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Date : 20060406

Dossier : IMM-3925-05

Référence : 2006 CF 445

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

ENTRE :

OSCAR HUGO CAMPOS SHIMOKAWA

NANCY VIOLETA COLCA DE CAMPOS

GAIL SAYURI CAMPOS COLCA

SEIKY BERNIE COMPOS COLCA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ 

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), visant la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a jugé que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi, respectivement.

 

[2]               Les demandeurs sont citoyens du Pérou. Leur demande se fonde sur les faits suivants.

 

[3]               En mai 1994, des membres du Sentier lumineux ont abordé le demandeur principal dans son restaurant situé à Villa Rica pour exiger de la nourriture et de l’argent. Le demandeur principal s’est senti obligé d’accéder à leurs exigences parce que les guérilleros ont menacé de le tuer ainsi que sa famille.

 

[4]               En avril 1998, quatre membres du Sentier lumineux sont venus à son restaurant et ont exigé 5000 $US, mais le demandeur principal leur a répondu qu’il n’avait pas l’argent. Ils lui ont donné deux mois pour payer.

 

[5]               En mai 1998, deux policiers de Villa Rica l’ont informé qu’un terroriste détenu l’avait accusé de collaborer avec le Sentier lumineux. Les policiers lui ont expliqué qu’ils étaient tenus de signaler l’accusation. Le demandeur principal a confié à son cuisinier la charge du restaurant et s’est caché avec sa famille dans un autre quartier de Villa Rica. Au cours des mois suivants, des membres du Sentier lumineux se seraient rendus chez sa belle‑mère ainsi que chez ses parents. 

 

[6]               En juin 1998, des policiers se sont présentés au restaurant et ont demandé à voir le demandeur principal.

 

[7]               En août 1998, en raison de ses problèmes avec le Sentier lumineux, le cuisinier a fermé le restaurant.

 

[8]               Le 27 mars 1999,  les demandeurs ont quitté le Pérou pour le Japon, où ils auraient souffert grandement de discrimination raciale. En mars 2001, les demandeurs ont appris que le Japon n’avait pas de programme de réfugiés.

 

[9]               Les demandeurs sont entrés au Canada le 16 décembre 2001 et ont déposé leurs demandes d’asile en janvier 2002.

 

[10]           En ce qui a trait au risque posé par le Sentier lumineux, la Commission a conclu que, compte tenu de la situation actuelle et des risques futurs pour les demandeurs, il était clair que le Pérou assurait la protection des personnes menacées par le Sentier lumineux et que l’État péruvien avait pris des mesures pour combattre le groupe terroriste.

 

[11]           Pour ce qui est de la crédibilité du demandeur principal, la Commission n’a pas cru son récit selon lequel le Sentier lumineux était venu le voir de manière répétée et menaçante comme il l’avait décrit. Dans les notes manuscrites du demandeur principal à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), datées du 27 mars 2002, le demandeur principal n’a pas mentionné avoir eu affaire directement au Sentier lumineux, ni en étant obligé de trouver du travail à un membre présumé ni en étant la cible d’extorsion et de menaces. Le demandeur y a déclaré : [traduction] « Il y a du terrorisme au Pérou. » Le demandeur principal a fait une autre déclaration à CIC le 2 avril 2002, mais il n’y a pas non plus indiqué avoir eu affaire directement au Sentier lumineux. Par contre, dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), daté du 17 mai 2002, le demandeur principal fait état d’extorsion complexe et répétée. La Commission a accordé plus de crédibilité aux notes manuscrites du demandeur principal à CIC qu’à l’exposé circonstancié de son FRP. 

 

[12]           En ce qui concerne le risque provenant de la police antiterroriste péruvienne, la Commission a trouvé difficile d’accepter qu’une agence gouvernementale telle que la DINCOTE soit incapable de retrouver le demandeur principal ou sa famille au Pérou de juillet 1998 jusqu’à leur départ, le 27 mars 1999.

 

[13]           La Commission a jugé hautement improbable que la police ait recherché le demandeur principal à son restaurant en juillet 1998 et au domicile de ses parents en décembre 1998, mais qu’elle ne se soit pas aperçue que deux des demandeurs avaient obtenus des passeports en août 1998 (les passeports ayant le voyage comme but premier). De même, la Commission a jugé improbable que les demandeurs, s’ils étaient vraiment recherchés par la DINCOTE, aient pu simplement quitter le pays en avion. La Commission a également constaté que le témoignage de la fille contredisait les allégations du demandeur principal. Bien que l’exposé circonstancié du FRP indique que, en décembre 1998, la DINCOTE s’est rendue au domicile des parents du demandeur principal pour le rechercher, la fille (qui habitait avec les parents du demandeur principal à l’époque) a affirmé dans son témoignage que cette visite n’avait pas eu lieu et qu’elle aurait su si cette visite s’était produite. 

 

[14]           La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas prouvé de façon claire et convaincante qu’il existait une possibilité sérieuse que la protection de l’État ne soit pas raisonnablement assurée. Les demandeurs n’ont pas non plus démontré qu’ils avaient fourni des efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État. La Commission a de plus conclu que Lima pouvait raisonnablement constituer une possibilité de refuge intérieur (PRI) pour les demandeurs. 

 

ANALYSE

 

[15]           Les demandeurs avancent deux fondements distincts à leur crainte d’être persécutés, qui visent deux organisations différentes, la première étant le Sentier lumineux et la seconde la DINCOTE. Bien que certaines des conclusions de la Commission quant à la crédibilité des allégations concernant le Sentier lumineux puissent être matière à soulever certains doutes, je suis convaincue que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité des allégations concernant la DINCOTE sont solides et ne peuvent être jugées manifestement déraisonnables. Je suis également d’avis que les conclusions de la Commission au sujet de la protection de l’État ainsi que de la PRI valide sont issues d’un raisonnement juste.

 

[16]           Quand la protection de l’État est assurée, la demande d’asile ne peut être accueillie. En conséquence, la Cour a statué à plusieurs reprises que l’existence d’une protection de l’État tranche la demande de contrôle judiciaire et, conséquemment, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions : Judge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1089, [2004] A.C.F. no 1321 (C.F.) (QL), aux paragraphes 4-9; Muszynski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1075, [2005] A.C.F. no 1329 (C.F.) (QL), au paragraphe 6; Danquah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 832, [2003] A.C.F. no 1063 (C.F.) (QL), au paragraphe 12.

 

[17]           De même, la Cour a statué un certain nombre de fois que l’existence d’une PRI valide tranche la demande d’asile et, conséquemment, que les autres questions soulevées par le demandeur dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire n’ont pas à être examinées : Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.), Hazime c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 2069 (1re inst.) (QL), au paragraphe 5; Ermolenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 394, [2004] A.C.F. no 488 (C.F.) (QL), au paragraphe 8; Horvath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1503, [2004] A.C.F. no 1790 (C.F.) (QL), au paragraphe 7; Igbinevbo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1729, [2005] A.C.F. no 2158 (C.F.) (QL), au paragraphe 5.

 

[18]           En résumé, l’existence d’une protection de l’État ou bien d’une PRI est déterminante pour toute demande d’asile et, en conséquence, je crois que ces deux questions tranchent la demande qui m’est soumise, ce qui rend les autres questions de fond sans objet. Il ne restera que la question de procédure touchant les Directives no 7.

 

Protection de l’État

 

[19]           La norme de contrôle applicable à une conclusion concernant la protection de l’État est la décision raisonnable simpliciter : Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232 (C.F.) (QL).

 

[20]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en concluant que la protection de l’État est assurée et renvoient à un certain nombre de documents au sujet du meurtre de citoyens par des groupes de guérilleros, du changement de gouvernement au Pérou ainsi que du regroupement du Sentier lumineux. Les demandeurs soutiennent également que, étant donné leur crainte de la DINCOTE, il est déraisonnable de s’attendre à ce qu’ils fassent appel à la police pour obtenir de la protection. À ce propos, les demandeurs citent le juge La Forest dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 48, où il affirme que « le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale ». 

 

[21]           Je conviens que le demandeur d’asile n’est pas tenu de faire preuve de courage ou de témérité pour demander la protection de l’État. Il lui incombe seulement de tenter d’obtenir la protection de l’État si celle-ci est considérée comme étant raisonnablement assurée. Si le demandeur d’asile prouve de façon claire et convaincante qu’il serait inutile d’entrer en contact avec les autorités ou que cela empirerait la situation, il n’est pas tenu de prendre d’autres mesures.  

 

[22]           En l’espèce, cependant, la Commission a jugé non plausibles un certain nombre des allégations des demandeurs concernant la DINCOTE. La Commission a trouvé difficile d’accepter que la DINCOTE ait été incapable de retrouver les demandeurs pendant neuf mois. La Commission a aussi jugé hautement improbable que la DINCOTE ait recherché les demandeurs, mais ne se soit pas aperçue qu’ils avaient obtenu des passeports pour quitter le pays et qu’ils aient pu finalement quitter le pays par avion. La Commission s’est également appuyée sur le témoignage de la fille selon lequel elle n’était pas au fait de la visite de la DINCOTE au domicile des parents du demandeur principal. La Commission a conclu que l’allégation du demandeur principal concernant les recherches actives de la police était probablement une exagération visant à atténuer la nécessité de demander la protection de l’État.  

 

[23]           Bien qu’il soit vrai que, en général, le demandeur d’asile n’a pas à demander la protection de l’État lorsque l’agent de persécution est l’autorité policière, la Commission n’a pas cru que les demandeurs en l’espèce étaient effectivement recherchés par la police et je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion. La Cour suprême, dans l’arrêt Ward, précité, établit qu’il incombe au demandeur d’asile de prouver de façon claire et convaincante que l’État n’assure pas la protection pour réfuter la présomption voulant que cette protection soit assurée. Les demandeurs n’apportent aucun autre élément de preuve réfutant cette présomption; je dois donc conclure que la conclusion de la Commission selon laquelle l’État assure la protection est raisonnable.  

 

Possibilité de refuge intérieur

 

[24]           En ce qui concerne la question de l’existence d’une PRI, dans Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999, (2003), 238 F.T.R. 289, la juge Judith Snider a conclu que la jurisprudence confirmait que la norme de contrôle applicable à une conclusion concernant la PRI était la décision manifestement déraisonnable.

 

[25]           Pour que la Commission puisse conclure qu’un demandeur d’asile dispose d’une PRI, deux critères s’appliquent. Premièrement, la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté à cet endroit. Deuxièmement, les conditions doivent y être telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge : Valencia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 85 F.T.R. 218 (1re inst.).

 

[26]           Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas examiné correctement le deuxième critère, plus précisément, que la Commission ne semble pas avoir évalué le caractère raisonnable de Lima en tant que PRI sauf pour conclure que la fille n’y avait éprouvé aucun problème jusqu’en mars 1999.  

 

[27]           Les demandeurs avancent de plus que la Commission n’a pas à s’appuyer sur la capacité du demandeur à trouver du travail au Japon et à s’adapter à des situations nouvelles puisqu’elle est sans rapport avec la question de savoir si Lima constitue une PRI.

 

[28]           À mon avis, la conclusion de la Commission selon laquelle Lima constituerait une PRI valable n’est pas manifestement déraisonnable. La Commission s’est judicieusement appuyée sur Ali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 46 (1re inst. ) (QL), pour affirmer que la PRI peut être évaluée en examinant la situation d’autres membres de la famille y habitant. En l’espèce, la Commission a conclu que la fille avait habité ouvertement à Lima pendant une longue période sans éprouver de problème. Rien ne prouvait le contraire, puisque la Commission n’avait pas ajouté foi au témoignage du demandeur principal selon lequel la DINCOTE s’était rendue au domicile de ses parents à Lima pour le rechercher.

 

[29]           Bien que la mention par la Commission de la capacité des demandeurs à s’adapter au Japon ne soit pas très pertinente, cela démontrait néanmoins que les demandeurs étaient en mesure de s’adapter à une nouvelle situation. En outre, cette observation ne modifie pas l’évaluation de la Commission voulant que Lima soit une PRI valide.  

 

[30]           Finalement, bien que les motifs de la Commission au sujet de la PRI soient brefs, je suis incapable de conclure que le raisonnement de la Commission à cet égard est « à ce point vici[é] qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de [le] maintenir », Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52.

 

Directives no 7

 

[31]           Un examen de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire des demandeurs ne révèle aucune mention de la question des Directives no 7. Celle-ci est soulevée pour la première fois dans leur mémoire supplémentaire. Il est bien établi que la Cour ne se penche que sur les motifs de contrôle invoqués par le demandeur dans l’avis introductif d’instance; la question n’est donc pas soumise en bonne et due forme à la Cour : Arora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 24 (1re inst.) (QL); Conseil national des femmes métisses c. Canada (Procureur général), 2005 CF 230, [2005] 4 R.C.F. 272, au paragraphe 45.

 

[32]           De toute façon, je note qu’aucune objection à l’ordre des interrogatoires n’a été soulevée à quelque moment que ce soit lors de l’audience devant la Commission. Dans l’arrêt récent Geza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, [2006] A.C.F. no 477 (C.A.F.) (QL), le juge John Evans a judicieusement observé que « [l]es parties ne peuvent généralement pas se plaindre d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale par un tribunal administratif si elles n’en ont rien dit à la première occasion raisonnable. Une partie ne peut pas attendre d’avoir perdu pour crier à l’injustice » (au paragraphe 66). En conséquence, à mon avis, les demandeurs ont renoncé à leur droit de se plaindre maintenant d’un manquement à l’équité procédurale relativement à l’ordre des interrogatoires. 

 

[33]           En conséquence, la présente demande est rejetée.

 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3925-05

 

INTITULÉ :                                                   OSCAR HUGO CAMPOS SHIMOKAWA

                                                                        NANCY VIOLETA COLCA DE CAMPOS

                                                                        GAIL SAYURI CAMPOS COLCA

                                                                        SEIKY BERNIE COMPOS COLCA

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 29 MARS 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Byron M. Thomas

 

POUR LES DEMANDEURS

Judy Michaely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Byron M. Thomas

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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