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Date : 20190620


Dossier : T-1239-18

Référence : 2019 CF 840

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

DANIEL MARTEL

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Daniel Martel, demande le contrôle judiciaire de la décision (la décision) par laquelle le ministre du Revenu national a en partie fait droit à sa demande d’allègement d’arriérés d’intérêts perçus pour les années d’imposition 1997 et 1998. Le demandeur a présenté sa demande en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) (la LIR).

[2]  La présente demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (Loi).

[3]  Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande sera rejetée.

I.  Contexte

[4]  En 1997, suite au conseil de leur comptable, le demandeur et son épouse ont chacun investi 100 000 $ dans la société de personnes Medi‑Call (SC Medi‑Call). Le demandeur a déduit des pertes de société de personnes et des frais financiers accessoires à son investissement dans la société de personnes dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1997, 1998 et 1999.

[5]  Le 19 novembre 2002, les déclarations du demandeur couvrant ces trois années ont fait l’objet d’une nouvelle cotisation (les avis de nouvelle cotisation de novembre 2002) et les déductions des pertes de société de personnes et des frais financiers ont été refusées. Les années d’imposition pertinentes pour les besoins de la présente demande sont 1997 et 1998 (les années d’imposition). Par suite de la nouvelle cotisation, des frais d’intérêts ont couru jusqu’à ce que les soldes dus par le demandeur pour 1997 et 1998 aient été payés en entier en août et en septembre 2016, respectivement.

[6]  Le demandeur a déposé des avis d’opposition à l’égard des avis de nouvelle cotisation de novembre 2002. Une longue période d’attente s’en est suivie, notamment en raison du fait que les oppositions du demandeur sont demeurées en suspens jusqu’à l’issue d’une cause type concernant la SC Medi‑Call devant la Cour canadienne de l’impôt (la Cour de l’impôt).

[7]  Le 10 mars 2014, le ministre a offert de régler les oppositions du demandeur. Le demandeur a accepté la proposition le 24 mars 2014. Dans le cadre de ce règlement, le ministre a proactivement prolongé la période de renonciation aux intérêts dus par le demandeur à compter de la date du dépôt des avis d’opposition (le 24 décembre 2002) jusqu’au 17 octobre 2005 et entre le 27 février 2012 et le 23 avril 2013. Le défendeur affirme que le ministre a également consenti à renoncer aux intérêts courus pendant la période du 24 septembre 2013 au 10 mars 2014 dans le cadre du règlement, même si cette période n’est pas mentionnée dans la lettre du 10 mars 2014. Après le règlement, les frais d’intérêts restants couvraient seulement les années d’imposition.

[8]  Par la suite, le demandeur a présenté trois demandes d’allègement des intérêts en application du paragraphe 220(3.1) de la LIR. Le 31 décembre 2015, le comptable du demandeur, M. D. Fillion, a présenté une demande au ministre afin que celui‑ci renonce à tous les frais d’intérêts liés aux années d’imposition. Deux arguments ont été présentés à l’appui de la demande : (1) ce ne sont pas tous les investisseurs dans la SC Medi‑Call qui avaient fait l’objet d’une nouvelle cotisation; (2) la présentation tardive de l’offre de l’ARC pour le règlement des oppositions du demandeur n’était pas justifiée. Le 14 juillet 2016, la demande a été accueillie en partie en raison du temps requis pour la procédure d’appel de l’ARC. Les intérêts courus entre le 22 septembre 2008 et le 22 février 2010 et entre le 30 juillet 2010 et le 30 septembre 2011 concernant les années d’imposition ont été annulés.

[9]  Le 1er septembre 2016, une deuxième demande d’allègement des intérêts a été présentée au nom du demandeur afin d’obtenir l’annulation de tous les intérêts pour les années d’imposition en s’appuyant sur le fait que d’autres investisseurs dans la SC Medi‑Call n’avaient pas fait l’objet d’une nouvelle cotisation :

[traduction] Les économies d’impôt ou le montant d’impôt à payer varient en fonction des différents niveaux de revenus au cours des années, mais par souci d’équité par rapport à d’autres participants qui n’ont pas fait l’objet d’une nouvelle cotisation, l’annulation pure et simple de tous les intérêts pour les années 1997 et 1998 constituerait une solution acceptable.

[10]  La deuxième demande a été rejetée le 7 novembre 2016. Le ministre a pris note que la demande du demandeur était fondée sur le fait que les participants dans la SC Medi‑Call n’avaient pas tous été traités de la même manière. Le ministre a précisé que le traitement d’autres contribuables par l’ARC ne pouvait pas servir de fondement justifiant l’octroi de l’annulation :

[traduction] L’ARC assure la confidentialité des affaires fiscales des contribuables, sauf s’ils autorisent l’ARC à divulguer des renseignements précis à un représentant. L’ARC traite les contribuables individuellement et le traitement perçu d’un contribuable ne peut pas être présenté comme une circonstance justifiant un allègement pour un autre contribuable. Chaque demande d’allègement est un cas d’espèce.

[11]  Une troisième demande d’allègement des intérêts a été présentée le 13 juillet 2017 par Thorsteinssons LLP au nom de certains des investisseurs dans la SC Medi‑Call (la troisième lettre de demande). Cette lettre expose de manière précise les importantes périodes de temps qui se sont écoulées avant que le demandeur ne soit informé de la nouvelle cotisation et de l’issue de la procédure d’appel de l’ARC, et son auteur demande un allègement des intérêts courus pendant les périodes précisées. C’est la réponse du ministre à la troisième lettre de demande qui est la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[12]  La décision est datée du 28 mai 2018. La déléguée du ministre, Mme Christina Martel (aucun lien avec le demandeur), a accueilli en partie la demande d’allègement des intérêts à l’égard de périodes précises entre 2001 (soit 10 ans avant la date de la première demande d’allègement du demandeur) et 2015. L’allègement a été accordé en raison du fait que la division de la vérification de l’ARC a tardé à délivrer les avis de nouvelle cotisation en novembre 2002, du fait qu’il a été long avant que la cause type soit tranchée et du fait que la division d’appel de l’ARC a tardé à traiter les oppositions du demandeur.

[13]  Madame Martel a précisé les huit périodes relativement auxquelles elle a accordé un allègement ainsi que les périodes à l’égard desquelles un allègement des intérêts avait antérieurement été accordé au demandeur. Elle a conclu qu’aucun autre allègement n’était justifié, étant donné [traduction« qu’un examen du dossier démontre qu’il n’y a pas eu d’autre longue période d’attente, compte tenu de la complexité de l’affaire ».

[14]  Madame Martel a fait remarquer que le demandeur avait été prévenu dans des lettres datées du 8 juillet 2005 et du 19 septembre 2015 que les arriérés d’intérêts allaient continuer de courir sur les soldes impayés pour les années d’imposition, mais qu’il n’avait fait de sa propre initiative aucun versement pour couvrir les montants en souffrance avant août 2016. Madame Martel a indiqué que la décision de laisser des soldes en souffrance appartenait au demandeur. Elle ne pouvait pas conclure que les actions de l’ARC avaient empêché le demandeur de payer les soldes en souffrance.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[15]  La question en litige dans la présente demande consiste à savoir si la décision est raisonnable.

[16]  La décision est une décision discrétionnaire que le paragraphe 220(3.1) de la LIR confère au ministre. Il est bien établi que la Cour contrôle une décision de cette nature selon la norme de la décision raisonnable (Agence du revenu du Canada c Telfer, 2009 CAF 23, aux paragraphes 24 et 25 (Telfer); Les Gestions Bussey Inc. c Canada (Procureur général), 2019 CF 17, au paragraphe 9). Dans l’arrêt Telfer, le juge Evans a donné des indications sur la nature du contrôle (au paragraphe 25) :

[25] Lors d’un contrôle judiciaire suivant la norme de la raisonnabilité, le juge doit examiner le processus décisionnel (y compris les raisons avancées pour justifier la décision) afin de s’assurer qu’il offre une « justification » rationnelle de la décision, qu’il est transparent et qu’il est intelligible. De plus, le tribunal d’appel doit déterminer si la décision en soi appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au paragraphe 47).

[17]  En termes pratiques, pour savoir si la décision possède les attributs de la raisonnabilité, je suis tenue d’apprécier si l’octroi partiel de la demande du demandeur faisait partie des issues qui étaient raisonnables et possibles compte tenu des faits au dossier concernant les arriérés d’intérêts restants et des observations présentées à l’appui de la demande d’allègement. Je dois aussi garder à l’esprit que la décision du ministre d’accorder ou non un allègement en application du paragraphe 220(3.1) est discrétionnaire et que l’exercice raisonnable de cette discrétion commande la déférence.

IV.  Contexte législatif

[18]  Le paragraphe 220(3.1) de la LIR permet au ministre de renoncer à quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs en application de la LIR :

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

Waiver of penalty or interest

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour‑là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

[19]  Le ministre doit prendre en considération tous les facteurs pertinents quand il décide d’accorder ou non un allègement au contribuable suivant le paragraphe 220(3.1) et il doit fonder sa décision sur l’objet de cette disposition, c’est‑à‑dire l’équité (Canada c Guindon, 2013 CAF 153, au paragraphe 58). L’ARC a élaboré des lignes directrices administratives qui servent de base à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Le ministre ne peut limiter l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il prend une décision en application du paragraphe 220(3.1), mais les lignes directrices énoncées dans la Circulaire d’information IC07‑1 Dispositions d’allègement pour les contribuables (la circulaire) constituent un point de départ utile. Le paragraphe 23 de la circulaire décrit les circonstances qui peuvent justifier un allègement :

23. Le ministre du Revenu national peut accorder un allègement des pénalités et des intérêts dans les situations suivantes si elles justifient l’incapacité du contribuable à respecter une obligation ou une exigence fiscale :

a) Circonstances exceptionnelles

b) Actions de l’ARC

c) Incapacité de payer ou difficultés financières

[20]  Le paragraphe 24 de la circulaire précise que les lignes directrices n’ont pas force exécutoire et qu’un fonctionnaire délégué du ministre peut accorder un allègement même si la situation du contribuable ne correspond pas à celles mentionnées au paragraphe 23 (voir Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 27).

V.  Question préliminaire

[21]  Avant de me livrer à l’analyse de la décision, j’aimerais traiter d’un point préliminaire. Dans le cadre de la présente demande, le demandeur m’invite à annuler tous les intérêts et frais restants qui sont payables pour les années d’imposition. Comme je l’ai expliqué lors de l’audience, je n’ai pas le pouvoir de prononcer une ordonnance de cette nature. Mon rôle dans le cadre de la présente demande consiste à analyser la décision et, si je conclus qu’elle n’est pas raisonnable, je dois la casser ou l’annuler et ordonner au ministre d’examiner à nouveau la demande d’allègement des intérêts présentée par le demandeur. Dans la décision Kapil c Canada Agence du revenu, 2011 CF 1373, le juge Rennie (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a énoncé les mesures de réparation limitées que la Cour peut accorder dans les affaires de demandes d’allègement de la part de contribuables (au paragraphe 20) :

[20] En droit, la Cour n’a pas compétence pour ordonner au ministre de renoncer aux taxes, aux pénalités et aux intérêts débiteurs. La compétence de la Cour se limite à ordonner au ministre de réexaminer en détail ses décisions de renoncer aux taxes et aux pénalités et intérêts afférents. Le demandeur doit donc comprendre que, même si la Cour se prononçait en sa faveur, il n’aurait pas automatiquement droit à une renonciation et à un remboursement. La Cour doit s’en tenir à la question de savoir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre lorsqu’il a rejeté les demandes de renonciation était légitime, et non substituer sa décision à celle du ministre : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339.

VI.  Analyse – La décision est‑elle raisonnable?

Observations des parties

[22]  Le demandeur fait valoir que la décision est inéquitable et qu’elle devrait être cassée, parce que seulement 27 % des investisseurs dans la SC Medi‑Call ont fait l’objet d’une nouvelle cotisation de la part de l’ARC. Il soutient que l’ARC aurait dû mener une vérification, soit auprès de tous les investisseurs, soit auprès d’aucun d’entre eux. Le demandeur ajoute que ce sont des comptables expérimentés et compétents qui lui ont conseillé d’investir dans la SC Medi‑Call et que cette épreuve a été très dure pour sa santé et ses revenus.

[23]  Le défendeur fait valoir que la décision est raisonnable. Il soutient que le traitement différent d’autres investisseurs dans la SC Medi‑Call reproché à l’ARC en matière de vérification ne faisait pas partie de la troisième demande d’allègement des intérêts présentée par le demandeur. Le défendeur affirme que Madame Martel a examiné la demande au fond, qu’elle a tenu compte de tous les éléments de preuve au dossier et que l’octroi partiel de la réparation demandée faisait clairement partie des issues acceptables.

Analyse

[24]  D’entrée de jeu, je tiens à souligner que je suis sensible à la situation vécue par le demandeur et que je suis consciente des conséquences qu’il a subies après avoir fait de bonne foi un investissement qui a très mal tourné. Je suis également consciente que mes paroles constituent une maigre consolation, étant donné que je vais rejeter sa demande. Toutefois, je peux assurer le demandeur que j’ai fait un examen approfondi de ses observations à la lumière des dispositions de la LIR et de la Loi, des décisions antérieures de la Cour et de la portée de l’examen effectué par Madame Martel pour arriver à sa décision.

[25]  Le point de départ de mon analyse de la décision est la troisième lettre de demande datée du 13 juillet 2017. Cette lettre, rédigée par un membre du cabinet Thorsteinssons, a été présentée à l’ARC au nom d’un certain nombre d’investisseurs dans la SC Medi‑Call, y compris le demandeur. La troisième lettre de demande énonce des périodes distinctes à compter de juillet 2001 et fait état de l’inaction de l’ARC pendant ces périodes. La lettre ne fait pas mention du fait que seulement certains des investisseurs dans la société de personnes ont fait l’objet d’une nouvelle cotisation. La demande d’allègement des intérêts est fondée uniquement sur les périodes d’inaction de l’ARC.

[26]  Dans son affidavit déposé relativement à la présente demande, Madame Martel explique en quoi a consisté l’examen par l’ARC de la demande d’allègement du demandeur. Elle décrit en termes généraux comment les demandes d’allègement des contribuables sont examinées au sein de l’ARC et elle souligne les dispositions pertinentes de la circulaire. Madame Martel renvoie à la troisième lettre de demande et aux périodes à l’égard desquelles l’allègement a été demandé. Voici ce qu’elle déclare :

[traduction] 14. Sandra Pion, agente des allègements pour les contribuables de l’Agence au Centre fiscal de Shawinigan, a examiné la demande du demandeur ainsi que les renseignements que contenaient les dossiers de l’Agence. Madame Pion a recommandé que la demande du demandeur soit accueillie en partie. Le feuillet de renseignements sur les allègements pour les contribuables daté du 23 mai 2018, préparé par Mme Pion, constitue la pièce G, jointe au présent affidavit.

15. En ma qualité de chef d’équipe au sein de la Division des allègements pour les contribuables du Centre fiscal de Shawinigan, j’ai examiné la demande du demandeur et ses pièces jointes ainsi que les documents qui se trouvaient dans notre système au sujet des demandes d’allègement des intérêts du contribuable. J’ai également examiné les cotisations et les nouvelles cotisations du contribuable pour les années d’imposition 1997 et 1998, lesquelles constituent la pièce H, jointe au présent affidavit.

[27]  Le feuillet de renseignements sur les allègements pour les contribuables sur lequel s’appuie Madame Martel décrit de manière exhaustive l’historique de la nouvelle cotisation du demandeur établie par l’ARC pour les années d’imposition, les périodes à l’égard desquelles un allègement des intérêts avait déjà été accordé ainsi que l’historique des paiements du demandeur et il contient la mention [traduction« le demandeur n’a fait sur le solde impayé aucun versement de sa propre initiative avant le 16 octobre 2015 ». Madame Pion a effectué une analyse des différentes périodes d’attente soulignées dans la troisième lettre de demande et elle a conclu, sur certains points, que l’ARC avait tardé de manière injustifiée à répondre aux oppositions du demandeur. À mon avis, le feuillet de renseignements sur les allègements pour les contribuables fait état d’un examen approfondi de la demande d’allègement du demandeur et constitue un fondement raisonnable pour la décision.

[28]  Dans la décision, après avoir tenu compte de la troisième lettre de demande, Madame Martel a accordé l’allègement des intérêts imposés au demandeur en vertu de la LIR pour des périodes précises entre août 2001 et avril 2015. Elle a également fait mention de l’allègement précédemment accordé par l’ARC et elle a conclu qu’aucun autre allègement n’était justifié en raison du temps écoulé. Madame Martel a insisté sur le fait que le demandeur avait été prévenu en bonne et due forme en juillet 2005 que les arriérés d’intérêts continueraient à courir sur les soldes impayés, mais il n’a effectué de sa propre initiative aucun versement pour réduire sa dette avant le mois d’août 2016.

[29]  Je conclus donc que la décision est raisonnable. Dans sa troisième lettre de demande, le demandeur réclamait un allègement en raison des périodes d’inaction de l’ARC, l’un des trois facteurs énoncés dans la circulaire qui donnent ouverture à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en application du paragraphe 220(3.1) de la LIR. Madame Martel a examiné minutieusement les arguments formulés par Thorsteinssons dans la troisième lettre de demande et son raisonnement est clair.

[30]  La décision du ministre d’accorder seulement en partie l’allègement des intérêts imposés sur les soldes impayés dus par le demandeur peut sembler dure, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce. Toutefois, le rôle de la Cour chargée du contrôle judiciaire de la décision ne consiste pas à juger du caractère équitable de la décision de l’ARC de procéder à une nouvelle cotisation du demandeur (mais pas d’autres investisseurs), mais bien à décider si la décision a été prise de manière raisonnable (Parmar c Canada (Procureur général), 2018 CF 912, aux paragraphes 50 et 51).

[31]  Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a mis en évidence le fait que seuls certains des investisseurs dans la SC Medi‑Call avaient fait l’objet d’une nouvelle cotisation par l’ARC, et il a fait valoir qu’il était victime d’un traitement inéquitable de la part de l’ARC. Madame Martel n’a pas tenu compte de cet argument. Toutefois, j’arrive à la conclusion qu’elle n’a commis aucune erreur à cet égard.

[32]  Comme nous l’avons vu ci‑dessus, le demandeur réclamait dans sa troisième lettre de demande un allègement des intérêts pour des périodes précises et en raison de périodes précises d’inaction de la part de l’ARC. Il ne demandait pas un allègement de tous les intérêts imposés aux investisseurs de la SC Medi‑Call en invoquant un traitement inéquitable, et ne demandait pas non plus simplement un nouvel examen du rejet par le ministre de la deuxième demande d’allègement du demandeur.

[33]  Le défendeur fait valoir à raison que le demandeur ne peut pas maintenant alléguer que la décision est déraisonnable parce que Madame Martel n’a pas tenu compte de l’allégation de traitement inéquitable des investisseurs à l’étape de la vérification. Elle n’a pas commis d’erreur en omettant de tenir compte de cette thèse; en fait, cet argument ne lui a pas été présenté. Ce point a été soulevé dans la deuxième demande d’allègement du demandeur et le ministre l’a abordé dans la décision par laquelle il a rejeté cette demande le 7 novembre 2016. Si le demandeur désirait relancer cette question, il lui incombait de la soulever dans la troisième lettre de demande.

[34]  Le demandeur fait valoir que le ministre a rendu sa décision sur la base de renseignements incomplets, mais il n’a donné aucun détail à ce sujet. Je n’arrive pas à trouver dans le dossier quelque déficience évidente que ce soit dans les renseignements examinés par le ministre. Comme l’absence de renseignements signalée par le demandeur concerne les avis de nouvelle cotisation de novembre 2002, la Cour n’a pas compétence pour s’interroger sur l’exactitude de ces nouvelles cotisations. La Cour de l’impôt a compétence exclusive pour se prononcer sur l’exactitude des cotisations et des nouvelles cotisations de l’ARC en vertu du paragraphe 152(8) et de l’article 169 de la LIR, de l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC 1985, c T‑2, et des articles 18.1 et 18.5 de la Loi (Canada c Roitman, 2006 CAF 266, au paragraphe 19).

[35]  Enfin, la décision du demandeur de se fier à des conseillers experts pour réaliser son investissement malheureux dans la SC Medi‑Call était sienne. Le fait que les conseils d’investissement de ces conseillers n’ont pas amené le demandeur à réaliser un placement fructueux ne suffit pas pour exiger que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire et lui accorde un allègement des intérêts courus sur le fondement du paragraphe 220(3.1) de la LIR.

[36]  Les éléments du dossier établissent les faits énoncés dans la décision, lesquels démontrent l’intelligibilité des conclusions de Madame Martel. Il est évident qu’elle était tout à fait consciente des antécédents du demandeur à l’ARC en ce qui concerne les années d’imposition et qu’elle a tenu compte de manière équitable des circonstances entourant sa demande. Après avoir examiné la décision à la lumière de la preuve au dossier, les lignes directrices établies par l’ARC dans la circulaire et la révision effectuée par la Division des allègements pour les contribuables, j’arrive à la conclusion que la décision du ministre d’accueillir seulement en partie la demande d’allègement des intérêts présentée par le demandeur est justifiée et transparente et fait partie des issues acceptables.

VII.  Conclusion

[37]  La demande est rejetée.

[38]  Ni l’une ni l’autre des parties n’ont présenté d’observations au sujet des dépens. Compte tenu de l’ensemble des circonstances en l’espèce, je n’en adjugerai aucuns.

[39]  Enfin, je fais droit à la demande formulée par le défendeur en vertu du paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, en vue de modifier l’intitulé afin que le procureur général du Canada soit désigné comme défendeur.


JUGEMENT dans le dossier no T‑1239‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. L’intitulé est par les présentes modifié, avec effet immédiat, pour désigner le « procureur général du Canada » comme défendeur.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 31e jour de juillet 2019.

Linda Brisebois, LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1239‑18

 

INTITULÉ :

DANIEL MARTEL c AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 FÉVRIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 20 JUIN 2019

 

COMPARUTIONS :

Daniel Martel

POUR LE demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Erica Haughey

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR Le défendeur

 

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