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Date : 20190612


Dossier : T‑1596‑17

Référence : 2019 CF 734

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ALEXION PHARMACEUTICALS INC.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ DE LA COLOMBIE‑BRITANNIQUE

intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Identiques au jugement et aux motifs confidentiels rendus le 23 mai 2019)

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Alexion Pharmaceuticals Inc. [Alexion], a mis au point, fabrique et met en marché le médicament Soliris. Il sert à traiter deux troubles sanguins rares et potentiellement mortels, et il a été initialement approuvé par Santé Canada en janvier 2009.

[2]  En septembre 2017, après avoir conclu que le prix du Soliris au Canada dépassait le prix le plus bas dans sept pays de comparaison, une formation du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés [le Conseil] a conclu que le prix était « excessif » conformément à l’article 83 et au paragraphe 85(1) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4 [la Loi]; il a ordonné à Alexion de réduire le prix du médicament; et il a ordonné le versement à la Couronne fédérale d’une somme pour compenser l’excédent qu’aurait procuré la vente au prix excessif. 

[3]  Alexion sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision sur le fondement du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Elle soutient que le Conseil a dérogé à tort aux critères appliqués depuis longtemps pour juger du caractère excessif des prix, et que la décision du Conseil n’est pas compatible avec le texte clair de la Loi sur les brevets et du Règlement sur les médicaments brevetés, DORS/94‑688 [le Règlement], et qu’elle ne repose pas sur des motifs suffisants.

[4]  Le ministre de la Santé de la Colombie‑Britannique, qui a comparu devant le Conseil, a demandé l’autorisation d’intervenir dans la présente instance. Les parties ne se sont pas opposées à sa demande, et une ordonnance l’autorisant à intervenir a été rendue. Le ministre de la Santé de la Colombie‑Britannique a présenté des observations écrites et de vive voix.

[5]  Le défendeur et l’intervenant soutiennent que la décision était raisonnable et que le Conseil n’a commis aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[6]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Les lois, règlements et lignes directrices

[7]  Le prix des médicaments brevetés au Canada est assujetti à la Loi sur les brevets.

[8]  Les articles 79 à 103 de la Loi établissent un régime complet pour la réglementation du prix des médicaments brevetés.

[9]  Le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés [le Conseil] est constitué en vertu de la Loi, laquelle lui confère la responsabilité de surveiller et de réglementer le prix des médicaments brevetés. Le Conseil a également le pouvoir de décider si un médicament breveté est vendu à un prix excessif. Si une formation du Conseil est d’avis qu’un produit pharmaceutique breveté est vendu à un prix excessif, il peut ordonner la prise de mesures visant à corriger le prix excessif et à compenser l’excédent perçu (art. 83 et 91 de la Loi sur les brevets).

[10]  Pour permettre au Conseil à remplir son mandat, le Règlement précise les renseignements et les documents que les brevetés sont tenus de fournir au Conseil (art. 101 de la Loi sur les brevets). La Loi confère également au Conseil le pouvoir de formuler des directives sur toutes questions relevant de sa compétence. Ni le Conseil ni les brevetés ne sont liés par ces directives (par. 96(4) de la Loi sur les brevets).

[11]  La Loi prévoit la nomination de membres du personnel chargés d’aider le Conseil dans l’application du régime relatif aux prix excessifs (par. 94(1) de la Loi sur les brevets). Si le président décide qu’une audience est justifiée, il constitue une formation de conseillers qui présideront une audience, où le breveté aura la possibilité de présenter des observations (par. 83(6) et 93(2) de la Loi sur les brevets). Exerçant un pouvoir décisionnel établi par la loi, le Conseil est chargé de rendre les ordonnances correctives appropriées. Conformément aux Règles de pratique et de procédure du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, DORS/2012‑247 [les Règles], le personnel du Conseil, qui agit indépendamment du Conseil, a pour tâche de lui présenter l’affaire (art. 1 et 15 des Règles). Les brevetés sont représentés par leurs propres conseillers juridiques (art. 13 des Règles). L’avis d’audience doit être donné au ministre de l’Industrie et aux ministres provinciaux responsables de la santé, qui ont le droit de comparaître et de présenter des observations au Conseil (par. 86(2) de la Loi sur les brevets).

[12]  Le Conseil a le pouvoir de décider si le prix d’un médicament est excessif et d’enjoindre au breveté de le vendre à un prix moindre de façon qu’il ne puisse pas être excessif. En plus de pouvoir ordonner des baisses de prix, le Conseil est habilité à ordonner le versement d’une somme à la Couronne fédérale dans le but de compenser l’excédent perçu (par. 83(1) et alinéa 83(2)c) de la Loi sur les brevets).

[13]  Le paragraphe 85(1) exige qu’au moment de décider si le prix d’un médicament est excessif, le Conseil tienne compte d’un certain nombre de facteurs dans la mesure où les renseignements sont disponibles :

85 (1) Pour décider si le prix d’un médicament vendu sur un marché canadien est excessif, le Conseil tient compte des facteurs suivants, dans la mesure où des renseignements sur ces facteurs lui sont disponibles :

a) le prix de vente du médicament sur un tel marché;

b) le prix de vente de médicaments de la même catégorie thérapeutique sur un tel marché;

c) le prix de vente du médicament et d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique à l’étranger;

d) les variations de l’indice des prix à la consommation;

e) tous les autres facteurs précisés par les règlements d’application du présent paragraphe.

 

85 (1) In determining under section 83 whether a medicine is being or has been sold at an excessive price in any market in Canada, the Board shall take into consideration the following factors, to the extent that information on the factors is available to the Board:

(a) the prices at which the medicine has been sold in the relevant market;

(b) the prices at which other medicines in the same therapeutic class have been sold in the relevant market;

(c) the prices at which the medicine and other medicines in the same therapeutic class have been sold in countries other than Canada;

(d) changes in the Consumer Price Index; and

(e) such other factors as may be specified in any regulations made for the purposes of this subsection.

 

[14]  Si, après avoir tenu compte des facteurs énoncés au paragraphe 85(1), le Conseil est incapable de décider si le prix est excessif, il peut également tenir compte des coûts de réalisation et de mise en marché du produit pharmaceutique et de tout autre facteur qu’il estime pertinent (par. 85(2) de la Loi sur les brevets).

[15]  Les lignes directrices du Conseil ont pour but d’aider le personnel du Conseil et les brevetés à s’acquitter des devoirs et obligations que leur imposent la Loi et le Règlement (Compendium des politiques, des Lignes directrices et des procédures — Mise à jour : février 2017, Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés Canada, en ligne à l’adresse suivante : "http://www.pmprb‑cepmb.gc.ca/fr/", [les lignes directrices]). Les lignes directrices servent à informer les brevetés du processus d’examen du prix et expliquent dans quelles situations le personnel du Conseil recommandera la tenue d’une audience quant à son caractère excessif. Dans le cadre d’une telle audience, le Conseil pourrait tenir compte des lignes directrices, mais celles-ci ne comportent aucune indication sur l’application des facteurs énoncés à l’article 85 de la Loi et, comme il a été mentionné plus haut, ni les brevetés ni le Conseil ne sont liés par elles :

96 (4) Sous réserve du paragraphe (5), le Conseil peut formuler des directives — sans que lui ou les brevetés ne soient liés par celles‑ci — sur toutes questions relevant de sa compétence.

96 (4) Subject to subsection (5), the Board may issue guidelines with respect to any matter within its jurisdiction but such guidelines are not binding on the Board or any patentee.

[16]  Pour favoriser l’atteinte des objectifs de la loi, les articles 80 à 82 de la Loi et les articles 3 à 5 du Règlement imposent aux brevetés l’obligation de fournir des renseignements concernant le prix et les coûts des médicaments, et ils autorisent le Conseil à exiger la production de renseignements et de documents. Tous les brevetés doivent fournir au Conseil des renseignements sur des points variés, dont l’identification du médicament breveté vendu ou dont la vente est prévue au Canada; le prix de transaction moyen au Canada; et le prix départ usine du médicament au Canada et dans les sept pays de comparaison énoncés à l’annexe du Règlement (par. 80(1) de la Loi sur les brevets; et art. 4 du Règlement). Le personnel du Conseil évalue ces renseignements afin de déceler les cas de prix excessif pour lesquels il présentera au président sa recommandation sur la question de savoir si la tenue d’une audience quant à leur caractère excessif est justifiée (lignes directrices, C. 13.6).

III.  Les faits — Le Soliris et l’historique de son prix

[17]  Le Soliris est le premier et le seul traitement pour deux troubles sanguins rares et potentiellement mortels, soit l’hémoglobinurie paroxystique nocturne [HPN] et le syndrome hémolytique et urémique atypique [SHUa].

[18]  Alexion a obtenu de Santé Canada l’autorisation de mettre en marché le Soliris pour le traitement de l’HPN en janvier 2009. Au mois de mai de la même année, le Groupe consultatif sur les médicaments pour usage humain a recommandé que le Soliris soit traité comme un médicament appartement aux nouveaux produits de catégorie 2 ou un « médicament constituant une découverte », au motif qu’il [traduction] « présente des améliorations thérapeutiques importantes par rapport aux traitements de soutien pour la prise en charge des patients atteints d’HPN ».

[19]  Le Soliris a été vendu pour la première fois au Canada en juin 2009. Le prix d’un flacon de 300 mg s’établissait à 6 742 $, et son prix à l’unité (10 mg/ml) était de 224,7333 $. Ce prix était fondé sur la médiane des prix internationaux [la MPI], conformément aux lignes directrices. Selon les lignes directrices, le prix maximal d’un médicament constituant une découverte applicable à la période de lancement devait être fondé sur la médiane des prix observés dans les sept pays de comparaison (Compendium des politiques, des Lignes directrices et des procédures (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, octobre 2003); Compendium des politiques, des Lignes directrices et des procédures (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, janvier 2010)). Le défendeur souligne que le coût annuel du Soliris, par patient, se situe entre 520 000 $ et 700 000 $, ce qui en fait l’un des médicaments les plus chers au Canada.

[20]  Le Comité consultatif canadien d’expertise sur les médicaments, organisme qui recommande des médicaments aux fins d’inclusion dans des régimes publics d’assurance‑médicaments en se fondant sur leur valeur thérapeutique clinique par rapport à leur coût, a recommandé que le Soliris ne figure pas sur la liste des médicaments pour le traitement de l’HPN et du SHUa en raison de son coût et de son incidence potentielle sur la viabilité du système de santé. Toutefois, un certain nombre de provinces ont procédé à des négociations conjointes avec Alexion, et le Soliris a été inscrit sur la liste des médicaments dans quatre provinces pour le traitement de l’HPN et dans deux pour le traitement du SHUa.

[21]  En juin 2010, le personnel du Conseil a amorcé une enquête sur le prix de lancement du Soliris après avoir conclu qu’il dépassait le prix maximal permis entre les mois de juillet et de décembre 2009 et qu’il avait généré un excédent s’élevant à 78 322,71 $. Alexion a donné suite à l’enquête non pas en réduisant le prix du Soliris, mais en fournissant d’autres renseignements sur le prix du médicament dans les sept pays de comparaison. À la lumière de ces autres renseignements, le personnel du Conseil a décidé que le prix du Soliris ne justifiait plus la tenue d’une enquête et que l’excédent cumulatif touché entre les mois de juillet et de décembre 2009 s’élevait à 16 946,37 $, et non à la somme du calcul initial (78 322,71 $). Alexion a plus tard compensé l’excédent. 

[22]  En 2010 et en 2011, il a été conclu que le prix du Soliris respectait les lignes directrices; toutefois, en août 2012, Alexion a été avisée du fait que le prix dépassait le prix international le plus élevé. Alexion n’a pas baissé le prix cette fois non plus, mais a plutôt avisé le personnel du Conseil que la valeur exprimée en dollars canadiens donnait l’impression d’un prix plus élevé que celui des pays de comparaison, alors qu’en fait, au Canada, le prix du Soliris était constant. 

[23]  Le personnel du Conseil a reconnu que c’était le cas, mais a avisé Alexion que ce fait ne justifiait pas une dérogation aux lignes directrices. En février 2013, le personnel du Conseil a dit à Alexion que les renseignements qu’elle avait produits avaient justifié la tenue d’une enquête du Conseil en 2012 et lui a demandé de baisser son prix au plus tard à la fin de l’année. Alexion s’est réunie avec le personnel du Conseil en décembre 2012 et en décembre 2013 afin d’aborder le problème du taux de change, mais elle n’a pas réduit le prix du Soliris.

[24]  En janvier 2014, Alexion a produit des données modifiées pour les années 2011 à 2013 pour faire état des rabais consentis aux provinces conformément aux ententes relatives à l’inscription d’un produit [EIP]. Le personnel du Conseil a demandé plus de renseignements au sujet des rabais. Alexion a refusé de les fournir pour des raisons de confidentialité, mais a offert de tenir une séance avec le personnel du Conseil afin de lui montrer les ententes. La séance n’a pas eu lieu. En avril 2014, le personnel du Conseil a prévenu Alexion du fait qu’il n’accepterait pas les révisions de données relativement aux EIP et lui a demandé de produire à nouveau ses données après avoir supprimé les rabais. Il a également invité l’entreprise à baisser volontairement le prix du Soliris d’environ 5 % et à verser un excédent de 4 097 670,81 $ à la Couronne fédérale. Alexion a de nouveau produit ses données après avoir supprimé les rabais, mais n’a pas réduit le prix du Soliris.

[25]  En janvier 2015, le personnel du Conseil a produit un exposé de ses allégations dans lequel il indiquait que le prix du Soliris avait été excessif de 2012 à 2014 et sollicitait une ordonnance obligeant Alexion à baisser le prix à un taux ne dépassant pas le prix international le plus élevé parmi les pays de comparaison. Le Conseil a ensuite donné un avis d’audience. Le ministre de la Santé de la Colombie‑Britannique a comparu devant le Conseil en son propre nom et en celui des ministres de la Santé du Manitoba, de l’Ontario et de Terre‑Neuve‑et‑Labrador.

[26]  Le Conseil a été appelé à trancher plusieurs requêtes interlocutoires dans lesquelles des précisions étaient sollicitées, des personnes ayant participé à l’instance étaient visées par des allégations de conflits d’intérêts et de partialité et la radiation de certains éléments de preuve était demandée. Alexion a demandé le contrôle judiciaire de l’une de ces décisions interlocutoires (dossier de la Cour no T‑1855‑15), laquelle devait au départ être instruite avec la présente demande, mais elle s’est désistée de cette demande le 29 août 2018.

[27]  En mai 2016, le personnel du Conseil a présenté une requête par laquelle il sollicitait, entre autres choses, une ordonnance l’autorisant à présenter des allégations modifiées. Celles‑ci visaient l’obtention d’une ordonnance obligeant Alexion à baisser le prix du Soliris à un taux n’excédant pas le prix international le plus bas, écartant ainsi la comparaison avec le prix international le plus élevé qu’il avait appliqué au départ. La requête visant à modifier l’exposé des allégations a été accueillie, et l’audience a été ajournée pendant plusieurs mois afin de permettre à Alexion de donner suite à la modification.

[28]  L’audience a été tenue par intermittence entre les mois de janvier et d’avril 2017, et le Conseil a rendu sa décision le 20 septembre 2017.

IV.  La décision faisant l’objet du contrôle

[29]  Le Conseil a examiné les usages du Soliris et l’historique des procédures relatives au prix excessif. Il a admis le témoignage de quatre témoins des faits. Il a également entendu celui de plusieurs témoins assignés par le personnel du Conseil et par Alexion. Le Conseil a souligné que le témoignage des experts n’a pas été d’une utilité particulière, car une grande partie de ces témoignages ne portait pas sur la question fondamentale de savoir si le prix du Soliris est excessif.

[30]  Le Conseil a posé les deux questions suivantes : (1) Le prix du Soliris est‑il ou était‑il excessif au sens des articles 83 et 85 de la Loi? (2) Le cas échéant, quelle ordonnance le Conseil devrait‑il rendre?

[31]  Le Conseil a estimé que le prix international le plus bas était le bon point de référence qui permettait de juger du caractère excessif du prix du Soliris. Il a conclu qu’il doit, lorsqu’il rend une décision visée à l’article 85, tenir compte de son mandat de protection des consommateurs précisé dans l’arrêt Celgene Corporation c Canada (Procureur général), 2011 CSC 1 [Celgene], et il a souligné ce qui suit : [traduction] « [P]lus précisément, le Conseil a pour rôle de s’assurer que tous les Canadiens peuvent se procurer des médicaments brevetés à des “prix raisonnables” et que le prix de ces médicaments n’atteint pas des “niveaux inacceptables”. » Il a estimé que la conduite d’Alexion n’était pas pertinente pour juger du caractère excessif du prix du Soliris.

[32]  Selon le Conseil, les lignes directrices, qui retiennent la MPI comme point de comparaison, sont utiles pour appliquer les facteurs prévus à l’article 85, mais il a fait remarquer qu’elles n’ont qu’une valeur indicative et non contraignante. Il a ensuite conclu qu’il y avait lieu d’appliquer les lignes directrices, à une modification près : le prix international le plus bas était le point de référence approprié en l’espèce. Bien que le Conseil ait reconnu que les intervenants se fient aux lignes directrices, il a estimé qu’il devait s’en écarter, car elles n’entraînaient pas une mise en œuvre raisonnable des facteurs énoncés au paragraphe 85(1). Il a rejeté les divers arguments, formulés par Alexion et par BIOTECanada - un intervenant qui a comparu au nom de l’industrie de la biotechnologie -, selon lesquels le Conseil ne pouvait déroger aux lignes directrices.

[33]  Le Conseil a ensuite expliqué comment il entendait appliquer le paragraphe 85(1). Il a souligné que la Loi sur les brevets ne définit pas le terme « excessif » ni n’énonce de critères ou de méthode permettant de juger du caractère excessif du prix, ce qui indique que le législateur avait envisagé que différents critères et approches puissent convenir selon les différentes situations, et conféré au Conseil le pouvoir discrétionnaire de déterminer ce qui est convenable dans chaque cas. Le Conseil a conclu qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de décider de la pertinence et du poids de chaque facteur, mais qu’il devait faire reposer ses décisions sur des motifs suffisants et se limiter aux facteurs prévus au paragraphe 85(1).

[34]  S’agissant du l’alinéa 85(1)a), le Conseil a rejeté l’analyse contextuelle proposée par le personnel du Conseil et les ministres; il s’en est plutôt tenu à l’examen des renseignements soumis par Alexion, lesquels montraient que le prix du Soliris s’était élevé invariablement à 224,7333 $ l’unité.

[35]  Le Conseil a conclu que l’alinéa 85(1)b) ne s’appliquait pas, puisqu’il n’y avait aucun autre médicament dans la même catégorie thérapeutique.

[36]  S’agissant de l’alinéa 85(1)c), le Conseil a expliqué que, comme aucun autre médicament n’appartenait à la même catégorie thérapeutique, il pouvait seulement tenir compte du prix du Soliris dans d’autres pays. Il a fait remarquer que le prix de ce médicament avait soigneusement été examiné dans d’autres pays. Il a expliqué qu’il devait se demander si les parties pertinentes des lignes directrices, dont celles qui traitent de la MPI et du prix international le plus élevé, constituaient une mise en œuvre appropriée de l’exigence prévue dans la Loi selon laquelle le Conseil doit tenir compte des prix internationaux du Soliris. Le Conseil a reconnu qu’il devait se limiter à comparer le prix au Canada aux prix départ usine accessibles au public dans les pays de comparaison prévus dans le Règlement et a souligné qu’aucun élément de preuve concernant les rabais ou les escomptes dans les pays de comparaison n’avait été produit. L’utilisation des prix départ usine a permis au Conseil de tenir compte d’aspects comparables, car le prix canadien (224,7333 $) ne comprenait aucun escompte ni rabais. Le Conseil a fait remarquer que cette méthode fondée sur un prix de référence extérieur [PRE] respectait la volonté du législateur qui, malgré qu’il soit censé être au courant des difficultés associées à la comparaison de prix entre les pays, exigeait tout de même qu’elle soit retenue, et qu’elle était juste et raisonnable.

[37]  Le Conseil a reconnu que la comparaison avec le PRE pouvait ne pas tenir adéquatement compte de différences entre les pays liées à divers facteurs relatifs à l’offre et à la demande; toutefois, la plupart des pays développés utilisent cette méthode. Il a conclu que la méthode fondée sur un PRE était appropriée, mais qu’en l’espèce il était opportun d’appliquer le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas au lieu du critère qui fait intervenir le prix international le plus élevé, car il constitue une mise en œuvre plus adéquate de la Loi. Le Conseil a fait remarquer que même le prix le plus bas pour le Soliris dans les pays de comparaison avait fait l’objet de critiques parce qu’il était déraisonnable et que les éléments de preuve montraient que les médicaments brevetés coûtaient généralement plus cher à l’échelle internationale, surtout aux États‑Unis [É.‑U.]. Il a expliqué qu’il serait normal de s’attendre à ce que le prix du Soliris soit plus bas au Canada qu’aux États‑Unis, ce qui n’est pas le cas.

[38]  Selon son le Conseil, le fait de s’assurer que [traduction] « tous les Canadiens peuvent se procurer des médicaments brevetés à des prix raisonnables » fait partie de son mandat. Il a conclu que le prix raisonnable pour le Soliris au Canada ne dépassait pas le prix international le plus bas dans les pays de comparaison. Il a souligné que le prix international le plus bas se trouvait au Royaume‑Uni [R.‑U.] et qu’il était probable qu’Alexion [TRADUCTION] « couvrait ses frais et touchait un taux de rendement normal. Aucune explication ni justification n’a été fournie au Conseil quant à la raison pour laquelle les Canadiens devraient payer beaucoup plus cher pour le Soliris que les consommateurs des pays développés comparables. » Selon le Conseil, [TRADUCTION] « rien ne justifie que les Canadiens ne profitent pas du prix le plus bas parmi les pays de comparaison ». Comme le prix du Soliris avait été fixé au‑dessus du prix le plus bas dans les pays de comparaison depuis sa première vente, le Conseil a conclu que prix était excessif au sens des articles 83 et 85 de la Loi et ce, depuis 2009.

[39]  Le Conseil a ensuite répondu aux arguments concernant l’utilisation de taux de change étrangers pour comparer les prix du Soliris. Alexion avait fait valoir que seules les fluctuations du taux de change expliquaient sa non-conformité, lesquelles étaient indépendantes de sa volonté. Le Conseil a fait remarquer que les fluctuations du taux de change étaient explicitement prises en compte dans les lignes directrices et qu’Alexion savait qu’elles étaient prises en considération. Le fait que ces fluctuations soient indépendantes de la volonté d’Alexion n’était pas pertinent aux fins de l’analyse fondée sur le paragraphe 85(1). Le Conseil a souligné qu’Alexion avait choisi de ne pas se conformer aux lignes directrices pour tenir compte des fluctuations. Elle avait plutôt cherché à négocier un règlement avec le personnel du Conseil en étant pleinement consciente de sa non‑conformité aux lignes directrices. Alexion était consciente du risque que le Conseil conclue que le traitement des fluctuations dans les lignes directrices constituait une mise en œuvre appropriée de l’alinéa 85(1)c).

[40]  Le Conseil a rejeté l’argument d’Alexion selon lequel il ne devrait pas convertir les prix internationaux en dollars canadiens lorsqu’il applique l’alinéa 85(1)c), estimant plutôt qu’il devait le faire. Il a conclu que la conversion à l’aide des taux de change du marché prévue dans les lignes directrices (plutôt que les taux de change à parité du prix d’achat) était appropriée.

[41]  Le Conseil a convenu avec Alexion que le personnel du Conseil avait omis d’expliquer clairement ses calculs de l’excédent et d’établir que les données sur lesquelles il s’était fondé constituaient une source adéquate pour la vérification du prix à l’étranger. Toutefois, aucune des sources contestées ne changeait le fait que le Soliris ne satisfaisait pas au critère de comparaison avec le prix international le plus bas. Les craintes qu’Alexion avait pu avoir quant aux renseignements sur lesquels le personnel du Conseil s’était fondé ont été complètement dissipées par l’obligation imposée aux parties d’utiliser uniquement les renseignements fournis par Alexion pour calculer l’excédent. Le Conseil n’a constaté aucun manquement à l’équité procédurale, car le personnel du Conseil avait respecté ses obligations en matière de communication de la preuve, et Alexion s’était vu accorder assez de temps pour examiner les allégations du Conseil et y répondre.

[42]  S’agissant de l’alinéa 85(1)d), le Conseil a estimé que la méthode indiquée dans les lignes directrices était appropriée, à l’exception du fait que, après la période de lancement, le prix rajusté à la hausse selon l’indice des prix à la consommation [IPC] ne pouvait pas dépasser le prix international le plus bas. Le Conseil a souligné le témoignage d’un expert, M. Soriano, selon lequel le prix du Soliris en [traduction] « dollars courants » avait diminué en raison de l’inflation. Toutefois, il a conclu que ce témoignage n’était pas fondé sur une comparaison appropriée, car les calculs de ce témoin ne tenaient pas compte de l’effet de l’inflation dans les pays de comparaison. Le Conseil a rejeté l’analyse de M. Soriano concernant les recettes supplémentaires qu’aurait pu toucher Alexion si elle avait haussé son prix en fonction de l’IPC chaque année, car la Loi ne garantissait pas une hausse annuelle fondée sur l’IPC.

[43]  Le Conseil a également rejeté l’approche consistant à convertir le prix nominal du Soliris au Canada et à l’étranger pour l’exprimer en termes [traduction] « réels » en apportant des rajustements en fonction de l’IPC puis en comparant ces prix rajustés. Cette approche ne correspondait pas au libellé de l’alinéa 85(1)d) et combinait les facteurs énoncés aux alinéas 85(1)c) et d). 

[44]  Le Conseil a conclu que l’alinéa 85(1)d) l’obligeait seulement à tenir compte des variations de l’IPC. Il a fait remarquer que le prix du Soliris n’avait pas changé, malgré un taux d’inflation positif; toutefois, le prix au R.‑U. n’avait pas changé non plus, malgré l’inflation, et l’IPC était plus élevé dans ce pays qu’au Canada.

[45]  Le Conseil a estimé que l’alinéa 85(1)e) n’était pas applicable, car aucun règlement n’avait été pris en vertu de cette disposition. Il a ensuite conclu que le prix du Soliris au Canada était excessif depuis le lancement du médicament.

[46]  Dans son examen de la question de l’excédent, le Conseil a conclu que son pouvoir discrétionnaire lui permettait de calculer l’excédent en application du paragraphe 83(2) sur une base autre que celle du prix du Soliris après la période de lancement aux fins du paragraphe 83(1). Il a ordonné à Alexion de réduire le prix du médicament à un montant ne dépassant pas le prix dans le pays de comparaison où il était le plus bas. Toutefois, il a aussi ordonné à Alexion de payer l’excédent calculé à partir du prix international le plus élevé, car il estimait que cette réparation serait appropriée, équitable et conforme au mandat du Conseil, étant donné que le personnel du Conseil avait appliqué ce critère au Soliris jusqu’en 2015.

[47]  Selon le Conseil, les rabais qu’Alexion avait fournis aux provinces et à d’autres parties ne justifiaient pas une réduction de l’excédent ou une compensation à cet égard. Il a également rejeté l’argument selon lequel le coût lié à l’administration du médicament par injection devrait être pris en compte, car Alexion n’avait pas démontré que son prix englobait réellement ces coûts ni fait la preuve des coûts inclus dans le prix. Enfin, le Conseil a estimé que le fait de ne pas avoir tenu compte de l’inflation ne justifiait aucune compensation relativement à l’excédent, car cette approche supposait à tort qu’Alexion aurait été autorisée à hausser annuellement son prix en fonction de l’IPC.

[48]  Le Conseil a conclu que les dispositions des lignes directrices portant sur les compensations permises étaient appropriées. Il a rejeté les arguments d’Alexion qui étaient fondés sur le droit en matière d’expropriation, sur l’Accord de libre‑échange nord‑américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement du Mexique et le gouvernement des États‑Unis, 17 décembre 1992, RT Can 1994 no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994), et la Déclaration canadienne des droits, LC 1960, c 44, selon lesquels le Conseil ne pouvait pas interpréter la Loi sur les brevets de manière à ce qu’elle lui permette de rendre une ordonnance en se fondant sur une méthode qui n’était pas précisée dans les lignes directrices.

[49]  Le Conseil a insisté sur le fait que les lignes directrices ne donnaient pas d’indications quant aux mesures de réparations applicables aux prix excessifs et qu’elles ne limitaient pas les réparations qu’il pouvait ordonner.

[50]  Dans une courte décision subséquente, le Conseil a ordonné à Alexion de verser à Sa Majesté la Reine du Canada la somme de 4 245 329,60 $ au plus tard le 8 décembre 2017.

V.  Les questions en litige

[51]  La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

  1. La décision du Conseil de retenir le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas était‑elle incompatible avec la Loi sur les brevets et donc déraisonnable?

  2. Le refus du Conseil de tenir compte des variations de l’IPC était‑il déraisonnable?

  3. Le refus du Conseil de tenir compte des rabais provinciaux était‑il déraisonnable?

D.  Était‑il déraisonnable de la part du Conseil d’ordonner la remise de l’« excédent » calculé à partir du prix international le plus élevé, après avoir concédé que les éléments de preuve ne permettaient pas de le faire intervenir pour établir le montant à payer?

VI.  La norme de contrôle

[52]  Les décisions d’un tribunal spécialisé, notamment sur l’interprétation ou l’application de sa propre loi constitutive, sont, sous réserve de rares exceptions, susceptibles de contrôle selon norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux par. 54 à 62 [Dunsmuir]). Les parties conviennent qu’aucune des exceptions énoncées dans Dunsmuir ne s’applique en l’espèce et que le Conseil a droit à la déférence (Celgene, au par. 34).

[53]  Lorsqu’elle se livre à un tel contrôle, la cour de révision s’attache « à la justification […], à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel […], ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au par. 47). Le rôle de la cour ne consiste pas à passer la décision au peigne fin à la recherche d’une erreur. Toutefois, la cour de révision peut intervenir si la [traduction] « décision est manifestement déraisonnable, même lorsque les conclusions finales pourraient être appuyées par le dossier » (Whyte c British Colombia (Superintendent of Motor Vehicles), 2013 BCCA 454, au par. 11).

VII.  Analyse

A.  La décision du Conseil de retenir le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas était‑elle incompatible avec la Loi sur les brevets et donc déraisonnable?

[54]  Alexion soutient que le Conseil devait, pour répondre à la question de savoir si le prix était excessif, faire porter son examen uniquement sur les facteurs énoncés au paragraphe 85(1) de la Loi. Les parties et le Conseil ont convenu du fait que, parmi ces facteurs, seuls trois étaient applicables : (1) le prix de vente du médicament sur un tel marché; (2) le prix de vente du médicament et d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique à l’étranger; et (3) les variations de l’IPC (al. 85(1)a), c) et d) de la Loi sur les brevets). Alexion soutient que pour établir la comparaison avec les prix à l’étranger, le Conseil devait s’en tenir à l’examen des prix contenus dans les documents qu’elle lui avait présentés sur le prix du Soliris dans les sept pays de comparaison précisés dans le Règlement. Alexion ajoute que, durant la période pertinente, les lignes directrices prévoyaient que la présomption du caractère excessif naissait uniquement si le prix canadien dépassait la MPI au moment du lancement ou le prix international le plus élevé par la suite.

[55]  Alexion fait valoir qu’en retenant et en appliquant le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas pour conclure que le prix du Soliris était excessif, le Conseil a commis les erreurs suivantes : (1) il a retenu un critère qui n’était pas conforme à la Loi et au Règlement; (2) il n’a pas tenu dûment compte des lignes directrices; et (3) il a rendu des motifs qui ne répondent pas à la norme de transparence, d’intelligibilité et de justification. J’aborderai chacune de ces erreurs alléguées.

(1)  Le Conseil a‑t‑il retenu à tort un critère qui n’était pas conforme à la Loi et au Règlement?

[56]  Alexion affirme que le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas est manifestement incompatible avec le libellé de la Loi et avec le mandat que la Loi confie au Conseil. Au soutien de son argument, Alexion se fonde sur le sens ordinaire du terme « excessif » que donnent les dictionnaires — à savoir, quelque chose qui [traduction] « dépasse “ce qui est habituel, approprié, nécessaire ou normal” » — pour affirmer qu’on ne saurait rationnellement ou logiquement qualifier d’excessif le prix international le plus bas, lequel est inférieur à celui de chacun des pays de comparaison, sauf un.

[57]  Alexion fait valoir que le législateur n’a jamais voulu que le Conseil modifie régulièrement le prix des médicaments brevetés. Se fondant sur la décision Pfizer Canada Inc c Canada (Procureur général), 2009 CF 719 [Pfizer], elle affirme que le régime mis sur pied par le législateur n’est pas un régime général de contrôle des prix, lequel empiéterait sur la compétence provinciale, mais plutôt un régime visant à éviter l’établissement de prix excessifs ou déraisonnables qui pourraient découler de l’utilisation abusive du monopole que confère un brevet.   

[58]  Alexion ajoute que le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas ne correspond pas à l’objet apparent du Règlement, qui mentionne sept pays de comparaison. Ce critère ne prévoit ni une évaluation comparative qui permet de juger du caractère excessif d’un prix ni ne tient compte de la présence de facteurs singuliers propres au pays où le prix est bas.

[59]  Avant de retenir le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas, le Conseil a fait remarquer que la Loi ne définissait pas le caractère « excessif » du prix. Il a conclu sur ce fondement que le législateur avait envisagé que différents critères et approches puissent s’appliquer à différents médicaments brevetés, et qu’il jouissait d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour trancher la question. Cette conclusion n’est pas incompatible avec la Loi; elle est l’expression du pouvoir discrétionnaire que l’article 83 confère au Conseil pour lui permettre de se former une opinion sur le caractère excessif d’un prix après avoir tenu compte des facteurs énoncés à l’article 85. Ce pouvoir a également été reconnu par le juge Pierre Blais dans la décision LEO Pharma Inc c Canada (Procureur général), 2007 CF 306 [Leo Pharma], au paragraphe 18 :

[18] […] L’article 85 énonce une série des facteurs dont le Conseil doit tenir compte, mais il ne donne pas de précisions quant à la manière dont le Conseil doit appliquer ces facteurs ou les apprécier. Il ne précise pas non plus dans quelles circonstances le prix sera considéré comme étant excessif. Ainsi que l’a indiqué le Conseil dans sa décision : [traduction] « même si une comparaison a été effectuée, il n’est pas obligatoire d’en adopter les conclusions ».

[Non souligné dans l’original]

[60]  Pour se former une opinion sur la question de savoir si un médicament est vendu à un prix excessif, le Conseil n’a pas l’obligation d’appliquer un critère particulier. En d’autres termes, il n’y a pas qu’un seul bon critère. Alexion n’affirme pas le contraire, mais elle fait valoir qu’il existe un mauvais critère. Je ne suis pas de cet avis. Alexion ne fournit aucune source à l’appui de son argument. Conclure qu’il n’est tout simplement pas loisible au Conseil de retenir le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas reviendrait en réalité à énoncer certaines circonstances dans lesquelles le prix d’un médicament serait jugé être ou ne pas être excessif. Un tel résultat serait contraire au vaste pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi sur les brevets à ce tribunal spécialisé et reconnu dans la jurisprudence de notre Cour.

[61]  Pour répondre à la question de savoir si le prix d’un médicament est « excessif », le Conseil est tenu d’examiner le prix du médicament selon les circonstances qui lui sont propres et de tenir compte des facteurs prévus par la loi à la lumière de ces circonstances. La Loi et le Règlement ne peuvent être interprétés de manière à en exclure un résultat particulier, et ils ne peuvent être interprétés non plus de manière à exclure l’application d’un critère particulier.

[62]  La décision de retenir le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas n’est pas, à première vue, incompatible avec la Loi et le Règlement. De plus, en décidant du critère à appliquer, le Conseil ne fixe pas le prix du médicament, ce qui empiéterait sur la compétence provinciale. Il choisit plutôt l’élément de référence qui convient dans le contexte d’un médicament donné. En l’absence d’un critère prévu par la loi, j’estime que c’est précisément ce que le législateur voulait que le Conseil fasse.

(2)  Le Conseil a‑t‑il omis de tenir dûment compte des lignes directrices?

[63]  Selon Alexion, le Conseil a commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’il n’a pas suivi les lignes directrices sur la question du point de référence à retenir. Alexion cite des décisions du Conseil pour affirmer que, même si les lignes directrices ne sont pas contraignantes, elles constituent un moyen important d’assurer l’équité, l’uniformité et la prévisibilité. Elle soutient que les critères qui font intervenir la MPI et le prix international le plus élevé, dont il est question dans les lignes directrices, ont été retenus pour établir le prix de lancement du Soliris, et que le Conseil devait en tenir dûment compte dans son interprétation et son application de la Loi.

[64]  Alexion affirme que le fait de déroger à des lignes directrices établies sans avoir des raisons sérieuses et impérieuses de le faire constitue un facteur important pour évaluer si l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire était déraisonnable (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au par. 72). Alexion fait valoir que la conclusion du Conseil, selon laquelle le prix international le plus bas était le point de référence approprié pour juger du caractère excessif du Soliris, dérogeait sensiblement aux lignes directrices et qu’en conséquence, elle démontre que le Conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable. Je ne suis pas d’accord.

[65]  Il est clair que les directives ne sont pas contraignantes (par. 96(4) de la Loi sur les brevets). Même si le Conseil est tenu de faire reposer son examen des facteurs prévus à l’article 85 sur un raisonnement, une approche ou une méthodologie, cette approche « peut être élaboré[e] pour chaque cas d’espèce ou découler des lignes directrices du Conseil » (ICN Pharmaceuticals Inc c Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés) (1996), 119 FTR 114, [1996] ACF no 1112 (CAF), au par. 6).

[66]  Le Conseil a reconnu que le point de référence utilisé dans les lignes directrices, pour établir le prix du Soliris durant la période de lancement, était la MPI, mais que ceux qu’elles utilisaient après cette période étaient soit le prix international le plus élevé soit le prix rajusté selon l’IPC. Il a abordé les principes clés au sujet des lignes directrices et de leur application énoncés dans la jurisprudence du Conseil : (1) les lignes directrices ont une valeur indicative, mais le Conseil « en tiendra compte en raison de leur provenance et du rôle qu’elles jouent pour aider [les brevetés] à appliquer les dispositions de la [Loi sur les brevets] »; (2) il doit, pour répondre aux questions à examiner relativement à l’évaluation du prix excessif, établir un équilibre entre la certitude et l’uniformité préconisées par les lignes directrices, d’une part, et la nécessité de faire preuve de souplesse et de présenter des solutions adaptées aux faits de l’affaire, d’autre part; (3) le Conseil doit être convaincu que les lignes directrices permettent d’appliquer adéquatement la Loi, car il ne sera pas présumé que c’est le cas; et (4) les éléments de preuve, les observations reçues et la propre expertise des conseillers pourraient être pris en considération au moment d’évaluer si les lignes directrices peuvent être appliquées adéquatement (Dans l’affaire de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P‑4, dans sa version modifiée et dans l’affaire de LEO Pharma Inc (l’« intimée ») et son médicament « Dovobet » (19 avril 2006), CEPMB‑04‑D2‑DOVOBET, en ligne : <http://www.pmprb‑cepmb.gc.ca/fr/>; Dans l’affaire de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P‑4, dans sa version modifiée et dans l’affaire de Shire BioChem Inc (l’« intimée ») et de son médicament « Adderall XR » (10 avril 2008), CEPMB‑06‑D3‑ADDERALL XR, en ligne : <http://www.pmprb‑cepmb.gc.ca/fr>). Le Conseil a également souligné que les lignes directrices ne peuvent pas limiter le pouvoir discrétionnaire d’un tribunal ni l’emporter sur la Loi et le Règlement (Teva Neuroscience GP‑SENC c Canada (Procureur général), 2009 CF 1155, au par. 32 [Teva Neuroscience]; Canada (Procureur général) c Sandoz Canada Inc, 2015 CAF 249, au par. 75 [Sandoz]).

[67]  Le Conseil a examiné les arguments appuyant la position selon laquelle il ne lui était pas loisible de déroger aux points de référence prévus dans les lignes directrices. Après avoir indiqué qu’Alexion [traduction] « avait eu pleinement et équitablement la possibilité de réagir aux modifications » visant à faire intervenir le prix international le plus bas, il a conclu que l’utilisation des lignes directrices par le personnel du Conseil afin de déterminer le prix initial du Soliris ne l’empêchait pas de choisir un autre point de référence dans le cadre d’une audience quant au prix excessif.

[68]  En outre, le Conseil a justifié de manière détaillée sa conclusion selon laquelle le prix international le plus bas était le point de référence approprié pour juger du caractère « excessif » du prix du Soliris dans le cadre de son analyse fondée sur l’article 85. Alexion conteste le caractère raisonnable de l’analyse effectuée par le Conseil conformément à l’article 85, et ces arguments sont abordés plus bas. J’estime toutefois que pour retenir le point de référence qui lui permettrait de juger du caractère excessif du prix, le Conseil a tenu dûment compte des lignes directrices et il a appuyé sa décision de déroger aux lignes directrices sur des raisons sérieuses et impérieuses. Le Conseil n’a pas commis d’erreur à cet égard.

(3)  Les motifs rendus ne répondent à la norme de transparence, d’intelligibilité et de justification.

[69]  Alexion conteste les motifs du Conseil justifiant sa décision d’appliquer au Soliris le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas, et elle affirme que ni les faits ni la jurisprudence n’appuient les conclusions du Conseil selon lesquelles :

  • a) le prix du Soliris au R.‑U. (le plus bas des pays de comparaison) était [traduction] « critiqué parce qu’il était déraisonnable »;

  • b) il existait un lien rationnel entre le prix du Soliris aux É.‑U. et l’application du critère qui fait intervenir le prix international le plus bas;

  • c) le prix au Canada était plus élevé que le prix au É.‑U. en 2016;

  • d) le mandat du Conseil dépasse la prévention contre l’établissement de prix abusifs par les brevetés, car il permet également de veiller à ce que les Canadiens puissent obtenir des médicaments brevetés à des prix raisonnables.

[70]  Alexion fait valoir que la conclusion du Conseil portant que le prix du Soliris au R.‑U. [traduction] « est critiqué parce qu’il est déraisonnable » et que « c’est faire preuve de générosité envers Alexion que de lui permettre de vendre son médicament à un prix [au Canada] qui se situe dans les limites de celui du R.‑U. » repose sur les lignes directrices publiées en 2015 par le National Institute for Health and Care Excellence du Royaume‑Uni relativement à l’utilisation du Soliris dans le traitement du SHUa [rapport du NICE], qu’il a mal interprétées. Alexion soutient que les auteurs du rapport du NICE ne sont pas arrivés à la conclusion que le prix était déraisonnable. Ils étaient plutôt d’avis que [traduction] « les éléments qui leur ont été présentés n’étaient pas suffisants pour justifier le coût élevé par patient du [Soliris] ou le coût général du [Soliris] par rapport à ce qui pourrait être considéré comme raisonnable dans le contexte ». Alexion ajoute qu’il était déraisonnable pour le Conseil d’accorder une quelconque valeur au rapport du NICE, sans avoir analysé les motifs sur lesquels sont fondées les conclusions du rapport ou sans avoir examiné la validité et l’applicabilité de ces conclusions dans le contexte canadien. Alexion souligne que le rapport du NICE ne s’en tenait qu’à un examen de l’utilisation du Soliris dans le traitement du SHUa et que rien ne permettait de conclure que les mêmes observations auraient été faites dans le contexte du traitement de l’HPN.

[71]  Lorsqu’il a conclu que le caractère raisonnable du prix du Soliris faisait l’objet de critiques au R.‑U., le Conseil a reconnu que le rapport du NICE ne s’en tenait qu’à un examen du prix de ce médicament dans le traitement du SHUa. Il a également reconnu qu’il n’était pas en mesure de faire des observations sur la question de savoir si le prix du Soliris était excessif dans le contexte de ce pays. Par ailleurs, l’examen de ce rapport dans son ensemble révèle de manière évidente que le coût du Soliris préoccupait les auteurs, que ce coût n’avait pas été justifié et qu’il était [traduction] « beaucoup plus élevé que le coût général des autres technologies hautement spécialisées ».

[72]  Le Conseil disposait également d’éléments de preuve démontrant que le prix dans un pays de comparaison peut offrir un point de vue raisonnable quant aux coûts et au taux de rendement dans un autre. Ces éléments de preuve se concilient avec la conclusion du Conseil selon laquelle le rapport du NICE [traduction] « indique » que le fait de permettre la vente du Soliris au Canada à un prix qui se situe dans les limites de celui du R.-U. équivaut à [traduction] « faire preuve de générosité envers Alexion ».

[73]  La déférence envers le Conseil est de mise lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le fait que les éléments de preuve puissent se prêter à d’autres interprétations raisonnables ne rend pas, en soi, une décision déraisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux par. 15 et 17). Je ne puis conclure que le Conseil a donné au rapport du NICE une interprétation déraisonnable ou qu’en conséquence de son interprétation, sa conclusion quant au prix déraisonnable.

[74]  De même, je ne trouve pas convaincants les arguments d’Alexion selon lesquels il était déraisonnable pour le Conseil de conclure que le fait qu’elle soit disposée à approvisionner le marché américain à un prix inférieur à celui du Canada indiquait que le prix canadien était « excessif » et justifiait l’application du critère qui fait intervenir le prix international le plus bas. Le Conseil s’est fondé sur les éléments de preuve, dont le témoignage de trois experts, selon lesquels le prix des produits pharmaceutiques est généralement plus bas au Canada qu’aux États‑Unis. Tenant compte de ces éléments de preuve, le Conseil a fait remarquer qu’[traduction] « on se serait attendu à ce que le prix du Soliris au Canada soit moins élevé qu’aux É.‑U., mais [que] ce n’était pas le cas ». Le Conseil a ensuite cité le témoignage d’expert de MM. Addanki et Schwindt, selon lesquels le fait qu’Alexion était disposée à approvisionner le marché américain à un prix inférieur à celui du Canada montrait que le prix canadien pouvait être excessif. Le Conseil a souscrit à l’opinion des experts sur ce point, et cette conclusion fait partie des conclusions raisonnables qu’il pouvait tirer.

[75]  Alexion souligne que le Conseil a commis une erreur de fait lorsqu’il a conclu que le prix du Soliris au Canada était de 20 pour 100 supérieur à celui des É.‑U. au début de 2016, alors qu’en fait, il était de 20 pour 100 inférieur. L’erreur n’est pas contestée; M. Addanki indique clairement dans son témoignage d’expert, sur lequel le Conseil s’est fondé, que le prix du Soliris aux É.‑U. dépassait le prix au Canada dès la fin de 2014, soit vers la fin de la période visée par l’examen. Or, M. Addanki a également indiqué dans son témoignage qu’en moyenne, les médicaments coûteux aux É.‑U. sont plus chers qu’au Canada dans une proportion de 220 pour 100 et que même en tenant compte de l’écart maximal de 20 pour 100 qu’il avait observé au début de 2016, il était d’avis que le prix du Soliris au Canada était plus élevé que ce à quoi il se serait attendu.

[76]  Les erreurs mineures ou sans conséquence qui n’influent pas sur le résultat général ne justifient pas l’intervention de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Zhan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 822, au par. 50). L’erreur commise par le Conseil à cet égard était sans conséquence et ne mine pas le caractère raisonnable de ses conclusions générales. 

[77]  Alexion soutient également que le Conseil a mal interprété l’arrêt Celgene de la Cour suprême du Canada parce qu’il a donné une interprétation libérale à son mandat qui consiste à veiller à ce que les Canadiens obtiennent des médicaments à un prix raisonnable. Alexion est d’avis que le mandat du Conseil est bien plus restreint, car il ne concerne que la prévention contre les prix abusifs. Elle soutient que le Conseil a fait reposer l’interprétation large et erronée qu’il a donnée à son mandat sur des facteurs qui n’étaient pas pertinents pour son analyse fondée sur le paragraphe 85(1) et qu’il n’a accordé aucune importance à d’autres facteurs qui auraient dû étayer son analyse. Je ne suis pas d’accord.

[78]  En soulignant son rôle en matière de protection des consommateurs, le Conseil a reconnu son mandat tel qu’il était décrit dans l’arrêt Celgene. Il ne s’en est donc pas tenu uniquement à l’examen d’un passage du Hansard, comme on le lui reprochait. Il a plutôt reconnu que, dans le cadre de son analyse fondée sur l’article 85, il devait tenir compte du fait que [traduction] « le rôle du Conseil consiste à veiller à ce que tous les Canadiens puissent obtenir des médicaments brevetés à des “prix raisonnables” et à ce que le prix de ces médicaments n’atteigne pas des “niveaux inacceptables” », selon les paragraphes 27 et 28 de l’arrêt Celgene. L’aspect lié à la protection des consommateurs du mandat du Conseil est reconnu depuis longtemps, et cet aspect de son rôle n’est, à mon avis, ni inconciliable ni incompatible avec l’objectif de prévention contre l’établissement de prix abusifs par les brevetés.

[79]  Alexion tente de faire une distinction entre un prix [traduction] « non excessif » et un prix [traduction] « raisonnable ». Ces notions ne sont pas nécessairement mutuellement exclusives. Selon la définition du dictionnaire Merriam‑Webster, le terme « raisonnable » signifie [traduction] « conforme à la raison […] ni extrême ni excessif […] modéré, équitable » (Merriam‑Webster Dictionary, sous la rubrique « reasonable » [en ligne : <www.merriam-webster.com>]). À la lecture de la décision du Conseil dans son ensemble, il est évident qu’il a compris que la question qu’il devait trancher était la suivante : [traduction] « Le prix du Soliris est‑il ou était‑il excessif au sens des articles 83 et 85 de la Loi sur les brevets? » Le Conseil, qui avait clairement précisé son rôle, n’a pas employé à tort les termes [traduction] « prix raisonnable » et [traduction] « prix non excessif » de façon interchangeable.

[80]  Je souscris aux observations d’Alexion selon lesquelles la Loi sur les brevets n’habilite pas le Conseil à fixer le prix d’un médicament au taux qu’il juge lui-même être raisonnable. Le Conseil est chargé de veiller à ce que le prix ne soit pas excessif. Alexion s’appuie sur le fait que le Conseil a affirmé qu’il ne voyait aucune raison pour laquelle les Canadiens ne devraient pas profiter du prix d’achat le plus bas pour le Soliris parmi tous les pays de comparaison, pour affirmer que le Conseil a ignoré son objectif premier qu’est la prévention contre les prix abusifs.

[81]  Je ne souscris pas à la manière dont Alexion interprète les remarques du Conseil. Le Conseil a fait ces remarques dans le contexte de son analyse des pays de comparaison, après son examen et son appréciation des éléments de preuve relatifs à la comparaison des prix et après avoir conclu que le prix international le plus bas était le point de référence qui convenait pour juger du caractère excessif du prix en l’espèce. Le Conseil n’a pas cherché à déterminer un prix raisonnable pour le Soliris; il a plutôt cherché à arrêter un prix de référence non excessif pour faire les rapprochements nécessaires avec les pays de comparaison. C’est seulement ensuite qu’il a fait remarquer que les éléments de preuve ne justifiaient pas un prix plus élevé au Canada et qu’il a souligné l’incidence du coût élevé du Soliris sur les budgets provinciaux. Ces observations ne minent pas le caractère raisonnable de la conclusion du Conseil, selon laquelle le prix international le plus bas était le pont de référence qui convenait pour juger du caractère excessif du prix en l’espèce.

[82]  J’estime également que le Conseil n’a pas souligné à tort le témoignage de M. Schwindt, qui a affirmé que le prix exigé dans un pays de comparaison peut permettre de conclure que le breveté couvre ses frais et obtient un taux de rendement normal. Du point de vue d’Alexion, le Conseil a essentiellement examiné les coûts de réalisation et de mise en marché du Soliris conformément au paragraphe 85(2) de la Loi, alors qu’il avait affirmé qu’il ne tiendrait pas compte de ce facteur. Je ne suis pas de cet avis. Cette conclusion semble logique et est loin de constituer une prise en considération des coûts de réalisation et de mise en marché du médicament aux fins du paragraphe 85(2).

[83]  De plus, Alexion fait valoir que le Conseil a conclu à tort que la conduite de la société n’était pas pertinente pour juger du caractère excessif du prix conformément au paragraphe 85(1). Selon Alexion, comme le Conseil était d’avis que sa conduite n’était pas pertinente, il n’a également accordé aucun poids aux facteurs pertinents liés à sa conduite, notamment : le fait que le prix du Soliris n’avait pas été augmenté au Canada depuis son lancement et que, compte tenu de l’inflation par la suite, son coût avait en réalité diminué d’environ 10 pour 100. J’aborderai plus loin le défaut reproché au Conseil de tenir compte du fait qu’Alexion n’avait pas augmenté le prix du Soliris en fonction de l’inflation.

[84]  Pour en arriver à sa conclusion selon laquelle la conduite d’Alexion n’était pas pertinente pour l’analyse du prix excessif, le Conseil s’est fondé sur l’arrêt Sandoz de la Cour d’appel fédérale, où la Cour a affirmé que le Conseil avait eu raison de conclure que l’objet des articles 79 à 103 de la Loi sur les brevets était de protéger les consommateurs contre les prix excessifs et que le méfait pouvait être causé dans certaines circonstances sans que le propriétaire du brevet lui‑même exige des prix excessifs (Sandoz, aux par. 65 et 67).

[85]  Alexion fait valoir que, par définition, un prix abusif ou un « méfait » requiert la prise en compte de la conduite du breveté. Alexion invite la Cour à distinguer la présente affaire de celle examinée dans l’arrêt Sandoz et à conclure que le Conseil a eu tort de n’accorder aucune importance à la conduite de la société. Une distinction peut être établie entre les faits de l’affaire Sandoz et ceux que le Conseil a examinés en l’espèce; toutefois, cette distinction ne rend pas déraisonnable la conclusion du Conseil selon laquelle la conduite du breveté était peu utile pour répondre à la question du prix excessif. Le principe illustré dans les paragraphes 65 à 67 de l’arrêt Sandoz — selon lequel il était raisonnable pour le Conseil de tenir compte du méfait qu’était le prix excessif en mettant l’accent sur les personnes ayant besoin de protection contre ce méfait plutôt que sur le breveté — a été pris en considération et appliqué par le Conseil aux faits particuliers qui lui ont été présentés : un médicament considéré comme une découverte sans traitement de remplacement offert sur le marché. Le Conseil pouvait raisonnablement conclure que la conduite d’Alexion dans ces circonstances n’était pas pertinente pour répondre à la question du prix excessif. Il va de soi que ni le fait pour Alexion de s’opposer à l’interprétation de l’arrêt Sandoz faite par le Conseil ni le fait de proposer une autre interprétation raisonnable ne rendent déraisonnable l’approche adoptée par le Conseil.

B.  Le refus du Conseil d’accorder du poids aux variations de l’IPC était‑il déraisonnable?

[86]  L’alinéa 85(1)d) de la Loi exige que le Conseil tienne compte des variations de l’IPC. Alexion soutient que le Conseil a eu tort de ne pas tenir compte de ces variations lorsqu’il a décidé de retenir le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas. Selon Alexion, le Conseil n’a donc accordé aucune valeur particulière au fait que le prix du Solaris au Canada n’avait jamais augmenté, qu’en [traduction] « dollars courants », le prix au Canada avait diminué et que les problèmes de conformité qui s’étaient posés découlaient uniquement des fluctuations du taux de change. Je ne suis pas d’accord.

[87]  Le Conseil doit prendre en considération les facteurs énoncés au paragraphe 85(1), s’il dispose de renseignements pertinents par rapport à ces facteurs. Rien ne l’oblige à accorder du poids aux facteurs d’une manière particulière. Toutefois, il « doit tenir raisonnement compte de chaque facteur, […] ne peut ignorer aucun d’entre eux et […] ne peut accorder à l’un d’entre eux une importance qui a pour effet d’éclipser tous les autres » (Teva Neuroscience, au par. 47 [souligné dans l’original]).

[88]  Lors de son examen fondé sur l’alinéa 85(1)d), le Conseil a reconnu que la position d’Alexion était juste en ce qui a trait à l’IPC, il a pris acte du fait que le prix du Solaris n’avait pas changé depuis son lancement et il a renvoyé aux témoignages d’expert, selon lesquels, en [traduction] « dollars courants », le prix avait diminué en raison de l’inflation. Le Conseil a examiné le témoignage des experts, souligné les lacunes dans l’approche analytique adoptée par ceux-ci et conclu qu’en conséquence, ces témoignages étaient inutiles. Le Conseil s’est livré à une analyse sérieuse du facteur lié à l’IPC.

[89]  Alexion fait valoir que le Conseil a combiné l’analyse fondée sur la comparaison du prix international prévue à l’alinéa 85(1)c) et celle fondée sur l’IPC prévue à l’alinéa 85(1)d) lorsqu’il a souligné l’absence de fluctuations du prix au R.‑U. durant la même période, et ce, malgré un taux d’inflation positif dans ce pays. Là encore, je ne suis pas d’accord. Le Conseil comprenait que les facteurs prévus aux alinéas 85(1)c) et 85(1)d) était distincts. Il savait que le facteur prévu à l’alinéa 85(1)d) devait être pris en compte relativement aux prix au Canada, et non à ceux dans les pays de comparaison. Le fait qu’il renvoie au prix dans un autre pays — en réponse au témoignage d’expert qui lui avait été présenté — n’appuie pas le point de vue selon lequel l’analyse de l’IPC avait été intégrée à la comparaison des prix ou qu’aucun intérêt réel n’avait été porté à l’alinéa 85(1)d).

C.  Le refus du Conseil de tenir compte des rabais provinciaux était-il déraisonnable?

[90]  Se fondant sur la décision LEO Pharma, Alexion soutient que la conclusion du Conseil selon laquelle le prix du Soliris était « excessif » et l’ordonnance qu’il a rendue l’enjoignant à payer un excédent signifient qu’il refusé, de manière déraisonnable, de tenir compte des paiements versés par Alexion aux provinces au titre des EIP conclues de 2011 à 2013.

[91]  Dans l’affaire LEO Pharma, le Conseil avait été invité à tenir compte du programme de distribution gratuite du médicament de la demanderesse pour évaluer le prix de transaction moyen du médicament. Le paragraphe 4(4) du Règlement prévoit le calcul du prix moyen des médicaments brevetés et son libellé actuel est le suivant :

(4) Pour l’application du sous-alinéa (1)f)(i) :

a) le prix après déduction des réductions accordées à titre de promotion ou sous forme de rabais, escomptes, remboursements, biens ou services gratuits, cadeaux ou autres avantages semblables et après déduction de la taxe de vente fédérale doit être utilisé pour le calcul du prix moyen par emballage dans lequel le médicament était vendu.

(4) For the purposes of subparagraph (1)(f)(i),

(a) in calculating the average price per package of medicine, the actual price after any reduction given as a promotion or in the form of rebates, discounts, refunds, free goods, free services, gifts or any other benefits of a like nature and after deduction of the federal sales tax shall be used.

[92]  Dans la décision LEO Pharma, le Conseil a refusé de tenir compte de l’incidence du programme de distribution gratuite, car il estimait qu’il s’agissait non pas d’un programme humanitaire authentique, mais plutôt d’un programme mis en œuvre à la suite d’une enquête sur le prix dans le but de réduire artificiellement le prix de transaction moyen du médicament. Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour a souligné que, même si les lignes directrices contenaient une mention concernant un « programme humanitaire de distribution », le Règlement en soi n’exigeait pas la mise sur pied d’un tel programme. La Cour a estimé que le Conseil avait des motifs raisonnables de conclure que le programme de distribution gratuite n’était pas un programme humanitaire authentique. Toutefois, le juge Blais a précisé que l’intention du breveté n’était pas visée par le Règlement et que des directives claires y étaient prévues concernant le calcul du prix moyen. Il a conclu que le Règlement avait été rédigé de manière à inciter les brevetés à distribuer gratuitement des médicaments en leur permettant d’inclure des programmes de distribution gratuite et de rabais dans le calcul du prix moyen, sans qu’il soit question de l’intention ayant motivé ces programmes. Le refus du Conseil de prendre en considération la distribution gratuite a été jugé déraisonnable (LEO Pharma, aux par. 55 à 57).

[93]  Pour décider si les rabais consentis par Alexion au titre des EIP devaient être pris en compte au moment de déterminer le prix de transaction moyen en l’espèce, le Conseil a tenu compte de la décision LEO Pharma. Toutefois, s’appuyant sur la décision Pfizer, il a interprété la directive établie dans LEO Pharma [traduction] « comme une directive concernant les rabais consentis aux clients », et non à des tiers ou à des étrangers quant à la transaction de vente.

[94]  Dans la décision Pfizer, la juge Anne Mactavish a estimé que le Conseil avait outrepassé sa compétence en exigeant que les brevetés déclarent les rabais (y compris les rabais ou paiements à des tiers), les escomptes, les services gratuits, les cadeaux et les autres avantages semblables dans le calcul du prix moyen des médicaments brevetés. La juge Mactavish a souligné que le rôle du Conseil était limité, du point de vue constitutionnel, au fait de « vérifier, en tenant compte de certains facteurs, si le breveté vend des médicaments brevetés à ses clients à des “prix excessifs” » (Pfizer, au par. 11). Dans son examen de l’historique législatif des modifications apportées en 1993 à la Loi sur les brevets, elle a souligné que la compétence fédérale était limitée à la réglementation des prix « départ usine ». Elle a décrit ce type de prix comme désignant généralement au sein de l’industrie le prix entre le breveté et le premier acheteur du médicament breveté, normalement un grossiste (Pfizer, aux par. 61 et 62).

[95]  Même si certaines provinces avaient négocié des ententes avec les brevetés, la juge Mactavish a également conclu que celles-ci n’étaient pas des « clientes », car le Conseil les désignait comme des « tiers » (Pfizer, au par. 82). La juge a également souligné que, dans la décision LEO Pharma, le juge ne s’était pas demandé si l’obligation de déclarer les rabais s’appliquait aux « rabais ou remboursements à des tiers » (Pfizer, au par. 57). Elle a conclu que les provinces n’étaient pas des clientes du breveté et que les paiements versés au titre des EIP n’étaient pas des rabais au sens du paragraphe 4(4) du Règlement, car les circonstances ne comprenaient pas le remboursement de fonds déjà versés au breveté (Pfizer, aux par. 86 à 89).

[96]  Alexion soutient que la décision Pfizer n’empêche pas le Conseil de tenir compte des rabais consentis à des tiers qui sont volontairement déclarés au Conseil et que cette interprétation est conforme à la décision LEO Pharma. Je ne suis pas de cet avis.

[97]  Comme l’a souligné la juge Mactavish dans la décision Pfizer, la décision LEO Pharma n’exige pas de répondre à la question de savoir si l’obligation de tenir compte des paiements, des escomptes ou des rabais s’applique aux paiements versés à des tiers (Pfizer, au par. 57). La manière dont le Conseil interprète la décision LEO Pharma et sa conclusion selon laquelle cette décision ne s’applique pas aux faits en l’espèce n’était ni incohérente par rapport à cette décision ni déraisonnable.

[98]  L’article 80 de la Loi exige que les brevetés fournissent des renseignements et des documents prévus dans le Règlement concernant le prix auquel un médicament est vendu au Canada. Le Règlement exige que soit déclaré le prix « départ usine » auquel le médicament a été vendu « à chaque catégorie de clients dans chaque province et territoire » et il réglemente ce prix. Même si l’alinéa 4(4)a) du Règlement porte sur le prix réel après escomptes, rabais et ainsi de suite, le prix dont il est question dans ce texte est celui que paient les clients.

[99]  Il était loisible au Conseil de conclure, comme il l’a fait, que les provinces qui ont touché des paiements d’un breveté au titre d’une EIP ne sont pas des clientes pour les motifs exposés par la juge Mactavish dans la décision Pfizer. Il était donc raisonnable pour le Conseil de conclure que les escomptes consentis aux provinces ne devaient pas être pris en considération dans la détermination du prix de transaction moyen.

[100]  Alexion fait également valoir que, même si le Conseil a conclu à raison qu’il ne prendrait pas en considération les escomptes consentis aux provinces pour déterminer le prix du Soliris conformément au paragraphe 85(1), il était tenu de les prendre en compte dans le calcul de l’excédent aux fins du paragraphe 83(2) de la Loi.

[101]  S’appuyant sur les raisons pour lesquelles il avait décidé d’exclure les escomptes pour la détermination du prix du Soliris, le Conseil a refusé de prendre en considération les escomptes consentis aux provinces aux fins de la compensation d’un excédent.

[102]  Le paragraphe 83(2) de la Loi est ainsi libellé :

83 (2) Sous réserve du paragraphe (4), lorsqu’il estime que le breveté a vendu, alors qu’il était titulaire du brevet, le médicament sur un marché canadien à un prix qu’il juge avoir été excessif, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de prendre l’une ou plusieurs des mesures suivantes pour compenser, selon lui, l’excédent qu’aurait procuré au breveté la vente du médicament au prix excessif :

a) baisser, dans un marché canadien, le prix de vente du médicament dans la mesure et pour la période prévue par l’ordonnance;

b) baisser, dans un marché canadien, le prix de vente de tout autre médicament lié à une invention brevetée du titulaire dans la mesure et pour la période prévue par l’ordonnance;

c) payer à Sa Majesté du chef du Canada le montant précisé dans l’ordonnance.

 

83 (2) Subject to subsection (4), where the Board finds that a patentee of an invention pertaining to a medicine has, while a patentee, sold the medicine in any market in Canada at a price that, in the Board’s opinion, was excessive, the Board may, by order, direct the patentee to do any one or more of the following things as will, in the Board’s opinion, offset the amount of the excess revenues estimated by it to have been derived by the patentee from the sale of the medicine at an excessive price:

(a) reduce the price at which the patentee sells the medicine in any market in Canada, to such extent and for such period as is specified in the order;

(b) reduce the price at which the patentee sells one other medicine to which a patented invention of the patentee pertains in any market in Canada, to such extent and for such period as is specified in the order; or

(c) pay to Her Majesty in right of Canada an amount specified in the order.

 

[103]  L’alinéa 83(2)c) permet au Conseil d’ordonner le versement à la Couronne fédérale de l’excédent qu’aurait selon lui procuré au breveté la vente du médicament au prix excessif. Le prix excessif est le prix de transaction moyen, et ce chiffre n’a pas été contesté. Comme il a raisonnablement conclu que les escomptes consentis aux provinces ne devaient pas être pris en considération dans la détermination du prix du Soliris, le Conseil n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a exclu ces escomptes de l’évaluation du montant de l’excédent visé par l’ordonnance au titre du paragraphe 83(2).

D.  La décision du Conseil de se fonder sur le critère qui fait intervenir le prix international le plus élevé pour rendre l’ordonnance relative à l’excédent était-elle déraisonnable?

[104]  Alexion fait valoir que le Conseil a déraisonnablement fondé son ordonnance de remise de l’excédent sur le critère qui fait intervenir le prix international le plus élevé. Elle se fonde sur la conclusion du Conseil selon laquelle les éléments de preuve ne permettaient pas de le faire intervenir pour établir le montant à payer. Alexion soutient qu’en raison du caractère incertain des éléments de preuve souligné par le Conseil, ce dernier n’était pas en mesure de calculer le montant de l’excédent qu’aurait procuré au breveté la vente du médicament au prix excessif.

[105]  Je ne suis pas convaincu. Le paragraphe 83(2) confère au Conseil un vaste pouvoir discrétionnaire. Il n’est pas tenu de rendre une ordonnance pour le paiement de l’excédent ni de prendre toute autre mesure pour compenser l’excédent. Toutefois, s’il le fait, le Conseil doit tenir compte du montant estimatif de l’excédent. En ce sens, je suis d’accord avec Alexion pour dire que le Conseil ne peut pas rendre une ordonnance prévoyant n’importe quel montant. Le paragraphe 83(2) n’a pas pour but d’imposer une pénalité ou une sanction.

[106]  Toutefois, pour déterminer le montant de l’excédent, rien, logiquement ou en droit, n’empêche le Conseil de retenir un critère plus prudent que celui que d’autres faits et circonstances lui permettraient d’appliquer. C’est exactement ce qu’a fait le Conseil en l’espèce. En se fondant sur le critère qui fait intervenir le prix international le plus élevé pour calculer le prix excessif visé par l’ordonnance, le Conseil a reconnu que le critère qui fait intervenir le prix international le plus bas n’était pas un point de référence valable avant 2015 et que le personnel du Conseil avait en tout temps appliqué le critère qui fait intervenir le prix international le plus élevé conformément aux lignes directrices. Le Conseil a cherché à être juste et équitable envers Alexion. Ce n’était ni injuste ni déraisonnable.

VIII.  Conclusion

[107]  Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la décision est raisonnable à tous égards, et que la demande est rejetée. Les dépens sont adjugés au défendeur. L’intervenant n’a pas sollicité de dépens, et aucuns ne sont adjugés.


JUGEMENT RENDU DANS LE DOSSIER NO T-1596-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Les dépens sont adjugés au défendeur. Aucuns dépens ne sont adjugés à l’intervenant.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1596-17

 

 

INTITULÉ :

ALEXION PHARMACEUTICALS INC. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 novembre 2018

 

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Gleeson

 

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS CONFIDENTIElS :

Le 23 mai 2019

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS PUBLICS :

Le 12 juin 2019

 

COMPARUTIONS :

D. Geoffrey Cowper, c.r.

Stanley Martin

 

POUR LA demandereSSE

 

Christine Mohr

Joseph Cheng

Jon Bricker

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

David Cowie

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA demandereSSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

Procureur général de la Colombie-Britannique

Vancouver (Colombie-Britannique)

pour l’intervenant

 

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