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Date : 20190624


Dossier : IMM-5116-18

Référence : 2019 CF 852

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2019

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

JIAN HUA CAO ET XIU YAN GAN

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, Jian Hua Cao et Xiu Yan Gan, demandent à la Cour d’annuler la décision d’un agent de ne pas réexaminer la décision par laquelle leurs demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire avaient été rejetées. 

[2]  Pour les motifs suivants, j’estime que la présente demande doit être accueillie.

[3]  Les demandeurs et leurs trois enfants sont arrivés au Canada en octobre 2005, en provenance de la Chine, et ils ont présenté une demande d’asile. Celle-ci a été refusée en septembre 2007, et un examen des risques avant renvoi a également été refusé deux mois plus tard. Le dossier certifié du tribunal indique qu’ils ont ensuite déposé une demande de résidence permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire), laquelle a été rejetée le 3 octobre 2011.

[4]  Le 12 janvier 2017, les demandeurs ont présenté une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Un agent chargé d’évaluer la demande a noté ce qui suit en octobre 2017 :

[traduction]

Le demandeur principal, âgé de 64 ans, est citoyen de la Chine. Son épouse, une citoyenne chinoise âgée de 65 ans, est la codemanderesse. Les motifs d’ordre humanitaire des demandeurs sont fondés sur l’établissement, l’intérêt supérieur des enfants et les conditions défavorables dans le pays d’origine.

L’agent a conclu qu’il y avait suffisamment de considérations d’ordre humanitaire pour que leurs demandes de résidence permanente puissent être traitées à partir du Canada.

[5]  À la suite de cette décision, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a écrit aux demandeurs le 31 octobre 2017 pour les informer que des renseignements supplémentaires — c’est-à-dire des renseignements concernant des examens médicaux, des passeports, des certificats de police et les droits prescrits — étaient nécessaires afin de déterminer s’ils satisfaisaient aux exigences d’admissibilité prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[6]  Par une lettre datée du 10 novembre 2017, l’avocate des demandeurs a transmis le paiement des droits prescrits et indiqué que les demandeurs étaient [traduction] « en voie d’obtenir les passeports, les certificats de police et les examens médicaux ». Dans une autre lettre datée du 28 novembre 2017, l’avocate a indiqué que les certificats de police et les examens médicaux avaient été demandés, en ajoutant que les demandeurs [traduction] « poursuivent le processus de demande de passeports et fourniront ceux-ci dès qu’ils seront disponibles ».

[7]  Les certificats de police de la Chine sont datés du 16 novembre 2017 et sont traduits comme suit :

[traduction]

Demandeur : Cao Jianhua, de sexe masculin, né le 21 juillet 1953, numéro d’identification 440111195307211515

Adresse : No 2, Yixiang, rue Zhongxi Nord, village de Daxiang, agglomération de Renhe, district de Baiyun, ville de Guangzhou.

Document notarié : Aucun casier judiciaire

La présente atteste qu’en date du 16 novembre 2017, Cao Jianhua n’avait aucun casier judiciaire pendant sa période de résidence en République populaire de Chine.

Demanderesse : Gan Xiuyan, de sexe féminin, née le 26 septembre 1952, numéro d’identification 440111195209261527

Adresse : No 2, Yixiang, rue Zhongxi Nord, village de Daxiang, agglomération de Renhe, district de Baiyun, ville de Guangzhou.

Document notarié : Aucun casier judiciaire

La présente atteste qu’en date du 16 novembre 2017, Gan Xiuyan n’avait aucun casier judiciaire pendant sa période de résidence en République populaire de Chine.

Les demandeurs ont expliqué, dans une déclaration subséquente, que les certificats de police avaient été obtenus en fournissant à la police locale, par l’intermédiaire du cousin de Mme Gan, une copie du hukou (certificat de résidence) des demandeurs accompagnée d’une confirmation d’un fonctionnaire du village. 

[8]  Dans une lettre datée du 12 décembre 2017, l’avocate des demandeurs a informé IRCC que ceux-ci s’étaient présentés au consulat de Chine le 4 décembre 2017 pour y déposer des demandes de passeport. Elle a ajouté que le consulat de Chine les avait informés qu’ils [traduction« [pouvaient] ne pas être admissibles, puisqu’ils n’[avaient] pas été en mesure de produire une pièce d’identité chinoise originale, étant donné que les documents [avaient] été perdus au moment de leur arrivée au Canada en tant que demandeurs d’asile » [non souligné dans l’original]. Elle a expliqué qu’ils retourneraient au consulat le 5 février 2018 pour savoir si les demandes de passeport avaient été approuvées. Compte tenu de ce retard, l’avocate a demandé une prolongation du délai initialement prévu pour la présentation des passeports.

[9]  Dans une lettre datée du 6 février 2018, l’avocate a informé IRCC que les demandes de passeport avaient été refusées [traduction] « parce qu[e les demandeurs] n’avaient aucune pièce d’identité chinoise » [non souligné dans l’original]. Elle a expliqué qu’ils ne pouvaient obtenir de carte d’identité de résident chinois, car ils devaient l’obtenir en Chine; or ils ne pouvaient retourner là-bas. Dans le passage suivant de sa lettre, elle a demandé une dispense de l’exigence relative au passeport :

[traduction]

Comme M. Cao et Mme Gan ne possèdent pas de passeport et ne peuvent en demander un, ils ne peuvent pas soumettre de copies des pages de données biométriques de leurs passeports. Par conséquent, nous demandons respectueusement que M. Cao et Mme Gan soient dispensés de l’exigence de présenter un passeport prévue au sous-alinéa 72(1)e)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, pris en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Selon le guide IP 5 - Traitement des demandes au Canada, Résidence permanente, lorsqu’une demande d’immigration au Canada est présentée pour des motifs d’ordre humanitaire, l’agent d’immigration peut accorder une dispense de l’obligation de présenter un passeport s’il est convaincu de l’identité du demandeur. Nous sommes d’avis que M. Cao et Mme Gan ont confirmé leur identité parce qu’ils ont inclus dans leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire d’autres pièces d’identité comme leur permis de conduire, les documents de demandeur d’asile et une licence de mariage.

[10]  Le passage pertinent de l’IP 5, Traitement des demandes au Canada – Résidence permanente, est le suivant :

Le R72(1)e)(ii) exige que tous les étrangers détiennent un passeport valide pour obtenir la résidence permanente. Il est entendu que tous les étrangers doivent être munis d’un passeport valide, et une dispense de cette obligation est rarement accordée. Le demandeur qui ne réussit pas à obtenir un passeport doit fournir la preuve qu’il en a fait la demande et qu’on le lui a refusé. Pour faciliter la démarche, l’agent remet au demandeur une lettre à envoyer à son ambassade ou à un autre bureau le représentant pour demander les motifs écrits du refus de délivrer un passeport. Le demandeur doit envoyer la lettre à l’ambassade par courrier recommandé pour s’assurer qu’elle parvienne bien à destination. Cette tactique peut suffire à dissuader les personnes cherchant à obtenir une dispense de passeport parce qu’elles sont recherchées dans leur pays pour des activités criminelles ou autres.

Si une ambassade refuse de justifier sa décision de ne pas délivrer un passeport, l’agent doit tenir compte des faits particuliers du cas :

  L’agent est-il convaincu qu’il existe une raison légitime pour laquelle le demandeur n’a pas un passeport valide?

  Le demandeur est-il muni d’une autre pièce d’identité acceptable délivrée avant son arrivée au Canada?

Dans l’affirmative, l’agent peut lever l’obligation de passeport si le demandeur ne peut pas en obtenir un de son gouvernement et que l’agent est convaincu de son identité.

Avant de décider que le demandeur ne peut pas obtenir un passeport, l’agent doit consulter l’unité locale des renvois de l’ASFC ou, à l’AC de l’ASFC, l’unité Enquêtes et renvois, Exécution de la loi intérieure du Canada. Les agents de ces unités sauront peut-être s’il est possible pour une personne dans la situation du demandeur d’obtenir un passeport.

S’il est justifié de lever l’obligation de passeport, l’agent doit entrer les observations suivantes dans le SSOBL/Système de traitement des cas et envoyer une lettre au demandeur contenant l’énoncé suivant : « Par les présentes, je soustrais [nom de la personne] à l’application du sous-alinéa 72(1)e)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. »

[11]  En réponse à la demande de dispense de l’exigence relative au passeport, l’agent a répondu, par une lettre datée du 22 août 2018 et qualifiée d’[traduction] « avis final », que les documents au dossier ne permettaient pas d’établir l’identité des demandeurs et que pour obtenir une dispense de l’exigence relative au passeport, les renseignements supplémentaires suivants étaient nécessaires :

[TRADUCTION]

Ø  Des pièces d’identité délivrées à l’extérieur du Canada avant votre entrée au Canada (comme un certificat de naissance, une carte d’identité nationale, un passeport expiré ou un livret Hukou [version précédente acceptable]).

Ø  Une copie des motifs de décision de votre audience pour demande de protection à titre de réfugié devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a pris fin en septembre 2007, ainsi que la décision qui en a découlé.

Ø  Des explications sur la façon dont vous avez voyagé de la Chine au Canada; les documents, les noms et les identités qui ont été utilisés pour entrer au Canada.

Ø  Des explications à savoir quand, où, comment et pourquoi tous vos documents chinois originaux ou les copies de ceux‑ci ont été perdus.

Ø  Des explications sur la façon dont vous avez pu demander et obtenir un certificat de la police chinoise sans aucune pièce d’identité. Avez-vous des preuves documentaires du processus de demande? Qui a fait la demande en votre nom? Quel processus a-t-on suivi? Quels documents a-t-on fournis au bureau du notaire public?

Ø  Des explications quant aux raisons pour lesquelles votre certificat de mariage a été délivré de nouveau en 2004, peu avant votre arrivée au Canada.

Ø  Des explications à savoir comment vos enfants ont pu devenir résidents permanents du Canada sans passeport ni pièce d’identité (ont-ils fourni un certificat de naissance, une carte d’identité nationale, un hukou ou un passeport dans leur demande de résidence permanente?). Si ces documents sont disponibles et permettent de prouver votre identité, veuillez les fournir.

Ø  S’il existe une explication raisonnable et objectivement vérifiable justifiant l’incapacité d’obtenir toute pièce d’identité, une affirmation solennelle dans laquelle vous attestez votre identité serait acceptable si elle est accompagnée de l’un ou l’autre des documents suivants :

- une déclaration solennelle qui atteste votre identité, et qui a été faite par une personne — un membre de votre famille ou votre père, votre mère, votre frère, votre sœur, votre grand‑père ou votre grand-mère — qui vous connaissait  avant votre arrivée au Canada;

- La déclaration solennelle d’un responsable d’une organisation qui représente les ressortissants du pays dont vous avez la nationalité.

[12]  L’avocate a répondu le 13 septembre 2018 en fournissant les renseignements demandés, y compris le hukou des demandeurs. Madame Gan a fourni une déclaration solennelle où elle répondait aux questions de l’agent et expliquait leur hukou. Elle précisait qu’avant la demande d’IRCC mentionnant le hukou, elle avait oublié qu’ils l’avaient en leur possession. 

[traduction]

Je suis en mesure de trouver le hukou – le certificat de résidence – pour moi et mon époux. Vous trouverez ci-joint, à titre de pièce « A », une copie de mon certificat de résidence.

Je dois vous présenter mes excuses pour avoir complètement oublié ce certificat de résidence. Je me souviens qu’en 2010, ma fille aînée, Yan Zhen Cao, est retournée en Chine pour une visite. J’ai dit à ma fille de retourner dans notre ancienne maison pour voir si elle pouvait trouver quelque chose de précieux ou des documents importants laissés dans la maison. Elle a trouvé notre hukou et l’a rapporté au Canada. Je n’ai même pas pensé à ce hukou comme preuve d’identité, parce qu’il n’y a pas de photo dans le hukou, et qu’avec le temps, j’ai oublié que je l’avais en ma possession.

En 2016, ma plus jeune fille, Ting Ting Cao, a obtenu le statut de résidente permanente. On lui a également demandé de produire des pièces d’identité pour présenter une demande de passeport. Elle n’avait qu’un certificat de naissance. C’est alors que Yan Zhen, ma fille aînée, s’est souvenue qu’elle avait rapporté notre hukou. Elle a donc donné le hukou à Ting Ting afin qu’elle puisse présenter une demande de passeport au consulat chinois. Mais Ting Ting n’a finalement pas été en mesure de faire une demande de passeport. Elle a gardé le hukou avec elle.

Ce n’est que maintenant, lorsque l’avocat de la clinique d’aide juridique m’a dit que les autorités de l’immigration demandaient tout document à l’appui, y compris un hukou, que je me suis souvenue l’avoir donné à Ting Ting.

Encore une fois, veuillez m’excuser de ne pas y avoir pensé plus tôt.

[13]  Dans sa lettre d’accompagnement, l’avocate a écrit que ses clients n’avaient que le hukou comme pièce d’identité et que, d’après l’expérience de Ting Ting, [traduction« nous [la clinique d’aide juridique] sommes d’avis qu’ils ne recevront pas de passeport du consulat chinois ». Par conséquent, elle a réitéré la [traduction] « demande visant à ce que qu’IRCC dispense nos clients de l’exigence du passeport ».

[14]  L’agent a examiné les renseignements fournis et a constaté que, selon une récente réponse à une demande d’information portant le numéro CHN104575.E (la RDI), le demandeur d’un passeport chinois devait présenter au consulat chinois au Canada [traduction« une preuve de nationalité chinoise, soit l’original et une copie (p. ex. d’un passeport, d’un hukou ou d’une carte d’identité de résident. L’acte de naissance peut être accepté en dernier recours.) » Comme le seul document de ce genre que possédaient les demandeurs était leur hukou, ils ne pouvaient obtenir des passeports que s’ils le présentaient.

[15]  L’agent a noté que, dans la déclaration, il était indiqué que Mme Gan avait oublié avoir le hukou en sa possession jusqu’à ce que son avocate lui en parle en septembre 2018, mais il a également noté qu’elle avait obtenu les certificats de police de la Chine datés du 16 novembre 2017 en remettant le hukou à un cousin, qui avait obtenu les certificats. Les certificats de police ont été remis à IRCC le 29 novembre 2017. L’agent a souligné que les demandeurs avaient présenté leur demande de passeport au consulat de Chine le 4 décembre 2017. Il a conclu qu’ils n’avaient pas présenté leur demande de passeport de bonne foi.

[traduction]

Je pense qu’il est probable que les demandeurs avaient accès à leur hukou original dès 2010, alors que leur fille aînée a rapporté le document de son voyage en Chine. De plus, je constate que la fille cadette des demandeurs a utilisé ce document dans ses propres demandes. Je remarque également que les demandeurs ont utilisé ce document pour demander des certificats de la police chinoise en novembre 2017, mais ils déclarent avoir oublié qu’ils avaient ce hukou lorsqu’ils ont présenté une demande de passeport chinois au consulat de Chine en décembre 2017, et ne pas s’en être souvenus avant que leur représentante ne s’en enquière après ma lettre du 22 août 2018.

D’après les documents fournis et la déclaration solennelle des demandeurs, je conclus que ceux-ci n’ont pas présenté de bonne foi leur demande de passeport chinois aux autorités chinoises, car ils n’ont fourni aucune des pièces d’identité chinoises originales exigées par le consulat chinois, même s’ils y avaient accès.

Je constate en outre que les demandeurs auraient également pu demander aux autorités chinoises d’examiner d’autres documents chinois originaux en même temps que leur hukou original, comme le certificat de mariage et les documents de leurs enfants (deux d’entre eux ont pu obtenir un passeport chinois), y compris les certificats de naissance de leurs enfants, qui devraient indiquer que les demandeurs sont leurs parents, afin de les aider à établir leur identité dans leur demande de passeport chinois.

[16]  L’agent a conclu que [traduction] « les demandeurs n’ont pas fait d’efforts raisonnables pour obtenir un passeport auprès des autorités chinoises au Canada, et ils [...] sont tenus de demander un passeport ». Par conséquent, l’agent ne les a pas dispensés de l’obligation de présenter un passeport imposée par la Loi et, au motif qu’ils avaient omis de fournir un passeport, leur demande de résidence permanente au titre de la catégorie des considérations d’ordre humanitaire a été refusée dans une lettre datée du 25 septembre 2018. 

[17]  Aucune demande de contrôle judiciaire de cette décision initiale n’a été présentée. Le 1er octobre 2018, les demandeurs ont plutôt demandé que l’agent réexamine la décision :

[traduction]

Bien que nous comprenions votre inquiétude concernant la production soudaine du hukou de M. Cao et de Mme Gan, nous estimons que ce fait ne devrait pas constituer à lui seul le fondement du refus de leur demande. Nous vous demandons plutôt de réexaminer votre décision et de rouvrir le dossier pour permettre à M. Cao et à Mme Gan de répondre à vos préoccupations et de demander un passeport afin de satisfaire à l’exigence de la LIPR [caractères gras omis].

[18]  Dans leur demande, les demandeurs soulignent que l’omission de présenter le hukou n’était pas intentionnelle, et qu’elle était le fait d’un couple âgé qui ne compte que quelques années d’éducation primaire. En outre, ils indiquent que leur fille cadette n’a pas été en mesure d’obtenir un passeport chinois auprès du consulat, malgré la présentation d’un certificat de naissance et du hukou. Ils soulignent également qu’ils se sont conformés, par le passé, aux demandes de renseignements d’IRCC, et affirment qu’ils [traduction] « ont agi, et agissent toujours, de bonne foi dans leur tentative de se conformer à toutes les exigences de la LIPR ».

[19]  Enfin, l’avocate indique que, compte tenu de la lettre de refus datée du 25 septembre 2018, les demandeurs ont pris un autre rendez-vous avec le consulat chinois pour faire une demande de passeport, et ont obtenu un rendez-vous le 25 octobre 2018. Elle écrit ce qui suit :

[traduction]

Nous ne savons pas s’ils pourront obtenir un passeport, mais nous vous demandons de donner une chance à nos clients de le faire.

[…]

Plus précisément, nous vous demandons :

a.  de rouvrir la demande pour permettre à M. Cao et à Mme Gan de tenter de présenter une demande de passeport;

b.  s’ils ne sont pas en mesure de demander un passeport malgré le hukou, de les exempter de l’obligation relative au passeport.

[20]  Dans une lettre datée du 4 octobre 2018, la demande de réexamen a été refusée. C’est là la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Bien que la lettre soit brève, l’agent a fourni une page et demie de notes exposant les motifs de la décision.

[21]  L’agent a conclu que les demandeurs ne respectaient pas les conditions prévues au sous‑alinéa 72(1)e)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227), qui exige un passeport pour le traitement d’une demande de résidence permanente. 

[22]  L’agent a noté que les demandeurs avaient indiqué que l’omission de présenter le hukou n’était pas intentionnelle, et il a formulé la remarque suivante : [traduction] « L’omission de présenter le hukou n’est pas pertinente. Les demandeurs ne satisfont pas à l’exigence légale d’être en possession d’un passeport valide. » [Non souligné dans l’original.]

[23]  L’agent a pris note de l’argument des demandeurs selon lequel le hukou n’avait pas été efficace pour aider leur fille à obtenir son passeport, mais il a fait remarquer que les demandeurs avaient dit que leur demande de passeport avait été refusée parce qu’ils n’avaient fourni aucune pièce d’identité chinoise. L’agent a ajouté qu’en décembre 2017, les demandeurs avaient en leur possession le hukou, un certificat de police, une preuve confirmant qu’ils avaient vécu dans le village et un certificat de mariage; toutefois, rien n’expliquait pourquoi ils n’avaient fourni aucune de ces pièces d’identité chinoises au consulat. 

[24]  L’agent a également constaté qu’après le premier refus, en février 2018, et après avoir appris que leur demande avait été refusée, faute de pièces d’identité chinoises, les demandeurs n’avaient pas présenté de nouvelle demande à l’aide de leurs pièces d’identité chinoises. 

[25]  L’agent a souligné que les demandeurs tentaient de présenter une nouvelle demande de passeport, mais il a ajouté que cette demande n’avait été faite qu’après le rejet de leur demande par IRCC. Et ils disposaient de sept mois pour présenter une nouvelle demande après avoir reçu le premier refus et les motifs du consulat. 

[26]  J’en suis arrivé à la conclusion que la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire, à savoir celle de refuser de réexaminer la décision ayant rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, est déraisonnable et doit être annulée.

[27]  Elle est déraisonnable parce que les motifs invoqués par l’agent pour rejeter la demande de réexamen sont entachés d’erreur. L’agent semble estimer que, même si les demandeurs disent avoir oublié le hukou, celui-ci n’est pas pertinent, et que le problème vient du fait que les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi ils n’avaient pas présenté les autres documents au consulat. Cette position se fonde sur la proposition voulant que, d’une part, la demande de passeport des demandeurs au consulat chinois ait été rejetée parce qu’ils n’avaient fourni aucune pièce d’identité chinoise, et d’autre part, que ceux-ci disposent de pièces d’identité chinoises, à savoir [traduction] « un certificat de police de la Chine, la déclaration du fonctionnaire du village confirmant qu’ils vivaient auparavant dans ce village, et un certificat de mariage ». 

[28]  La proposition selon laquelle ces autres documents chinois auraient pu mener à l’octroi des passeports est fondée sur une interprétation déraisonnable et trop littérale de l’une des lettres de l’avocate des demandeurs, et ne tient pas compte de documents importants figurant au dossier. En expliquant pourquoi le consulat chinois avait rejeté les demandes de passeport des demandeurs dans une lettre datée du 6 février 2018, l’avocate des demandeurs a écrit que leurs demandes [traduction] « [o]nt été refusées parce qu’ils n’avaient aucune pièce d’identité chinoise » [non souligné dans l’original]. À première vue, l’interprétation de l’agent de réexamen selon laquelle l’expression [traduction] « pièce d’identité chinoise » signifie tout document original de la Chine peut sembler raisonnable.

[29]  Toutefois, l’agent de réexamen avait accès à la RDI au dossier, qui indiquait que les demandeurs de passeport doivent fournir au consulat une [traduction] « preuve de nationalité chinoise » et que cette preuve peut prendre la forme d’un « passeport, d’un hukou ou d’une carte d’identité de résident » ou, en dernier recours, d’un certificat de naissance. Interpréter la déclaration de l’avocate de manière à conclure que le consulat avait rejeté la demande parce que les demandeurs n’avaient présenté aucun document, et laisser entendre que le rejet du consulat aurait dû inciter les demandeurs à présenter une nouvelle demande, munis de leur certificat de police, de la confirmation d’un fonctionnaire du village et de leur certificat de mariage, revient à ignorer le passage de la RDI qui mentionne clairement les pièces d’identité acceptables. 

[30]  En effet, bien que le langage utilisé par l’avocate des demandeurs soit imprécis, lorsque jumelée à la RDI, la seule interprétation raisonnable de la déclaration de l’avocate des demandeurs est que la [traduction] « pièce d’identité chinoise » exigée par le consulat était la « preuve de nationalité chinoise ». La preuve au dossier indique que les demandeurs ne possédaient aucune « preuve de nationalité chinoise » autre que le hukou. 

[31]  Par conséquent, il était déraisonnable pour l’agent de réexamen de s’attendre à ce que les demandeurs aient présenté une nouvelle demande à l’aide de leurs autres documents. Pour cette raison, la décision doit être annulée.

[32]  L’avocate du ministre a souligné dans ses observations que l’agent de réexamen, tout comme l’agent initial, a constaté que les demandeurs avaient accès à leur hukou au moment où ils ont présenté leur première demande de passeport. Elle laisse entendre que, contrairement à la remarque de l’agent selon laquelle [traduction] « l’omission de présenter le hukou n’est pas pertinente », le défaut de présenter le hukou a été un facteur important dans la décision défavorable à la délivrance d’un passeport. 

[33]  En outre, les demandeurs ont expliqué pourquoi ils n’ont pas soumis leur hukou au consulat. La déclaration solennelle de Mme Gan indique qu’elle avait oublié qu’elle avait le hukou en sa possession lorsqu’elle a présenté les demandes de passeport, expliquant qu’elle n’avait même pas pensé [traduction] « à ce hukou comme preuve d’identité parce qu’il n’y a pas de photo dans le hukou ». L’agent de réexamen ne semble pas, dans ses motifs, contester cette explication. Bien qu’un agent ne soit pas tenu de convenir que le fait d’oublier l’existence d’un document, quelle que soit la situation d’une personne, excuse le défaut de présenter un document, la transparence et l’intelligibilité exigeraient que l’agent précise s’il a rejeté une explication sur ce fondement.

[34]  L’avocate du ministre souligne que l’agent a relevé une contradiction dans la déclaration solennelle de Mme Gan lorsqu’il a noté que l’oubli du hukou semblait aller à l’encontre de la déclaration de celle-ci selon laquelle, peu de temps avant la demande de passeport, les demandeurs avaient remis le hukou à un cousin en Chine en vue d’obtenir les certificats de police. Si cette explication a été rejetée parce que l’agent avait des préoccupations en matière de crédibilité liées à cette contradiction apparente, il aurait dû en faire part directement aux demandeurs pour qu’ils aient la possibilité de s’expliquer.

[35]  Compte tenu des motifs susmentionnés et du fait que l’agent a expressément déclaré que l’omission de présenter le hukou n’était [traduction] « pas pertinente », je ne suis pas d’accord avec le ministre pour dire que le défaut des demandeurs de présenter leur hukou rend cette décision de réexamen raisonnable. 

[36]  Pour ces motifs, je conclus que la décision doit être annulée, et que la demande de réexamen doit être tranchée par un autre décideur. Compte tenu de l’écoulement du temps, et sachant maintenant que le hukou peut être considéré par le consulat chinois comme une pièce d’identité, les demandeurs doivent se voir offrir l’occasion de présenter d’autres observations ainsi que des éléments de preuve à l’appui de leur demande de réexamen.

[37]  Ni l’une ni l’autre des parties n’a soumis de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5116-18

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie. Une fois que les demandeurs auront eu l’occasion de déposer des éléments de preuve et des observations supplémentaires, la demande de réexamen du refus de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire devra être tranchée par un autre agent. Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de juillet 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-5116-18

 

INTITULÉ :

JIAN HUA CAO ET AL c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JUIN 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUIN 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Avvy Yao-Yao Go

POUR LES DEMANDEURS

 

Ami King

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chinese & Southeast Asian

Legal Clinic

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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