Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190618


Dossier : IMM-4020-18

Référence : 2019 CF 825

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2019

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

FIDEL ANGEL JURADO BARILLAS

SILVIA CAROLINA PERDOMO DE JURADO

CESIA CAROLINA JURADO PERDOMO

JOSE ANGEL JURADO PERDOMO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Les demandeurs sont un époux (le demandeur principal) et son épouse ainsi que leurs deux enfants mineurs. Ils sont citoyens du Salvador. Ils sont arrivés au Canada en janvier 2018 et ont présenté une demande d’asile, parce qu’ils craignaient d’être victimes de persécution aux mains d’une organisation criminelle internationale.

[2]  Leur demande a été rejetée par un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) dans une décision datée du 26 juillet 2018 (la décision). Ils demandent maintenant le contrôle judiciaire de celle-ci.

[3]  La décision repose sur des conclusions concernant la crédibilité qui sont à la fois inéquitables au plan procédural et déraisonnables.

II.  Contexte

[4]  Les demandeurs ont fui le Salvador en janvier 2018, et ils sont arrivés au Canada où ils ont demandé l’asile en raison de leur crainte d’être persécutés par une organisation criminelle internationale (le gang). Dans leur formulaire Fondement de la demande d’asile, le demandeur principal a décrit les circonstances dans lesquelles la famille a pris la décision de fuir le Salvador, lesquelles circonstances peuvent être résumées comme suit :

  • (i) Le demandeur principal a débuté sa carrière de comptable en 1992.

  • (ii) En avril 2016, le demandeur principal a commencé à travailler dans une grande compagnie qui importe et exporte dans de nombreux pays, y compris des pays de toute l’Amérique centrale (la compagnie).

  • (iii) Le demandeur principal a vite constaté qu’il y avait des irrégularités financières et que le fouillis régnait dans la comptabilité de la compagnie, et il a rédigé divers rapports à l’intention de ses supérieurs. Il a commencé à soupçonner que la compagnie se livrait au blanchiment d’argent.

  • (iv) En juin 2016, la banque a fermé tous les comptes bancaires de la compagnie et celle‑ci a commencé à effectuer ses opérations entièrement en argent comptant. Ces opérations avaient une valeur moyenne de 5 millions de dollars US par mois.

  • (v) En juillet 2016, le président de la compagnie a créé des sociétés coquilles en versant de l’argent à plusieurs de ses employés et en les nommant actionnaires de ces dernières.

  • (vi) En décembre 2016, le demandeur principal a procédé à une vérification de fin d’exercice des liquidités de la compagnie, et il a constaté que celles‑ci ne correspondaient pas aux soldes comptables mensuels.

  • (vii) En février 2017, le demandeur principal a mis sur pied des séances de formation sur le blanchiment d’argent à l’intention des employés qui avaient été nommés actionnaires des sociétés coquilles.

  • (viii) En mars 2017, le demandeur principal a informé le conseil d’administration de la compagnie que les noms qui figuraient dans les documents d’exportation de la compagnie ne correspondaient pas aux noms sur ses factures, ce qui donnait à penser que la compagnie pouvait faire le commerce extrafrontalier de drogue. Le président de la compagnie a dit au demandeur principal qu’il ne devrait pas se livrer à ce genre d’examen.

  • (ix) Le demandeur principal a avisé l’agent de conformité interne de la compagnie de la situation; ce dernier avait l’obligation, selon la loi, de faire un signalement au bureau du procureur général salvadorien.

  • (x) Le 4 avril 2017, des représentants du bureau du procureur général se sont présentés dans les locaux de la compagnie et ont commencé à faire enquête. Cette enquête a duré environ deux semaines; le demandeur principal a été interrogé et il a produit une déclaration solennelle dans laquelle il a décrit ses préoccupations.

  • (xi) Le 5 avril 2017, les propriétaires de la compagnie ne se sont pas présentés au travail et les médias ont annoncé que la compagnie et ses propriétaires étaient impliqués dans un stratagème de blanchiment d’argent dirigé par le gang.

  • (xii) Un organisme gouvernemental salvadorien responsable de l’administration temporaire des éléments d’actif illégalement obtenus (l’organisme gouvernemental) a pris en charge l’administration de la compagnie.

  • (xiii) Le demandeur principal a préparé un rapport daté du 4 décembre 2017 à l’intention de l’organisme gouvernemental. Ce rapport décrivait dans leurs grandes lignes les finances de la compagnie et contenait des recommandations sur la façon de mieux structurer le service de vérification de la compagnie. Un administrateur de la compagnie a par la suite dit au demandeur principal que les propriétaires exilés de la compagnie n’approuvaient pas ses recommandations.

  • (xiv) Le demandeur principal a appris de l’organisme gouvernemental qu’il serait appelé comme témoin devant le bureau du procureur général. On lui a dit que sa vie était en danger et qu’il aurait intérêt à quitter le Salvador.

  • (xv) Le 13 décembre 2017, un vol qualifié a eu lieu dans les locaux de la compagnie et une somme approximative de 53 000 dollars US a été dérobée. Le demandeur principal en a avisé l’organisme gouvernemental, qui a déterminé que le vol qualifié avait été organisé par les propriétaires exilés de la compagnie.

  • (xvi) À la fin de décembre 2017, le demandeur principal a demandé et obtenu des visas de touriste pour sa famille aux États‑Unis.

  • (xvii) Le 27 décembre 2017, le demandeur principal a reçu un courriel de M. X, un administrateur de la compagnie, qui lui donnait l’instruction d’assister à une rencontre avec l’organisme gouvernemental le 5 janvier 2018 (la rencontre du 5 janvier) et l’informait qu’il recevrait d’autres directives par téléphone. Au cours d’une conversation téléphonique subséquente, M. X a avisé le demandeur principal que la rencontre aurait en fait lieu avec des représentants du bureau du procureur général, et qu’il serait appelé comme témoin pour faire état des opérations financières de la compagnie.

  • (xviii) Le 4 janvier 2018, demandeur principal a assisté à une rencontre avec M. X, deux autres administrateurs de la compagnie ainsi que le directeur adjoint de l’organisme gouvernemental. Le demandeur principal a subrepticement enregistré cette rencontre. On lui a dit de ne pas divulguer aux représentants du bureau du procureur général le fait qu’il avait remis des rapports financiers à l’organisme gouvernemental, et de contredire le contenu de son rapport de décembre 2017 à l’organisme gouvernemental. L’un des administrateurs de la compagnie lui a dit que s’il n’obtempérait pas, tout le monde finirait en prison par sa faute.

  • (xix) Cette nuit‑là, le demandeur principal a dormi dans un hôtel avec sa famille, parce qu’il recevait sans cesse des appels téléphoniques de M. X. Le lendemain, le 5 janvier, la famille a fui le pays. Le demandeur principal n’a pas assisté à la rencontre avec les représentants du bureau du procureur général.

  • (xx) Le 9 janvier 2018, tous les biens de la compagnie ont été confisqués et ont été transférés au gouvernement du Salvador.

III.  La décision qui fait l’objet du contrôle

[5]  Les demandeurs ont obtenu une audience devant la SPR le 19 juillet 2018, et le demandeur principal a fait une déposition avec l’aide d’un interprète (l’audience).

[6]  Les demandes d’asile des demandeurs ont été rejetées dans une décision datée du 26 juillet 2018. La SPR a conclu en premier lieu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, étant donné que le fait de s’opposer à des gangs ne pouvait pas être interprété comme une opinion politique, ni des réfugiés pour tout autre motif prévu par la Convention. Les demandeurs ne contestent pas cette conclusion.

[7]  Ainsi, les demandes des demandeurs ont été étudiées sous le régime du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), afin de déterminer s’ils étaient des personnes à protéger.

[8]  La SPR a statué qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles permettant d’établir que les demandeurs couraient un risque au Salvador, et qu’ils n’étaient donc pas des personnes à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.

IV.  Questions en litige

[9]  Les questions en litige sont les suivantes :

  • (i) La SPR a‑t‑elle violé l’équité procédurale en omettant de donner avis au demandeur principal de ses préoccupations quant à la crédibilité?

  • (ii) La SPR a‑t‑elle effectué une appréciation déraisonnable de la preuve?

V.  Norme de contrôle

[10]  Les questions d’équité procédurale sont contrôlées selon la norme de la décision correcte, et l’appréciation de la preuve par la SPR est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Teweldebrhan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 418, au paragraphe 5, sous la plume du juge Crampton).

VI.  Analyse

A.  La SPR a‑t‑elle violé l’équité procédurale en omettant de donner avis au demandeur principal de ses préoccupations quant à la crédibilité?

[11]  La SPR a tiré plusieurs conclusions défavorables sur la crédibilité en se fondant sur le témoignage du demandeur principal à l’audience, généralement pour le motif qu’il n’avait pas réussi à donner des réponses suffisamment détaillées.

[12]  Le défendeur affirme que les demandeurs n’ont pas été privés de l’équité procédurale, parce que : (1) au début de l’audience, la SPR a formulé une déclaration générale selon laquelle la crédibilité des demandeurs était en cause; et (2) la SPR n’était pas tenue d’aviser le demandeur principal des lacunes dans ses réponses avant de conclure que celles‑ci n’étaient pas crédibles. Le défendeur ne propose pas de jurisprudence à l’appui de sa thèse.

[13]  Les demandeurs font valoir que la SPR a violé l’équité procédurale en n’informant pas le demandeur principal de ses préoccupations en matière de crédibilité avant d’arriver aux conclusions suivantes :

  • (i) Le demandeur principal a embelli sa demande en déclarant que le courriel qu’il avait reçu le 27 décembre 2017 était une citation à comparaître pour témoigner dans le cadre d’une enquête du bureau du procureur général.

  • (ii) Il était invraisemblable que le demandeur principal ne puisse pas expliquer le lien entre la compagnie et ses sociétés coquilles de manière plus claire et détaillée.

  • (iii) Il était invraisemblable que le demandeur principal ne puisse pas faire montre d’une connaissance détaillée de la nature des sociétés coquilles et des raisons pour lesquelles elles laissaient croire à un blanchiment d’argent.

  • (iv) Il était invraisemblable que le demandeur principal ne puisse pas expliquer de manière plus précise en quoi le fait qu’on lui avait confié de nouvelles tâches lorsqu’il avait formulé des préoccupations et le fait que les livres comptables de la compagnie étaient tenus de façon désordonnée étaient révélateurs de blanchiment d’argent.

[14]  J’arrive à la conclusion que la SPR a commis une erreur en n’avisant pas le demandeur principal de ses préoccupations quant à la crédibilité afin de lui donner la possibilité d’y répondre. Bien que la SPR ne soit pas tenue de porter chaque lacune à l’attention d’un demandeur, quand une anomalie est fondamentale pour la décision de la SPR, l’omission par celle‑ci de la signaler à un demandeur peut constituer une violation de l’équité procédurale (Ananda Kumara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1172, aux paragraphes 3 à 5 [Kumara]).

[15]  Comme l’écrivait le juge Russell dans la décision Shaiq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 149, au paragraphe 77 :

[77]  Bien que la SPR ne soit pas tenue de faire part au demandeur de toutes ses réserves qui ont trait à la Loi et au règlement, l’équité procédurale exige effectivement qu’elle accorde au demandeur la possibilité d’aborder les problèmes soulevés au sujet de la crédibilité, de l’exactitude ou de l’authenticité des renseignements soumis (voir par exemple, le jugement Kuhathasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 587, au paragraphe 37. En conséquence, j’estime que la SPR aurait dû en l’espèce accorder au demandeur la possibilité d’aborder une question qui jouait un rôle essentiel en ce qui concerne la conclusion défavorable tirée quant à la crédibilité.

[Non souligné dans l’original.]

[16]  En l’espèce, comme le juge Hughes l’a exprimé dans Kumara, la SPR « a attendu que l’audience prenne fin, puis [elle] a relevé d’apparentes contradictions et les a utilisées pour discréditer la demande des demandeurs » (Kumara, précité, au paragraphe 3).

[17]  La SPR ne s’est pas contentée de se fonder sur les contradictions alléguées; elle a reproché au demandeur principal le manque apparent de précisions dans son témoignage. La transcription de l’audience indique cependant que le demandeur principal a rendu un témoignage détaillé au sujet des activités commerciales de la compagnie et de ses filiales, de leurs liens, de ses préoccupations quant au blanchiment d’argent et des éléments déclencheurs de ces inquiétudes. Ce témoignage est également en grande partie cohérent par rapport à l’exposé des faits contenu dans le formulaire Fondement de la demande d’asile du demandeur principal, et par rapport à la preuve documentaire.

[18]  Ces conclusions défavorables sur la crédibilité étaient au cœur du rejet, par la SPR, de la demande des demandeurs. Si la SPR avait besoin d’encore plus de précisions que ce que le demandeur principal avait fourni, elle aurait dû lui en faire part et lui donner la possibilité de répondre à ses préoccupations à cet égard. En omettant de le faire, la SPR a privé les demandeurs de leur droit à l’équité procédurale.

B.  La SPR a‑t‑elle effectué une appréciation déraisonnable de la preuve?

[19]  La SPR a tiré les conclusions suivantes à la lumière de la preuve et du témoignage du demandeur principal :

  • (i) Le demandeur principal n’occupait pas un poste de comptable de haut niveau dans la compagnie.

  • (ii) Le demandeur principal n’avait pas découvert d’irrégularités financières laissant croire à un blanchiment d’argent.

  • (iii) Le demandeur principal ne risquait aucunes représailles de la part du gang.

[20]  À l’appui de son témoignage et de l’exposé des faits figurant dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, le demandeur principal a également produit plusieurs éléments de preuve devant la SPR, y compris :

  • (i) des lettres d’emploi, datées du 4 janvier 2018, confirmant que le demandeur principal avait été employé par la compagnie depuis avril 2016;

  • (ii) une copie du rapport du 4 décembre 2017 préparé par le demandeur principal pour la compagnie;

  • (iii) une copie du courriel de M. X, administrateur de la compagnie, daté du 27 décembre 2017, avisant le demandeur principal d’une rencontre avec « le conseil » le 5 janvier 2018;

  • (iv) la transcription de l’enregistrement de la rencontre du 4 janvier 2018, au cours de laquelle le demandeur principal a été invité à trafiquer son témoignage lors de la rencontre du 5 janvier;

  • (v) des articles de presse sur l’enquête du procureur général, dans lesquels divers propriétaires de la compagnie sont désignés comme suspects, ainsi que des articles sur l’influence et la dangerosité du gang.

[21]  Étant donné que j’ai déjà traité ci‑dessus de la conclusion concernant l’emploi du demandeur principal à titre de vérificateur dans le cadre de mon étude de l’équité procédurale, j’ajouterai simplement que le rejet par la SPR des lettres d’emploi du demandeur principal est éminemment critiquable.

[22]  Pour ce qui est de la conclusion selon laquelle le demandeur principal n’a pas réussi à produire une preuve révélatrice de blanchiment d’argent, le défendeur fait valoir que cette conclusion était raisonnable, car : (1) le demandeur principal avait seulement une preuve de [traduction« simples soupçons » de blanchiment d’argent; et (2) il n’existe aucune preuve claire démontrant que le demandeur principal aurait été forcé d’agir comme témoin pour le bureau du procureur général.

[23]  L’objectif même du blanchiment d’argent est de rendre difficile, voire impossible, de retracer des fonds et de les relier à leur source illégale ou frauduleuse (Bank of China c Fan, 2015 BCSC 590, au paragraphe 160). La question pertinente dont la SPR était saisie n’était pas celle de savoir si le demandeur principal pouvait produire une preuve concluante que la compagnie se livrait au blanchiment d’argent — cette question relève des autorités policières du Salvador —, mais plutôt si le bureau du procureur général et le gang étaient d’avis que le demandeur principal était en possession d’une preuve de blanchiment d’argent digne d’intérêt. La SPR a omis de traiter adéquatement cette question, et elle a imposé au demandeur principal un fardeau de preuve déraisonnablement lourd en mettant de côté la preuve importante qu’il avait produite à cause de ce qu’elle ne démontrait pas, plutôt que de reconnaître ce qu’elle démontrait réellement.

[24]  Le demandeur principal a présenté une preuve considérable concernant le blanchiment d’argent et les préoccupations dont il avait fait part à ses supérieurs et aux autorités. Cette preuve donne clairement à penser qu’il avait constamment parlé de ses préoccupations au sujet du blanchiment d’argent avec ses supérieurs depuis qu’il avait commencé à travailler pour la compagnie en avril 2016; qu’on lui avait à maintes reprises demandé de cesser de le faire; qu’il avait été menacé parce qu’il avait évoqué ces préoccupations; et qu’il devait assister à une rencontre le 5 janvier 2018 avec des représentants du bureau du procureur général salvadorien.

[25]  À plusieurs reprises, la SPR a déformé les propos du demandeur principal et a mal qualifié son témoignage, avant de lui reprocher ce même témoignage. Les conclusions qu’elle a tirées sont déraisonnables. À titre d’exemple, la SPR a écarté le courriel du 27 décembre 2017 de M. X, qui avisait le demandeur principal d’une rencontre qui devait avoir lieu le 5 janvier, sous prétexte que le demandeur principal l’avait erronément qualifié de « citation [officielle] à comparaître pour un témoignage ». La SPR a ensuite tiré une conclusion défavorable sur la crédibilité contre le demandeur principal pour ce motif. Or le demandeur principal n’a jamais qualifié le courriel de « citation »; c’est la SPR qui l’a fait. Le demandeur principal a clairement décrit le courriel dans l’exposé des faits de son formulaire Fondement de la demande d’asile, et il n’a pas indiqué qu’il s’agissait d’une citation à comparaître. Le demandeur principal a même repris la SPR à l’audience lorsque celle‑ci en a parlé comme d’une « citation », et il a précisé qu’il s’agissait plutôt d’un courriel.

[26]  La SPR a également écarté la transcription de la rencontre du 4 janvier 2018 pour le motif qu’elle ne contenait pas de menace apparente. Contrairement à la conclusion de la SPR, je suis d’avis que la seule conclusion raisonnable qu’il est possible de tirer, à l’examen de cette transcription, est le fait que le demandeur principal a reçu l’ordre de mentir aux représentants du bureau du procureur général et d’entraver leur enquête sur la compagnie. Le fait que la SPR n’ait pas tenu compte de cette transcription est déraisonnable.

[27]  J’arrive à la conclusion que la SPR a commis de nombreuses erreurs déraisonnables dans son appréciation de la preuve relative au blanchiment d’argent et du rôle du demandeur principal dans l’enquête en cours du bureau du procureur général.

[28]  En dernier lieu, en ce qui concerne la conclusion selon laquelle le demandeur principal n’était pas en possession du genre de renseignements qui l’aurait mis en danger face au gang, le défendeur fait valoir que cette conclusion est raisonnable pour les raisons suivantes :

  • (i) le demandeur principal avait déjà remis son rapport du 4 décembre 2017 au bureau du procureur général;

  • (ii) en janvier 2018, la preuve du demandeur principal aurait déjà dû avoir été portée à l’attention des autorités policières et d’autres intervenants; il n’existait donc plus de raison pour le gang de s’en prendre au demandeur principal;

  • (iii) la preuve du demandeur principal ne donne raisonnablement pas à penser qu’il détenait des renseignements pour lesquels les propriétaires de la compagnie ou le gang auraient voulu lui faire du mal;

  • (iv) il n’existe aucune preuve claire que le demandeur principal a déjà été menacé.

[29]  Je ne suis pas d’accord. Premièrement, le demandeur principal a présenté un témoignage clair, crédible et convaincant, et il a produit de nombreux documents à l’appui qui permettent tous de penser qu’il possédait de l’information que le gang aurait voulu supprimer. Dans la mesure où la SPR a omis d’apprécier cette preuve, elle a été déraisonnable.

[30]  Deuxièmement, il est contraire à toute logique que la SPR n’ait pas reconnu qu’une personne qui devait être témoin pour le compte du bureau du procureur général dans le cadre d’une enquête sur les activités de blanchiment d’argent du gang soit susceptible de posséder de l’information que le gang aurait été intéressé à faire disparaître. Que le demandeur principal ait précédemment décrit ses préoccupations dans le rapport du 4 décembre 2017 ne change rien à ce fait.

[31]  Enfin, la SPR a également été déraisonnable en omettant de tenir compte de la preuve documentaire qui corrobore des points clés de la version des faits des demandeurs, notamment en ce qui a trait aux faits suivants :

  • (i) un des propriétaires exilés de la compagnie est le chef allégué du gang, [traduction« un groupe criminel qui se livre au trafic de drogue et au blanchiment d’argent »;

  • (ii) les anciens propriétaires de la compagnie ont été mis en état d’arrestation par le bureau du procureur général le 4 avril 2017, et ils sont accusés de s’être servis de douzaines de sociétés coquilles pour blanchir environ 215 millions de dollars US;

  • (iii) le gang a des liens étroits avec des politiciens, la police et des fonctionnaires du gouvernement du Salvador;

  • (iv) les exemples sont multiples d’opposants au gang qui ont été assassinés.

[32]  Pour tous ces motifs, le SPR a été déraisonnable dans l’appréciation de la preuve des demandeurs.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4020-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de juillet 2019.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4020‑18

 

INTITULÉ :

FIDEL ANGEL JURADO BARILLAS et al c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 juin 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 18 JUIN 2019

 

COMPARUTIONS :

Luke McRae

 

POUR LES demandeurs

 

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bondy Immigration Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.