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Date : 20190613


Dossier : IMM-3242-18

Référence : 2019 CF 808

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE 

RAJESVARAN SUBRAMANIAM

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE HENEGHAN

[1]  Monsieur Rajesvaran Subramaniam (le « demandeur ») sollicite le contrôle judiciaire de la décision du gestionnaire du Bureau de réduction de l’arriéré (le « gestionnaire »), qui a refusé de traiter sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « Loi »).

[2]  Le demandeur est arrivé au Canada le 13 août 2010 ou vers cette date à bord du navire Sun Sea. Il travaillait dans la salle des machines du navire et était chargé de surveiller et d’entretenir l’équipement.    

[3]  Le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 37(1)b) en août 2011. 

[4]  En 2015, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 704. Dans cet arrêt, la Cour a conclu qu’une personne doit avoir l’intention de faire un profit pour être interdite de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)b) de la Loi.

[5]  Le gestionnaire a retourné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire du demandeur et a déclaré ne pas pouvoir la traiter puisque la conclusion d’interdiction de territoire empêchait le demandeur de se prévaloir du paragraphe 25(1) de la Loi.

[6]  Le demandeur fait valoir que le gestionnaire a commis une erreur de droit en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi.

[7]  Subsidiairement, le demandeur soutient que le gestionnaire a interprété de manière déraisonnable le paragraphe 25(1) de la Loi.

[8]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le « défendeur ») prétend que la présente affaire ne soulève aucune question de compétence, que le gestionnaire a interprété le paragraphe 25(1) de manière raisonnable et que rien ne justifie l’intervention de la Cour.

[9]  Par directive donnée le 16 mai 2019, les parties ont eu l’occasion de présenter de nouvelles observations à la lumière de la décision Apotex Inc. c. Schering Corporation, 2018 ONCA 890, demande d’autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 38471 (16 mai 2019), qui portait sur l’allégation de modification subséquente du droit à la suite d’une décision antérieure.  

[10]  Les parties ont accepté l’occasion de présenter de nouvelles observations.

[11]  Le demandeur soutient que le gestionnaire devait tenir compte de l’incidence de l’arrêt B010, précité, puisque la conclusion d’interdiction de territoire précédente était fondée sur un raisonnement qui a plus tard été infirmé par la Cour suprême du Canada.

[12]  Le défendeur affirme que, dans la décision Apotex Inc., précitée, la question de la modification du droit est traitée comme une exception au principe de la préclusion. Il fait valoir que la question de la préclusion n’a pas été soulevée en l’espèce et qu’elle ne s’applique pas dans le contexte des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

[13]  La première question à examiner est la norme de contrôle applicable. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la présente demande de contrôle judiciaire ne soulève pas de [traduction] « véritable question de compétence » qui pourrait être examinée selon la norme de la décision correcte.

[14]  Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles la norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision raisonnable, puisque le décideur interprétait sa propre loi constitutive, c’est-à-dire la Loi. Je renvoie à l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 RCS 654, au paragraphe 30. 

[15]  Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la norme de la décision raisonnable exige qu’une décision soit transparente, justifiable et intelligible et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.  

[16]  Dans la décision Oladele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 851, le juge Manson a tenu compte de l’effet d’un changement dans l’interprétation des dispositions relatives à l’interdiction de territoire prévues dans la Loi, conformément à l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2013] 2 RCS 678. Il s’est exprimé ainsi au paragraphe 77 :

Qui plus est, il est évident que les décideurs des demandes de dispense pour considérations d’ordre humanitaire ont le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de l’incidence de l’arrêt Ezokola sur les conclusions antérieures d’interdiction de territoire. Les agents qui rendent ces décisions doivent être convaincus que les demandeurs satisfont aux exigences établies de la LIPR et devraient tenir compte de la pertinence d’une décision intervenante de la CSC (NK c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1040, aux paragraphes 19 à 21). Une décision relative à une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire sera déraisonnable s’il est impossible d’établir, à la lumière des motifs du décideur, que l’interdiction de territoire visant le demandeur aurait pu être évaluée ou pas en fonction des critères précisés énoncés dans l’arrêt Ezokola (Aazamyar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 99, aux paragraphes 39 à 41).

[17]  Je note que dans la décision Oladele, précitée, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait été soumise avant l’entrée en vigueur des modifications apportées à l’article 25 de la Loi par la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16.

[18]  En l’espèce, le demandeur a soumis sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 15 mars 2017.

[19]  Le paragraphe 25(1) de la Loi est actuellement libellé ainsi :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[20]  Le libellé du paragraphe 25(1) de la Loi est clair. Il prévoit qu’un « étranger […] interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 » ne peut pas bénéficier du pouvoir discrétionnaire autrement accordé au ministre par le paragraphe 25(1).

[21]  Le gestionnaire s’est exprimé ainsi dans sa décision :

[traduction]

[…] Le paragraphe 25(1) empêche un demandeur interdit de territoire au titre de l’article 37 de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, la demande de résidence permanente de M. Subramaniam fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne peut être traitée, puisque la Section de l’immigration a déjà conclu qu’il est interdit de territoire au titre de l’alinéa 37(1)b) et a pris une mesure de renvoi contre lui pour ce motif. […]

[22]  Selon moi, l’interprétation du paragraphe 25(1) par le gestionnaire est raisonnable.

[23]  Le résumé législatif du projet de loi C-43, soumis par le défendeur, permet de constater que les modifications apportées au paragraphe 25(1) visaient à exclure les étrangers interdits de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 de l’exercice du pouvoir discrétionnaire relatif aux motifs d’ordre humanitaire.

[24]  Le résumé législatif indique également que l’article 42.1 a été créé pour prévoir la possibilité d’accorder une dispense aux étrangers maintenant exclus de l’application du paragraphe 25(1). Cette information témoigne de l’intention du législateur et de l’objet du paragraphe 25(1). Selon moi, l’interprétation proposée par le demandeur est incompatible avec cette intention.

[25]  Je souscris à l’argument du défendeur, soit que l’interprétation proposée par le demandeur est incompatible avec le principe d’interprétation selon lequel la Cour devrait s’abstenir d’adopter des interprétations qui vident de leur sens certaines parties d’une disposition.

[26]  Je suis d’avis que le fait d’interpréter le paragraphe 25(1) de façon à ce que l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire puisse utiliser son pouvoir discrétionnaire dans les cas où un demandeur a été jugé interdit de territoire vide l’exclusion énoncée au paragraphe 25(1) de tout son sens.

[27]  À la lumière du libellé du paragraphe 25(1), la décision du gestionnaire respecte la norme de la décision raisonnable telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, précité.

[28]  Bien que la décision soit insatisfaisante pour le demandeur, elle est raisonnable en droit. Rien ne justifie l’intervention de la Cour. 

[29]  En espèce, le demandeur peut présenter une demande à la Section de l’immigration en vue du réexamen de la décision relative à l’interdiction de territoire. Il peut également demander la dispense prévue au paragraphe 42.1(1) de la Loi, qui est ainsi libellé :

Exception — demande au ministre

Exception — application to Minister

42.1 (1) Le ministre peut, sur demande d’un étranger, déclarer que les faits visés à l’article 34, aux alinéas 35(1)b) ou c) ou au paragraphe 37(1) n’emportent pas interdiction de territoire à l’égard de l’étranger si celui-ci le convainc que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national.

42.1 (1) The Minister may, on application by a foreign national, declare that the matters referred to in section 34, paragraphs 35(1)(b) and (c) and subsection 37(1) do not constitute inadmissibility in respect of the foreign national if they satisfy the Minister that it is not contrary to the national interest.

[30]  Il revient au législateur, et non à la Cour, d’apporter les modifications nécessaires pour tenir compte de la modification du droit découlant des arrêts dans lesquels la Cour suprême du Canada a interprété la Loi. Il est raisonnable de s’attendre à ce que les lois fédérales soient conformes aux décisions prises par le plus haut tribunal du pays.

[31]  La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Les parties peuvent proposer une question à certifier dans les 14 jours et la Cour rendra alors son jugement.

« E. Heneghan »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 13 juin 2019

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de juillet 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3242-18

INTITULÉ :

RAJESVARAN SUBRAMANIAM c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 13 DÉCEMBRE 2018

 

motifs du JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 JUIN 2019

 

COMPARUTIONS :

Lobat Sadrehashemi

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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