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Date : 20010124

Dossier : IMM-4481-99

OTTAWA (Ontario), le 24 janvier 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

                                      CONG DANH DO

                                                                                          demandeur

ET:

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                                        ORDONNANCE

[1] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question suivante est certifiée :


Existait-il une obligation de divulguer et de communiquer le rapport concernant l'avis du ministre et la demande d'avis du ministre au demandeur et de lui donner l'occasion d'y répondre avant que la représentante du ministre rende sa décision en vertu soit du paragraphe 70(5), soit de l'alinéa 46.01e) de la Loi sur l'immigration?

     « P. Rouleau »     

JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010124

Dossier : IMM-4481-99

ENTRE :

                                      CONG DANH DO

                                                                                          demandeur

ET:

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                           MOTIFS DE l'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de deux décisions par lesquelles la représentante du ministre a statué, en vertu de l'alinéa 46.01(1)e) et du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), en date du 6 août 1999, que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada.

[2]         Le demandeur est né au Vietnam le 7 novembre 1970. Il a quitté ce pays à l'âge de huit ans. Il est arrivé au Canada à douze ans et a obtenu le droit d'établissement à son arrivée, ou vers le 13 avril 1982.


[3] En décembre 1990, et en 1996-1997, le demandeur a été déclaré coupable et condamné à une peine relativement à diverses infractions, dont entrée par effraction, voie de fait, fraude et trafic de stupéfiants.

[4] Un agent d'immigration a préparé deux rapports en vertu du sous-alinéa 27(1)d)(i) de la Loi le 5 novembre 1996, puis le 13 mai 1997, selon lesquels le demandeur était un résident permanent qui avait été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois avait été imposée. Une enquête a été tenue le 18 novembre 1997 et les rapports ont été jugés bien fondés. L'arbitre a alors pris une mesure d'expulsion conditionnelle contre le demandeur en vertu de l'article 32.1 de la Loi le 18 novembre 1997, pendant que la détention du demandeur. Le demandeur a interjeté appel de cette mesure le 4 décembre 1997 et a reçu un avis de comparution à une audience prévue pour le 20 juillet 1998. Le dossier ne contient aucune preuve établissant que cette audience a effectivement eu lieu.


[5]         Le 8 juin 1998, le demandeur a été avisé de l'intention du ministère de demander un avis portant qu'il constituait un danger en vertu du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi. L'avis précisait que le demandeur avait 15 jours à compter de la réception de l'avis pour présenter des observations. Il devait donc présenter ses observations au plus tard le 26 juin 1998. Le 29 juin 1998, la représentante du ministre a exprimé l'avis que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Le rapport ministériel révèle que les observations présentées par le demandeur le 26 juin 1998 ont été prises en compte. Des documents additionnels présentés le 29 juin 1998 n'ont pas été pris en considération pace qu'ils avaient été reçus après l'expiration du délai fixé.

[6]         Le 26 mai 1999, la Cour a accueilli une demande de contrôle judiciaire de l'avis du ministre en date du 8 juillet 1998 et ordonné que l'affaire soit renvoyée à la représentante du ministre pour réexamen avec un rapport psychologique qu'elle avait apparemment omis de prendre en compte.

[7]         Entre temps, le 8 juin 1999, le demandeur a comparu devant un arbitre relativement à la question de son cautionnement. L'arbitre a conclu qu'il ne constituerait pas un danger pour le public et l'a libéré sous caution. Le demandeur a donc recouvré sa liberté le 10 juin 1999, moyennant un cautionnement de 3 000 $, et a retrouvé son épouse et son enfant.

[8]         Peu après un nouvel avis d'intention lui a été transmis en vertu du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) en date du 10 juin 1999. Les observations du demandeur ont été présentées le 23 juin 1999. La représentante du ministre a une fois encore décidé que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada dans une décision rendue le 6 août 1999.


[9]         Aux fins de cette décision, plusieurs documents, communiqués au demandeur, ont été remis à la représentante du ministre avec les observations du demandeur. De plus, deux autres documents préparés par les fonctionnaires de l'immigration du Canada en date du 4 août 1999 ont été transmis à la représentante du ministre : [Traduction] « Danger pour le public - Rapport concernant l'avis du ministre » et [Traduction] « Demande d'avis du ministre » . Ces résumés du dossier du demandeur n'ont pas été remis au demandeur et il n'a pas eu l'occasion de les examiner.

[10]       Le demandeur conteste les décisions rendues par la représentante du ministre deux jours plus tard, soit le 6 août 1999.

[11]       Selon le demandeur, la représentante du ministre n'a pas pris en considération la preuve écrasante établissant qu'il ne constitue pas un danger pour le public. Elle n'a pas tenu compte du rapport psychologique, du « Suivi du Plan de Correction » ni de la décision de l'arbitre de le libérer sous caution.

[12]       Le demandeur fait valoir qu'il a un fils en bas âge qui est citoyen canadien et que son renvoi au Vietnam contreviendrait à la Charte des droits et libertés, étant donné que son fils serait privé de son père en grandissant. De plus, le demandeur est un parfait étranger au Vietnam. À son arrivée là-bas, il serait traité comme un traître et risquerait d'être torturé et emprisonné.


[13]       Dans ses observations additionnelles, le demandeur indique que la Cour impose maintenant au défendeur l'obligation de lui fournir le rapport et les documents qu'il envoie à la représentante du ministre, de façon qu'il puisse y répondre. De plus, la représentante du ministre doit fournir les motifs justifiant son avis.

[14]       Le défendeur fait valoir que le demandeur n'a pas établi que la représentante du ministre n'a pas agi de bonne foi en examinant tous les documents qui lui ont été présentés. Le rapport psychologique, le « Suivi du Plan Correctionnel » et la décision de l'arbitre faisaient partie des documents qui ont été remis à la représentante du ministre. D'autres documents lui ont aussi été présentés. La preuve était amplement suffisante pour lui permettre de fonder sa conclusion que le demandeur constitue un danger pour le public. Aucune audience n'était nécessaire devant la représentante du ministre et le mécanisme utilisé pour le prononcé des décisions en vertu de l'alinéa 46.01(1)e) est conforme aux principes de justice fondamentale.


[15]       Le défendeur croit qu'il n'était pas obligatoire que les documents intitulés [Traduction] « Danger pour le public - Rapport concernant l'avis du ministre » et « Demande d'avis du ministre » soient divulgués au demandeur et que le demandeur ait l'occasion de formuler des commentaires à leur égard, même s'ils ont été présentés à la représentante du ministre. Le demandeur connaissait les prétentions auxquelles il devait répondre et il a eu l'occasion réelle de présenter des observations. L'avis d'intention signifié au demandeur indiquait clairement les documents et les questions que la représentante du ministre pouvait examiner et le demandeur a été invité à présenter des observations à l'égard de ces documents et de ces questions. Le demandeur connaissait le contenu éventuel de ces documents. Il a présenté des observations dont la représentante du ministre a aussi pris connaissance. Les documents qui n'ont pas été divulgués étaient des résumés des documents fournis au demandeur et ne contenaient aucun renseignement nouveau ou important que le demandeur ignorait et qui aurait pu influencer la décision du ministre.

[16]       Le défendeur estime que la communication de motifs n'était pas nécessaire, compte tenu de la jurisprudence de la Cour. Le demandeur n'a pas demandé de motifs. Toutefois, si des motifs devaient être fournis, le défendeur soutient que les documents récapitulatifs peuvent être considérés comme constituant de tels motifs. De plus, la décision rendue par le ministre en vertu de l'alinéa 46.01(1)e) ne constitue pas le dernier recours d'une personne avant son renvoi. Le demandeur peut, avant d'être renvoyé, déposer une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi.


[17]       De l'avis du défendeur, le demandeur a eu l'occasion réelle de présenter son point de vue concernant sa famille et ses motifs d'ordre humanitaire. La représentante du ministre a conclu qu'en l'espèce, les facteurs d'ordre humanitaire n'étaient pas suffisants pour l'emporter sur le danger que peut présenter le demandeur. En l'absence de preuve claire et convaincante du contraire, un décideur est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve. Le demandeur n'a pas réussi, par ses allégations, à démontrer que cette conclusion donne ouverture au contrôle judiciaire.

Analyse

[18]       En l'espèce, les décisions Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 1 C.F. 619 (1re inst.) et Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 854 (C.A.F.) ont, selon moi, écarté les enseignements de l'arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 de la Cour d'appel fédérale, afin de satisfaire aux exigences imposées par l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 de la Cour suprême du Canada.

[19]       En ce qui concerne l'obligation d'agir équitablement, le juge Gibson a statué, dans Bhagwandass :


Par analogie avec le raisonnement que la Cour suprême a tenu dans l'arrêt Baker, je suis convaincu que l'omission, de la part du défendeur, de communi­quer les rapports récapitulatifs au demandeur et de donner à ce dernier l'occasion d'y répondre, et, par la suite, d'inclure toute réponse à ces rapports dans les documents qu'il a envoyés à son représentant sans analyse autre que celle que son représentant a lui-même faite, constituait une violation de l'obligation d'équité qui incombait au défendeur à l'égard du demandeur, compte tenu des faits de la présente affaire. Je suis parvenu à cette conclusion en raison d'une préoccupation particulière, compatible avec l'analyse qui a été faite dans l'arrêt Baker, à l'égard de l'importance suprême, pour le demandeur, du résultat de l'examen de la question de savoir s'il constitue un danger pour le public. (à la page 663)

[20]       Il a ensuite conclu qu'en l'absence d'autres motifs, les documents récapitulatifs doivent être considérés comme les motifs justifiant l'avis du représentant du défendeur que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Il a de plus précisé que « l'interprétation, que permettent les documents récapitulatifs, de l'ensemble des documents sur lesquels ils étaient fondés aurait fort bien pu fournir au demandeur le fondement nécessaire pour faire d'autres observations » (à la page 638).

[21]       Dans l'arrêt Haghighi, la Cour d'appel fédérale a statué que l'obligation d'équité procédurale exige que l'auteur d'une demande du droit d'établissement fondée sur des motifs d'ordre humanitaire et présentée au Canada en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi soit informé de l'ensemble du contenu du rapport d'évaluation des risques préparé par l'agent de révision des revendications refusées et qu'il lui soit permis de faire des observations au sujet de ce rapport, même dans les cas où le rapport est fondé sur des renseignements qui sont fournis par le demandeur ou qui lui sont raisonnablement accessibles.


[22]       Monsieur le juge Hugessen a adopté la démarche susmentionnée dans l'affaire Mohammad Kafeel Qazi c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 26 juillet 2000, IMM-5317-99. J'ai aussi retenu ces principes dans les affaires Bakchiev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1881, 17 novembre 2000 et Cristobal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1881, 30 novembre 2000.

[23]       Même en présence de jugements contradictoires de notre Cour (voir par exemple : Jan c. Canada (M.C.I.) (IMM-5756-99 & IMM 5757-99) (15 septembre 2000) (C.F. 1re inst.)), je crois qu'il est assez clair, ou du moins préférable, que les rapports sur lesquels le représentant du ministre fonde son avis soient remis à la personne visée par l'avis afin qu'elle ait l'occasion de présenter de nouvelles observations. Bien que la plupart des jugements susmentionnés portent sur des avis de danger exprimés en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi, il est juste d'appliquer le même raisonnement aux avis exprimés en vertu du sous-alinéa 46.01(1)e). Ce n'est que justice qu'une personne visée par une décision qui touche ses droits ait la possibilité de savoir la façon dont son dossier sera étudié par le décideur et de répondre à la façon dont la preuve lui est présentée.

[24]       Je crois donc que le droit commande maintenant que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie pour ce motif seulement. Bien qu'il ne soit pas nécessaire de traiter des autres aspects de la décision compte tenu de ce manquement à l'obligation d'équité procédurale, j'examinerai quelques uns des autres arguments des parties.


[25]       La jurisprudence de la Cour est encore hésitante quant à la norme de contrôle applicable. Le poids à accorder à la preuve relève toujours du pouvoir discrétionnaire du ministre et, même si la Cour ne partage pas son avis, elle ne doit pas intervenir relativement à son avis si l'ensemble de la preuve peut raisonnablement l'étayer.

[26]       J'estime que la preuve était suffisante pour permettre au décideur d'exprimer l'avis que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Le demandeur a commis des crimes graves au Canada. Les documents présentés à la représentante du ministre n'étaient pas tous favorables au demandeur, malgré les prétentions de celui-ci. Aucun élément de preuve ne démontre que la représentante du ministre n'a pas pris en considération le rapport psychologique du mois d'avril 1997, le « Suivi du Plan Correctionnel » en date du 27 mai 1999 et la décision de l'arbitre de libérer le demandeur sous caution. En fait, ces documents ont été soumis au décideur et certains sont même mentionnés dans le rapport concernant la demande d'avis du ministre. En l'absence de preuve claire et convaincante du contraire, un décideur est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve (Woolaston c. M.E.I., [1973] R.C.S. 102; Florea c. M.E.I., [1993] A.C.F. no 598 (C.A.)).


[27]       Il est aussi évident, au vu de la demande d'avis du ministre, que les motifs d'ordre humanitaire ont été pris en considération. Sur les quatre pages que compte ce document, presque trois sont consacrées à l'examen des risques liés au renvoi et à la situation qui existe au Vietnam. Un élément important n'est pas mentionné dans ce document : soit le fait que le demandeur a un jeune fils. Le demandeur avait présenté des arguments fondés sur ce fait. Je suis toutefois d'avis qu'il n'a pas réfuté la présomption selon laquelle tous les éléments de preuve ont été pris en considération et que ces arguments ont été examinés par le décideur. Je tiens à souligner que, si le demandeur avait eu la possibilité de lire la demande d'avis du ministre et de présenter des observations avant le prononcé de la décision, il aurait sûrement fait valoir son point de vue au sujet du fait que le document ne mentionne apparemment pas sa situation familiale. Cela démontre à quel point il est important que les demandeurs aient l'occasion de répondre aux documents récapitulatifs comme celui-là

[28]       La décision rendue en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi doit être motivée (Tewelde c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 28 avril 2000, IMM-2335-98). L'expression d'un avis en vertu de ce paragraphe a une grande importance pour la personne visée. Cette disposition permet au ministre de renvoyer une personne dans le pays où elle craint avec raison d'être persécutée.


[29]       Quant à l'obligation de fournir des motifs à l'appui d'une décision rendue en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi, la question a été débattue sérieusement devant la Cour très récemment. Dans l'affaire Ip c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 3 février 2000, IMM-787-98, (C.F. 1re inst.), le juge Dubé a formulé les remarques suivantes :

La Cour d'appel fédérale a conclu [dans l'arrêt Williams] que l'avis du ministre rendu en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi n'avait pas à être motivé par écrit, que ce soit en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés ou du principe d'équité. Toutefois, la Cour suprême a récemment conclu dans l'arrêt Baker que lorsqu'il s'agit d'une procédure administrative impliquant une décision discrétionnaire par un agent d'immigration qui traite de demandes présentées en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi (motifs humanitaires), des motifs écrits étaient nécessaires « dans certaines circonstances » .

S'exprimant au nom de la Cour suprême, le juge L'Heureux-Dubé cite l'arrêt Williams et fait le commentaire suivant au sujet des motifs écrits :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l'espèce où la décision revêt une grande importance pour l'individu, dans des cas où il existe un droit d'appel prévu par la loi, ou dans d'autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l'espèce, à mon avis, constituent l'une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L'importance cruciale d'une décision d'ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l'obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

[Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] 2 R.C.S. 817, à la p. 848.]

Je partage l'avis du demandeur qu'il se peut que des motifs écrits soient aussi nécessaires dans le contexte d'un avis de danger délivré en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration. Il est clair que nous avons ici un cas où la décision a une signification extraordinairement importante pour la personne en cause et aura un impact fondamental sur son avenir. [...]

Dans un arrêt très récent de la Cour d'appel fédérale, Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [[2000] A.C.F. no 5, à la p. 55], l'avocat du ministre n'a pas contesté le fait que des motifs écrits soient nécessaires. Les parties étaient toutefois en désaccord sur le caractère suffisant des motifs présentés par le ministre (une note de service présentée par un analyste du ministère, M. Gautier). Au sujet de cette question, la Cour a déclaré que « le caractère suffisant des motifs peut être soulevé valablement dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, dans la mesure où ces motifs ne rendent pas compte de l'examen des facteurs pertinents » .


[30]       Le juge Dubé a ensuite comparé le contenu de la demande d'avis du ministre à celui des documents fournis dans les affaires Suresh (autorisation de pourvoi devant la Cour suprême accordée) et Baker. Il a conclu « qu'un rapport aussi sommaire ne peut en aucune façon être retenu comme des motifs suffisants faisant ressortir les facteurs pertinents en l'instance » . Il semble qu'il faut maintenant considérer les rapports comme constituant des motifs, mais il faut poursuivre l'analyse en déterminant si ces motifs sont suffisants.

[31]       Dans Navarro c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 1496 (1re inst.), M. le juge Pelletier a conclu que le ministre devait fournir les motifs à l'appui de son avis que le demandeur constitue un danger, prévu par l'alinéa 46.01(1)e), compte tenu de l'importance de cette décision pour la personne visée et du fait que cette décision est susceptible de surveillance judiciaire. Voici ce qu'il a ajouté :

Je conclus également que les motifs n'en ont pas été donnés. La Demande d'avis du ministre, qui a été produite après obtention de l'autorisation d'interjeter appel dans la présente affaire, ne contient pas les motifs de la décision. Après lecture du document, on ne peut pas dire pourquoi le fondé de pouvoir du ministre a émis l'avis qu'il a donné. Il se peut que le fondé de pouvoir du ministre ait pensé que le trafic de stupéfiants perturbe en soi l'ordre social au point que ceux qui s'y adonnent deviennent un danger pour le public sans qu'il soit besoin de preuve supplémentaire, mais le fondé de pouvoir du ministre ne l'a pas dit. Par conséquent, bien que la Demande d'avis du ministre se prête à l'élaboration de conjectures quant aux raisons qui ont motivé le fondé de pouvoir du ministre à formuler l'avis qu'il a formulé, elle n'explique pas quelles raisons ont mené à la décision.


[32]       Cet énoncé met en lumière, selon moi, l'importance qui doit être accordée à l'analyse de la question de savoir si le document présenté comme les motifs contient suffisamment de précisions pour révéler le raisonnement qui a mené à la décision. Je ne vois pas pourquoi la Cour ne suivrait pas ce précédent.

[33]       Il s'ensuit donc qu'il faut s'interroger sur la suffisance des motifs fournis sous la forme d'une « Demande d'avis du ministre » . Les arguments des parties sur ce point ne sont pas très étoffés. À la lecture du rapport, il semble toutefois possible de comprendre comment la représentante du ministre est parvenue à sa décision et je conclurais peut-être que ces motifs sont suffisants dans les circonstances de l'espèce.

[34]       En conclusion, je tiens à souligner que le demandeur a été expulsé le 19 juin 2000, après le rejet d'une demande de sursis au motif que le demandeur n'avait pas démontré qu'il subirait un préjudice irréparable s'il était expulsé vers son pays d'origine. Je trouve malheureux que ce jeune homme, qui est arrivé au Canada et qui a obtenu le droit d'établissement à l'âge de douze ans, qui est marié à une citoyenne canadienne - et père d'un enfant - et qui n'a aucun lien avec le Vietnam, ait pu se voir refuser un sursis sans que ces aspects soient même mentionnés. Je suis également préoccupé par le fait qu'aucune audience n'a apparemment été tenue relativement à l'appel de sa première mesure d'expulsion conditionnelle.

[35]       Pour les motifs qui précèdent, la demande est accueillie.


[36]       La question suivante sera certifiée :

Existait-il une obligation de divulguer et de communiquer le rapport concernant l'avis du ministre et la demande d'avis du ministre au demandeur et de lui donner l'occasion d'y répondre avant que la représentante du ministre rende sa décision en vertu soit du paragraphe 70(5), soit de l'alinéa 46.01e) de la Loi sur l'immigration?

« P. Rouleau »

     JUGE

OTTAWA (Ontario)

24 janvier 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                     IMM-4481-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :    CONG DANH DO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 11 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE Rouleau

EN DATE DU :                                     24 janvier 2001            

ONT COMPARU :

Me Harry Blank                                                 POUR LE DEMANDEUR

Me Normand Lemyre                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Harry Blank                                                 POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Me Morris Rosenberg                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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