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Date : 20190225


Dossier : IMM‑1324‑18

Référence : 2019 CF 223

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 25 février 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

WILMEN DAMIAN RAMIREZ CHACIN, MELBA MERCEDES CAMBA DE RAMIREZ et VICTOR MANUEL RAMIREZ CAMBA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision, datée du 30 janvier 2018, par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[2]  Comme il est expliqué plus en détail plus loin, la présente demande est accueillie, parce que j’ai jugé que la décision de la SPR était déraisonnable, en ce sens que cette dernière a omis de prendre en compte des éléments de preuve pertinents à l’égard de sa conclusion selon laquelle les demandeurs avaient présenté des lettres fabriquées de toutes pièces de la part du coordonnateur du parti politique auquel le demandeur principal prétendait s’être joint avant que surviennent les faits ayant donné censément lieu à la demande d’asile des demandeurs.

Le contexte

[3]  Les demandeurs sont une famille de trois personnes, qui ont toutes la citoyenneté du Vénézuéla. Ils sont arrivés au Canada, en passant par les États‑Unis, le 16 octobre 2017 et ils ont demandé l’asile en disant craindre d’être persécutés au Vénézuéla, à cause de leurs opinions politiques contraires au régime au pouvoir et de la participation du demandeur principal, Wilmen Damian Ramirez Chacin, à un parti politique d’opposition. Les faits qu’allèguent les demandeurs sont les suivants.

[4]  Le demandeur principal était technicien en construction civile au Vénézuéla et, récemment, il travaillait comme coordonnateur des ventes auprès d’une société multinationale. Son épouse était ingénieure industrielle et elle travaillait comme gestionnaire de projet et contrôleuse des dépenses. Les deux ont travaillé à Valencia et à Caracas.

[5]  Les demandeurs disent s’être opposés au régime vénézuélien d’Hugo Chavez et, plus tard, de Nicolas Maduro pendant, environ, les 18 dernières années. Leurs activités consistaient notamment à signer des pétitions et à participer parfois à des protestations et à des manifestations. En 2003, ils ont signé une pétition demandant la tenue d’un référendum en vue de la destitution du président de l’époque, Hugo Chavez. Ils disent qu’en raison de cela, leurs noms ont été publiés dans ce que l’on appelle la [traduction« liste de Tascon ». Les personnes énumérées dans cette liste étaient privées d’avantages gouvernementaux, et il leur était interdit de travailler pour des institutions gouvernementales.

[6]  Les demandeurs soutiennent que la récente crise sociale, politique et économique du pays les a affectés de manière importante. C’est la raison pour laquelle, en février 2017, le demandeur principal s’est joint pour la première fois à un parti politique d’opposition. Il s’est inscrit comme activiste auprès du parti Voluntad Popular (le VP), qui fait partie de la coalition de partis d’opposition connue sous le nom de Mesa de la Unidad Democratica (la MUD).

[7]  Les demandeurs allèguent qu’en avril 2017, l’épouse du demandeur principal a été reconnue et qu’elle s’est fait voler son téléphone cellulaire sous la menace d’une arme de feu. Une ou deux semaines plus tard, le demandeur principal a reçu un appel téléphonique de menaces alors qu’il était à la maison. Les demandeurs croient que ces incidents sont liés à leurs opinions politiques. Quand ils ont signalé le vol du téléphone à la police, les policiers ont refusé de produire un rapport.

[8]  Le demandeur principal allègue qu’il a pris part à de nombreuses protestations après avril 2017. Son épouse et lui ont participé à une protestation tenue le 14 juin 2017 à Caracas. Après celle‑ci, alors qu’ils rentraient chez eux, leur automobile a été attaquée par des motocyclistes, qui les ont appelés par des noms péjoratifs donnés aux personnes opposées au régime et qui les ont menacés. Le 23 juin 2017, alors qu’ils revenaient d’une autre protestation, leur voiture a été attaquée une fois de plus. Ils soutiennent que les deux attaques ont été menées par le Colectivos, un groupe paramilitaire lié à l’État.

[9]  Selon les demandeurs, ces incidents ont aggravé leur crainte d’être persécutés au Vénézuéla. Bien qu’ils aient songé à fuir depuis avril 2017, le demandeur principal s’est entretenu en juin ou en juillet 2017 avec son frère, qui se trouvait au Canada, et celui‑ci a pris les dispositions nécessaires pour leur voyage, leurs billets et un lieu de refuge au Canada. Ils disent qu’il a fallu un certain temps pour prendre ces dispositions.

[10]  Pendant qu’ils se trouvaient encore au Vénézuéla, les demandeurs ont signé un plébiscite et pris part à des protestations contre le président Maduro, qui cherchait à faire modifier la Constitution pour qu’elle lui accorde encore plus de pouvoirs. Le président Maduro a atteint cet objectif en juillet 2017, et les demandeurs disent qu’ils ont alors arrêté de protester, de façon à atténuer les risques qu’ils couraient en attendant leur départ.

[11]  Les demandeurs sont partis pour les États‑Unis le 7 octobre 2017 et, de là, ils sont arrivés au Canada le 16 octobre 2017.

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[12]  La SPR a entendu les demandeurs le 8 décembre 2017. À l’audience, ces derniers ont déposé une lettre de « Feddy Cimino », coordonnateur du VP à Guaicaipuro. Le tribunal les a confrontés à la page Twitter de « Freddy Cimino », orthographié différemment. Dans la lettre, le nom du demandeur principal était lui aussi mal orthographié (« Wilmer » plutôt que « Wilmen »). Le demandeur principal a convenu qu’il y avait des fautes d’orthographe dans la lettre et il a répondu que son auteur avait probablement commis une erreur typographique. La SPR a aussi demandé pourquoi la lettre ne venait pas du bureau du VP qui était situé dans la localité du demandeur principal, et celui‑ci a répondu qu’il avait eu de la difficulté à en obtenir une du bureau local, mais qu’il l’avait reçue du bureau de Guaicaipuro par l’entremise d’un ami, lui aussi membre du VP.

[13]  Pour dissiper les doutes de la SPR quant à l’authenticité de cette lettre, les demandeurs ont aussi déposé une lettre de correction de M. Cimino, de pair avec sa carte d’identité, une étiquette de suivi, ainsi qu’un courriel de M. Cimino confirmant qu’il avait envoyé les deux lettres.

[14]  Pour conclure que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés ni celle de personnes à protéger, la SPR a pris en compte les deux lettres et d’autres éléments de preuve fournis par le demandeur principal, mais elle a jugé que, pour ce qui était des demandes d’asile des demandeurs, c’était la crédibilité qui était la question déterminante.

[15]  La SPR a tout d’abord pris en compte des documents relatifs à la situation dans le pays qui traitaient du VP et elle a conclu que les exigences que ce parti imposait aux activistas comprenaient leur participation à des équipes de travail territoriales, l’observation de son manifeste, des responsabilités précises au sein du parti ainsi qu’une participation active à la vie organique du parti et aux activités politiques qu’il organisait. La SPR a fait remarquer que le demandeur principal s’était rendu à trois reprises au bureau du VP de Chacao et qu’il n’avait assisté à aucune activité organisée uniquement par ce parti. Elle a donc conclu que sa participation politique avait été très restreinte.

[16]  La SPR a ensuite soulevé un certain nombre de préoccupations quant à la crédibilité relativement à la lettre du VP que les demandeurs avaient déposée pour prouver la participation du demandeur principal aux activités de ce parti. La SPR a eu des doutes au sujet de la contradiction entre la lettre qui qualifiait le demandeur principal d’activista et ce qu’il avait déclaré à propos du fait de ne pas s’être présenté au bureau du VP de Guaicaipuro ou de ne pas avoir participé à des activités organisées uniquement par ce parti. Faisant remarquer que la lettre contenait des signes évidents que « Freddy » et « Wilmen » avaient été mal orthographiés, la SPR a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que le demandeur principal avait rencontré M. Cimino.

[17]  Comme il a été mentionné plus haut, à l’audience, la SPR a soumis la page Twitter de M. Cimino au demandeur principal, afin de montrer l’orthographe correcte du prénom de cet homme, ce à quoi le demandeur principal a répondu que « Feddy » était peut‑être une erreur typographique. La SPR a jugé cette explication insatisfaisante, estimant qu’une lettre officielle du VP n’aurait pas comporté cette erreur et que M. Cimino s’en serait rendu compte. La SPR a donc tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, concernant l’authenticité de cette lettre.

[18]  La SPR a également interrogé le demandeur principal sur la faute d’orthographe concernant son propre nom, ce à quoi il a répondu qu’il était fréquent que les gens écrivent mal son nom. Estimant qu’elle s’attendrait à ce que l’auteur de la lettre connaisse le nom exact du demandeur principal si celui‑ci avait participé de manière suffisante aux activités du VP, la SPR a tiré de ce fait une autre conclusion défavorable quant à la crédibilité et a conclu que la lettre n’était pas authentique. Se fondant sur le témoignage du demandeur principal, selon lequel il ne s’était rendu au bureau du VP de Chacao qu’à trois reprises et sur le fait que le demandeur principal avait présenté une lettre qui n’était pas authentique, la SPR a conclu que celui‑ci avait inventé de toutes pièces sa participation au sein du VP.

[19]  Quant à la lettre de correction présentée après l’audience, la SPR a jugé qu’elle n’était pas suffisante pour surmonter les préoccupations relatives à la crédibilité, car rien n’expliquait pourquoi le coordonnateur d’un bureau du VP où le demandeur principal ne s’était jamais présenté écrirait une lettre d’appui pour un activista qui n’avait pas assumé les responsabilités que le parti lui imposait. La SPR n’a pas jugé raisonnable que Freddy Cimino donne son appui à une personne qui ne participait que de manière restreinte aux activités du parti. La SPR a conclu que cette lettre avait elle aussi été fabriquée de toutes pièces.

[20]  La SPR a signalé aussi la lenteur avec laquelle les demandeurs avaient quitté le Vénézuéla et elle a déclaré qu’elle avait des doutes en matière de crédibilité, relativement à ce qu’ils avaient fait avant leur arrivée au Canada. Elle a fait remarquer que les demandeurs détenaient des passeports valides en juillet 2015 ainsi que des visas américains, trois ans avant la date d’audience. La SPR a soumis au demandeur principal l’écart qu’il y avait entre le moment où les incidents étaient survenus en avril 2017, son témoignage selon lequel les demandeurs avaient décidé en juin ou en juillet 2017 de quitter le Vénézuéla et leur départ en octobre 2017. Il a répondu que leur crainte s’était aggravée depuis avril 2017 et qu’il ignorait pourquoi son frère avait tardé à acheter les billets. La SPR a jugé cette explication insatisfaisante et elle a déclaré qu’elle se serait attendue à ce que les demandeurs précisent à quel moment le frère du demandeur principal avait pu acheter les billets. Dans ce contexte, elle a tiré de la lenteur de leur départ une inférence défavorable quant à la crédibilité.

[21]  Concluant à un manque général de crédibilité à l’égard de la preuve des demandeurs, la SPR s’est dite non convaincue que les demandeurs avaient un profil qui susciterait une attention défavorable au Vénézuéla, et elle a conclu que ces derniers n’avaient ni la qualité de réfugiés ni celle de personnes à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[22]  Les demandeurs soumettent les trois questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. si la SPR a commis une erreur en concluant que la lettre d’adhésion au parti est frauduleuse;

  2. si, pour apprécier la participation du demandeur principal à un parti politique, la SPR a mal interprété la preuve dont elle disposait;

  3. si la SPR a fait abstraction d’éléments de preuve concernant la participation politique des demandeurs.

[23]  La norme de contrôle qui s’applique à ces questions est la décision raisonnable.

Analyse

[24]  Ma décision de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire repose sur la manière dont la SPR a traité les éléments de preuve pertinents à l’égard de l’authenticité des lettres que M. Cimino, le coordonnateur du parti politique VP à Guaicaipuro, aurait écrites. L’analyse que la SPR a faite de l’authenticité de la lettre initiale de M. Cimino ainsi que de la lettre de correction qui a été déposée pour répondre aux préoccupations de la SPR au sujet de la lettre initiale est un aspect important de la décision de la SPR. Selon mon interprétation de cette dernière, la conclusion que la SPR a tirée, à savoir que les éléments de preuve de M. Cimino avaient été fabriqués de toutes pièces par les demandeurs, a joué un rôle important dans ses constatations selon lesquelles le demandeur principal avait inventé son engagement auprès du VP, dans le but de renforcer les demandes d’asile des demandeurs, le demandeur principal n’était pas un témoin crédible et digne de confiance et les demandeurs adultes n’avaient pas le profil qui, au Vénézuéla, susciteraient l’attention défavorable dont ils prétendaient être l’objet.

[25]  Je souscris aux arguments des demandeurs selon lesquels la décision de la SPR révèle des erreurs susceptibles de contrôle quant à la manière dont celle‑ci a traité la lettre initiale de M. Cimino et la preuve déposée après l’audience en réponse aux préoccupations de la SPR.

[26]  Pour ce qui est de la lettre initiale, les demandeurs ont soutenu que la SPR avait rejeté par erreur l’authenticité de la lettre en raison des fautes d’orthographe dans le nom de M. Cimino et de celui du demandeur principal, et ils se fondent sur des précédents dans lesquels des décisions ont été infirmées à cause de ce genre d’analyse (voir Gbemudu c Canada (Citoyenneté, Réfugiés et Immigration), 2018 CF 451, au paragraphe 78; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 814, au paragraphe 31; Mohamud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 170, au paragraphe 3). Je conviens que ce genre d’analyse soulève des préoccupations, mais je signale également l’observation du défendeur selon laquelle ces précédents n’étayent peut‑être pas le fait d’infirmer une décision qui a rejeté une demande d’asile à cause de fautes d’orthographe commises dans un document, sauf si ces fautes constituent le seul motif du rejet. Comme la SPR avait d’autres doutes à propos de la lettre de M. Cimino, en raison du fait que le demandeur principal ne s’était pas présenté au bureau de Guaicaipuro et n’avait pas participé à des réunions du VP ou à des activités organisées uniquement par ce parti (par opposition à des protestations organisées par l’organisation‑cadre, la MUD), je ne conclurais pas à une erreur susceptible de contrôle qui reposerait uniquement sur l’analyse de la SPR concernant les fautes d’orthographe.

[27]  Je souscris toutefois à l’observation des demandeurs selon laquelle l’analyse de la SPR est incomplète, en ce qu’elle ne tient pas compte des caractéristiques d’authentification de la lettre de M. Cimino. Comme ils le signalent, cette lettre a été écrite sur du papier à en‑tête du parti, elle porte une signature originale et elle indique le numéro de carte d’identité nationale de M. Cimino ainsi que son numéro de téléphone. Je conviens que les circonstances sont comparables à celles que le juge Russell a prises en compte dans une décision récente, Downer c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 45, aux paragraphes 61 à 63 :

[61]  Les facteurs pertinents qui n’ont pas été mentionnés ni appréciés par SAR sont que la lettre est signée et datée, de même qu’elle indique le nom, le numéro de badge, l’adresse postale et le numéro de téléphone de son auteur.

[62]  Dans ses observations à la SAR, l’avocat actuel de la demanderesse a fait la remarque suivante :

[TRADUCTION]

Cet élément de preuve est crédible, car il me semble être ce que l’on voit à sa face même et est appuyé par un affidavit. Il indique également un numéro de téléphone. Si sa crédibilité n’est pas acceptée, la Commission dispose des ressources nécessaires pour vérifier la lettre en communiquant avec l’auteur par l’entremise de la Direction des recherches.

[63]  La SAR pourrait penser qu’elle n’a pas l’obligation de faire de simples vérifications, même lorsque des vies sont en jeu. J’espère que ce n’est pas le cas, mais ce que la SAR ne peut pas faire, c’est simplement faire fi de la preuve qui contredit ses propres conclusions. Voir Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, au paragraphe 17 (CF 1re inst). En l’espèce, la SAR n’a pas tenu compte des caractéristiques importantes permettant d’authentifier la lettre et a simplement choisi de fonder sa conclusion en matière de crédibilité sur d’autres facteurs qui n’étaient pas concluants en soi ou qui pouvaient être liés au formulaire FDA, lequel ne pouvait être considéré comme adéquat, parce qu’il avait été préparé par l’ancien conseil incompétent. En outre, je pense que la SAR doit aussi répondre à la question évidente : pourquoi une demanderesse malhonnête fournirait‑elle des renseignements qui permettraient à la SAR de vérifier aisément leur fiabilité, eu égard à l’ensemble de sa demande? D’après mon expérience, les menteurs n’ont pas l’habitude de fournir un moyen facile de vérifier la fiabilité de leur preuve. En l’espèce, la SAR ne fournit aucun motif pour ne pas avoir effectué la vérification (il pourrait y avoir des motifs, mais ils ne sont pas explicités) et omet de mentionner la requête de la demanderesse voulant que la SAR utilise les moyens à sa disposition pour dissiper ou confirmer toute préoccupation quant à la crédibilité.

[28]  Cette erreur revêt encore plus d’importance dans le contexte de la preuve qui a été déposée après l’audience. La lettre de correction qu’aurait écrite M. Cimino, laquelle confirme que le demandeur principal est inscrit comme activiste du VP et mentionne que des fautes d’orthographe ont été commises dans la lettre initiale, est là encore présentée sur du papier à en‑tête, elle est signée et elle indique le numéro de carte d’identité nationale ainsi que le numéro de téléphone de M. Cimino, de même que son adresse courriel. Une fois de plus, la SPR n’a pas tenu compte de ces caractéristiques d’authentification avant de conclure que la lettre de correction avait été fabriquée de toutes pièces.

[29]  La SPR n’a pas non plus analysé les autres éléments de preuve présentés en même temps que la lettre de correction. Ces éléments comprenaient ce qui était censément une copie de la carte d’identité nationale de M. Cimino, laquelle indiquait les mêmes numéros d’identification que sur les lettres, un courriel d’accompagnement que M. Cimino avait censément adressé au conseil des demandeurs (et disant que c’était lui qui avait rédigé les deux lettres pour le demandeur principal) ainsi que de la documentation de DHL concernant la transmission, du Vénézuéla au Canada, de la lettre de correction et des documents d’identification. Bien qu’il soit présumé que la SPR a pris en considération la totalité des éléments de preuve dont elle disposait, même si ces éléments ne sont pas expressément mentionnés, il est possible de réfuter cette présomption si les éléments de preuve ne concordent pas avec les conclusions de la SPR (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (CF 1re inst)). À mon avis, les documents qui accompagnaient la lettre de correction sont d’une importance telle pour l’appréciation de l’authenticité de la lettre initiale et de la lettre de correction que le fait que la SPR a omis d’analyser ces éléments de preuve constitue une erreur susceptible de contrôle.

[30]  J’ai tenu compte de l’argument que le défendeur a avancé à l’audition de la présente demande, à savoir que la conclusion de la SPR – la non‑authenticité de la lettre – ne veut pas forcément dire que la SPR ne croyait pas que c’était M. Cimino qui en était l’auteur. Le défendeur soutient que la preuve entourant la manière dont la lettre a été obtenue de M. Cimino, par un ami du demandeur principal, permet de conclure que celle‑ci a été écrite à titre de faveur, plutôt qu’en la qualité officielle de M. Cimino, et qu’elle ne représente pas avec exactitude l’engagement du demandeur principal auprès du VP. Je ne considère toutefois pas que la décision de la SPR reflète une telle conclusion de sa part. La SPR a plutôt considéré que la preuve avait été fabriquée de toutes pièces.

[31]  Je conclus donc que la SPR a traité de manière déraisonnable la preuve entourant l’engagement du demandeur principal auprès du VP. Cet aspect de l’analyse de la SPR a joué un rôle suffisamment important dans sa décision pour que cette conclusion oblige à accueillir la demande de contrôle judiciaire et à renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvelle décision. Il est donc inutile que la Cour examine les autres arguments que les demandeurs ont invoqués en l’espèce. J’ai toutefois étudié l’argument du défendeur selon lequel les demandeurs n’ont pas contesté l’inférence défavorable quant à la crédibilité que la SPR avait tirée à l’égard de leur lenteur à quitter le Vénézuéla. Je souscris à l’observation des demandeurs à cet égard, à savoir que la lenteur à quitter le pays est un facteur pertinent qu’il y a lieu de prendre en considération, mais ce facteur ne devrait pas être déterminant dans le rejet d’une demande d’asile (voir Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 NR 225 (CAF)). Selon moi, l’analyse de la SPR au sujet de la lenteur à quitter le pays n’est pas suffisante pour étayer le caractère raisonnable de la décision dans le contexte des erreurs susceptibles de contrôle relevées plus haut.

[32]  Aucune des parties n’a proposé une question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1324‑18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de juin 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1324‑18

INTITULÉ :

WILMEN DAMIAN RAMIREZ CHACIN ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFs :

LE JUGE southcott

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 25 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

Amedeo Clivio

POUR LES DEMANDEURS

Catherine Vasilaros

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clivio Law Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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