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Date : 20060620

Dossier : IMM-4613-05

Référence : 2006 CF 780

ENTRE :

SAHIRA SHAMOON TOMA

AMJAD DAWOOD NISSAN

STEELA NISSAN

ADEN NISSAN

LORITA NISSAN

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE PINARD

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 26 mai 2005 par un agent des visas de l’ambassade du Canada à Damas, en Syrie, selon laquelle les demandeurs ne font pas partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni de la catégorie désignée des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières. 

 

[2]               Sahira Shamoon Toma, Amjad Dawood Nissan, Steela Nissan, Aden Nissan et Lorita Nissan (les demandeurs) sont des citoyens iraquiens qui prétendent faire partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières. 

 

[3]               Dans sa décision du 26 mai 2005, un agent des visas (l’agent des visas) de l’ambassade du Canada à Damas, en Syrie, a jugé que les demandeurs ne font pas partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni de la catégorie désignée des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières. Après avoir examiné les dispositions applicables de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, l’agent des visas a affirmé :

[traduction]

Après avoir examiné avec attention tous les facteurs relatifs à votre demande, je ne suis pas convaincu que vous fassiez partie d’une des catégories réglementaires. Comme je vous l’ai indiqué lors de l’entrevue, j’avais des doutes quant à votre crédibilité et je vous ai fourni une occasion d’y répondre, mais vous n’avez pas été en mesure de présenter une explication convaincante. Je ne suis pas convaincu que vous éprouviez une crainte raisonnable d’être persécuté en Iraq ni que vous déteniez des éléments de preuve crédibles démontrant que vous avez été touché sérieusement et personnellement par une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne et que vous continuerez à l’être. En conséquence, vous ne satisfaites pas aux exigences de ce paragraphe. 

 

 

[4]               Selon les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), l’agent des visas a conclu que la demande des demandeurs n’était pas crédible, car le récit que le demandeur Amjad a fait de l’enlèvement du mari de sa belle-sœur différait de celui fait par sa belle‑sœur dans sa propre demande d’asile (voir IMM‑4610‑05). L’agent des visas avait également des doutes quant à la crédibilité du récit du demandeur Amjad selon lequel il aurait été menacé et battu pour avoir travaillé pour les forces américaines.    

 

[5]               À titre préliminaire, le défendeur s’est opposé à un affidavit déposé au nom des demandeurs et signé par un membre de la famille au Canada. Cet affidavit prétend décrire l’entrevue des demandeurs avec l’agent des visas, et comporte de nombreux détails sur les questions qui ont été posées et les réponses qui y ont été données. L’affidavit contient également des opinions comme [traduction] « l’agent des visas ne comprenait pas tous les mots arabes ». 

 

[6]               Le défendeur s’oppose à cet affidavit pour le motif qu’il n’est pas conforme aux Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, telles que modifiées. Selon l’article 12(1) des Règles, tout affidavit déposé à l’occasion de la demande d’autorisation est limité au témoignage que son auteur pourrait donner s’il comparaissait comme témoin devant la Cour. Cette disposition signifie que les règles habituelles de common law concernant la preuve s’appliquent, y compris la double exigence de nécessité et de fiabilité pour l’admission d’éléments de preuve par ouï‑dire (R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915; Akomah c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. n152 (1re inst.) (QL)).

 

[7]               En effet, l’affidavit de Jalila Shamoon Toma ne se limite pas à exposer les faits, mais il comprend des opinions directement contredites par les éléments de preuves incontestés de l’agent (par exemple, au sujet de sa maîtrise de l’arabe). Cela soulève un doute quant à la fiabilité des éléments de preuve par ouï‑dire des demandeurs. 

 

[8]               Selon moi, l’affidavit de Jalila Shamoon Toma, la sœur de la demanderesse Sahira, ne devrait donc se voir attribuer presque aucune ou aucune valeur. Il en a été ainsi dans de nombreuses autres décisions de la Cour, dans lesquelles un affidavit fondé sur des renseignements ou des opinions (et qui n’était pas signé par quelqu’un ayant une connaissance personnelle du processus décisionnel) avait été soumis (Huang c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. n788 (1re inst.) (QL); Muntean c. Canada (M.C.I.), [1995] A.C.F. n1449 (1re inst.) (QL); Ling c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2003 CF 1198; Zheng c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. n1562 (1re inst.) (QL)).

 

[9]               Les demandeurs soutiennent, entre autres choses, que l’agent des visas doit agir équitablement. Le devoir d’agir équitablement exige que l’agent des visas donne aux demandeurs l’occasion de répondre à tout doute qu’il pourrait éprouver au sujet de la demande d’asile et d’expliquer les contradictions entre les éléments de preuve (Muliadi c. Canada (M.E.I.), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.F.)). Dans le cas où une question est essentielle à la demande, et où l’agent des visas considère que les éléments de preuve ne sont pas plausibles, celui‑ci doit faire part de ses doutes au demandeur et lui fournir l’occasion d’expliquer pourquoi les éléments de preuve sont plausibles. En outre, lorsque l’agent des visas s’appuie sur des éléments de preuve extrinsèques, l’équité exige qu’il donne au demandeur l’occasion d’expliquer les contradictions apparentes. Selon les demandeurs, il ne l’a pas fait.

 

[10]           Plus particulièrement, les demandeurs soutiennent que, bien que l’agent des visas ait questionné la demanderesse dans une demande connexe (IMM-4610-05) au sujet de la contradiction sur la façon dont le corps de son mari avait été transporté à l’hôpital, il n’a pas demandé d’explication au demandeur en l’espèce, Amjad, manquant ainsi à l’équité procédurale. 

 

[11]           Les demandeurs ont raison d’affirmer que, lorsque l’agent des visas s’appuie sur des éléments de preuve extrinsèques, l’équité exige que les demandeurs aient l’occasion d’expliquer les contradictions apparentes.

 

[12]           À mon sens, en ce qui concerne les doutes de l’agent au sujet de la crédibilité des menaces qu’aurait reçues Amjad en raison de son travail pour un entrepreneur ayant fourni des services aux forces américaines, les notes du STIDI révèlent qu’Amjad a été informé de ces doutes et qu’il a eu l’occasion d’y répondre. Quand on lui a demandé pourquoi le groupe antiaméricain lui téléphonerait et menacerait de le tuer pendant six mois pour simplement le battre et le laisser partir après l’avoir arrêté, sa réponse a été [traduction] « bien, c’est ce qui m’est arrivé ». Il n’est pas manifestement déraisonnable pour l’agent de ne pas être convaincu par cette explication.

 

[13]           Toutefois, en ce qui a trait aux doutes de l’agent des visas concernant la crédibilité du témoignage d’Amjad au sujet de la façon dont le corps de son beau‑frère a été transporté à l’hôpital, une telle occasion de s’expliquer n’a pas été donnée. 

 

[14]           Dans la décision de la Cour fédérale Dasent c. Canada (M.C.I.), [1995] 1 C.F. 720 (1re inst.), le juge Rothstein a expliqué ce que signifiait « éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par la partie requérante ». Il a affirmé, aux pages 730 et 731 :

[…] Dans le cas qui nous occupe, compte tenu de l'utilisation par le juge Hugessen des mots « qui ne lui sont pas fournis par le requérant » à l'égard de l'expression « éléments de preuve extrinsèques » et de son renvoi à l'affaire Muliadi, j'interprète l'expression « éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par la partie requérante » comme des éléments de preuve dont la partie requérante n'est pas au courant parce qu'ils proviennent d'une source extérieure. Il s'agit d'éléments de preuve dont la partie requérante ignore l'existence et que l'agent d'immigration a l'intention d'invoquer pour en arriver à une décision touchant cette partie. Si ces éléments de preuve comprennent des renseignements obtenus d'une partie extérieure, comme ceux de l'affaire Muliadi, il est difficile de dire pourquoi ils ne comprendraient pas également les éléments de preuve obtenus d'un conjoint en l'absence de la partie requérante ou d'autres renseignements qui se trouvent dans le dossier de l'immigration et qui ne proviennent pas de la partie requérante ou dont elle ne peut raisonnablement avoir connaissance.

 

 

[15]           La Cour d’appel a infirmé la décision de la Cour fédérale dans Dasent ([1996] A.C.F. n79 (C.A.F.) (QL)) et a jugé que les déclarations contradictoires faites dans une entrevue séparée par un conjoint qui n’est là que pour appuyer la prétention de la demanderesse selon laquelle le mariage est authentique ne constituent pas « des éléments de preuve extrinsèques” qui n’ont pas été fournis par elle » que l’agent est tenu de divulguer. 

 

[16]           Selon moi, même si le demandeur savait probablement que sa belle‑sœur serait interrogée sur des sujets semblables, le témoignage de la belle‑sœur d’Amjad ne constituait pas des éléments de preuve fournis par Amjad. La belle‑sœur d’Amjad avait été interrogée dans le cadre de sa propre demande visant à obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention et de personne protégée outre‑frontières. Par conséquent, il semble que ces éléments de preuve, contrairement au témoignage d’un conjoint qui n’est interrogé que pour appuyer la prétention de son partenaire, seraient considérés comme des « éléments de preuve extrinsèques qui [n’ont] pas [été] fournis par la partie requérante ».

 

[17]           Rien dans le dossier n’indique que l’agent des visas a abordé la question pour permettre à Amjad d’expliquer la contradiction entre son témoignage et celui de sa belle‑sœur (dans le dossier IMM‑4610‑05) et il n’existe aucun affidavit à cet effet.

 

[18]           Je suis d’avis que l’agent des visas a manqué à son devoir d’équité envers les demandeurs lorsqu’il a statué sur leur demande d’asile en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques essentiels à la demande qui n’ont été divulgués à aucun des demandeurs. Puisque nous ne pouvons présumer raisonnablement que cette demande aurait été rejetée sur le fondement des autres doutes concernant la crédibilité, la présente affaire doit être renvoyée pour être examinée de nouveau conformément aux principes de l’équité.

 

[19]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue le 26 mai 2005 par un agent des visas de l’ambassade du Canada à Damas, en Syrie, est annulée et l’affaire est renvoyée à un agent des visas différent de la même ambassade pour être examinée de nouveau conformément aux présents motifs.

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 20 juin 2006

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4613-05

 

INTITULÉ :                                                   SAHIRA SHAMOON TOMA, AMJAD DAWOOD NISSAN, STEELA NISSAN, ADEN NISSAN, LORITA NISSAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 25 AVRIL 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 20 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Rokakis                                                    POUR LES DEMANDEURS

 

John Provart                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Rokakis                                                    POUR LES DEMANDEURS

Windsor (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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