiation. La chance suffira ou, comme l’a affirmé le juge Estey dans l’affaire Procureur général du Canada c Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 RCS 735 : « Sur une requête comme celle‑ci, un tribunal doit rejeter l’action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu’il est convaincu qu’il s’agit d’un cas au‑delà de tout doute » ([à la] p[age] 740).

[14]  Pour démontrer qu’il a une cause d’action raisonnable, le demandeur doit soulever dans sa déclaration les faits substantiels qui satisfont à tous les éléments constitutifs des causes d’action alléguées : Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien‑être social), 2015 CAF 227, 476 N.R. 219 [Mancuso], au paragraphe 19; Benaissa c Canada (Procureur général), 2005 CF 1220 [Benaissa], au paragraphe 15. Le demandeur doit expliquer au défendeur « par qui, quand, où, comment et de quelle façon » sa responsabilité a été engagée (Mancuso, [au] paragraphe 19; Baird c Canada, 2006 CF 205, aux paragraphes 9 à 11, […] confirmée dans 2007 CAF 48).

[15]  Par conséquent, il semble y avoir un équilibre. D’un côté, la chance de réussir suffit pour que l’affaire soit instruite. De l’autre côté, les faits substantiels doivent être démontrés avec suffisamment de précision pour qu’il y ait une cause d’action. Les actes de procédure ont pour but d’aviser la partie adverse et de définir les questions en litige de manière à lui permettre de comprendre comment les faits étayent les diverses causes d’action. Comme la Cour d’appel l’a formulé dans l’affaire Mancuso : « L’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée » (au paragraphe 16). Les demandeurs soulignent qu’il peut être donné suite aux actes de procédure même s’ils sont « loin d’être des modèles de clarté juridique » (Manuge c Canada, 2010 CSC 67, [2010] 3 RCS 672, au paragraphe 23). Mais il demeure que les demandeurs doivent faire valoir des faits substantiels suffisants. Les parties ne peuvent pas faire des allégations générales dans leur déclaration, dans l’espoir d’entamer ensuite des « recherches à l’aveuglette » pour découvrir les faits : Kastner c Painblanc (1994), 176 NR 68, 51 ACWS (3d) 428 (CAF), à la p[age] 2.

[16]   Dans les requêtes en radiation, aucun élément de preuve ne doit être examiné en dehors des actes de procédure (sauf dans des cas limités qui ne s’appliquent pas en l’espèce). Le paragraphe 221(2) l’énonce expressément et la jurisprudence le confirme, selon le juge Leblanc, dans la décision Pelletier c Canada, 2016 CF 1356 [Pelletier], au paragraphe 6 :

[6]  Il a également été bien établi qu’aucun élément de preuve non présenté dans les actes de procédure ne peut être pris en considération dans le cadre de telles requêtes et bien que les allégations qu’il est possible de prouver doivent être considérées comme véridiques, le même concept ne s’applique pas aux actes de procédure qui sont fondées sur des hypothèses et des spéculations et à ceux qui ne sont pas en mesure de déposer une preuve (Imperial Tobacco, au paragraphe 22; Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441, [à la page] 455 [Operation Dismantle]; AstraZeneca Canada Inc. c Novopharm Ltd., 2009 CF 1209, aux paragraphes 10 à 12).

[17]  Dans la décision Pelletier, le juge Leblanc a également affirmé que, même si la déclaration doit être [interprétée de manière aussi libérale] que possible en vue de [remédier à tout vice imputable à une carence rédactionnelle], le demandeur doit clairement présenter les faits sur lesquels repose sa demande et n’a pas le droit de compter sur la possibilité que de nouveaux faits apparaissent au fur et à mesure que l’instruction avance :

[7]  À cet égard, même si la déclaration doit être [interprétée de manière aussi libérale] que possible en vue de [remédier à tout vice imputable à une carence rédactionnelle] (Operation Dismantle, à la page 451), le demandeur est tenu de présenter clairement les faits sur lesquels repose sa demande :

[22]  […] Il incombe au demandeur de plaider clairement les faits sur lesquels il fonde sa demande. Un demandeur ne peut compter sur la possibilité que de nouveaux faits apparaissent au fur et à mesure que l’instruction progresse. Il peut arriver que le demandeur ne soit pas en mesure de prouver les faits plaidés au moment de la requête. Il peut seulement espérer qu’il sera en mesure de les prouver. Il doit cependant les plaider. Les faits allégués sont le fondement solide en fonction duquel doit être évaluée la possibilité que la demande soit accueillie. S’ils ne sont pas allégués, l’exercice ne peut pas être exécuté adéquatement (Imperial Tobacco). ([Non souligné dans l’original].)

[18]  Dans l’arrêt Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien‑être social), 2015 CAF 227, la Cour d’appel fédérale a déclaré que les demandeurs doivent plaider des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée :

[16]   L’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels […] suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée. Comme le juge l’a relevé, les « actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher, et la Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action ».

VI.  Thèses des parties et analyse

A.  La demande de M. Hathaway

[21]  Je me pencherai d’abord sur la demande de M. Hathaway. Cette demande repose sur des cadres législatifs et réglementaires qui ont été abrogés. Elle ne révèle aucune cause d’action parce que la mesure de réparation demandée ne peut être accordée. J’ai autorisé M. Hathaway à modifier sa demande afin qu’il puisse renvoyer à la Loi sur le cannabis et au Règlement sur le cannabis actuels, mais il a choisi de ne pas le faire. Il n’a pas non plus déposé de documents pour étayer sa demande. Je ne vois pas en quoi il serait utile de lui accorder de nouveau l’autorisation de modifier la demande et je ne le ferai pas. La déclaration sera radiée, sans autorisation de la modifier.

B.  Les demandes de MM. Harris et de Spottiswood

[22]  La défenderesse invoque plusieurs motifs pour faire radier les demandes de MM. Harris et de Spottiswood. Je me poserai les questions suivantes pour déterminer si les demandes de MM. Harris et Spottiswood devraient être radiées : (1) Les demandeurs tentent‑ils de rouvrir les questions qu’ils ont déjà soumises à la Cour et qui ont fait l’objet d’une décision? (2) La confirmation antérieure par la Cour de la constitutionnalité des limites de possession et de l’obligation d’obtenir annuellement une autorisation médicale est‑elle contraignante? (3) Ces actions révèlent‑elles une cause d’action raisonnable? (4) Ces actions sont‑elles scandaleuses, frivoles et vexatoires?

(1)  Les demandeurs tentent‑ils de rouvrir les questions qu’ils ont déjà soumises à la Cour et qui ont fait l’objet d’une décision?

Thèse de la défenderesse

[23]  La défenderesse fait valoir que les demandeurs en l’espèce tentent de rouvrir des questions déjà soumises à la Cour et qui ont fait l’objet d’une décision, ce qui constitue une entorse à la courtoisie judiciaire et un abus de procédure. L’alinéa 221(1)f) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, dispose :

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221(1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

...

...

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

[24]  La défenderesse fait valoir que selon la Cour d’appel fédérale, la courtoisie judiciaire constitue un aspect du stare decisis, dont il ne faut s’écarter que lorsqu’il existe des raisons convaincantes de le faire (Apotex Inc. c Pfizer Canada Inc., 2013 CF 493, motifs du juge O’Reilly, conf. par 2014 CAF 54 [Apotex], aux paragraphes 11 à 15). On entend par« raisons convaincantes » que les demandeurs doivent établir que des décisions ultérieures ont remis en question la validité du jugement initial, qu’il n’a pas été tenu compte dans la décision antérieure d’un élément jurisprudentiel ayant force obligatoire ou d’une loi pertinente, ou que la décision antérieure a été rendue sans délibéré ou dans des circonstances où les exigences du procès ne permettaient pas de présenter une argumentation complète : Apotex, au paragraphe 14.

[25]  La défenderesse fait valoir de plus que l’abus de procédure empêche les poursuites lorsque le principe de l’autorité de la chose jugée n’est pas respecté et qu’une partie tente néanmoins de rouvrir des questions d’une manière qui pourrait porter atteinte à l’intégrité de l’administration de la justice (Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 [S.C.F.P.], au paragraphe 35). Si l’instance subséquente donne lieu à une conclusion similaire, la remise en cause aura été un gaspillage de ressources et portera atteinte au principe de l’économie des ressources judiciaires. À l’inverse, si l’issue est différente, l’incohérence ébranlera tout le processus judiciaire et en affaiblira l’autorité, la crédibilité et la vocation à l’irrévocabilité (S.C.F.P., au paragraphe 51).

[26]  Messieurs Harris et Spottiswood ont présenté antérieurement des demandes relativement à une trousse dans laquelle ils alléguaient que les dispositions du RAMFM et du RMFM portaient atteinte aux droits des patients garantis par l’article 7 de la Charte. Ils contestaient dans leurs demandes antérieures, comme dans les demandes actuelles, la constitutionnalité de l’interdiction de posséder plus de 150 g de cannabis et de l’obligation d’obtenir chaque année une autorisation médicale d’en consommer. La Cour a tranché ces demandes antérieures dans l’Affaire intéressant une trousse (jugement), et elle les a radiées en raison du [traduction] « manque de détails » concernant la situation personnelle des demandeurs, du fait que les actes de procédure étaient frivoles et vexatoires et qu’ils soulevaient des questions de droit établi, et par souci de courtoisie judiciaire relativement au jugement Allard (action).

[27]  La défenderesse soutient également que rien n’indique que les procédures antérieures sont entachées de fraude ou qu’il serait injuste d’appliquer les conclusions antérieures à la présente affaire. De plus, les demandes constituent un abus de procédure parce que les demandeurs avaient la possibilité d’interjeter appel de leurs demandes antérieures, mais ils ont choisi de ne pas le faire. En outre, rien n’empêchait M. Harris d’invoquer l’article 15 de la Charte auparavant, ce qui, selon la défenderesse, constitue un autre abus de procédure.

Thèse des demandeurs

[28]  Monsieur Harris fait valoir (pour lui‑même et pour d’autres, un point sur lequel je reviendrai) qu’ils invoquent suffisamment de faits dans leurs demandes. Bien que la défenderesse dénonce un « manque » de faits de leur part, les demandeurs soutiennent que la véritable question qui se pose est celle de savoir si les faits permettent [traduction] « suffisamment » d’étayer les éléments essentiels qui révèlent des causes d’action en matière constitutionnelle. Les faits invoqués par M. Harris dans sa demande sont les mêmes faits essentiels qui ont été jugés suffisants dans Garber : a) le demandeur a une autorisation médicale pour b) 100 g par jour, ce qui signifie que la quantité maximale de cannabis qu’il est autorisé à transporter lorsqu’il s’éloigne de chez lui ne lui permet pas d’être approvisionné pour plus d’une journée et demie et qu’il doit donc faire appel à un coûteux service de messagerie 20 fois par mois, soit 240 fois par année. Ce sont ces mêmes faits que le demandeur Boivin dans l’affaire Garber (qui, lui aussi, avait l’autorisation d’utiliser 100 g par jour) a invoqués, et ceux‑ci ont été suffisants pour établir une possible atteinte aux droits que les articles 7 et 15 lui garantissent.

[29]  D’après ce que je comprends, les demandeurs conviennent que la limite de 150 g et l’obligation de renouveler les documents médicaux chaque année (soulevée par M. Spottiswood) sont des questions qui ont déjà été soulevées, mais ils affirment que les faits en l’espèce se distinguent de l’autre affaire. La Cour fait observer que le juge Manson dans Allard (requête) et le juge Phelan dans Allard (action) ont confirmé la limite de possession de 150 g. La Cour fait également remarquer que l’obligation de renouveler annuellement les autorisations médicales a été confirmée dans R c Beren, 2009 BCSC 429, autorisation d’appel refusée 2009 CSCR no 272 [Beren], aux paragraphes 33(e), 94 et 95; voir aussi l’Affaire intéressant une trousse (jugement), où le juge Phelan a estimé, au paragraphe 36, que l’obligation générale relative à l’autorisation médicale est constitutionnelle.

[30]  Les demandeurs soutiennent que dans Allard (action), l’allégation de [traduction] « preuve scientifique frauduleuse menant à une sous‑médication génocidaire » n’a pas été examinée.

[31]  S’agissant des « raisons convaincantes » essentielles, les demandeurs font remarquer que dans Garber, la Cour a accordé aux utilisateurs qui prennent une dose élevée (comme M. Harris) le droit à un approvisionnement de dix jours en leur accordant une exemption constitutionnelle supérieure à la limite de possession de 150 g, de sorte qu’un patient consommant 167 g par jour a pu avoir une limite de possession de plus de 1,6 kg tous les 10 jours. Les demandeurs font valoir que les éléments de preuve et la posologie des patients diffèrent de ceux qui ont été soumis par voie de requête à l’examen du juge Manson, qui a entendu les témoignages d’utilisateurs de faibles doses dont l’autorisation médicale était de 5 g à 25 g par jour.

[32]  Sur la question de savoir pourquoi ils n’ont pas invoqué l’article 15 auparavant, les demandeurs font valoir que bon nombre d’entre eux n’étaient pas parties à l’instance antérieure et que c’est la première fois qu’ils ont l’occasion d’invoquer les droits à l’égalité que leur garantit l’article 15. Ils soutiennent que rien ne justifie de ne pas permettre à d’autres de se prévaloir de l’article 15.

Analyse

[33]  À mon avis, et en me fondant sur les faits allégués dans sa déclaration, que je tiens pour avérés comme j’y suis tenu, M. Harris a un document médical qui lui donne droit à une dose très élevée de cannabis thérapeutique, soit 100 g par jour. Il est évident pour moi que M. Harris et d’autres comme lui se trouvent dans une situation de fait très différente de celle des demandeurs dans les affaires Allard (requête) et Allard (action), qui étaient autorisés à n’utiliser que de 5 g à 25 g par jour. Monsieur Harris a la permission de consommer beaucoup plus de cannabis thérapeutique : entre quatre et vingt fois cette quantité chaque jour.

[34]  À vrai dire, la quantité prescrite dans le cas de M. Harris est extraordinairement élevée : certains mois, elle dépasse les 3 kg. Monsieur Harris ne déclare pas la nature de sa maladie ni pourquoi il a besoin d’autant de cannabis thérapeutique. À un certain point, la défenderesse a affirmé qu’une maladie en phase terminale justifiait peut‑être une dose aussi élevée. Toutefois, la défenderesse ne dit pas que M. Harris a l’obligation de révéler la nature de sa maladie ou les raisons pour lesquelles il a besoin d’une telle quantité de cannabis, et j’estime que ni M. Harris ni M. Spottiswood ne devraient être tenus de le faire. Il revient au professionnel de la santé qui le prescrit, et non à la Cour, de décider du traitement requis pour soigner M. Harris, du moins aux fins d’une requête en radiation ou de mesures provisoires.

[35]  Le Règlement sur le cannabis de 2018 promulgué par le gouverneur en conseil autorise les « médecins » et les « infirmiers praticiens », que les provinces concernées autorisent à prescrire le cannabis à des fins médicales; ces prescriptions figurent sur des ordonnances appelées « documents médicaux ». Je tiens pour acquis – comme je le dois – que le médecin ou l’infirmier praticien de M. Harris, peu importe qui a signé son document médical, a approuvé la grande quantité qui lui a été prescrite. Si la défenderesse souhaite contester la quantité prescrite, des éléments de preuve contraires sont nécessaires. Or, la défenderesse n’a produit aucun élément de preuve contraire à cet égard, et de tels éléments de preuve ne sont généralement pas permis dans le cadre d’une requête en radiation.

[36]  Je conclus que les faits allégués en l’espèce se distinguent nettement de ceux qui ont été présentés aux juges Manson et Phelan dans les affaires Allard.

[37]  Un autre facteur différencie la présente espèce et les affaires Allard : M. Harris intente son action dans le contexte d’un tout nouveau régime d’accès au cannabis, que le Parlement a adopté en 2018 pour légaliser de manière générale la possession et la consommation de cannabis dans les limites prescrites. L’accès au cannabis thérapeutique n’est plus une dérogation au régime de droit pénal très restreint établi par la LRCDAS; le régime actuel d’accès au cannabis à des fins médicales s’inscrit maintenant dans un tout nouveau cadre et un contexte d’accès généralement légalisé au cannabis.

[38]  Je tiens aussi à souligner que l’Affaire intéressant une trousse (jugement) ne visait pas des gens consommant de fortes doses de cannabis thérapeutique, comme M. Harris.

[39]  L’effet de la jurisprudence antérieure est atténué aussi parce que, dans l’intervalle, le juge en chef adjoint de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a accordé dans l’affaire Garber une exemption constitutionnelle à la limite de possession de 150 g, quoiqu’à titre provisoire (la même que M. Harris sollicite en l’espèce par voie de requête pour l’obtention de mesures provisoires). Dans l’affaire Garber, des usagers prenant de fortes doses ont été autorisés à consommer entre 36 g et 167 g par jour à des fins médicales, cette dernière dose étant encore plus élevée que celle qui est prescrite à M. Harris en l’espèce. Le jugement Garber a changé l’environnement juridique; il ne semble pas avoir été porté en appel.

[40]  Compte tenu de ces facteurs, j’estime que la demande de M. Harris ne remet pas en cause l’affaire Allard ou l’Affaire intéressant une trousse (jugement). Je conclus donc, avec égards, que le principe de la courtoisie ne s’applique pas. De plus, j’estime que la défenderesse n’a pas établi qu’il y a eu abus de procédure et que, en toute déférence, cet argument est sans fondement.

(2)  La confirmation antérieure par la Cour de la constitutionnalité des limites de possession et de l’obligation d’obtenir annuellement une autorisation médicale est‑elle contraignante?

Thèse de la défenderesse

[41]  La défenderesse affirme que notre Cour a déjà confirmé la validité constitutionnelle de la limite de possession de 150 g dans Allard (action) et l’a fait de nouveau dans Davey, où elle a rejeté la requête sollicitant le réexamen du jugement Allard (action) (Davey, au paragraphe 28). La défenderesse fait valoir que les demandeurs n’invoquent pas de raisons convaincantes qui permettraient à la Cour d’écarter Allard (action).

[42]  En outre, s’agissant de l’argument par lequel les demandeurs distinguent les utilisateurs de fortes doses de cannabis thérapeutique par rapport aux utilisateurs de faibles doses, la défenderesse soutient que les quatre demandeurs dans l’affaire Allard étaient autorisés à consommer de 5 g à 25 g par jour, mais que certains éléments de preuve concernaient des patients autorisés à utiliser de plus grandes quantités, dont certaines dépassaient les 100 g. Or, la Cour a jugé constitutionnelle la limite de possession de 150 g.

[43]  La défenderesse affirme de plus qu’aucun poids ne devrait être accordé à Garber dans le cadre d’une requête en radiation. Elle soutient que les décisions dans lesquelles la Cour a fait droit à des injonctions interlocutoires n’ont aucune incidence sur les requêtes en radiation subséquentes fondées sur l’absence de cause d’action raisonnable, compte tenu des critères très différents en jeu dans les deux requêtes (Coca‑Cola Ltd c Pardhan (1999), 172 DLR (4th) 31 (CAF), motifs du juge Strayer, au paragraphe 30). Même si les décisions relatives aux injonctions interlocutoires étaient pertinentes, le juge Manson a rejeté une demande semblable d’exemption interlocutoire de la limite de possession de 150 g, et sa décision a été confirmée en appel.

[44]  L’obligation d’obtenir une autorisation médicale pour consommer du cannabis a toujours été jugée constitutionnelle (Hitzig c Canada (2003), 231 DLR (4th) 104 (CA Ont.) [Hitzig], aux paragraphes 138 à 145, autorisation d’interjeter appel refusée 2004 CSCR no 5 ([traduction] « tout comme il incombe aux médecins de déterminer si des médicaments d’ordonnance sont nécessaires, il est raisonnable pour l’État d’exiger l’avis médical des médecins en l’espèce », au paragraphe 139); Beren ([traduction] « nous concluons que le RAMFM met en jeu le droit à la sécurité des personnes qui ont besoin de consommer de la marihuana à des fins médicales », au paragraphe 95); Affaire intéressant une trousse (jugement) (« Il est bien établi en droit […] que l’exigence relative à une autorisation médicale est valide sur le plan constitutionnel », au paragraphe 36)). La cour souligne dans Hitzig qu’elle pourrait réexaminer sa conclusion si le nombre d’ordonnances des médecins qui le prescrivent diminuaient à un point tel qu’il devenait pratiquement impossible d’obtenir une exemption pour des raisons médicales : au paragraphe 139. Cependant, M. Spottiswood ne soulève pas cette question, mais semble plutôt contester l’obligation pour les patients de consulter un praticien de la santé chaque année. Dans Beren, la cour rejette un argument semblable, selon lequel l’obligation de renouveler l’autorisation chaque année est arbitraire en ce qu’elle s’applique à des patients en phase terminale et à ceux qui ont des problèmes de santé chroniques pour lesquels le cannabis est prescrit.

Thèse des demandeurs

[45]  Le demandeur Harris affirme que l’analyse dans Allard (action) sur la limite de possession de 150 g portait sur des inconvénients relativement insignifiants. Pour un patient qui prend 25 g, ne pas quitter la maison pendant plus de six jours et se réapprovisionner cinq fois par mois semble un inconvénient mineur. Toutefois, la limite de possession de 150 g est nettement disproportionnée pour quelqu’un dont la consommation de bien plus grandes quantités de cannabis thérapeutique est approuvée. Le juge Phelan en fait le constat quand il affirme dans ses motifs que « [s]elon la limite de possession, une personne peut posséder une quantité de marihuana qui est plus que ce qui lui est nécessaire » (Allard, au paragraphe 288). Ce n’est pas le cas de ceux qui sont autorisés à consommer des quantités beaucoup plus importantes à des fins médicales.

[46]  De plus, les demandeurs dans Allard sollicitaient un jugement déclarant invalide la limite de possession dans un lieu public de 150 g par jour de façon à ce qu’il n’y ait plus de limite; la cour n’allait manifestement pas accorder pas une mesure de réparation aussi excessive. En l’espèce, toutefois, les demandeurs cherchent seulement à faire invalider le [traduction] « maximum de 150 g », et non le [traduction] « maximum de 30 jours ».

[47]  En ce qui concerne le recours au jugement Garber, les demandeurs font valoir que la conclusion de la cour dans cette affaire, selon laquelle les consommateurs de doses élevées subiraient un préjudice irréparable, fait maintenant autorité; et que notre Cour n’a pas rendu de décisions visant des consommateurs de doses élevées de cannabis thérapeutique et des patients mourants, alors que dans Garber leur situation était à l’examen et que la cour s’est prononcée sur la conclusion du juge Manson concernant la limite. De plus, [traduction« la défenderesse n’a pas souligné les différents critères que doivent appliquer en l’espèce les demandeurs qui sollicitent la même mesure de réparation pour les mêmes préjudices ».

[48]  S’agissant de l’obligation de renouveler l’ordonnance chaque année, que dénonce M. Spottiswood, les demandeurs soutiennent que la défenderesse a induit la Cour en erreur en affirmant que plusieurs tribunaux ont confirmé la validité constitutionnelle des exigences relatives au renouvellement annuel de l’autorisation d’utiliser du cannabis à des fins médicales, alors que pas un seul tribunal ne l’a confirmée. Bien que l’obligation constitutionnelle d’obtenir une autorisation médicale pour consommer du cannabis soit de jurisprudence constante, l’obligation d’obtenir cette autorisation chaque année ne l’est pas, et n’a pas non plus été examinée ni dans Beren ni dans Allard (action).

Analyse

[49]  S’agissant de la limite de possession de 150 g, la défenderesse soutient à raison que notre Cour, dans Allard (action), a conclu à sa constitutionnalité. J’estime toutefois que les faits étaient très différents. Les autorisations médicales en l’espèce concernent deux fois au moins les quantités maximales accordées aux demandeurs de l’affaire Allard, et très souvent bien plus. Les demandeurs dans l’affaire Allard avaient des licences de 5 g à 25 g, tandis que l’ordonnance ou le document médical de M. Harris autorise 100 g par jour, soit 20 fois la limite inférieure examinée dans Allard (5 g) et quatre fois sa limite supérieure (25 g par jour). La dose quotidienne des demandeurs de l’affaire Allard n’était jamais supérieure à 25 g.

[50]  Pour un patient qui consomme 25 g, ne pas quitter la maison pendant plus de six jours et devoir s’approvisionner cinq fois par mois semble un inconvénient relativement mineur. Encore moins grave est la situation d’un patient qui consomme 5 g par jour et doit s’approvisionner tous les 30 jours, quand on évalue l’incidence d’une limite de possession de 150 g. À mon avis, la limite de possession de 150 g est nettement disproportionnée pour une personne ayant l’autorisation d’utiliser de très grandes quantités de cannabis à des fins médicales, comme en l’espèce. Dans ce contexte, M. Harris doit renouveler son approvisionnement toutes les journées et demie s’il s’éloigne de son domicile.

[51]  La défenderesse a raison de dire que la preuve démontrait dans Allard (action) que certaines personnes étaient autorisées à utiliser plus de 25 g, mais le profil des consommateurs de fortes doses n’a pas été examiné aux paragraphes 286 à 288, où le juge Phelan a reconnu la constitutionnalité des limites de possession.

[52]  Cet argument de la défenderesse recoupe celui de la remise en cause et de la courtoisie. Je répète que les faits de l’affaire Harris sont très différents de ceux exposés dans la jurisprudence antérieure. L’issue ultime pourrait aussi être fort différente si cette affaire se rend à procès, comme ce devrait être le cas selon moi.

[53]  J’estime que l’action Harris est suffisamment différente des litiges précédents pour que ceux‑ci ne prédéterminent pas l’issue de l’affaire en l’espèce. L’action Harris ne sera pas radiée sur cette base parce que j’estime qu’on ne peut affirmer qu’elle n’a aucune chance de succès; voir Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, motifs de la juge Wilson [Hunt], au paragraphe 24 :

[24]  Ainsi, en Angleterre, le critère qui régit une requête présentée en vertu de la règle 19 de l’ordonnance 18 des R.S.C. a toujours été simple et le demeure : en supposant que les faits exposés dans la déclaration peuvent être prouvés, est‑il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action raisonnable? […] Mais si le demandeur a une chance de réussir, il ne devrait pas alors être [traduction] « privé d’un jugement ». Ni la longueur ni la complexité des questions de droit et de fait qu’il pourrait être nécessaire d’examiner, ni la possibilité que le défendeur présente une défense bien fondée ne devrait empêcher un demandeur de poursuivre son action. Pourvu que le demandeur puisse présenter des questions « de fond », cette affaire devrait être entendue.

[54]  Je tiens à ajouter que les arguments convaincants appuyant une décision d’accorder une injonction interlocutoire peuvent être tout aussi convaincants pour rejeter une requête en radiation.

[55]  Cependant, l’observation de M. Spottiswood, selon laquelle le renouvellement annuel des documents médicaux ou des ordonnances ne devrait pas être obligatoire, devrait être radiée. J’en arrive à cette conclusion pour plusieurs raisons. Bien que la question des autorisations médicales annuelles n’ait pas été examinée de manière précise dans Allard (action) et dans l’Affaire intéressant une trousse (jugement), la Cour a conclu dans l’Affaire intéressant une trousse (jugement) à la constitutionnalité des autorisations médicales. Je retiens l’argument de la défenderesse selon lequel la constitutionnalité de l’obligation d’obtenir une autorisation médicale pour consommer du cannabis a également toujours été reconnue dans Hitzig et Beren, aux paragraphes 94 et 95 ([traduction] […]« nous concluons que le RAMFM met en jeu le droit à la sécurité des personnes qui ont besoin de consommer de la marihuana à des fins médicales », au paragraphe 95). L’Affaire intéressant une trousse (jugement) est aussi pertinente (« Il est bien établi en droit […] que l’exigence relative à une autorisation médicale est valide sur le plan constitutionnel », au paragraphe 36). Dans Beren, la cour a rejeté un argument semblable, selon lequel l’obligation de renouvellement annuel était arbitraire en ce qu’elle s’applique à des patients en phase terminale et à ceux qui ont des problèmes de santé chroniques pour lesquels ils ont une ordonnance.

[56]  À mon humble avis, M. Spottiswood n’a aucune chance d’avoir gain de cause. L’obligation de renouveler les documents médicaux chaque année peut certes être tout au plus un inconvénient, mais l’allégation selon laquelle il s’agit d’une atteinte à l’article 7 n’est étayée par aucun fait probant. J’estime que l’obligation de renouveler le document médical est une exigence raisonnable et, de façon générale, que l’exigence relative à l’autorisation médicale est constitutionnelle. De plus, M. Spottiswood n’indique même pas dans sa demande qu’il possède une autorisation médicale à jour de consommer du cannabis. Il n’invoque aucun fait relativement à son autorisation médicale annuelle actuelle ni aucun non plus qui démontre l’incidence de cette autorisation sur les droits qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte. S’il allègue simplement qu’il ne devrait pas avoir à consulter un praticien de la santé une fois par année, cet inconvénient ne justifie pas l’application de la Charte. Je ne vois pas l’utilité de l’autoriser à modifier sa demande.

[57]  L’action de M. Spottiswood sera rejetée sans autorisation de la modifier.

[58]  Les instances des demandeurs dont le nom figure à l’annexe « B » font l’objet d’une gestion de l’instance conjointe avec la demande de M. Spottiswood parce que ces demandeurs contestent eux aussi l’obligation de renouveler annuellement les documents médicaux qui est prévue au paragraphe 273(2) du Règlement sur le cannabis. Bien que deux des trois demandeurs de l’annexe « B » précisent dans leurs actes de procédure le montant qu’ils ont versé pour leur dernier document médical annuel, j’estime que ces paiements n’ajoutent rien à la valeur de leur argument constitutionnel. Les motifs exposés pour la demande de M. Spottiswood valent aussi pour les demandeurs figurant à l’annexe « B ». Par conséquent, les actions des demandeurs désignés à l’annexe « B » seront rejetées sans autorisation de les modifier.

(3)  La demande de M. Harris révèle‑t­elle une cause d’action raisonnable?

[59]  L’article 174, les alinéas 181(1)a), 181(1)b) et 221(1)a) et le paragraphe 221(2) des Règles des Cours fédérales disposent :

Exposé des faits

Material facts

174 Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l’appui de ces faits.

174 Every pleading shall contain a concise statement of the material facts on which the party relies, but shall not include evidence by which those facts are to be proved.

...

...

Précisions

Particulars

181 (1) L’acte de procédure contient des précisions sur chaque allégation, notamment :

181 (1) A pleading shall contain particulars of every allegation contained therein, including

a) des précisions sur les fausses déclarations, fraudes, abus de confiance, manquements délibérés ou influences indues reprochés;

(a) particulars of any alleged misrepresentation, fraud, breach of trust, wilful default or undue influence; and

b) des précisions sur toute allégation portant sur l’état mental d’une personne, tel un déséquilibre mental, une incapacité mentale ou une intention malicieuse ou frauduleuse.

(b) particulars of any alleged state of mind of a person, including any alleged mental disorder or disability, malice or fraudulent intention.

...

...

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221(1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

...

...

Preuve

Evidence

(2) Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa (1)a).

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

[60]  Dans l’arrêt Hunt, au paragraphe 37, la Cour suprême du Canada énonce :

[37]  La question [...] est de savoir s’il est « évident et manifeste » que les prétentions du demandeur [...] ne révèlent aucune cause d’action raisonnable ou si le demandeur a présenté une question « susceptible d’instruction » [...].

[61]  Selon la défenderesse, il est « évident et manifeste » que la demande de M. Harris ne révèle aucune cause d’action raisonnable. L’obligation d’alléguer des faits importants est plus rigoureuse dans les affaires fondées sur la Charte que dans les autres; la Cour suprême du Canada rappelle que ces décisions ne doivent pas être rendues dans un « vide factuel » (MacKay c Manitoba, [1989] 2 RCS 356, au paragraphe 9). La défenderesse soutient que les demandeurs ne révèlent aucune cause d’action raisonnable relativement à l’article 7 de la Charte, parce qu’ils ne démontrent pas qu’il y a eu privation du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne en raison d’une loi ou d’une mesure prise par l’État, et que cette privation est incompatible avec un principe de justice fondamentale, comme l’exige Carter c Canada, 2015 CSC 5 [Carter]. En ce qui a trait au droit à la vie, les demandeurs n’allèguent aucune maladie en phase terminale ni aucune disposition restreignant l’accès au cannabis de telle manière qu’elle met leur vie en danger. Pour ce qui est du droit à la liberté et à la sécurité de la personne, la défenderesse [traduction] « reconnaît que le premier droit est en jeu au sens strict où les personnes qui possèdent ou produisent du cannabis hors du champ d’application de la Loi et du Règlement sont coupables d’une infraction pouvant entraîner une peine d’emprisonnement » : Loi sur le cannabis, paragraphe 8(2) et article 51. Toutefois, la défenderesse soutient que les demandeurs n’allèguent aucun fait démontrant que ces droits sont en jeu. Si des dispositions peuvent rendre moins pratique l’usage du cannabis, rien n’indique qu’elles limitent considérablement les décisions médicales des demandeurs en les empêchant d’avoir légalement accès à un traitement adéquat.

[62]  En toute déférence, je ne suis pas d’accord. J’estime que les faits exposés sont suffisants pour établir une atteinte à l’article 7 : M. Harris a une ordonnance pour 100 g de cannabis thérapeutique par jour, mais il ne peut pas transporter ne serait‑ce que deux jours à l’extérieur de chez lui. À la différence des autres Canadiens, il ne peut pas voyager à une distance qui l’éloigne de chez lui pendant plus d’une journée et demie. S’il le fait, il est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement pour avoir enfreint la Loi sur le cannabis ou le Règlement sur le cannabis, selon l’accusation.

[63]  Dans les faits, M. Harris subit une forme de détention à domicile uniquement parce que la limite de possession cumulative totale nettement insuffisante le restreint dans l’ensemble des circonstances de son vécu. Avec égards, j’estime qu’il s’agit d’une injustice et, point plus important encore en ce qui concerne la requête en radiation, ce fait démontre vraisemblablement une atteinte importante aux droits à la liberté que l’article 7 de la Charte garantit à M. Harris. Je m’appuie, pour tirer cette conclusion, sur le principe du droit selon lequel le droit à la liberté d’une personne est, d’après la Cour suprême du Canada, en jeu lorsque des contraintes ou des interdictions de l’État influencent des choix de vie importants et fondamentaux : voir Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, au paragraphe 49 :

[49]  Le droit à la liberté garanti par l’art. 7 de la Charte ne s’entend plus uniquement de l’absence de toute contrainte physique. Des juges de notre Cour ont conclu que la « liberté » est en cause lorsque des contraintes ou des interdictions de l’État influent sur les choix importants et fondamentaux qu’une personne peut faire dans sa vie.

[64]  Les restrictions imposées au droit de M. Harris de voyager à l’extérieur de la ville où il habite influent sur des choix de vie importants et fondamentaux.

[65]  Je remarque que la défenderesse n’invoque pas l’article premier de la Charte.

[66]  Cela dit, selon la défenderesse, M. Harris peut s’éloigner de son domicile s’il demande aux expéditeurs d’envoyer de petites quantités à différentes adresses à peu près chaque jour sur sa route. Compte tenu de ma conclusion, je n’ai pas à m’étendre sur cette question. Toutefois, à mon humble avis, le coût et le fait qu’il ne serait vraiment pas pratique d’expédier de nombreuses autres livraisons de cannabis une fois toutes les journées et demie, pendant que M. Harris tente de voyager à l’extérieur de sa ville une semaine ou deux, par exemple, règlent le sort de cet argument.

[67]  S’agissant de l’expédition, j’ajoute que M. Harris demande aussi – et à mon avis il en a besoin – à être soustrait à la limite d’expédition de 150 g, sans quoi être exempté de la limite de possession de 150 g imposée par le Règlement sur le cannabis ne l’avancera à rien. L’issue de la requête en radiation de la demande d’augmentation de la limite de possession s’appliquera donc à la demande d’augmentation de la limite d’expédition.

[68]  J’estime que l’argument de la défenderesse selon lequel M. Harris n’explique pas en détail en quoi les frais d’expédition empiètent sur les droits garantis par l’article 7 est sans fondement. En fait, M. Harris fait valoir ce qui suit dans sa déclaration modifiée :

[TRADUCTION]

[44]  Les frais d’envoi d’un colis de 150 g par poste prioritaire sont d’environ 35 $. Un patient qui consomme 50 g par jour a besoin d’un envoi tous les 3 jours, soit au moins 10 envois par mois. Un patient qui consomme 100 g par jour a besoin de 20 envois par mois, soit un toutes les journées et demie. Un patient qui consomme 200 g par jour a besoin de 40 envois par mois, soit un toutes les 18 heures. Un patient qui consomme 300 g par jour a besoin de 60 envois par mois, soit un toutes les 12 heures.

[45]  Postes Canada ne livre pas la fin de semaine. Un patient qui consomme 50 g aurait besoin que 150 g lui soient livrés le vendredi pour en avoir pendant trois jours jusqu’au lundi. Il devrait recevoir une nouvelle livraison de 100 g le lundi, qui durerait jusqu’au mercredi et une livraison de 100 g le mercredi pour se rendre au vendredi. Trois postes prioritaires par semaine, ou 156 par année! À 35 $ par livraison, cela représente plus de 5 000 $ par année en frais d’envoi. Il est impossible qu’un patient qui prend plus de 50 g par jour n’en manque pas la fin de semaine.

[69]  Le fait que le traitement prescrit à M. Harris découle d’un problème de santé m’incite fortement à croire que la limite cumulative porte également atteinte aux droits que lui garantit l’article 15 de la Charte, c’est‑à‑dire qu’il y a en l’espèce ce qui semble être une distinction fondée sur un motif précis énuméré, à savoir les « déficiences ». Cette limite peut être discriminatoire en ce sens qu’elle ne répond pas aux capacités concrètes du demandeur, ou qu’elle renforce ou perpétue le désavantage dont il est victime, c’est‑à‑dire sa déficience (Première Nation de Kahkewistahaw c Taypotat, 2015 CSC 30, aux paragraphes 19 et 20).

[70]  Avec égards, je ne suis pas d’accord avec la défenderesse pour dire que la demande de M. Harris ne révèle aucune cause d’action raisonnable fondée sur les articles 7 ou 15 de la Charte. À mon humble avis, il est possible que la demande de M. Harris soit accueillie dans les deux cas. Il m’est certainement impossible d’affirmer que ses actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action raisonnable, ou autrement dit, que sa demande n’a aucune chance de succès. Par conséquent, la demande de M. Harris ne sera pas rejetée pour ces motifs. De plus, à mon humble avis, certaines des solutions de rechange proposées par la défenderesse sont déraisonnables et peu pratiques.

[71]  Monsieur Harris invoque également ses droits à la vie et à la sécurité de sa personne. J’estime que M. Harris n’a pas établi dans ses actes de procédure que la loi en question a directement ou indirectement pour effet de lui imposer la mort ou de l’exposer à un risque accru de mort (Carter, au paragraphe 62; et voir Chaoulli c Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, au paragraphe 123). Par conséquent, ses observations concernant le droit à la vie garanti par l’article 7 de la Charte, qui se trouvent au paragraphe 1 de sa déclaration modifiée, seront radiées.

[72]  S’agissant de la sécurité de la personne, les faits exposés par M. Harris sont suffisants pour que la Cour puisse conclure que la possession et l’expédition de 150 g constituent vraisemblablement une atteinte à son droit à la sécurité de sa personne, en ce sens que s’il exerce son droit protégé par la Charte de s’éloigner de chez lui pendant plus d’une journée et demie sans bénéficier d’une exemption, il peut faire l’objet de poursuites pour violation du Règlement sur le cannabis. La loi prévoit que, si les poursuites aboutissent à une condamnation, M. Harris pourrait être passible à la fois d’amendes et d’une peine d’emprisonnement. Au sujet de l’emprisonnement, je remarque que quiconque contrevient à l’alinéa 8(1)a) de la Loi sur le cannabis et est poursuivi par voie de mise en accusation encourt un emprisonnement maximal de cinq ans moins un jour (Loi sur le cannabis, au sous‑alinéa 8(2)a)(i)). À mon humble avis, l’imposition d’une peine d’emprisonnement dans les circonstances dans lesquelles M. Harris se trouve, pour des raisons médicales, constituerait vraisemblablement une atteinte au droit de M. Harris à la sécurité de sa personne, en contravention de l’article 7 de la Charte.

(4)  Ces actions sont‑elles scandaleuses, frivoles et vexatoires?

[73]  L’alinéa 221(1)c) des Règles des Cours fédérales dispose :

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221(1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

...

...

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

[74]  Parmi les caractéristiques courantes des procédures scandaleuses, frivoles ou vexatoires, mentionnons la remise en cause de questions qui ont déjà été tranchées et la présentation de demandes qui sont si dépourvues de faits importants que la défenderesse ne peut pas savoir comment y répondre (Sivak c Canada, 2012 CF 272, au paragraphe 92 [Sivak]). Ce point de vue est sans fondement en l’espèce, compte tenu des conclusions que j’ai déjà formulées.

[75]  Un acte de procédure est frivole et vexatoire s’il est de la nature d’une argumentation ou s’il comporte des déclarations non pertinentes, incompréhensibles ou insérées pour étoffer l’acte (Sivak, aux paragraphes 5, 77 et 78, 88 et 89). En l’espèce, par exemple, M. Harris affirme à plusieurs reprises que les limites de possession sont fondées sur des données d’enquête [traduction] « frauduleuses » de Santé Canada. Monsieur Harris compare dans sa demande le fait pour le Canada de s’appuyer sur ces données à un acte criminel de génocide, il affirme qu’un fonctionnaire de Santé Canada [traduction] « ne sait même pas faire une simple division correctement » et se moque des données probantes de Santé Canada à l’examen dans Allard (action) (demande de M. Harris, aux paragraphes 37, 11 et 26).

[76]  Je suis d’accord pour dire que certains propos de M. Harris vont trop loin et je bifferai toutes les références à un génocide, à la criminalité, à la fraude et à la conduite frauduleuse, ainsi que les déclarations moqueuses, parce que frivoles et vexatoires (voir, par exemple, les paragraphes 9 ([traduction] « À cette fin, le 7 février 2014, Santé Canada a fourni des données fausses et trompeuses au juge Manson »), 11 ([traduction] « [n]e sait même pas faire une simple division correctement »), 26 ([traduction] « Hé Izzy, proposez un chiffre! »), 31 ([traduction] « fraude statistique »), 35 ([traduction] « N’étant pas statisticien, le juge Manson n’a pas décelé la fraude dans la preuve statistique qui lui a été présentée, pas plus que l’avocat des demandeurs dans l’affaire Allard… »), 37 ([traduction] « frauduleux ») et 37 ([traduction] « en violation du paragraphe 318(2) du Code criminel du Canada » – référence au génocide)). Monsieur Harris doit signifier et déposer une autre déclaration modifiée conforme à la présente décision dans les 15 jours de la date où elle est rendue.

C.  La demande de mesures provisoires de M. Harris devrait‑elle être accueillie?

[77]  Comme il est indiqué plus haut, M. Harris demande une mesure de réparation provisoire sous la forme d’une exemption constitutionnelle à des fins personnelles de la limite de possession de 150 g prévue à l’alinéa 266(3)b) du Règlement sur le cannabis et de la limite d’expédition de 150 g prévue à l’alinéa 290(1)e), au paragraphe 293(1) et au sous‑alinéa 297(1)e)(iii) du Règlement sur le cannabis, afin de pouvoir posséder et se faire expédier du cannabis pendant 10 jours. À cet égard, M. Harris reprend des observations déjà examinées.

[78]  La défenderesse soutient que la requête visant à obtenir des mesures provisoires devrait être rejetée pour plusieurs raisons. Premièrement, bien que notre Cour ait incontestablement compétence, en vertu de la règle 373 des Règles des Cours fédérales, pour accorder des injonctions interlocutoires visant à préserver des droits existants en attendant l’issue de procédures en cours, M. Harris n’a pas à l’heure actuelle le droit de posséder du cannabis dans un lieu public ou celui de se faire expédier du cannabis en quantités supérieures à 180 g (c.‑à‑d., la somme des 150 g permis par le Règlement sur le cannabis et des 30 g permis par la Loi sur le cannabis), ni le droit garanti par la Charte de le faire. La mesure de réparation demandée équivaut donc à un jugement interlocutoire déclarant que M. Harris est autorisé à posséder dans un lieu public et à se faire expédier plus de 180 g de cannabis. La défenderesse fait valoir que les jugements déclaratoires ne peuvent être rendus au stade interlocutoire (Bande de Sawridge c Canada [2003] 4 CF 748, au paragraphe 6, conf. par 2004 CAF 16 (« [u]n jugement déclaratoire provisoire est contradictoire »)). En réalité, M. Harris demande à la Cour de se prononcer sur la question fondamentale et constitutionnelle au stade interlocutoire en l’absence d’un dossier de preuve complet ou d’un procès.

[79]  À mon avis, l’argument de la défenderesse n’a guère de fondement.

[80]  Premièrement, des exemptions semblables ont été demandées, et elles ont été accordées par le juge Manson dans Allard (requête) et par le juge en chef adjoint Cullen dans Garber. Comme nous le verrons, je me propose de suivre cette jurisprudence.

[81]  Deuxièmement, la défenderesse soutient que, même si le critère de l’injonction interlocutoire est appliqué, M. Harris ne répond pas au critère énoncé dans RJR MacDonald c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR MacDonald], à la page 334. J’estime, avec égards, que l’espèce constitue un bon point de départ pour l’analyse de cette question. Par ailleurs, en toute déférence aussi, je ne souscris pas à l’argument de la défenderesse selon lequel le critère en trois étapes de la mesure de réparation provisoire n’a pas été respecté. J’examinerai séparément l’existence d’une question sérieuse à juger, le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients du critère en trois étapes.

[82]  Dans une affaire normale, le critère de la question sérieuse à juger exige que le demandeur soulève une question sérieuse, c.‑à‑d. une question qui n’est pas frivole ou vexatoire (RJR MacDonald, pages 314 et 315). Plus récemment, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5 [SRC], au paragraphe 15, a resserré le critère pour les cas où le demandeur sollicite une ordonnance provisoire qui aboutirait au même résultat qu’il cherche à obtenir dans le cadre d’une décision définitive, lequel consistait à exiger l’existence d’une « question sérieuse à juger », selon RJR MacDonald, en imposant celui plus rigoureux qui consiste à « savoir si le demandeur a établi une forte apparence de droit ».

[83]  À mon humble avis, M. Harris a satisfait aux deux variantes de l’exigence de la question sérieuse à juger. De plus, à mon humble avis, le fait que M. Harris ne puisse quitter son domicile pendant plus d’une journée et demie est amplement étayé par le dossier. J’estime que les restrictions imposées à M. Harris par la limite de possession et d’expédition de 150 g prévue au Règlement sur le cannabis peuvent constituer une atteinte aux droits qui lui sont garantis à l’heure actuelle par l’article 7 de la Charte, une atteinte qui se poursuivra certainement jusqu’à la date du jugement de première instance et par la suite si aucune mesure de réparation n’est accordée. En d’autres termes, je ne peux pas envisager un jugement de première instance qui différerait de ma décision statuant sur la présente requête provisoire.

[84]  Je n’ai pas à conclure à la violation des droits que l’article 15 de la Charte garantit à M. Harris. Cela dit, il est vraisemblable qu’il y a actuellement atteinte à ces droits et que cette atteinte continuera tant et aussi longtemps qu’une mesure de réparation fondée sur la Charte ne sera pas accordée.

[85]  À mon avis, M. Harris a établi qu’il subit actuellement un préjudice irréparable et qu’il continuera de le subir jusqu’à ce que la Cour se prononce sur ses garanties juridiques. Je répète que M. Harris ne peut pas se rendre à une distance qui l’éloigne de chez lui pendant plus d’une journée et demie. Cette situation constitue vraisemblablement une atteinte actuelle et continue aux droits que lui garantit l’article 7 de la Charte. Il a également étayé au moyen d’une preuve solide ses allégations de discrimination interdite par l’article 15 de la Charte. Les deux atteintes découlent de l’interdiction d’avoir en sa possession plus de 150 g de cannabis dans un lieu public prévue à l’alinéa 266(3)b) du Règlement sur le cannabis. Cette limite s’applique à M. Harris, même s’il a besoin d’une quantité beaucoup plus grande s’il doit se rendre à une distance qui l’éloigne de chez lui pendant plus d’une journée et demie. Je tiens pour acquis que ce besoin d’une grande quantité de cannabis thérapeutique a été évalué par un fournisseur de soins de santé qualifié.

[86]  Je suis d’avis que M. Harris n’a pas simplement affirmé de façon générale qu’il subit un préjudice, malgré ce qu’affirme la défenderesse. De plus, il y a « des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé » (Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126, au paragraphe 16).

[87]  La troisième étape du critère des mesures de réparation provisoires est la prépondérance des inconvénients. À mon avis, la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’une exemption provisoire. Je comprends l’argument de la défenderesse selon lequel l’intérêt public favorise en général le maintien de l’exécution et de l’application d’une loi fédérale en vigueur (RJR Macdonald, au paragraphe 71; Harper c Canada (Procureur général), 2000 CSC 57, au paragraphe 9). Toutefois, j’estime que M. Harris a montré que la suspension de l’application du Règlement sur le cannabis serait elle‑même à l’avantage du public (RJR MacDonald, au paragraphe 80), parce que cette mesure qu’il sollicite découle de l’atteinte vraisemblablement continue des droits que lui garantit la Charte. En toute déférence, j’estime que l’intérêt public favorise le droit de M. Harris, garanti par la Charte, de se déplacer à une distance qui l’éloigne de chez lui pendant plus d’une journée et demie : chaque Canadien a ou devrait avoir ce droit, à moins que ce droit ne soit restreint dans des limites raisonnables par une mesure prise par l’État, ce qui ne semble pas établi en l’espèce.

[88]  Monsieur Harris ne demande pas de posséder une quantité [traduction] « supérieure à 150 g », mais seulement une quantité suffisante pour dix jours de consommation. En d’autres termes, il tente essentiellement d’obtenir la même exemption que la cour a accordée au demandeur Boivin dans Garber, qui a obtenu le droit de posséder 1 000 g. Un autre demandeur dans l’affaire Garber, dont l’ordonnance était de 167 g par jour, s’est vu accorder une exemption l’autorisant à posséder jusqu’à 1 670 g. Ces deux exemptions étaient fondées sur un approvisionnement de dix jours. Dans Garber, le juge en chef adjoint Cullen a conclu que ces chiffres [traduction] « établissaient un équilibre entre l’intérêt public qui consiste à limiter les risques pour la sécurité et la santé publiques en évitant d’accorder le droit de posséder une surabondance de marihuana, et à limiter le nombre de consommateurs de cannabis à des fins médicales pouvant bénéficier d’une contestation de la limite de possession de 150 g, et l’atténuation des restrictions imposées aux demandeurs qui souhaitent voyager avec leurs médicaments. Cela leur éviterait aussi d’avoir besoin de se réapprovisionner fréquemment… » (Garber, au paragraphe 138). Je fais miens ces commentaires.

[89]  Je tiens à mentionner la présence d’un autre facteur dont je tiens compte dans l’évaluation de la prépondérance des inconvénients. Monsieur Harris fait valoir à ce stade‑ci, et je dois donc tenir son argument pour acquis, qu’il doit se déplacer 20 fois par mois pour aller chercher son cannabis thérapeutique; le coût par la poste prioritaire de 35 $ par 150 g est de 700 $ par mois. Une exemption provisoire pour un approvisionnement de dix jours lui permettrait de réduire ses envois à trois par mois. Sur une base annuelle, les frais d’envoi de 700 $ par mois seraient réduits à 105 $, et il y aurait une diminution du nombre d’envois, de 240 à trois douzaines par année. Ces réalités économiques entrent en ligne de compte dans l’évaluation par la Cour de la prépondérance des inconvénients.

[90]  Dans l’ensemble, j’estime que la prépondérance des inconvénients favorise M. Harris.

[91]  Monsieur Harris ayant satisfait au critère en trois étapes énoncé à la page 334 de RJR MacDonald et resserré au paragraphe 15 de l’arrêt SRC, la Cour le soustraira à la limite de possession de 150 g imposée par l’alinéa 266(3)b) du Règlement sur le cannabis, et à la limite d’expédition de 150 g imposée par l’alinéa 290(1)e), le paragraphe 293(1) et le sous‑alinéa 297(1)e)(iii) du Règlement sur le cannabis afin qu’il soit autorisé à avoir en sa possession et à se faire expédier un approvisionnement de 10 jours.

(1)  Autres parties

[92]  Monsieur Harris souhaite obtenir des ordonnances semblables pour les autres demandeurs consommant de fortes doses dont le nom figure à l’annexe « A » des présentes et dont les actions sont suspendues en attendant le sort de l’action intentée par M. de Harris et en particulier la requête de la défenderesse en radiation. La défenderesse s’y oppose.

[93]  Je guiderai mon analyse sur ce point sur les parties des motifs que je joins aux présents motifs, aux annexes « C » et « D », respectivement - par le juge Manson, dans Allard (requête), et le juge en chef adjoint Cullen, dans Garber, qui traite des ordonnances.

[94]  Bien que M. Harris soit l’un des principaux demandeurs dans le cadre de la présente requête en radiation, conformément aux règles 119 et 121 des Règles des Cours fédérales, il ne serait pas approprié de l’autoriser à demander cette mesure de réparation au nom des autres demandeurs, parce qu’il n’est pas avocat.

[95]  Toutefois, à mon avis, l’équité exige que la Cour accorde la même mesure de réparation aux demandeurs qui se trouvent dans la même situation que M. Harris. Il semble que les autres demandeurs de ce groupe, à savoir les demandeurs désignés à l’annexe « A », soient autorisés à avoir en leur possession du cannabis thérapeutique en quantités variant entre 50 g et 200 g par jour. J’aimerais que la défenderesse m’expose son point de vue sur la manière de traiter ces autres demandes, et je lui accorde 20 jours pour ce faire. Je me propose d’examiner les autres dossiers par la suite, en vue d’accorder des exemptions semblables à la limite de possession de 150 g imposée par l’alinéa 266(3)b) du Règlement sur le cannabis, de sorte que chacune des autres parties puisse avoir une provision de dix jours, ce qui me semble approprié; mais j’entendrai d’abord la défenderesse avant d’en arriver à une conclusion à cet égard.

VII.  Conclusion

[96]  Je suis d’avis de préserver la déclaration modifiée de M. Harris, sauf pour les phrases que j’estime scandaleuses, frivoles et vexatoires, et que j’ai précisées ci‑dessus. Je suis d’avis d’accueillir la requête de la défenderesse visant à radier les déclarations de MM. Hathaway et Spottiswood sans autorisation de les modifier, pour cause de caducité et pour absence de cause d’action raisonnable, respectivement. Les actions des demandeurs dont le nom figure à l’annexe « B » sont également rejetées sans autorisation de les modifier compte tenu de ma décision relativement à l’action de M. Spottiswood.

[97]  Je tiens à faire remarquer que les demandeurs désignés à l’annexe « A » invoquent dans leurs déclarations le RACFM abrogé, tout comme l’a fait M. Hathaway. Or, l’ordonnance du 1er novembre 2018 n’autorisait que MM. Harris et Hathaway à modifier leurs déclarations. Je suis d’avis qu’il n’est pas opportun pour les demandeurs désignés à l’annexe « A » d’être touchés par cette décision et que leur cause devrait « se greffer » à la déclaration modifiée de M. Harris comme si elle avait été modifiée conformément à mon ordonnance dans Harris (M. Hathaway n’a pas apporté de modifications même s’il aurait pu le faire). Aux fins de l’instruction de leurs actions, ils seront autorisés à modifier leurs actes de procédure pour qu’ils invoquent la Loi sur le cannabis et le Règlement sur le cannabis actuels.

VIII.  Dépens

[98]  En vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je n’adjuge aucuns dépens.


ORDONNANCE DANS LES DOSSIERS T‑1765‑18, T‑1716‑18 et T‑1913‑18

PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE ce qui suit :

« Henry S. Brown »

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de juin 2019

Linda Brisebois, LL.B.


Annexe « A »


Annexe « B »


ANNEXE « C »

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. Les demandeurs qui, à la date de la présente ordonnance, détiennent une autorisation de possession valide en vertu de l’article 11 du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, sont soustraits à l’abrogation de ce règlement et à toute autre application du Règlement sur la marihuana à des fins médicales qui est incompatible avec l’application du premier règlement, dans la mesure où l’autorisation de possession demeure valide jusqu’à ce qu’une décision soit rendue en l’espèce et sous réserve des conditions du paragraphe 2 de la présente ordonnance.
  2. Les conditions de l’exemption dans le cas d’un demandeur détenant une autorisation de possession valide en vertu de l’article 11 du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales sont conformes aux conditions de l’autorisation de possession valide que détient le demandeur à la date de la présente ordonnance, malgré la date d’expiration figurant sur cette autorisation, mais la quantité maximale de marihuana séchée dont la possession est permise correspond à celle qui est précisée dans ladite licence ou à 150 grammes, si cette quantité est inférieure.
  3. Les demandeurs qui détenaient, le 30 septembre 2013, ou qui ont obtenu par la suite une licence de production à des fins personnelles valide en vertu de l’article 24 du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales ou une licence de production à titre de personne désignée en vertu de l’article 34 de ce règlement sont soustraits à l’abrogation de ce règlement et à toute autre application du Règlement sur la marihuana à des fins médicales qui est incompatible avec celle du premier règlement, dans la mesure où la licence de production à titre de personne désignée ou la licence de production à des fins personnelles du demandeur demeure valide jusqu’à ce qu’une décision soit rendue en l’espèce au procès et sous réserve des conditions du paragraphe 4 de la présente ordonnance.
  4. Les conditions de l’exemption dans le cas d’un demandeur qui détenait, le 30 septembre 2013, ou qui a obtenu par la suite une licence de production à des fins personnelles valide en vertu de l’article 24 du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales ou une licence de production à titre de personne désignée en vertu de l’article 34 de ce règlement sont conformes aux conditions de la licence de ce demandeur, malgré la date d’expiration figurant sur cette licence.
  5. Après avoir consulté les avocats des parties, la Cour donnera des directives sur l’échéancier à respecter en vue de fixer la date du procès le plus tôt possible.
  6. Les demandeurs sont exemptés de l’engagement exigé au paragraphe 373(2) des Règles des Cours fédérales.
  7. Les parties assument leurs propres dépens.

Annexe « D »

[traduction]

(v)  Résumé des ordonnances

[148]  L’ordonnance reprendra les mêmes modalités que celles de l’ordonnance Allard, sauf que les demandeurs en l’espèce seront soustraits à la limite de possession à des fins personnelles de 150 g imposée par l’alinéa 5c) du RMFM, dans la mesure suivante :

[149]  De plus, Marc Boivin sera autorisé à produire 486 plants et à entreposer 21 870 g de cannabis à l’adresse indiquée dans les licences qui lui ont été délivrées en vertu du RAMFM.

[150]  La demande d’ordonnance présentée pour une exemption constitutionnelle de l’application des articles 4, 5 et 7 de la LRCDAS est rejetée.

[151]  La demande de Timothy Sproule d’entreposer 7 920 g de cannabis à son adresse résidentielle actuelle à Vancouver et de transporter 7 920 g de son lieu de production à son lieu d’entreposage est rejetée.

[152]  La demande visant à permettre aux demandeurs de produire et d’entreposer du cannabis thérapeutique à n’importe quelle adresse où ils résident, si cette adresse est différente de celle qui figure dans leur licence du RAMFM, est rejetée.

[153]  Les parties assument leurs propres dépens.



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