Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050608

Dossier : IMM-5849-04

Référence : 2005 CF 822

Toronto (Ontario), le 8 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                                 ARTUR DECKA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Dans la présente demande de contrôle judiciaire, il s'agit uniquement de savoir si la Section de la protection des réfugiés (la Commission) a commis une erreur en omettant de tenir compte de l'exception relative aux « raisons impérieuses » qui s'applique lorsque les motifs sur lesquels la demande d'asile était fondée n'existent plus et que la Commission ne tire pas une conclusion expresse de persécution passée.

[2]                M. Artur Decka est un Albanais âgé de 31 ans qui affirme craindre avec raison d'être persécuté et être une personne à protéger du fait de ses opinions politiques. M. Decka et son père, qui est décédé, étaient membres du Parti démocratique (le PD) en Albanie. M. Decka affirme avoir participé activement aux élections en 1996 et en 1997, avoir été agressé et battu par des partisans du Parti socialiste (le PS) et avoir été arrêté et battu par les policiers. Il a déménagé en Grèce, il a obtenu un permis de travail et il est resté dans ce pays jusqu'au mois de janvier 2002. Le demandeur affirme que les partisans du PS ont continué à proférer des menaces à son endroit, en Grèce, de sorte qu'il est venu au Canada et qu'il a immédiatement demandé l'asile.

[3]                La Commission n'a pas tiré une conclusion au sujet de la crédibilité ou de la persécution passée. Elle a reconnu que M. Decka est Albanais et qu'il était membre du PD. Elle a conclu que, compte tenu des changements survenus en Albanie, M. Decka n'avait pas raison de craindre d'être persécuté dans ce pays et qu'il n'était pas une personne à protéger.

LES DISPOSITIONS DE LA LOI

[4]                Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, sont l'alinéa 108(1)e) et le paragraphe 108(4), qui sont rédigés comme suit :


108.(1) Est rejetée la demande d'asile et le demandeur n'a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108.(1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

e) les raisons qui lui ont fait demander l'asile n'existent plus.

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

(4) L'alinéa (1) e) ne s'applique pas si le demandeur prouve qu'il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

ARGUMENTS ET ANALYSE

[5]                Le demandeur soutient, et je suis d'accord avec lui, qu'étant donné que la question exige une interprétation de la loi, la norme de contrôle applicable lorsqu'il s'agit de savoir si la Commission devait appliquer l'analyse relative aux raisons impérieuses est celle de la décision correcte. L'examen du contenu de l'analyse, si cette analyse avait été effectuée, aurait été fondé sur la norme de la décision raisonnable simpliciter : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.


[6]                M. Decka soutient que la Commission a commis une erreur de droit en omettant de se demander si le paragraphe 108(4) s'appliquait à sa situation parce qu'il avait été auparavant persécuté en Albanie : Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 254 N.R. 388 (C.A.F.).

[7]                Le paragraphe 108(4) impose un fardeau au demandeur d'asile, exigeant qu'il « prouve qu'il y a des raisons impérieuses » de ne pas retourner dans le pays où il a été auparavant persécuté. M. Decka n'a pas fondé sa demande devant la Commission sur ce motif étant donné qu'il ne reconnaît pas qu'il sera en sécurité en retournant en Albanie et qu'il ne reconnaît pas qu'il y a eu un changement dans la situation du pays. Néanmoins, il affirme que la Commission ne peut pas éviter la responsabilité qui lui incombe de procéder à une analyse des raisons impérieuses en ne tirant aucune conclusion au sujet des persécutions auparavant survenues.

[8]                Dans l'arrêt Yamba, la Cour d'appel fédérale, au paragraphe 4 de ses motifs, a confirmé la décision rendue par le juge des requêtes, qui avait statué que l'ancienne Section du statut de réfugié avait l'obligation de tenir compte de l'application de l'exception relative à l'existence de raisons impérieuses une fois qu'elle était convaincue que le statut de réfugié ne pouvait pas être revendiqué en raison d'un changement de situation dans le pays. Cela pourrait être interprété, comme le prétend le demandeur, comme exigeant que la Commission procède à une analyse, et ce, peu importe la conclusion tirée au sujet des persécutions passées.

[9]                Toutefois, la Cour d'appel a ajouté ce qui suit, au paragraphe 6, au sujet des dispositions comparables de l'ancienne Loi sur l'immigration :


En bref, lorsqu'elle conclut qu'un demandeur de statut a déjà été persécuté, mais qu'il y a eu un changement de situation dans le pays en question conformément à l'alinéa 2(2)e), la Section du statut de réfugié a, en vertu du paragraphe 2(3), l'obligation de se demander si les éléments de preuve soumis établissent l'existence de « raisons impérieuses » . Elle est soumise à cette obligation, que le demandeur de statut invoque ou non expressément le paragraphe 2(3).

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[10]            Le défendeur prétend que même si la Commission a reconnu que M. Decka était membre du Parti démocratique et qu'il était politiquement actif, elle n'a pas conclu qu'il avait été auparavant persécuté. Selon le défendeur, c'est ce qui ressort clairement de l'emploi d'un mot tel que « allégué » dans les motifs de la décision. Par conséquent, la Commission n'était pas obligée de tenir compte du paragraphe 108(4) après avoir conclu qu'un changement de situation dans le pays éliminerait toute crainte fondée que le demandeur pourrait avoir.

[11]            La question de savoir si une analyse des raisons impérieuses est nécessaire en l'absence d'une conclusion explicite de persécution passée a été examinée dans les décisions Naivelt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 1261, au paragraphe 37, et Kudar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 648, aux paragraphes 10 et 11.


[12]            Dans l'affaire Naivelt, la demanderesse avait subi des sévices affreux de la part de ses ravisseurs; toutefois, la demande n'était pas fondée sur ces sévices, mais elle était plutôt fondée sur des événements ultérieurs. Par conséquent, la Commission n'a pas expressément conclu que les sévices passés constituaient des persécutions. La juge Snider a déclaré que la Commission n'était pas obligée de se demander s'il y avait des raisons impérieuses pour les demandeurs de refuser de se réclamer de la protection de leur pays d'origine eu égard à ces circonstances.

[13]            La présente affaire se rapproche davantage de l'affaire Kudar, dans laquelle le demandeur avait allégué avoir été persécuté par un politicien puissant qui était un concurrent dans les affaires. Lorsque la demande a été entendue, le politicien avait été emprisonné pour d'autres crimes et la possibilité de persécution avait disparu. La Commission n'a pas tiré une conclusion au sujet des persécutions passées, mais elle a statué que le changement de conditions dans le pays avait éliminé tout fondement objectif au sujet de la crainte du demandeur.

[14]            Au paragraphe 10 des motifs qu'elle a prononcés dans l'affaire Kudar, la juge Layden-Stevenson a reconnu qu' « [i]l peut arriver que l'on considère que la SPR a implicitement conclu que le demandeur était auparavant un réfugié et qu'il le serait toujours si les conditions du pays n'avaient pas changé » . La juge Layden-Stevenson a déclaré que ce n'était pas le cas dans l'affaire qui l'occupait.

[15]            Je suis arrivé à la même conclusion dans ce cas-ci. J'ai certaines réserves au sujet du fait que la Commission peut délibérément décider d'éviter la question de savoir si le demandeur peut à juste titre refuser de se réclamer de la protection de son pays d'origine en ne tirant pas une conclusion au sujet des persécutions passées, mais cela ne semble pas être ce qui s'est produit dans ce cas-ci.


[16]            La Commission s'est directement attaquée à la question de la situation dans le pays et elle a conclu que l'agitation qui régnait dans les années 1990 n'existait plus. Le climat politique avait évolué et les élections avaient lieu dans un climat compétitif, mais plus sain, ce qui permettait la poursuite d'intérêts politiques sans crainte de violence. Dans ces conditions, le demandeur n'avait pas établi qu'il était personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé en Albanie. Cette conclusion n'a pas été contestée dans la présente instance.

[17]            Par conséquent, je n'estime pas que la Commission a commis une erreur en appliquant l'article 108 et la demande sera rejetée.

[18]            L'avocat a proposé la certification de la question examinée dans la présente instance en tant que question de portée générale. Je suis convaincu que cette question a été réglée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Yamba, précité, et je refuse de la certifier.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                          « Richard G. Mosley »                      

                                                                                                     Juge                                     

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-5849-04

INTITULÉ :                                                                ARTUR DECKA

demandeur

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 6 JUIN 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                               LE 8 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Wennie Lee                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Kevin Lunney                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Toronto (Ontario)                                                          POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.                                                         

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.