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                                                                                                                                           Date : 20020314

                                                                                                                             Dossier : IMM-1862-01

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 282

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                         GUSTAVO DANIEL ESPEJO

                                                       DANIEL FRANCISCO ESPEJO

                                                         MARIE CRISTINA GUAITA

                                                                                                                                                  Demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     Défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1.                    La Cour est saisie d'une requête tendant à l'annulation ou à la modification de l'ordonnance rendue le 18 juin 2001 par le juge Denault, rejetant la demande d'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire déposée par les demandeurs vu leur omission de déposer le dossier des demandeurs, et de prorogation de délai afin de leur permettre de déposer ledit dossier.

  

LES FAITS

2.                    Les demandeurs sont des citoyens argentins qui ne parlent pas l'anglais et qui sont incapables d'écrire ou de lire en anglais. Leur langue maternelle est l'espagnol.

3.                    En août 2000, le demandeur principal, Gustavo Daniel Espejo, a retenu les services juridiques du révérend Daniel McLeod afin qu'il le représente pour toutes les questions se rapportant à l'immigration.

4.                    Le 6 décembre 2000, lors de l'audience de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section du statut de réfugié), les demandeurs étaient représentés par le révérend McLeod.

5.                    Le 12 février 2001, les demandeurs ont été avisés que leur revendication du statut de réfugié avait été rejetée et qu'ils disposaient d'un délai de quinze (15) jours pour déposer une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada.

6.                    En février 2001, le demandeur principal a donné instruction au révérend McLeod de déposer une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale avant l'expiration du délai de quinze (15) jours prévu par la loi.


7.                    Le demandeur principal a versé au révérend McLeod un total de 300 $ pour qu'il le représente dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Le 15 février 2001, il est passé à son bureau afin de signer un document intitulé [traduction] « Demande de contrôle judiciaire » .

8.                    Aux alentours du 25 juin 2001, le demandeur principal a été avisé par le greffe de la Cour que [traduction] « sa demande d'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire était rejetée, les demandeurs ayant fait défaut de produire le dossier de la demande » .

9.                    Aux alentours du 25 juin 2001, le demandeur principal a rendu visite au révérend McLeod, ayant en mains l'ordonnance du juge Denault. Le révérend McLeod a rassuré le demandeur en déclarant qu'il n'y avait aucun problème et qu'il allait régler la situation en faisant appel devant la Cour fédérale du Canada. Le demandeur aurait à assumer une dépense de 200 $ pour cet appel, somme qui fut versée au révérend McLeod le 3 juillet 2001.

10.              Le 12 septembre 2001, ne faisant plus confiance au révérend McLeod, le demandeur principal s'est adressé à l'avocat qui le représente aujourd'hui. Celui-ci s'est alors procuré une copie du dossier de la Cour. Ce dossier indiquait qu'un certain Larry G. Colle, inconnu des demandeurs, avait signé un affidavit contenant de faux renseignements à propos de la cause des demandeurs. Selon les demandeurs, l'affidavit avait été souscrit à leur insu et sans leur autorisation et contenait de fausses déclarations à leur propos et concernant les circonstances entourant leur défaut d'avoir produit le dossier de la demande à la Cour.


11.              Pour les fins de l'analyse, il est utile de reproduire ici les trois premiers paragraphes de la déclaration de Larry G. Colle, souscrite le 11 juillet 2001 :

[Traduction]

1. Je connais très bien les demandeurs en raison de mon affiliation à la St. Jude Chapel. Les demandeurs n'avaient pas les moyens de payer les honoraires d'un avocat et ils n'étaient pas admissibles à l'aide juridique. Je suis au courant des principaux faits établis dans le cadre de l'audience devant la Section du statut de réfugié et j'ai examiné toute la preuve pertinente, y compris la décision de la Section du statut de réfugié. À ce titre, je suis parfaitement au courant de tous les faits en l'espèce. La décision de la Section du statut de réfugié est jointe en annexe aux présentes comme Pièce A.

2. La St. Jude Chapel a aidé les demandeurs à préparer la demande d'autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire devant cette honorable Cour. Je sais et je crois sincèrement qu'ils ont à nouveau essayé d'obtenir de l'aide d'un procureur pour produire le dossier mais qu'ils ont été incapables d'assumer les honoraires exigés par ce procureur.

3. Les demandeurs m'ont également informé qu'ils sont incapables de supporter tous les frais liés à la préparation de cette requête. Ils m'ont donc demandé de les aider sur ce point également.

12.              Le demandeur principal affirme qu'il n'a jamais rencontré Larry G. Colle et qu'il ne lui a jamais parlé, qu'il ne pourrait même pas le reconnaître s'il le voyait. Le demandeur principal déclare en outre qu'il a payé le révérend McLeod afin qu'il prépare et dépose sa demande de contrôle judiciaire et qu'il n'a pas cherché à obtenir de l'aide d'un procureur puisqu'il était représenté par le révérend McLeod; d'après le demandeur principal, il est de plus inexact de dire qu'il était incapable de payer un autre avocat, comme le prétend Larry Colle. Le demandeur principal ajoute que la déclaration selon laquelle il aurait fait défaut de produire le dossier de sa demande dans le délai de 30 jours du fait qu'il n'aurait pas été en mesure de payer les honoraires de son avocat est également inexacte.


13.              La requête pour obtenir une prorogation du délai et un nouvel examen, déposée le 11 juillet 2001 et appuyée de l'affidavit de Larry G. Colle, a été rejetée le 13 août 2001 par le juge Denault.

QUESTIONS EN LITIGE

14.              Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans le cadre de leur requête :

[Traduction]

1.        Les demandeurs ont-il eu connaissance du nouveau fait mentionné (l'affidavit de M. Colle) après la décision attaquée?

2.         Les demandeurs auraient-ils pu, en faisant preuve de diligence raisonnable, découvrir l'existence du nouveau fait avant la décision attaquée?

3.         Si ce nouveau fait avait été soumis à l'examen de la Cour, la décision de cette dernière aurait-elle été différente?

4.         Les demandeurs ont-ils une cause défendable sur le fond en ce qui a trait à leur demande d'autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire et à la demande de contrôle judiciaire?

5.         Si la Cour accorde une prorogation de délai pour permettre aux demandeurs de déposer le dossier de la demande, le Ministre subira-t-il un préjudice?

   

ANALYSE

15.              Pour se prévaloir du recours prévu aux alinéas 399 (2)a) et b) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, le demandeur doit établir qu'il ne pouvait découvrir le fait nouveau avant que l'ordonnance ne soit rendue, en faisant preuve de diligence raisonnable, et que ce nouveau fait est d'une nature telle qu'il aurait eu une incidence sur la décision de la Cour. [Saywack c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 189, 27 D.L.R.(4th) 617 (C.A.).]


16.              Les demandeurs font valoir qu'ils n'ont pas eu connaissance avant le 25 septembre 2001 qu'un dénommé Larry G. Colle, qui leur était alors inconnu, avait signé et déposé à la Cour un affidavit dans lequel il affirmait les connaître et les tenait responsables d'avoir fait défaut de produire le dossier requis pour compléter leur demande de contrôle judiciaire dans le délai fixé. Les demandeurs prétendent qu'ils ne pouvaient pas découvrir plus tôt le contenu de l'affidavit. De fait, dès qu'ils ont appris le véritable motif ayant conduit au rejet de leur demande, ils ont agi avec diligence en déposant la présente requête devant la Cour.

17.              Les demandeurs prétendent, essentiellement, que si la Cour avait connu les véritables circonstances de la cause des demandeurs et plus particulièrement, si elle avait été informée des faits énoncés ci-après, elle aurait probablement rendu une décision différente :

            (i)         les demandeurs ont retenu les services d'un avocat afin qu'il complète le dossier de leur demande d'autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire;

            (ii)        la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a jugé que leur témoignage à l'appui de leur revendication du statut de réfugié était crédible;

            (iii)       le défaut de produire le dossier de la demande n'est pas imputable à la faute des demandeurs mais aux fausses déclarations délibérées faites par leur conseil et à la fraude commise à leur endroit.


18.              Je suis convaincu que les demandeurs ont eu connaissance de l'affidavit controversé uniquement après l'ordonnance du juge Denault et qu'avec toute la diligence raisonnable, ils ne pouvaient découvrir ce fait plus tôt. Toutefois, je dois également me convaincre que la Cour, si elle avait été au courant de l'affidavit et des circonstances de la cause des demandeurs, aurait rendu une toute autre décision et accordé une prorogation de délai de même que l'autorisation sollicitée.

19.              Dans Grewal c. Canada, [1985] 2 C.F. 263 (C.A.), l'un des arrêts de principe concernant le critère que doit appliquer la Cour lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire d'accorder ou non une prorogation de délai, le juge en chef Thurlow, à la page 272, tient ces propos éclairants :

Il me semble [...] qu'en étudiant une demande comme celle-ci, on doit tout d'abord se demander si, dans les circonstances mises en preuve, la prolongation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties.

Il ajoute, aux pages 278 et 279 :

... en dernière analyse, la question de savoir si l'explication donnée justifie la prorogation nécessaire doit dépendre des faits de l'espèce et, à mon avis, nous commettrions une erreur si nous tentions d'énoncer des règles qui auraient l'effet de restreindre un pouvoir discrétionnaire que le Parlement n'a pas jugé bon de restreindre.

  

20.              Monsieur le juge Marceau, dans la même affaire, affirme que la prorogation devait être accordée si la « recherche ultime de la justice semble transcender la nécessité de mettre fin à l'incertitude relative aux droits des parties » . Il affirme qu'il peut être approprié de peser les différents facteurs en jeu et que dans certains cas, une très bonne cause peut contrebalancer une faible justification du retard et vice versa.

21.              La preuve présentée à la Cour démontre clairement que les demandeurs ont toujours eu l'intention, tout au long des procédures, de mener à terme leur demande de contrôle judiciaire. Malheureusement, ils ont fait confiance au révérend McLeod mais celui-ci a fait défaut de produire le dossier de la demande, conformément aux instructions qu'il avait reçues. Dans son affidavit, M. Colle a sciemment donné de faux renseignements à propos de la cause des demandeurs. Il est difficile de déterminer quelle explication, s'il en est, aurait pu être fournie à la Cour concernant le retard des demandeurs, hormis l'inadvertance ou l'incompétence présumée du révérend McLeod. Toutefois, la présente Cour est en mesure d'évaluer si les demandeurs ont une cause défendable. Les faits se rapportant à la revendication du statut de réfugié des demandeurs et ayant donné lieu à la décision de la CISR, le 1er février 2001, n'ont pas changé. L'avocat des demandeurs affirme, dans son exposé de droit, que la Commission a jugé que le demandeur principal était un témoin crédible mais qu'elle aurait commis une erreur dans l'analyse de la preuve établissant que les demandeurs appartenaient à un groupe social particulier.


22.              Dans ses motifs, la Section du statut de réfugié affirme que les demandeurs ont été victimes de violence du fait qu'ils étaient partisans d'une certaine équipe de soccer. Un examen de ces motifs révèle que la Section du statut de réfugié a reconnu cet aspect du témoignage des demandeurs mais qu'elle a rejeté l'argument au motif que [Traduction] « les victimes d'une revanche ne constitu[ent] pas un groupe social particulier selon la définition prévue dans la Convention » .

23.              Je suis d'avis que même si la Cour avait eu connaissance de toutes les circonstances de la cause des demandeurs examinées ci-haut, y compris en ce qui a trait aux prétentions des demandeurs selon lesquelles ils auraient une cause défendable, la Cour serait parvenue à la même décision. Malgré les circonstances regrettables de la fraude apparente perpétrée par le révérend McLeod à l'encontre des demandeurs, je ne suis pas convaincu, compte tenu de la preuve déposée en l'espèce, et je ne peux que présumer que la même preuve aurait été déposée devant le juge Denault dans le cadre de la demande visant à obtenir une prorogation de délai et l'autorisation de déposer une demande, que les faits établis justifient d'accorder une prorogation de délai. La preuve ne m'a pas convaincu que les demandeurs ont une cause défendable en ce qui a trait à la demande de contrôle judiciaire. Je ne suis donc pas convaincu que la décision de la présente Cour aurait été différente si elle avait disposé de tous les faits examinés plus haut.

24.              Pour ces motifs, la requête sera rejetée.

  

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :


1.         La requête en vue d'annuler ou de modifier l'ordonnance rendue le 18 juin 2001 par le juge Denault, rejetant la demande d'autorisation des demandeurs en raison de leur défaut de produire le dossier de la demande et rejetant la demande de prorogation de délai pour déposer le dossier de la demande, est rejetée.

   

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »                

Juge                     

   

Traduction certifiée conforme

                                                        

Richard Jacques, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                               IMM-1862-01

INTITULÉ :                              Gustavo Daniel Espejo et al. c. M.C.I.

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES.

DATE :                                      5 octobre 2001

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Alvaro J. Carol                                                                               Pour les demandeurs

David Tyndale                                                                               Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alvaro J. Carol                                                                               Pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                                        Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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