Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190529


Dossier : T‑101‑19

Référence : 2019 CF 757

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

St. John’s (Terre-Neuve‑et‑Labrador), le 29 mai 2019

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

NORM MURRAY et LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Dans un avis de demande daté du 11 janvier 2019, le procureur général du Canada (le procureur général) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de M. Ronald Sydney Williams, siégeant en qualité de tribunal (le Tribunal), conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne (LRC, 1985, c H‑6) (la Loi). Dans cette décision, prononcée le 29 novembre 2018, le Tribunal a ordonné que les renvois à l’article 7 de la Loi soient radiés des paragraphes 1 et 28 de l’exposé des précisions de M. Norm Murray (le défendeur). Le Tribunal a également rejeté la demande de précisions présentée par la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés pour le motif qu’elle était prématurée.

[2]  Dans un avis de requête écrite, en date du 11 mars 2019, le défendeur sollicite une ordonnance portant radiation de la demande de contrôle judiciaire au motif que le contrôle d’une décision interlocutoire est prématuré et n’a aucune chance de succès.

[3]  La deuxième partie défenderesse, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), consent à la réparation recherchée par le défendeur, tel que l’indique sa lettre datée du 19 mars 2019.

[4]  Dans un deuxième avis de requête écrite, en date du 28 mars 2019, le procureur général sollicite une ordonnance portant prorogation du délai pour le dépôt de sa demande de contrôle judiciaire. Cet avis de requête est appuyé par un affidavit souscrit par M. George Vuicic, l’avocat chargé de ce dossier pour le compte du procureur général.

[5]  Dans son affidavit, M. Vuicic déclare qu’il a mal calculé le délai accordé pour présenter la demande de contrôle judiciaire, et qu’il a cru à tort que les vacances judiciaires de Noël, définies dans les Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) (les Règles), ne comptaient pas dans le calcul de la période de trente jours prévue au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales (LRC, 1985, c F‑7) pour présenter une demande de contrôle judiciaire.

[6]  Dans une lettre datée du 4 avril 2019, le défendeur soutient relativement au deuxième avis de requête que la décision relative à cette requête déterminera l’issue de la requête en radiation.

[7]  Je vais d’abord examiner la requête en prorogation de délai.

[8]  Le critère applicable en matière de prorogation de délai est exposé de la façon suivante dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Larkman (2012), 433 NR 184 (C.A.F.) :

[…] les questions suivantes sont pertinentes lorsqu’il s’agit pour notre Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour se prononcer sur une demande de prorogation de délai :

a)  Le requérant a‑t‑il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

b)  La demande a‑t‑elle un certain fondement?

c)  La Couronne a‑t‑elle subi un préjudice en raison du retard?

d)  Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

[9]  Je suis convaincue que le procureur général a respecté ce critère. Je note que le greffe a accepté la demande de dépôt le 11 janvier 2019, sans signaler la présence d’irrégularités.

[10]  La demande de contrôle judiciaire déposée et présentée est en état, nunc pro tunc.

[11]  J’examine maintenant la requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire présentée par le défendeur.

[12]  De façon générale, le pouvoir de la Cour de radier une demande de contrôle judiciaire est exceptionnel et ne doit être exercé que dans des circonstances très rares; voir l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c Pharmacia Inc. et al.(1994), 58 CPR (3d) 209 (C.A.F.).

[13]  Le contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire est également rare; voir l’arrêt Canada (Agence des services frontaliers du Canada) c C.B. Powell Limited, [2011] 2 RCF 332 (C.A.F.).

[14]  Il existe une différence entre solliciter la radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire en raison de son caractère prématuré et faire une telle demande au motif qu’il existe un autre recours.

[15]  À mon avis, les observations du défendeur au sujet du caractère prématuré de l’avis de demande ne sont pas convaincantes. La décision du Tribunal a eu pour effet de circonscrire les questions à examiner au cours de l’audience sur le fond de la plainte du défendeur présentée conformément à la Loi.

[16]  Le défendeur a déposé une plainte le 23 avril 2004 ou vers cette date, dans laquelle il allègue qu’il y a eu discrimination aux termes des articles 7, 10, 12 et 14 de la Loi. Il allègue plus précisément que lui et d’autres employés de race noire de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés de Toronto font l’objet de discrimination systémique qui les empêche de progresser dans leur carrière.

[17]  Dans la décision visée par le contrôle, le Tribunal renvoie à une procédure judiciaire antérieure dont était saisie la Cour fédérale et qui a été entendue par les juges Hansen et Bédard.

[18]  La juge Hansen a tranché, dans une ordonnance datée du 18 août 2009, une requête écrite présentée avec le consentement du défendeur, le procureur général du Canada, et a fait droit en partie à une demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire.

[19]  L’ordonnance de la juge Hansen prévoit ce qui suit, aux paragraphes 2 et 3 :

[traduction]

2.  annulant la décision datée du 20 octobre 2008 rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (« Commission »), dans la mesure où elle concerne les allégations de discrimination systémique, plus précisément les allégations de concentration des minorités visibles à certains postes, comme il est décrit aux paragraphes 57 à 63 et 67 à 73 du rapport d’enquête daté du 9 juin 2008 et rédigé par Linda Foy, pour les motifs suivants :

a) l’enquête visant les allégations de concentration des minorités visibles dans les postes de niveau inférieur et de leur sous‑représentation dans les postes permanents au bureau régional de Toronto de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« CISR ») pendant la période de 13 mois précédant le dépôt de la plainte à la Commission n’était pas rigoureuse et constituait donc un manquement à l’équité procédurale.

3.  renvoyant l’affaire à la Commission pour qu’un nouvel enquêteur mène une enquête supplémentaire sur les allégations susmentionnées. […]

[20]  Dans sa décision datée du 11 février 2014 et publiée sous l’intitulé Norm Murray c La Commission canadienne des droits de la personne et le procureur général du Canada (2014), 448 FTR 27, la juge Bédard a entendu une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Commission au sujet de la plainte que le demandeur avait déposée en avril 2004.

[21]  Les paragraphes 2 et 3 de la décision de la juge Bédard exposent le contexte de la façon suivante :

[2]  La Commission a acheminé la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne [Tribunal] aux fins d’enquête. Dans une décision datée du 4 janvier 2013, le membre du Tribunal Edward P. Lustig a rejeté la plainte de M. Murray. Après examen de la requête en rejet de la plainte présentée par la CISR, le Tribunal a conclu que le Tribunal de la dotation de la fonction publique [TDFP] avait déjà rendu une décision à l’égard de la plainte de M. Murray et, appliquant les doctrines de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure, le Tribunal a conclu que le fait de rendre une décision quant à la plainte constituerait un abus de sa procédure.

[3]  Le demandeur a déposé, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, une demande de contrôle judiciaire dans laquelle il conteste cette décision. […]

[22]  À mon avis, la décision du Tribunal au sujet du contenu de l’exposé des précisions est susceptible de faciliter le déroulement ordonné de l’audience devant le Tribunal.

[23]  Compte tenu de l’historique de la plainte du défendeur, notamment des procédures antérieures devant la Commission et la Cour, je suis convaincue qu’il est approprié que le procureur général puisse introduire une demande de contrôle judiciaire.

[24]  Selon l’arrêt Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), [2012] 1 RCS 364, les cours devraient faire preuve de modération quand elles interviennent dans une instance administrative en cours en raison de considérations théoriques et pratiques. Ces considérations comprennent le souci d’éviter que la Cour procède à un examen sans disposer d’un dossier complet ou à un examen qui serait fondé sur la norme de la décision correcte alors que la norme appropriée est peut être celle de la décision raisonnable, ainsi que le souci d’éviter la multiplication des procédures et l’intervention judiciaire dans des régimes législatifs complets.

[25]  Pour les motifs qui précèdent et vu les circonstances particulières de la plainte du défendeur, y compris le passage du temps et l’existence de décisions judiciaires antérieures, je suis convaincue qu’il y a lieu de rejeter la requête en radiation présentée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire.

[26]  La Cour rendra une ordonnance à l’égard des deux requêtes. Exerçant le pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles, je décide que les dépens suivront l’issue de la cause.


ORDONNANCE dans le dossier T‑101‑19

LA COUR ORDONNE que la requête en prorogation de délai pour l’introduction de la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la demande de contrôle judiciaire soit réputée avoir été introduite le 11 janvier 2019.

La requête en rejet de la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, la Cour ordonne que les dépens suivent l’issue de la cause.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de juin 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑101‑19

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. NORM MURRAY et LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À ST. JOHN’S (TERRE-NEUVE‑ET‑LABRADOR) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

La JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 MAI 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :

George G. Vuicic

Anne M. Lemay

 

POUR LE DEMANDEUR

(PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

 

David Yazbeck

 

POUR LE DÉFENDEUR, Norm murray

 

Ikram Warsame

Samar Musallam

 

POUR LA DÉFENDERESSE, LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

(LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR, norm murray

 

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE, LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.