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Date : 19990423


T-2870-96

E n t r e :

     APOTEX INC.,

     demanderesse

     (défenderesse reconventionnelle),

     - et -

     SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED

     et HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE,

     défenderesses

     (demanderesses reconventionnelles),

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE REED

[1]      La demanderesse sollicite un jugement déclarant que les lettres canadiennes no 1 204 671 (le brevet 671) sont invalides et que la fabrication et la vente de certains comprimés de naproxène à libération prolongée produits par la demanderesse ne contrefont pas le brevet. Par sa demande reconventionnelle, la défenderesse sollicite un jugement déclarant que la demanderesse a contrefait le brevet 671.

[2]      Le brevet est intitulé [TRADUCTION] " comprimés de naproxène et de naproxène sodique à libération prolongée ". Il s'agit d'un brevet portant sur une composition ou une formulation. On y revendique l'invention d'une nouvelle composition pharmaceutique dont les principaux ingrédients sont le naproxène, le naproxène sodique et l'hydroxypropylméthylcellulose. Le naproxène est un analgésique bien connu qui est utilisé, par exemple, pour traiter la polyarthrite rhumatoïde. L'hydroxypropylméthylcellulose (l'HPMC) est une gomme hydrophile, un éther de cellulose hydrosoluble utilisé notamment dans la préparation de produits pharmaceutiques à libération prolongée.

Procès antérieurs

[3]      La présente action n'est pas le premier litige opposant les parties au sujet des comprimés de naproxène à libération prolongée. Il y a notamment lieu de signaler un long procès mettant en cause l'application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)1. L'économie générale et l'effet de ce règlement ont été précisés dans de nombreuses décisions et j'estime qu'il n'est pas nécessaire de répéter les principes et les conclusions qui ont été dégagés2. En l'espèce, le résumé suivant suffira : (1) le titulaire du brevet " dans le cas qui nous occupe, Syntex " soumet au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social une liste de ses brevets dans laquelle il énumère les drogues auxquelles ses brevets se rapportent ; (2) lorsqu'une autre personne demande au ministre de lui délivrer un avis de conformité l'autorisant à commercialiser sa version de la drogue en cause, cette personne doit déposer un document (appelé avis d'allégation) exposant les raisons pour lesquelles la commercialisation de sa drogue ne contreferait pas le brevet en cause ; (3) s'il n'est pas satisfait de ces explications, le titulaire du brevet peut demander à la Cour de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l'avis de conformité demandé.

[4]      En juin 1993, Apotex a déposé un avis d'allégation (l'avis de 1993) au soutien de la demande d'avis de conformité qu'elle avait présentée au ministre pour ses comprimés de naproxène à libération prolongée. Cet avis renfermait deux allégations. Dans un premier temps, Apotex affirmait que [TRADUCTION] " aucune revendication portant sur le médicament lui-même ou sur son utilisation " ne serait contrefaite par suite de la fabrication et de la vente par elle de ses comprimés de naproxène à libération prolongée parce qu'en tant que brevet portant sur une composition (formulation), le brevet 671 ne revendiquait ni le médicament lui-même ni son utilisation. En second lieu, Apotex promettait qu'aucun des comprimés qu'elle produirait et vendrait ne seraient visés par la portée des revendications du brevet 671 :

     [TRADUCTION]         
             
     [...] Apotex Inc. promet par la présente que les comprimés qu'elle produira et vendra ne seront pas visés par la portée des revendications du brevet no 1 204 671, de sorte qu'aucune revendication ne serait contrefaite.         

[5]      En juin 1993, le Règlement sur les avis de conformité venait tout juste d'être édicté et on ignorait au juste comment il s'appliquerait. Parmi les inconnues, mentionnons : (1) le sens de l'expression " aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament " que l'on trouve à l'alinéa 4(2)b) et au sous-alinéa 5(1)b)(iv), et (2) la quantité de détails factuels à articuler dans l'avis d'allégation.

[6]      Au moment où la demande présentée par Syntex en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex a été entendue, le 24 janvier 1996, (dans le dossier T-1893-93), les tribunaux avaient établi avec certitude que les revendications portant sur une composition (formulation) constituaient des revendications pour le médicament en soi et qu'elles tombaient donc sous le coup du Règlement (Hoffmann-La Roche Ltée. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1995), 62 C.P.R. (3d) 58 (C.F. 1re inst.), conf. à 67 C.P.R. (3d) 25 (C.A.F.)). Ainsi, le premier motif invoqué par Apotex dans son avis de 1993 pour affirmer que son médicament ne contreferait pas celui de Syntex n'était donc plus sérieusement contesté.

[7]      Les tribunaux avaient également conclu que la procédure à suivre pour obtenir une ordonnance d'interdiction devait être de nature sommaire, qu'elle devait se présenter sous forme de demande, qu'il ne devait y avoir ni procès, ni enquête préalable, ni production de documents, et qu'un avis d'allégation doit renfermer suffisamment d'éléments de fait pour justifier l'allégation de non-contrefaçon (Syntex (U.S.A.) Inc. c. Novopharm Ltd., (1996), 65 C.P.R. (3d) 499 (C.F. 1re inst.). Ainsi, le second moyen invoqué par Apotex dans son avis de 1993 pour affirmer que son médicament ne contreferait pas celui de Syntex avait peu de chances d'être retenu, étant donné qu'Apotex n'avait articulé aucun fait à l'appui. Elle s'était contentée de donner un engagement.

[8]      Par conséquent, lors de l'audition de la demande d'ordonnance d'interdiction de Syntex, Apotex a plaidé que l'engagement contenu dans l'avis de 1993 devait être interprété comme une affirmation factuelle que les comprimés d'Apotex ne possédaient pas le même pourcentage pondéral de HPMC que celui de la composition brevetée (entre quatre et neuf pour cent). À titre subsidiaire, l'avocat d'Apotex soutenait que la Cour devait accorder à sa cliente la permission de présenter d'autres éléments factuels au sujet de la formulation de ses comprimés. La Cour a jugé ces arguments mal fondés au motif que l'engagement n'équivalait pas à une articulation de fait et que la demande de production d'éléments de preuve supplémentaires était tardive (elle n'avait été présentée qu'à la clôture du débat). La Cour a par ailleurs fait remarquer que, même si, comme on le prétendait, on devait interpréter l'engagement comme une articulation, c'est-à-dire comme une affirmation que la formulation d'Apotex ne contenait pas entre quatre et neuf pour cent de HPMC, l'allégation de non-contrefaçon demeurerait injustifiée, étant donné que le pourcentage pondéral précisé dans le brevet était d'" environ " quatre à neuf pour cent.

[9]      Le 22 mars 1996, deux jours après que la Cour eut prononcé dans le dossier T-1893-93 une ordonnance interdisant au ministre de lui délivrer un avis de conformité, Apotex a déposé et signifié un second avis d'allégation (l'avis de 1996). Dans cet avis, elle affirmait également que la production et la vente de ses comprimés ne contreferaient pas le brevet 671. Pour justifier cette affirmation, Apotex décrivait la formulation qu'elle avait essayé de déposer en preuve dans le dossier T-1898-93. Elle invoquait par ailleurs deux autres moyens pour affirmer qu'il n'y aurait pas de contrefaçon : (1) l'emploi du mot " environ " dans les revendications rendait le brevet 671 ambigu et, par conséquent, invalide pour inobservation du paragraphe 34(2) de la Loi sur les brevets ; (2) le brevet était invalide parce que l'invention revendiquée ne constituait pas un concept innovateur, mais le résultant évident d'expériences courantes.

[10]      L'avis de 1996 a donné lieu à une autre demande (dossier no T-998-96), cette fois-ci de la part de Syntex et d'Hoffmann-La Roche (La Roche)3, qui demandaient au tribunal d'interdire au ministre de délivrer un avis de conformité sur la foi de l'avis de 1996. Avant que cette demande ait pu être entendue sur le fond, La Roche a déposé, le 28 août 1996, une requête visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que l'avis de 1996 était nul et de nul effet ou, à titre subsidiaire, la suspension de l'instance jusqu'à ce que l'appel interjeté au sujet de l'avis de 1993 soit tranché de façon définitive. La requérante sollicitait aussi la prorogation du délai fixé au ministre par l'alinéa 7(1)e) du Règlement pour délivrer un avis de conformité et demandait que la durée de cette prorogation corresponde à celle de toute suspension d'instance que la Cour pouvait accorder. Cette requête a été entendue à l'automne 1996 en même temps que plusieurs autres requêtes (dans les dossiers T-1712-95 et T-421-96), qui portaient toutes sur la validité de seconds avis d'allégation.

[11]      Vers la même époque, la Cour d'appel fédérale a confirmé la décision rendue par la Section de première instance au sujet de l'avis de 1993 (dossier no A-264-96)4. La Cour a rejeté l'argument que l'engagement contenu dans l'avis de 1993 pouvait signifier seulement que les comprimés [TRADUCTION] " se composeraient à un ou à plusieurs égards de produits se situant à l'extérieur de la fourchette spécifique des pourcentages pondéraux " faisant l'objet d'une revendication. Elle a également jugé mal fondée la prétention que l'engagement constituait une articulation.

[12]      Le 23 décembre 1996, Apotex a déposé et signifié une déclaration dans la présente action. Une décision a par la suite été rendue au sujet des requêtes qui avaient été entendues au sujet de l'avis de 19965. La Cour a statué qu'elle n'avait pas le pouvoir d'annuler des avis d'allégation, étant donné que ces documents n'étaient pas des actes de procédure. Il s'agissait de documents administratifs déposés par le ministre6. La Cour a malgré tout suspendu l'instance dans le dossier T-998-96. Elle n'a toutefois pas prorogé le délai de 30 mois prescrit par l'alinéa 7(1)e) du Règlement. On a supposé que l'ordonnance d'interdiction qui avait déjà été rendue (dans le dossier T-1898-93) continuerait à produire ses effets de manière à interdire la délivrance d'un avis de conformité pour les comprimés de naproxène à libération prolongée d'Apotex.

[13]      La Roche a interjeté appel de la décision par laquelle la Cour avait refusé d'annuler l'avis de 1996. Apotex a formé un appel incident de la suspension d'instance qui avait été accordée.

[14]      Le fait qu'aucune prorogation du délai de 30 mois prescrit par l'alinéa 7(1)e) du Règlement n'ait été inclus dans l'ordonnance de suspension prononcée dans le dossier T-998-96 a vraisemblablement amené Apotex, à l'automne 1998, à demander au ministre de lui délivrer un avis de conformité lui permettant de commercialiser ses comprimés à libération prolongée. Le ministre lui a délivré l'avis en question en novembre 1998. En réponse, La Roche a appelé l'attention du ministre sur le texte des motifs prononcés par la Cour dans le dossier T-998-96, dans lesquels la Cour affirmait que l'ordonnance d'interdiction qui avait été prononcée dans le dossier T-1898-93 continuerait à empêcher la délivrance d'un avis de conformité à Apotex. En conséquence, le ministre a informé les parties qu'il avait décidé qu'il n'avait pas compétence pour délivrer l'avis de conformité de novembre 1998, qu'il considérait donc comme nul.

[15]      Ce revers a incité La Roche à présenter une demande en vue d'obtenir une ordonnance annulant l'avis de conformité qui avait été délivré à Apotex sur la foi de son avis de 1996 et déclarant que le ministre n'avait pas compétence pour délivrer un avis de conformité (dossier T-2309-98). Le juge Evans lui a donné gain de cause dans l'ordonnance qu'il a rendue le 7 avril 1999. Dans ses motifs, le juge Evans a fait remarquer que l'avis de 1993 n'était pas identique à celui de 1996, étant donné que la validité du brevet était contestée dans ce dernier. Le juge a par ailleurs souligné qu'Apotex avait choisi de ne pas donner suite à l'appel incident qu'elle avait formé à l'encontre de la suspension prononcée dans le dossier T-998-96 et qu'il y avait donc lieu de présumer qu'elle avait accepté cette décision. Le juge en chef a, le 25 mars 1999, mis fin à l'appel et à l'appel incident concernant la décision rendue dans le dossier T-998-96 (dossier no A-23-97), étant donné que les deux parties l'avaient informé, en réponse à un avis d'examen de l'état de l'instance, qu'elles étaient prêtes à se désister de leur appel respectif à la condition que l'autre partie en fasse autant.

[16]      En conséquence, il existe donc présentement une ordonnance en date du 20 mars 1996 qui interdit au ministre de délivrer un avis de conformité sur la foi de l'avis de 1993, une ordonnance par laquelle la Cour a suspendu l'instance dans le dossier T-998-96 pour ce qui est de l'avis de 1996 et une ordonnance déclarant que le ministre n'a pas compétence pour délivrer un avis de conformité sur la foi de l'avis de 1996. Cette dernière décision doit, je crois, être interprétée comme signifiant que le ministre ne peut avoir compétence tant que la suspension de l'instance T-998-96 se poursuit.

Qualité pour agir " Autorité de la chose jugée

[17]      La Roche soutient, dans ce contexte, qu'à la date du dépôt de la déclaration dans la présente action, le 23 décembre 1996, Apotex n'avait pas l'intérêt requis pour introduire une telle action.

[18]      Les paragraphes 60(1) et (2) de la Loi sur les brevets disposent :

     60. (1) Un brevet ou une revendication se rapportant à un brevet peut être déclaré invalide ou nul par la Cour fédérale, à la diligence du procureur général du Canada ou à la diligence d'un intéressé.         
     (2) Si une personne a un motif raisonnable de croire qu'un procédé employé ou dont l'emploi est projeté, ou qu'un article fabriqué, employé ou vendu ou dont sont projetés la fabrication, l'emploi ou la vente par elle, pourrait, d'après l'allégation d'un breveté, constituer une violation d'un droit de propriété ou privilège exclusif accordé de ce chef, elle peut intenter une action devant la Cour fédérale contre le breveté afin d'obtenir une déclaration que ce procédé ou cet article ne constitue pas ou ne constituerait pas une violation de ce droit de propriété ou de ce privilège exclusif. [Non souligné dans l'original.]

[19]      La défenderesse soutient que, comme il existait une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex, celle-ci ne pouvait lancer sur le marché ses comprimés de naproxène à libération prolongée. Elle affirme par conséquent qu'Apotex ne pouvait à ce moment-là répondre aux conditions prévues au paragraphe 60(2) et qu'elle n'avait donc pas un intérêt suffisant pour soutenir une action visant à obtenir un jugement invalidant le brevet 671 et déclarant que la formulation d'Apotex ne contrefaisait pas celle de La Roche.

[20]      Je ne suis pas persuadée que cet argument puisse être retenu. La personne qui dépose une demande d'avis de conformité en vue d'obtenir l'homologation réglementaire d'un produit pharmaceutique, avis dont la délivrance est interdite en raison du dépôt d'une liste de brevets en conformité avec l'article 4 du Règlement, est un intéressé au sens du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets.

[21]      Cette personne tente de lancer son produit sur le marché mais en est empêchée à cause de la présomption, qui découle implicitement du régime créé par le Règlement, que cette mesure aurait pour effet de contrefaire le brevet figurant sur la liste de brevets. Dans le cas qui nous occupe, la partie demanderesse est une personne qui se propose de fabriquer, utiliser ou vendre un article qui, non seulement " pourrait , d'après l'allégation d'un breveté, constituer une violation " [non souligné dans l'original] de son brevet, pour reprendre le libellé du paragraphe 60(2), mais qui a effectivement fait l'objet d'une telle allégation. Le fait qu'Apotex soit un intéressé au sens de l'article 60 est démontré par le fait que les défenderesses ont répondu à la déclaration produite en l'espèce en déposant une demande reconventionnelle. L'argument des défenderesses suivant lequel la demanderesse n'a pas qualité pour agir doit donc être rejeté.

[22]      Les défenderesses soutiennent que la question de savoir si la formulation d'Apotex contrefait le brevet 671 est chose jugée, étant donné que cette question a déjà été tranchée dans le cadre d'une autre instance. Elles font valoir que, dans l'instance T-1898-93, une allégation de non-contrefaçon a été faite au sujet de la même formulation que celle qui est en litige dans la présente action, et que la Cour a conclu que cette allégation n'était pas justifiée. Elles ajoutent que la demanderesse a déjà eu l'occasion dans l'affaire en question de soumettre les éléments de preuve pertinents à la Cour, mais qu'elle ne s'est pas prévalue de cette possibilité et qu'on ne devrait pas lui permettre de soulever à nouveau la même question.

[23]      Par ailleurs, voici de quelle manière le juge Stone a, aux pages 4 à 6, interprété le brevet 671 dans l'arrêt qu'il a rendu en appel dans le dossier A-264-93 et dans lequel il a confirmé la décision rendue dans cette affaire :

     Même si [l'appelante par incidence] a allégué et promis que ses comprimés ne seraient pas visés par la portée du brevet en litige, je ne puis conclure que cette promesse signifiait uniquement que ses comprimés [TRADUCTION] " se composeraient, à un ou plusieurs égards, de produits se situant à l'extérieur de la fourchette spécifique des pourcentages pondéraux " faisant l'objet d'une revendication dans le brevet en litige, comme l'appelante par incidence le soutient. Ces pourcentages pondéraux figurent dans la revendication 1 du brevet en litige, qui prévoit en partie ce qui suit :         
         [TRADUCTION]         
         1. Un comprimé à libération progressive d'environ 500-1200 mg de naproxène ou de naproxène sodique administré par voie orale une fois par jour, lequel comprimé est composé d'une matrice homogène comprenant :         
             environ 4-9 % en poids d'hydroxypropylméthylcellulose ayant un poids moléculaire numérique moyen qui varie entre 80 000 et environ 130 000,         
             environ 81-96 % en poids de naproxène ou de naproxène sodique,         
             0,1 à environ 2 % en poids d'un agent lubrifiant acceptable en pharmacie, et         
             0 à environ 8 % en poids d'autres excipients acceptables en pharmacie.         
     Une définition du mot " environ" figure dans le mémoire descriptif à la page 17, aux lignes 13 et 14 :
                 [TRADUCTION] Le mot " environ " utilisé à l'égard du poids moléculaire numérique moyen indique que ce poids peut être inférieur ou supérieur d'au plus 10 % par rapport à la valeur fixée.                 
                 Lorsqu'il est utilisé à l'égard du poids de naproxène, de naproxène sodique, d'un agent lubrifiant ou d'un autre excipient acceptable en pharmacie, incorporé dans chaque comprimé, le mot " environ " indique que la quantité réelle de cet ingrédient peut être supérieure ou inférieure d'au plus 10 % par rapport aux quantités précisées.                 
         Cependant, cette définition concerne uniquement l'utilisation du mot "environ" par rapport au poids moléculaire numérique moyen et à la quantité des différents ingrédients identifiés devant être incorporés dans chaque comprimé. Le mot n'est pas défini par rapport au "pourcentage pondéral de l'hydroxypropylmethylcellulose".         
         Je ne suis pas convaincu non plus que le mémoire descriptif fournit une description du mot "environ" dans le contexte en question. L'appelante par incidence soutient que cette définition se trouve dans l'extrait suivant allant de la page 11, ligne 29, à la page 12, ligne 1 :         
                      [TRADUCTION] L'hydroxypropylmethylcellulose doit avoir un poids moléculaire numérique moyen qui varie entre environ 80 000 et environ 130 000, de préférence entre environ 120 000 et environ 130 000. Lorsque le polymère a un poids moléculaire numérique moyen de 120 000 à 130 000, il constitue de préférence environ 4 % à 6 % en poids d'un comprimé de naproxène à libération progressive...                 
         À mon avis, cette partie du mémoire descriptif n'élimine pas le caractère approximatif du " pourcentage pondéral " que sous-entend le mot " environ " de la revendication 1. Ce qu'indique le mémoire descriptif, c'est que, lorsque l'hydroxypropilmethylcellulose a un poids moléculaire numérique moyen qui varie de 120 000 à 130 000, [TRADUCTION] " elle constitue de préférence environ 4 % à 6 % en poids du comprimé de naproxène ". Cependant, la revendication en soi n'est pas limitée à la fourchette de 120 000 à 130 000, mais à une fourchette plus grande, soit " entre environ 80 000 et environ 130 000 ".         

[24]      Je vais d'abord examiner les propos du juge Stone. Je crois qu'il suffit de signaler qu'ils vont dans le même sens que les éléments de preuve qui ont été soumis en l'espèce. Tous les experts reconnaissent que le brevet ne définit pas le mot " environ " par rapport au pourcentage pondéral de 4-9 % de HPMC. C'est sur la signification du mot " environ " dans ce contexte que le litige porte. Même si l'on pouvait les interpréter comme étant revêtus d'une espèce d'autorité de la force jugée, les propos du juge Stone ne sont pas répudiés en l'espèce.

[25]      En ce qui concerne la question plus large de l'occasion qui a déjà été donnée à la demanderesse de faire trancher la question de la contrefaçon sur le fondement de la formulation en litige en l'espèce, il importe d'examiner la jurisprudence portant sur les différences entre une demande d'ordonnance d'interdiction présentée en vertu du Règlement sur les avis de conformité et une action en contrefaçon de brevet. La Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada ont déclaré dans les termes les plus nets que la décision portant sur la question de savoir si un avis d'allégation est justifié ou non est entièrement différente d'une conclusion de contrefaçon ou d'invalidité dans le cadre d'une action en brevet. Ainsi, dans l'arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1994), 55 C.P.R. (3d) 302, à la page 320, la Cour d'appel fédérale a déclaré :

     Cette procédure est après tout engagée par le breveté pour demander une interdiction contre le ministre ; puisqu'elle revêt la forme d'un recours sommaire en contrôle judiciaire, il est impossible de concevoir qu'elle puisse donner lieu à une demande reconventionnelle de la part de l'intimé en vue de pareil jugement déclaratoire. L'invalidité de brevet, tout comme la contrefaçon de brevet, n'est pas une question relevant d'une procédure de ce genre. La seule explication est, à mon avis, que le rédacteur avait à l'esprit la possibilité de procédures parallèles intentées par la seconde personne et qui donneraient lieu à pareil jugement déclaratoire, exécutoire pour les parties.         
     [Non souligné dans l'original.]

[26]      Dans l'arrêt Pharmacia Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1994), 58 C.P.R. (3d) 209, à la page 217, la Cour d'appel fédérale a déclaré, sous la plume du juge Strayer :

     Soulignons qu'aucune des dispositions du Règlement ne crée ni n'abolit les droits d'action des parties ; elles confèrent plutôt au breveté le droit de présenter une demande d'interdiction contre le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social. Le Règlement ressortit donc au droit public et ne vise pas les droits d'action privés [...] Si, en prenant ce règlement, le gouverneur en conseil avait eu l'intention de prévoir le prononcé d'une décision définitive sur la validité et la contrefaçon d'un brevet, qui lierait toutes les parties privées et empêcherait tout litige ultérieur visant les mêmes question, il l'aurait sûrement exprimé. Le tribunal n'est pas disposé à accepter l'hypothèse voulant que les brevetés et les sociétés génériques soient forcés de faire valoir leur droits privés uniquement au moyen de la procédure sommaire de demande de contrôle judiciaire. Étant donné que le Règlement dispose que les questions qui peuvent être tranchées à cette étape seront examinées dans le cadre d'une telle procédure, il est donc assez clair que ces questions sont obligatoirement de nature limitée ou préliminaire. Si l'instruction complète des questions de validité et de contrefaçon est nécessaire, on peut procéder de la façon habituelle en intentant une action.         
    
     [Non souligné dans l'original.]

La Cour suprême a récemment souscrit à ce raisonnement dans l'arrêt Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, aux pages 184 et 185.

[27]      L'avocat des défenderesses affirme que les propos tenus dans ces décisions ne sont que des remarques incidentes, étant donné que ces affaires ne portaient pas directement sur une situation dans laquelle une question avait été débattue dans une instance pour être ensuite soulevée de nouveau dans une autre. Il soutient qu'il existe de bonnes raisons de principe pour empêcher à une telle situation de se produire : elle constitue un gaspillage de temps et de ressources, notamment de ressources judiciaires, et elle risque de donner lieu au prononcé de décisions contradictoires par des juges différents sur les mêmes faits.

[28]      L'avocat de la demanderesse soutient pour sa part qu'il existe de bonnes raisons qui expliquent pourquoi les deux instances ont été considérées comme des procès distincts et indépendants. Ainsi, l'avis d'allégation ne constitue pas un acte de procédure, de sorte qu'on ne peut le modifier une fois qu'il a été déposé, même si l'on découvre des faits nouveaux ou des éléments concernant l'état antérieur de la technique qui se rapportent à l'affaire7. En outre, les parties n'ont pas la possibilité de bénéficier d'une enquête préalable ou d'exiger la production d'un document. Il est vrai qu'une demande peut être transformée en action et que des témoignages peuvent alors être entendus, mais cette situation ne peut se produire qu'avec l'autorisation de la Cour.

[29]      Si j'ai bien compris la jurisprudence, une des raisons pour lesquelles la Cour d'appel fédérale a jugé que les deux instances sont séparées et distinctes est qu'une demande d'interdiction présentée en vertu du Règlement constitue une procédure sommaire. De plus, la question en litige dans les deux instances est différente sur le bien-fondé de l'allégation faite au ministre qui fait l'objet de l'instance, et que, dans l'autre cas, elle concerne les droits privés des parties. Je ne considère pas les propos qui ont été tenus dans les décisions précitées comme de simples remarques incidentes, et je constate que la loi ne respecte pas toujours le principe interdisant les doubles instances. En effet, dans bien des cas, la tenue d'un nouveau procès ou d'une nouvelle audition est permise. C'est également le cas lorsqu'une procédure décisionnelle administrative et un litige entre particuliers portent sur la même situation factuelle de base sans que la décision rendue dans le premier cas empêche le prononcé d'une décision distincte dans le second.

[30]      Qui plus est, en l'espèce, aucune juridiction ne s'est encore prononcée sur la question de savoir si la formulation d'Apotex contrefait le brevet 671. La Cour n'a examiné aucun élément de preuve concernant la formulation d'Apotex dans le dossier T-1898-93. Ainsi que je l'ai déjà souligné, dans cette affaire, le débat tournait autour d'un engagement que l'avocat cherchait à transformer en articulation de faits portant sur le contenu de la formulation. Certes, des éléments de preuve relatifs à la formulation d'Apotex ont été soumis à la Cour dans le dossier T-998-96, mais aucune décision n'a jamais été rendue sur le fond. La validité du brevet n'a jamais été examinée.

[31]      Compte tenu de ce qui précède, je ne puis accepter l'argument des défenderesses suivant lequel la question de l'absence de contrefaçon est chose jugée.

La preuve

[32]      Avant de passer à l'examen du fond de l'affaire, je tiens à formuler quelques remarques au sujet de la preuve. Comme c'est habituellement le cas dans ce genre d'affaire, la Cour a entendu des témoins experts qui ont soutenu des thèses diamétralement opposées en ce qui concerne les conclusions qui devraient être tirées de la preuve. La demanderesse a fait entendre les docteurs Langer et Robinson. La défenderesse a convoqué le docteur Banker. Ce sont ces témoignages que, avec la déposition du président-directeur général d'Apotex, le docteur Sherman, la Cour doit évaluer. Je n'ai pas l'intention de citer tous les témoignages. Je me contenterai d'exposer plus loin les conclusions auxquelles j'en arrive d'après les témoignages que j'ai trouvés les plus crédibles, fiables et pertinents. J'ai tenu compte d'éléments de preuve que je ne mentionne pas expressément. Je tiens toutefois à formuler une observation d'ordre général. Il est difficile pour les témoins experts de demeurer objectifs. Certains semblent y arriver plus facilement que d'autres. Je dois souligner que, parmi les témoins experts qui ont été entendus en l'espèce, c'est le docteur Banker qui a eu le plus de mal à adopter un point de vue objectif. Il évitait souvent de répondre aux questions qui lui étaient posées en se lançant dans de longues tirades sans répondre directement aux questions qui lui étaient adressées. Son témoignage est moins crédible que celui des autres experts.

Interprétation du brevet

     (1) Invention décrite dans le brevet

[33]      Voici le texte du résumé de l'invention que l'on trouve dans le brevet :

     [TRADUCTION]         
         La présente invention concerne un comprimé à libération progressive d'environ 500-1200 mg de naproxène ou de naproxène sodique administré par voie orale une fois par jour, lequel comprimé est composé d'une matrice homogène comprenant :         
         environ 4-9 % en poids d'hydroxypropylméthylcellulose ayant un poids moléculaire numérique moyen qui varie entre 80 000 et environ 130 000,         
         environ 81-96 % en poids de naproxène ou de naproxène sodique,
         0,1 à environ 2 % en poids d'un agent lubrifiant acceptable en pharmacie, et
         0 à environ 8 % en poids d'autres excipients acceptables en pharmacie.
     [Non souligné dans l'original.]

[34]      Le brevet précise que les inventeurs ont mis au point un nouveau comprimé de naproxène et de naproxène sodique à libération prolongée pour administration par voie orale qui assure le maintien de concentrations plasmatiques thérapeutiques du médicament pendant au moins 24 heures et ne demande qu"une faible quantité (de quatre à neuf pour cent en masse) d'HPMC, ce qui permet d"obtenir un comprimé sous forme posologique de naproxène ou de naproxène sodique à dose quotidienne unique dont le volume n"est pas excessif8.

     (2) Règles de droit applicables

[35]      Les règles de droit applicables ne sont pas contestées9. L'interprétation des brevets est une question qui relève du tribunal, qui examine le brevet en fonction du technicien versé dans l'art auquel le brevet se rapporte. Pour ce faire, le tribunal peut avoir besoin d'éléments de preuve au sujet du sens des termes techniques et de l'état des connaissances générales communes aux techniciens versés dans l'art concerné. L'interprétation du brevet se fait avant l'examen de sa validité ou de sa contrefaçon et le mémoire descriptif doit être interprété comme un tout. Le tribunal doit essayer de donner une interprétation téléologique aux réclamations " sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public10 ". Le point de départ en matière d'interprétation de brevets, ce sont les revendications, étant donné qu'elles définissent le monopole qui a été accordé au breveté.

[36]      Il y a deux extraits de décisions qui, à mon avis, sont particulièrement utiles pour interpréter le brevet qui est présentement soumis à la Cour. Le premier est tiré du jugement rendu par le juge Pratte dans l'arrêt Eli Lilly & Co. c. O'Hara Manufacturing Ltd., (1989), 26 C.P.R. (3d) 1, à la page 7 (C.A.F.) :

     [...] Le tribunal doit interpréter les revendications ; il ne peut les récrire. Lorsqu'un inventeur a clairement déclaré dans les revendications qu'il tenait un élément pour essentiel à son invention, le tribunal ne saurait en décider autrement pour la seule raison qu'il se trompait.         

[37]      L'autre extrait est tiré du jugement rendu par notre Cour dans l'affaire Catnic Components Ltd. c. Hill & Smith Ltd., (1980), 7 F.S.R. 60, aux pages 65 et 66, lequel jugement a été cité et approuvé dans l'arrêt Beecham Can. Ltd. c. Procter & Gamble Co., (1982), 61 C.P.R. (2d) 1, à la page 10 (C.A.F.) :

     La question qui se pose dans chaque cas est de savoir si des personnes ayant des connaissances et une expérience pratiques dans le domaine dans lequel l'invention est censée être employée, concluraient que le breveté a voulu poser comme exigence fondamentale qu'on suive à la lettre telle phrase ou tel mot descriptifs figurant dans une revendication [...] [Non souligné dans l'original.]         

     (3) Le technicien versé dans son art

[38]      Les revendications doivent être interprétées du point de vue du technicien moyen versé dans l'art auquel le brevet se rapporte. Le technicien versé dans son art a été défini comme le spécialiste adroit à qui le mémoire descriptif est censé s'adresser :

     [TRADUCTION]         
     Car c'est en fonction du spécialiste " de la personne passablement versée dans l'art ou la technique en cause " à qui le mémoire descriptif est censé s'adresser, et en fonction de la norme des connaissances générales courantes que possède cette personne qu'on détermine si l'invention est évidente ou non11.         

[39]      Je fais également miens les propos tenus par M. John Bochnovic dans son article " Invention/Inventive Step/Obviousness " publié dans G.F. Henderson, éd., Patent Law of Canada (1944), aux pages 47 et 48 :

     [TRADUCTION]         
     Il importe également de ne pas sous-estimer l'habileté du technicien de métier sans imagination qui est devenu le point de référence de la norme appliquée de nos jours au Canada. Il convient d'adapter cette notion artificielle à la technologie et au contexte de chaque brevet et de chaque cas. De nos jours, il est plus probable que ce technicien soit un scientifique ou un ingénieur, surtout lorsqu'il s'agit d'une technologie de pointe. L'idée que le technicien de métier doit être dépourvu d'imagination ne devrait pas empêcher ce technicien de faire des recherches raisonnables et logiques.         

[40]      Le " technicien versé dans l'art " du brevet 671 devrait posséder entre trois et cinq ans d'expérience dans le domaine pharmaceutique en tant que fabricant de médicaments et être titulaire d'un diplôme de premier cycle en sciences. La plupart des gens qui travaillent dans le domaine possèdent un baccalauréat en pharmacie, mais d'autres types de formation scientifique, tels qu'un baccalauréat en chimie, en génie chimique ou en biologie, satisferaient aux exigences en matière d'études universitaires.

     (4) Qu'est-ce qui est revendiqué ?

[41]      Je passe donc à la revendication 1. Toutes les autres revendications en dépendent. On y revendique un monopole sur ce qui suit :

         [TRADUCTION]         
         1. Un comprimé à libération progressive d'environ 500-1200 mg de naproxène ou de naproxène sodique administré par voie orale une fois par jour, lequel comprimé est composé d'une matrice homogène comprenant :         
             environ 4-9 % en poids d'hydroxypropylméthylcellulose ayant un poids moléculaire numérique moyen qui varie entre 80 000 et environ 130 000,         
             environ 81-96 % en poids de naproxène ou de naproxène sodique,         
             0,1 à environ 2 % en poids d'un agent lubrifiant acceptable en pharmacie, et         
             0 à environ 8 % en poids d'autres excipients acceptables en pharmacie.         

[42]      Les revendications semblent assez claires. Il y a toutefois deux aspects qui sont importants en l'espèce : le premier est le sens de l'expression " environ 4-9 % " de pourcentage pondéral pour ce qui est de l'HPMC ; le second est l'importance ou l'absence d'importance du poids moléculaire numérique moyen d'HPMC.

     a) " Environ "

[43]      Il ressort de l'emploi, dans le mémoire descriptif, du mot " environ " pour désigner le poids moléculaire numérique moyen ou le poids de naproxène, de naproxène sodique, d'un agent lubrifiant ou d'un autre excipient que ce poids peut être inférieur ou supérieur d'au plus 10 % par rapport à la valeur indiquée12. Le sens du mot " environ " n'est cependant pas précisé lorsqu'il est employé dans l'expression " environ 4-9 % en poids " d'HPMC. Les experts de la demanderesse se sont dits d'avis que, dans ce contexte, le mot devrait également être interprété comme signifiant " 10 %, ce qui engloberait une échelle de pourcentage pondéral de 3,6 à 9,9 dans le cas de l'HPMC. L'expert de la défenderesse, le docteur Banker, affirme que le terme " environ " vise une fourchette beaucoup plus large qui engloberait des pourcentages pondéraux aussi bas que trois. Par ailleurs, il interprète le mot " environ " comme ne s'appliquant qu'au premier chiffre de la fourchette, c'est-à-dire au chiffre 4, mais pas au chiffre 9.

[44]      Le caractère peu convaincant de l'avis formulé par le docteur Banker ressort à l'évidence de son raisonnement. Il affirme en effet qu'un technicien versé dans son art estimerait que le chiffre 4 englobe une fourchette de 3,5 à 4,5, c'est-à-dire la fourchette à laquelle le mot " environ " devrait s'appliquer. Il conclut ensuite que l'expression " environ 4 " englobe les valeurs 3 et 5. Or, la preuve ne permet pas de conclure qu'un technicien versé dans son art suivrait un tel raisonnement ou tirerait une telle conclusion. Qui plus est, il n'y a rien dans le brevet qui permette de penser que les nombres entiers ne sont pas censés être interprétés comme des nombres entiers. Lorsque le breveté a jugé nécessaire d'exprimer des valeurs numériques comportant des décimales, il l'a fait, notamment dans la revendication 1 pour décrire l'agent lubrifiant qui serait utilisé.

[45]      Suivant les dictionnaires, le mot " environ " s'apparente aux mots " à peu près " et " qui se rapproche de ". Faute de définition explicite contraire, c'est le sens courant du mot qui s'applique. Il s'ensuit que la variation ne saurait excéder un demi point de pourcentage. Dans le cas d'une fourchette de poids de pourcentage de 4-9 de l'HPMC, l'approximation permise par le mot " environ " ne saurait selon moi permettre un écart plus grand que 3,5 à 9,5. Un pourcentage inférieur à 3,5 ou supérieur à 9,5 ne " se rapproche " pas de 4 ou de 9, respectivement, mais de 3 et de 10. On se serait plutôt attendu à ce que le breveté indique que la fourchette permise d'environ 3 à 10 était plus proche de 3 que de 4, et de 10 que de 9.

[46]      L'avocat de la demanderesse soutient qu'il est possible que ce qu'on veut dire par " environ 4-9 % en poids pondéral ", c'est " quelque part à l'intérieur de la fourchette de 4 à 9 % ". Cet argument n'est pas dépourvu de fondement, mais je ne suis pas persuadée qu'on puisse le retenir, compte tenu du fait que le mot " environ " n'est pas employé dans le reste du brevet de la même manière qu'il l'est lorsqu'il s'agit de préciser une fourchette de valeurs numériques.

[47]      En ce qui concerne l'opinion voulant que le mot " environ " ne qualifie que le nombre inférieur de la fourchette, cette thèse repose sur les différentes formules que l'on trouve dans le brevet. Par exemple, pour préciser le pourcentage pondéral de l'HPMC, on emploie l'expression " environ 4-9 % en poids ", alors que, lorsqu'on précise le poids moléculaire numérique moyen, on recourt à l'expression " qui varie entre 80 000 et environ 130 000 ". Dans le premier cas, le mot " environ " ne qualifierait que le chiffre inférieur, tandis que, dans le dernier cas, le chiffre supérieur et le chiffre inférieur seraient visés. Je n'accepte pas cette distinction. Cette différence de termes ne s'explique que pas le recours à des moyens stylistiques différents pour exprimer la même pensée. Ainsi, alors que la revendication 1 précise que le poids moléculaire numérique moyen d'HPMC varie " entre 80 000 et environ 130 000 ", la revendication 3 précise que la fourchette visée se situe " environ entre 120 000 et 130 000 ". La revendication 4 précise de la manière suivante de la quantité de colorant : [TRADUCTION] " d'un pourcentage pondéral se situant entre zéro et un ", tandis que la revendication 6 parle d'" environ 0,01 et 0,05 en pourcentage pondéral ". À la page 10, ligne 35 du brevet, la quantité de naproxène ou de naproxène sodique à incorporer dans le comprimé est exprimée ainsi : [TRADUCTION] " entre environ 500 et environ 1 200 mg ", alors que dans la revendication 1, cette valeur est exprimée ainsi : [TRADUCTION] " environ 500-1200 mg ". Ces manières différentes de s'exprimer ne sont pas censées donner lieu à des sens différents.

     b) Le poids moléculaire numérique moyen est-il un élément essentiel ?

[48]      Les défenderesses soutiennent que le passage de la revendication 1 où il est précisé que l'HPMC a " un poids moléculaire numérique moyen qui varie entre 80 000 et environ 130 000 " constitue un élément non essentiel de la revendication. Elles affirment d'ailleurs que le seul élément qui est nécessaire pour arriver au résultat fonctionnel découlant de l'invention est le passage suivant que l'on trouve aux quatre premières lignes :

     [TRADUCTION]
     1. Un comprimé à libération progressive d'environ 500-1200 mg de naproxène ou de naproxène sodique administré par voie orale une fois par jour, lequel comprimé est composé d'une matrice homogène comprenant :         
     environ 4-9 % en poids d'hydroxypropylméthylcellulose [...]

[49]      Une lecture directe de la revendication 1, du texte de toutes les autres revendications et de la partie descriptive de la spécification (la divulgation) ne corrobore pas cette conclusion. Par exemple, les revendications 11 et 20 concernent des intervalles de poids moléculaires spécifiques et n'auraient aucun sens si le titulaire du brevet considérait que le poids moléculaire moyen numérique constituait une partie non essentielle des revendications :

     [TRADUCTION]
     11.      Un comprimé à libération contrôlée de la revendication 1 où l'hydroxypropylméthylcellulose a un poids moléculaire moyen numérique d'environ 120 000 - 130 00013.         

     [...]

     20.      Un comprimé à libération contrôlée de la revendication 1 où l'hydroxypropylméthylcellulose a un poids moléculaire moyen numérique d'environ 85 000 - 95 00014.         

[50]      Dans la partie descriptive du mémoire descriptif, à la 11, ligne 30, voici ce que déclare le breveté :

     [TRADUCTION]         
         L'hydroxypropylméthylcellulose doit avoir un poids moléculaire moyen numérique se situant entre 80 000 et 130 000 environ [...] [Non souligné dans l'original.]         

[51]      L'expert de la défenderesse, le docteur Banker, fait remarquer qu'il est bien précisé dans l'exposé de l'invention que le titulaire du brevet entend revendiquer une fourchette beaucoup plus large que 80 000 à 130 000. Suivant l'interprétation du docteur Banker, le brevet revendique une formulation préconisée se situant entre 80 000 et 130 000. Selon lui, les revendications, particulièrement la revendication 1, ne sont pas définies en fonction de cette fourchette. Voici le texte de l'exposé sur lequel il se fonde :

     [TRADUCTION]         
         L'hydroxypropylméthylcellulose utilisée dans la présente invention est un éther de cellulose hydrosoluble, offert sur le marché en différentes qualités sous les noms de commerce mentionnés plus haut dans L'HISTORIQUE DE L'INVENTION. Les propriétés physico-chimiques de ces polymères varient grandement. Les formulations préconisées de l'invention utilisent des polymères de première qualité, de viscosité unique et dont le poids moyen numérique moléculaire se situe entre 80 000 et 130 000.         
             
         Le poids moyen numérique moléculaire de l'hydroxypropylméthylcellulose utilisée pour préparer les comprimés influence sérieusement le profil de libération du produit. Le poids moyen numérique moléculaire (mn) est la somme des poids moléculaires individuels d'un échantillon représentatif de population de molécules divisée par le nombre de molécules dans l'échantillon et calculé à partir de la pression osmotique limite du solvant lorsque la concentration d'hydroxypropylméthylcellulose approche zéro. L'hydroxypropylméthylcellulose doit posséder un poids moyen numérique moléculaire de l'ordre de 80 000 à 130 000 environ, préférablement de 120 000 à 130 000 environ; quand le polymère a un poids moyen numérique moléculaire de 120 000 à 130 000 environ, il forme idéalement environ 4 à 6 % du poids d'un comprimé de naproxène à libération prolongée ou environ 6 à 8 % du poids d'un comprimé de naproxène sodique à libération prolongée. L'autre gamme préconisée pondéraux moyen numérique moléculaire se situe de 85 000 à 95 000 environ. Quand le polymère a un poids moyen numérique moléculaire de cet ordre, il constitue idéalement environ 7 à 9 % du poids d'un comprimé de naproxène ou de naproxène sodique à libération prolongée. [Non souligné dans l'original].         

[52]      Quand un brevet est rédigé en anglais, on est en droit de pouvoir en faire la lecture en se basant sur les règles habituelles de la composition anglaise. En lisant les premières phrases des deux premiers paragraphes ci-dessus, on s'attend à ce que le premier paragraphe porte sur les différentes " qualités " de HPMC et que le second paragraphe concerne le " poids moyen numérique moléculaire " de l'HPMC. C'est ainsi qu'une lecture raisonnable des paragraphes donne à penser que la formulation préconisée à laquelle le premier paragraphe fait allusion est celle dans laquelle l'HPMC est de " première qualité . . . de viscosité unique ". Le second paragraphe poursuit la description de la formulation préconisée en faisant référence à la gamme de poids moyen numérique moléculaire à choisir pour l'HPMC (120 000 à 130 000 et 85 000 à 95 000). Ces fourchettes de poids moyen numérique moléculaire correspondent aux deux formes de HPMC que l'on trouve dans le commerce, vendues par Dow Chemical Co. (Methocel K4M Premium et Methocel K15M Premium). Le libellé de la spécification n'indique pas que la fourchette exigée de poids moyen numérique moléculaire de 80 000 à 130 000 (qui peut fluctuer de " 10 %, soit de 72 000 à 143 000) est une formulation préconisée. Tel que libellé, le texte de la revendication 1 laisse plutôt entendre que l'HPMC doit avoir un poids moyen numérique moléculaire entre 80 000 et 130 000 (" 10 %).

[53]      La gamme de poids moléculaires de HPMC offerte au moment visé par la présente affaire (1er janvier 1983) débordait la fourchette des 72 000 à 143 000. Le brevet même en fait état à la page 2    :

     [TRADUCTION]         
     L'hydroxypropylméthylcellulose est offerte sur le marché en différentes qualités, sous de nombreuses appellations commerciales... Les appellations commerciales des différentes formes d'hydroxypropylméthylcellulose font référence à leur viscosité propre... Les viscosités varient de 15 à 30 000 cps (ou cP, centipoises) et représentent un poids moyen numérique moléculaire qui fluctue de 10 000 à plus de 150 000 environ. Chaque qualité d'hydroxypropylméthylcellulose désignée sous un nom commercial donné fait allusion à un seul type de viscosité, p. ex. 50 cps, 100 cps, 4 000 cps, 15 000 cps etc. [Non souligné dans l'original].         

[54]      Un manuel de Dow Chemical Co. de 1974 mentionne un produit Methocel K ayant une viscosité de 19 000 et un poids moyen numérique moléculaire de 144 000 (calculé conformément aux instructions du manuel à partir d'un tableau établi pour un autre produit, Methocel A). En 1982, Dow annonçait six qualités de HPMC, l'une portant l'appellation XD-30018.00 (K-100 M Premium) et possédant une viscosité de 100 000 cps.

[55]      Il existe une relation entre le poids moyen numérique moléculaire et la viscosité, de telle sorte que la viscosité augmente en fonction de ce poids. La viscosité de l'HPMC est importante pour son rôle dans la prolongation de l'effet des préparations pharmaceutiques, car l'HPMC, au moment de l'ingestion, enrobe le comprimé d'un pseudo-gel. Plus grande est la viscosité (laquelle, on l'a vu, est fonction du poids moyen numérique moléculaire), moins grande est la quantité de HPMC nécessaire pour obtenir une prolongation de l'effet.

[56]      Le docteur Banker laisse entendre que le produit maintenant sous le nom de commerce Methocel K100M n'a pas pas été inclus dans la revendication car, à l'époque visée par la présente affaire, il s'agissait d'un produit expérimental, identifié comme tel dans la brochure de Dow. Il fait aussi remarquer que les normes USP permettent une certaine fluctuation des différentes qualités de HPMC à l'intérieur d'une gamme de masse moléculaire, qualités qui peuvent continuer d'être classées dans la même catégorie. Il démontre que la détermination du poids moyen numérique moléculaire varie en fonction de la méthode utilisée et que, dans la distribution du poids des différents qualités, il existe des chevauchements.

[57]      Même si le produit K100M était expérimental en 1982, le témoin ne démontre pas que le produit n'était pas indiqué pour consommation humaine. Le témoin ne démontre pas non plus qu'on ait laissé le produit de côté parce qu'il n'était pas connu à l'époque. Le fait que la norme USP permette une certaine variabilité du poids moyen numérique moléculaire de l'HPMC désignée sous une appellation donnée ne signifie pas que le titulaire du brevet avait l'intention d'inclure toutes les qualités comme faisant partie de l'invention revendiquée. De plus, la variabilité permise par ces normes ne signifie pas que la personne qui se fie au brevet est exemptée du devoir de vérifier le poids moyen numérique moléculaire du produit qu'elle utilise, afin de savoir si ledit produit fait partie ou non du brevet. Le fait que différentes méthodes de mesure du poids moyen numérique moléculaire donnent des résultats qui diffèrent n'est pas pertinent dans la présente affaire, car le titulaire du brevet donne une description de la méthode utilisée (calculs à partir de mesure de pression osmotique), cette méthode est identique à celle que Dow utilise et c'est aussi la méthode sur laquelle se base le plaignant pour évaluer le poids moyen numérique moléculaire de l'HPMC qu'il utilise. Les chevauchements dans la distribution des poids moléculaires n'a pas plus d'intérêt dans la présente affaire, car on débat ici de poids moyens numériques moléculaires.

     c) Conclusion

[58]      En conclusion, l'invention revendiquée par le titulaire du brevet contient, à titre d'élément essentiel, l'exigence que l'HPMC possède un poids moyen numérique moléculaire de l'ordre de 80 000 à 130 000 (" 10 %) et que la limite inférieure de pourcentage de HPMC par rapport au poids du comprimé total soit de l'ordre de 4 % plutôt que de 3 % et que la limite supérieure soit plus près de 9 % que de 10 %. Bien que des comprimés contenant un produit de poids moyen numérique moléculaire plus élevé qui représente un pourcentage moins important de l'ensemble puissent être, sur le plan fonctionnel, équivalents à la revendication, le titulaire du brevet, pour une raison quelconque, a choisi de délimiter ainsi sa revendication. Interpréter la revendication 1 comme le veut le défendeur équivaut à réécrire la revendication.

Absence de contrefaçon

[59]      Dans sa revendication, Apotex décrit sa formule de comprimés de naproxène à libération prolongée comme contenant moins de 3,6 % (pp) de HPMC et utilisant une HPMC possédant un poids moyen numérique moléculaire supérieur à 143 000. Le 26 août 1997, Apotex, en réponse à l'ordonnance d'un tribunal, a donné plus de précisions sur la formulation de ses comprimés. La société a révélé que sa formulation contient 3,08 % (pp) de HPMC et que cette HPMC possède un poids moyen numérique moléculaire de 190 000. Pendant le procès, ce dernier chiffre a été corrigé ; l'HPMC qu'utilise Apotex possède un poids moyen numérique moléculaire de 245 000 à 250 000.

[60]      Apotex utilise le produit K100M de Dow. Le produit K100M apparaît dans l'USP comme possédant un poids moyen numérique moléculaire d'environ 220 000 à 270 000. Les experts du plaignant déterminent que le poids moyen numérique moléculaire du produit acheté par Apotek chez Dow est de 250 000. Apotex utilise 24 mg de K100M par 780 mg de comprimé de naproxène. Le pourcentage de l'un par rapport à l'autre est donc de 3,08 %.

[61]      Apotex a droit a un jugement déclarant que sa formulation ne contrefait pas le brevet 671.

Validité - Évidence

[62]      Pour qu'un brevet soit valide, l'invention revendiquée doit être nouvelle, utile et inventive. Il s'agit de trois caractéristiques bien distinctes. Le marché théorique qui est conclu entre le titulaire du brevet et l'État et qui conduit à la délivrance du brevet veut qu'en divulguant son invention, le titulaire du brevet contribue de façon significative à augmenter le fonds des connaissances humaines. Ainsi, si l'invention revendiquée n'est pas inventive, c'est-à-dire si elle était évidente compte tenu de l'état antérieur de la technique et des connaissances générales courantes du technicien versé dans son art à l'époque en cause, le brevet n'est pas valide15. Le critère qui permet de savoir si une invention brevetée manque d'ingéniosité ou d'inventivité est un critère auquel il est très difficile de satisfaire, étant donné qu'il suffit d'une " parcelle d'imagination "16 pour conclure à l'évidence de l'invention. Le critère est souvent formulé de la manière suivante : le technicien versé dans son art mais n'ayant pas la moindre imagination serait-il arrivé " directement et facilement à la solution que préconise le brevet ? "17. On commence par la présomption légale de validité découlant de l'article 43 actuel de la Loi sur les brevets, ainsi que la Cour d'appel l'a expliqué dans l'arrêt Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp., (1991), 35 C.P.R. (3d) 350, aux pages 357 à 359 (C.A.F.).

[63]      À l'époque en cause, on pouvait se procurer commercialement de l'HPMC de diverses qualités et de diverses sources, comme en fait foi le brevet. Ainsi que nous l'avons déjà signalé, une de ses sources était la Dow Chemical Company des États-Unis. En 1982, Dow a publié une brochure publicitaire intitulée [TRADUCTION] La fabrication de produits pharmaceutiques à libération prolongée avec METHOCEL. Il est fait mention de cette brochure dans la partie du brevet portant sur l'état antérieur de la technique. METHOCEL est le nom commercial sous lequel Dow a vendu et vend toujours plusieurs éthers de cellulose, dont l'HPMC fait partie. On trouve dans cette brochure, à la suite de l'avant-propos, un chapitre intitulé [TRADUCTION] " Pourquoi des produits pharmaceutiques à libération prolongée ? " On y retrouve les mêmes avantages que ceux décrits dans le brevet. La brochure poursuit sa description sous quatre grands titres    : Types de formulations orales à libération prolongée, Formulation contenant du Methocel, Autres facteurs et Bibliographie (citations d'articles scientifiques). Une des formulations orales décrites est le système matriciel. Il est intéressant de constater que le brevet, comme la brochure, décrit un aspect important de la fabrication des comprimés par cette méthode en des termes très semblables. La brochure se lit ainsi    :

     [TRADUCTION]
             
     On peut transformer la matrice en comprimés par compression directe, avec des granulés obtenus par compression ou par voie humide. Le facteur le plus important est que le produit METHOCEL soit dispersé uniformément dans toute la matrice pour obtenir une action prolongée uniforme. [Non souligné dans l'original].         

À la page 10 du brevet, les lignes 24 à 27 se lisent ainsi    :

     [TRADUCTION]
             
         Un aspect important de la présente invention est le fait que l'hydroxypropylméthylcellulose doit être uniformément dispersée dans toute la matrice pour obtenir une libération uniforme du médicament. La matrice peut être fabriquée à l'aide de toute technique pharmaceutique valide permettant d'obtenir un mélange uniforme, y compris le mélange à sec, la granulation conventionnelle par voie humide, la granulation par compression... [Non souligné dans l'original].         

[64]      Cependant, la caractéristique importante de la brochure, en ce qui concerne la présente discussion, est qu'elle décrit le mécanisme par lequel est obtenue la libération prolongée à l'aide de l'hydroxypropylméthylcellulose (HPMC) et qu'elle apprend au lecteur comment fabriquer des comprimés à libération prolongée à l'aide d'une matrice d'HPMC. Elle indique comment utiliser diverses concentrations ou degrés de viscosité selon la vitesse de dissolution désirée pour un médicament. Elle montre que le fait de varier la quantité d'HPMC modifie la vitesse de libération du médicament. Elle montre que le fait de varier le poids moléculaire moyen numérique (et par conséquent la viscosité) de l'HPMC détermine la vitesse de libération du médicament (des exemples sont donnés aux pages 5, 8 et 10 de la brochure). À l'époque, l'HPMC était l'une des substances les plus populaires et les plus utilisées pour contrôler la libération des ingrédients actifs dans les préparations en comprimés.

[65]      De plus, il y avait à l'époque une grande quantité de renseignements disponibles sur le naproxène. Un article écrit en 1972 par Runkel, Kraft, Boost et coll., intitulé Naproxen Oral Absorption Characteristics18, a été déposé en preuve. Un article écrit en 1979 par Brogden, Heel, Speight et Avery, intitulé Naproxen up to Date: A Review of its Pharmacological Properties and Therapeutic Efficacy and Use in Rheumatic Diseases and Pain States19, a été déposé en preuve. Ces articles décrivent, entre autres paramètres, la demi-vie du naproxène. Dans l'article de Runkel et coll., on peut lire que le médicament a une demi-vie plasmatique d'environ 14 heures. Dans l'article de Brogden et coll., on peut lire que " la demi-vie de 12 à 15 heures du naproxène permet une administration biquotidienne, peut-être même uniquotidienne. ". Les propriétés pharmacocinétiques et physico-chimiques du naproxène étaient bien connues.

[66]      Le docteur Langer et le docteur Robinson ont décrit le type d'expériences qu'un fabricant de médicaments est amené à effectuer régulièrement. Le Dr Robinson a expliqué qu'un fabricant compétent qui voudrait mettre au point un comprimé à libération prolongée commencerait habituellement par utiliser 10 pour cent du polymère choisi pour la préparation envisagée et ajusterait ensuite le pourcentage en masse ou le degré de pureté du polymère (le poids moléculaire moyen numérique étant lié à la viscosité) afin d'obtenir la formulation désirée.

[67]      L'avocat des défenderesses se réfère à la déclaration contenue dans le brevet selon laquelle les résultats obtenus in vitro ne reflètent pas nécessairement ceux qu'on observera in vivo. Le témoignage du docteur Langer est plus persuasif. Il fait remarquer que, bien qu'il soit vrai qu'on ne puisse prédire exactement les résultats qui seront obtenus in vivo, un fabricant connaissant les propriétés de l'HPMC et la pharmacologie du naproxène aurait une assez bonne idée de ce à quoi on peut s'attendre.

[68]      L'opinion du docteur Banker est que l'état de la technologie incite à ne pas utiliser l'HPMC avec le naproxène parce qu'une dose quotidienne du médicament est de 750 mg et que la brochure de 1982 de Dow suggère au fabricant de commencer par 10 % de polymère pour établir la quantité de Methocel à utiliser. Il déclare que la grosseur du comprimé qui résulterait de l'ajout de 10 % de Methocel aux 750 mg de médicament (pour un total de 825 mg) inciterait le fabricant à ne pas essayer cette association. Le brevet décrit la quantité d'HPMC utilisée comme étant " étonnamment faible ". Le docteur Banker a fait état des pratiques habituelles dans l'industrie en ce qui concerne la décision d'entreprendre ou non la mise au point de différentes préparations. Le texte de la brochure de Dow qui, selon ce qui est allégué, incite à ne pas utiliser l'HPMC pour fabriquer une préparation de naproxène à dose uniquotidienne se lit comme suit :

     [TRADUCTION]         
     Il est suggéré de commencer avec 10 % de METHOCEL K15M Premium pour les médicaments solubles et insolubles. Ensuite, une dissolution plus lente peut être obtenue par la modification (augmentation) de la proportion de METHOCEL ou l'utilisation d'un produit de plus haut poids moléculaire tel l'Experimental Polymer XD-30018.00 (K100 M Premium).         

[69]      Le témoignage que le docteur Banker a donné au sujet de la pratique suivie au sein de l'industrie pharmaceutique est général et spéculatif. Il manque d'éléments de preuve précis concernant les circonstances dans lesquelles la formulation revendiquée dans le brevet a été élaborée. Aucun représentant de la défenderesse n'a été cité comme témoin. Les inventeurs n'ont pas été appelés à la barre. À mon sens, la preuve ne permet nullement de savoir pourquoi un fabricant n'aurait pas utilisé de l'HPMC pour mettre au point la formulation en question. Il ressort de la documentation qu'une posologie d'un comprimé par jour était dans certains cas efficace même sans libération prolongée. De plus, je ne puis conclure que la brochure de Dow invite à utiliser moins de 10 %. Elle suggère simplement le chiffre de 10 % comme point de départ. La preuve ne permet pas de penser qu'il y aurait eu un manque de motivation à utiliser l'HPMC en combinaison avec le naproxène pour obtenir une forme posologique à libération prolongée en raison du volume du comprimé ainsi obtenu. Elle établit cependant que le volume est toujours un facteur qui entre en ligne de compte dans le cas d'un comprimé ou d'une capsule parce que le produit doit être avalé.

[70]      Les éléments de preuve tendant à démontrer qu'il existait sur le marché à l'époque peu de produits pharmaceutiques à libération prolongée à base matricielle n'ont pas beaucoup de poids. L'ensemble des éléments concernant l'état antérieur de la technique se rapportent à la question de l'évidence, pas seulement la question de savoir quels produits ont effectivement été lancés sur le marché.

[71]      Je conclus que, d'après l'état antérieur de la technique et des connaissances courantes existantes à l'époque, le technicien versé dans son art en serait arrivé directement et facilement à la formulation revendiquée dans le brevet 671. La formulation ne comportait aucune activité inventive. Le brevet est par conséquent invalide.

Revendications relatives au naproxène sodique

[72]      Il y a lieu d'aborder un dernier aspect. Les défenderesses soutiennent que, même si les revendications du brevet qui se rapportent au naproxène sont invalides, celles qui revendiquent une invention portant sur le naproxène sodique demeurent valides.

[73]      L'avocat des défendeurs cite l'article 58 de la Loi sur les brevets :

58. When, in any action or proceeding respecting a brevet that contains two or more claims, one or more of those claims is or are held to be valid but another or others is or are held to be invalid or void, effect shall be given to the brevet as if it contained only the valid claim or claims.

58. Lorsque, dans une action ou procédure relative à un brevet qui renferme deux ou plusieurs revendications, une ou plusieurs de ces revendications sont tenues pour valides, mais qu'une autre ou d'autres sont tenues pour invalides ou nulles, il est donné effet au brevet tout comme s'il ne renfermait que la ou les revendications valides.

[74]      Voici le texte de la revendication 25 du brevet :

     [TRADUCTION]         
     Le comprimé à libération prolongée de la revendication 1 qui contient du naproxène sodique.         

[75]      En l'espèce, les revendications ne se rapportent qu'à une seule invention. Elles sont intrinsèquement liées ; elles ne peuvent être scindées pour ce qui est de la conclusion d'évidence susmentionnée. On ne m'a pas persuadé que l'article 58 s'appliquait à la présente affaire.

Dispositif

[76]      Par ces motifs, la demanderesse a droit à un jugement déclarant que le brevet 671 est invalide et qu'en tout état de cause, la formulation d'Apotex qui est contestée en l'espèce ne contreferait pas ce brevet.

    

                                                 Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 23 avril 1999.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-2870-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      APOTEX INC. c. SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED

    

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      du 6 au 9 et du 12 au 16 avril 1999

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Reed le 23 avril 1999

ONT COMPARU :

Mes Harry Radomski                              pour la demanderesse
et David Scrimger                              (défenderesse reconventionnelle)
Mes Gunars Gaikis, J. Sheldon Hamilton          pour les défenderesses
et Shonagh McVean                              (demanderesses reconventionnelles)

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodman, Phillips & Vineberg                      pour la demanderesse
Toronto (Ontario)                                  (défenderesse reconventionnelle)
Smart & Biggar                                   pour les défenderesses
Toronto (Ontario)                                  (demanderesses reconventionnelles)
__________________

1      DORS/93-133, promulgué le 12 mars 1993.

2      Voir, par exemple, le jugement Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (dossier T-1502-96, 18 décembre 1998).

3      Les deux compagnies avaient alors fusionné.

4      Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1996), 70 C.P.R. (3d) 1.

5      AB Hassle c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, (1997), 71 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.).

6      Idem, aux pages 138 et 139, citant l'arrêt Pharmacia Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1994), 58 C.P.R. (3d) 204, à la page 209 (C.A.F.).

7      L'avocat cite le jugement Bayer AG c. Apotex Inc. , (1998), 84 C.P.R. (3d) 23 (C.F. 1re inst.), pour illustrer cette situation.

8      Voici le texte exact du brevet :
[TRADUCTION]
La présente invention vise une nouvelle préparation à libération contrôlée de naproxène et de naproxène sodique pour administration par voie orale qui assure le maintien de concentrations plasmatiques thérapeutiques du médicament pendant au moins 24 heures et ne demande qu"une quantité étonnamment faible, de 4 à 9 pour cent en masse, d"hydroxypropylméthylcellulose. La faible proportion de substance matricielle requise par la présente invention permet d"obtenir une préparation de naproxène ou de naproxène sodique à dose quotidienne unique dans un volume qui n"est pas excessif et dont le poids et la taille sont pratiques et acceptables pour l"administration aux patients.

9      On en trouve un résumé utile dans l'ouvrage de W.L.Hayhurst, " The Art of Claiming and Reading a Claim " ", G.F. Henderson, .éd., Patent Law of Canada (1994), aux pages 186 à 199.

10      Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., (1981), 56 C.P.R. (2d) 145, [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 157 du recueil C.P.R. [à la page 520 du recueil R.C.S.] (C.S.C.).

11      General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre and Rubber Co., [1972] R.P.C. 457, à la page 482 (C.A.).
On trouve une description éloquente de cette notion dans le jugement rendu par le juge Hugessen dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy, (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 294.

12      Voici le texte exact du brevet :
[TRADUCTION]
     Tel qu"il est utilisé ici, le mot " environ ", employé en rapport avec le poids moléculaire moyen numérique, indique que le poids moléculaire moyen numérique effectif peut être inférieur ou supérieur d'au plus 10 % par rapport à la valeur indiquée.
     Tel qu"il est utilisé ici, le terme " environ ", employé en rapport avec la quantité de naproxène, de naproxène sodique, de lubrifiant ou d"autres excipients acceptables sur le plan pharmaceutique incorporée dans chaque comprimé, a pour but d"indiquer que la quantité effective de l"ingrédient en question peut être supérieure ou inférieure d'au plus 10 % par rapport à la quantité indiquée.

13      Voici le texte de la revendication 12, qui en dépend :
12.Le comprimé à libération contrôlée de la revendication 11 qui contient :
environ 5 pour cent en masse d"hydroxypropylméthylcellulose,
environ 85 à 96 pour cent en masse de naproxène ou de naproxène sodique,
de 0,1 à environ 2 pour cent en masse de lubrifiant et
de 0 à environ 8 pour cent en masse d"autres excipients acceptables sur le plan pharmaceutique.

14      La revindication 21, qui en dépend, est ainsi libellée :
21.Le comprimé à libération controlée de la revindication 20 qui contient :
environ 7 à 9 pour cent en masse d"hydroxypropylméthylcellulose,
environ 81 à 93 pour cent en masse de naproxène ou de naproxène sodique,
de 0,1 à environ 2 pour cent en masse de lubrifiant et      suite...
... suite
de 0 à environ 8 pour cent en masse d"autres excipients acceptables sur le plan pharmaceutique.

15      B eecham Canada Ltd. c. Proctor & Gamble Co., (1982) 61 C.P.R. (2d) 1, aux pages 27 et 28 (C.A.F.) et Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy, (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 294 (C.A.F.).

16      Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350, à la page 366 (C.A.F.).

17      Idem, voir également l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy, (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 294 (C.A.F.).

18      (1972) 7 Chem. Pharm. Bull. 1457.

19      Evaluations on New Drugs (ADIS Press Australasia Pty Ltd., 1979).

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