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Date : 20060510

Dossiers : T-361-05

T-362-05

 

Référence : 2006 CF 583

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O’KEEFE

 

ENTRE  :

TENASKA MARKETING CANADA,

une division de TMV Corp.

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) dans deux relevés détaillés de rajustement en date du 27 janvier 2005 (les RDR). Les RDR établissaient une cotisation à l’égard de la demanderesse pour la taxe sur les produits et services (la TPS) et les intérêts concernant des expéditions de gaz naturel transporté par pipeline entre l’Ouest du Canada et l’Est du Canada, au moyen d’un pipeline passant par les États-Unis. L’ASFC prend la position selon laquelle le gaz naturel était assujetti à la TPS lorsqu’il a été réimporté au Canada, alors que la demanderesse prend la position selon laquelle, selon les dispositions de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 1 (la Loi sur les douanes) et de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15 (la Loi sur la taxe d’accise), aucune importation n’est réputée avoir été effectuée et que la TPS ne s’applique donc pas.

 

[2]               La demanderesse sollicite :

            1.         une déclaration portant qu’aucune TPS n’était exigible à l’égard de l’importation des expéditions du gaz naturel en question;

            2.         une ordonnance de certiorari annulant les RDR; et

            3.         une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à rembourser à la demanderesse le montant établi au titre des intérêts dans les RDR, lesquels étaient les intérêts prescrits établis par le défendeur et payés depuis lors par la demanderesse, le tout conformément à la Loi sur les douanes, ainsi que les intérêts y afférents à compter de la date à laquelle la demanderesse avait versé les intérêts prescrits au défendeur, calculés conformément à la Loi sur les douanes, comme si les RDR annulés étaient des RDR à l’égard du classement tarifaire.

 

Contexte

 

[3]               Tenaska Marketing Canada, une division de Tenaska Marketing Ventures Corp., qui est une société du Nebraska (la demanderesse), s’occupe de commerce de gaz naturel au Canada. La demanderesse achète du gaz naturel dans l’Ouest du Canada et le transporte ensuite jusque chez ses clients, dans l’Est du Canada, au moyen du pipeline des Grands Lacs, qui s’étend de la frontière entre le Manitoba et le Minnesota, en passant par le Minnesota, le Wisconsin et le Michigan, avant d’entrer de nouveau au Canada à Sault Ste. Marie ou à St. Clair (Ontario).

 

[4]               Au mois de juillet 2003, l’organisme qui est maintenant l’ASFC (autrefois l’Agence des douanes et du revenu du Canada), une agence relevant du portefeuille du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le défendeur), a entamé une vérification de l’observation par la demanderesse de la législation douanière concernant les importations de gaz naturel que celle‑ci avait effectuées au cours de l’année civile 2002. Pendant la vérification, la demanderesse a soumis plusieurs documents concernant 24 importations de gaz naturel. Parmi les documents qui ont été déposés, il y avait une copie d’un contrat, signé le 15 janvier 1996, entre la demanderesse et une société affiliée américaine (le contrat d’achat‑vente). Le contrat d’achat‑vente visait à transférer le titre afférent au gaz naturel à la société affiliée américaine lorsque le gaz passait la frontière aux États-Unis. Le titre était de nouveau transféré à la demanderesse lorsque le gaz naturel était réimporté au Canada, en Ontario. La demanderesse a affirmé qu’il s’agissait simplement de [traduction] « transferts de convenance » effectués en vue de se conformer aux lignes directrices de la Federal Energy Regulatory Commission (la FERC) aux États-Unis.

 

[5]               En ce qui concerne 12 des 24 importations de gaz naturel, la demanderesse a déclaré que le gaz naturel avait pour origine les États‑Unis et elle a reconnu qu’il était assujetti à la TPS lorsqu’il était importé. Quant aux 12 autres importations de gaz (que la demanderesse a appelées le gaz en transit), la demanderesse a déclaré que le gaz naturel avait pour origine le Canada, qu’il devait être classé sous le numéro tarifaire 9813.00.00.92 (marchandises originaires du Canada, exportées et retournées) et qu’il devait donc être exempté de la TPS.

 

[6]               Le 27 janvier 2005, l’ASFC a envoyé deux RDR conformément à l’alinéa 59(1)a) de la Loi sur les douanes en vue de corriger les erreurs commises dans le classement tarifaire qui avaient été décelées au cours de la vérification. Les RDR établissaient à l’égard de la demanderesse une cotisation de 2 693 622 $ au titre de la TPS et de 555 234 $ au titre des intérêts prescrits (collectivement appelés la cotisation) pour le motif que la demanderesse aurait dû payer la TPS sur ses importations du gaz en transit en 2002 lorsque le gaz naturel a été réimporté au Canada.

 

[7]               Les motifs de cette cotisation sont énoncés dans les lettres et rapports préparés par Mark Kapiczowski, agent de vérification de l’observation à l’ASFC. Dans le rapport de vérification final daté du 21 janvier 2005, M. Kapiczowski fait savoir qu’étant donné que le gaz en transit est entré dans le pipeline des Grands Lacs, où s’il s’est combiné ou s’est mêlé au gaz de provenance américaine, il doit être classé sous le numéro tarifaire 2711.21.00.00 (gaz naturel) et il est assujetti à la TPS au moment de son importation.

 

[8]               M. Kapiczowski a également fait remarquer que même s’il était possible de s’assurer que le gaz en transit avait pour origine le Canada, il y avait eu transfert de propriété à la frontière du Manitoba et que le gaz était fourni à l’étranger au moyen d’une vente. Par conséquent, la TPS était payable au moment de la réimportation.

 

[9]               La demanderesse a payé la cotisation et a depuis lors recouvré l’élément TPS de la cotisation en demandant un crédit de taxe sur les intrants, mais elle n’a pas recouvré l’élément intérêts. La demanderesse a présenté cette demande de contrôle judiciaire en vue de contester la cotisation. Selon la demanderesse, la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur les douanes ne prévoient pas d’autres mécanismes d’appel. Le défendeur n’a pas contesté la possibilité de demander le contrôle judiciaire dans ce cas‑ci.

 

Question en litige

 

[10]           La question litigieuse, telle qu’elle est libellée par la demanderesse, est la suivante : en vertu de l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise, le gaz naturel en transit est‑il réputé avoir été importé pour l’application de la TPS? Cette question dépend de deux autres questions :

            1.         La nature fongible et le fait qu’il y a eu mélange de gaz naturel empêchent‑ils l’application de l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise?

            2.         Les transferts de convenance effectués par la demanderesse empêchent‑ils l’application de l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise?

 

[11]           La question litigieuse, telle qu’elle est libellée par le défendeur, est la suivante : la décision d’établir une cotisation à l’égard de la TPS sur le gaz en transit était‑elle correcte sur le plan juridique compte tenu du dossier factuel dont disposait le décideur? Cette question dépend de son côté de deux questions :

            1.         Le décideur a‑t‑il commis une erreur en concluant que la preuve fournie par la demanderesse ne montrait pas que le gaz naturel que celle-ci avait importé au Canada depuis les États‑Unis était le même gaz que celui qu’elle avait antérieurement exporté du Canada?

            2.         Étant donné que la demanderesse avait vendu le gaz naturel en question à une autre société qui avait alors ce gaz à sa disposition en vue d’une revente possible à des tiers aux États‑Unis, le défendeur a‑t‑il commis une erreur en ne concluant pas que le gaz était exempté de la TPS?

Le défendeur a soutenu que si l’on répond par la négative aux première et deuxième questions, la demande doit être rejetée.

 

Arguments de la demanderesse

 

[12]           La demanderesse a pris la position selon laquelle l’alinéa 144.01a) de la Loi sur la taxe d’accise exemptait de la TPS le gaz en transit importé et que l’ASFC n’a pas tenu compte de cette disposition en établissant la cotisation. L’alinéa 144.01a) prévoit que, pour l’application de la TPS, le produit transporté en continu au moyen d’un fil, d’un pipeline ou d’une autre canalisation qui passe par l’étranger au cours de sa livraison par ce moyen d’un endroit au Canada à un autre endroit au Canada et seulement aux fins de cette livraison, est réputé n’être ni exporté ni importé au cours de son transport ou nouveau transport. La demanderesse a soutenu que son transport du gaz en transit est visé par le libellé de l’alinéa 144.01a) et que ni le mélange du gaz naturel ni les transferts de convenance n’empêchent l’application de l’alinéa 144.01a).

 

[13]           La demanderesse a soutenu que le gaz naturel, de même que d’autres produits comme le pétrole brut et l’électricité, sont des produits fongibles qui se mêlent à d’autres molécules de gaz naturel lorsqu’ils sont expédiés par pipeline. L’expéditeur obtient de nouveau du pipeline le même volume général et la même qualité générale de gaz naturel qui a initialement été livré au pipeline au point situé en amont, mais non les mêmes molécules physiques.

 

[14]           La demanderesse a soutenu que les transferts de convenance étaient effectués (1) en vue de se conformer aux lignes directrices de la FERC, exigeant que celui qui fait transporter du gaz naturel dans un pipeline américain ait une capacité de transport, et (2) à des fins fiscales et commerciales, en vue d’assurer que la demanderesse ne soit pas considérée comme expédiant le gaz naturel aux États‑Unis ou comme exerçant de quelque autre façon des activités aux États-Unis. Il a été soutenu que les mots « seulement aux fins de » figurant à l’alinéa 144.01a) ne visaient pas à empêcher l’application de cette disposition aux cas dans lesquels le titre ou la propriété du gaz naturel était transféré dans le cours du transport.

 

Arguments du défendeur

 

[15]           Le défendeur a soutenu que la charge de démontrer l’observation de la Loi sur les douanes, l’origine des marchandises ainsi que le mode, moment ou lieu de leur importation ou exportation incombe à l’importateur (paragraphe 152(3) de la Loi sur les douanes). Le défendeur a soutenu que l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise n’exemptait pas le gaz naturel en question de la TPS, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, la demanderesse n’avait pas démontré que le gaz naturel importé était le même gaz que celui qu’elle avait exporté antérieurement du Canada. En second lieu, la demanderesse n’a pas démontré que le gaz naturel a été transporté par les États‑Unis seulement aux fins de sa livraison d’un endroit au Canada à un autre endroit au Canada.

 

[16]           a)         Le gaz importé n’était pas le même gaz que celui qui avait antérieurement été exporté du Canada

            Le défendeur a soutenu que même si le gaz naturel passait par un pipeline américain ayant de nombreux points de livraison à l’intérieur des États‑Unis, il devait être possible d’établir l’origine du gaz importé par rapport aux volumes de gaz ramassé et livré par tous les expéditeurs qui utilisent le pipeline. Toutefois, la preuve de la demanderesse montrait au mieux qu’elle exportait du gaz à divers moments à la frontière du Manitoba, et qu’elle importait du gaz à divers autres moments à la frontière de l’Ontario. Il était fort probable que le gaz importé ne soit pas le même gaz étant donné que le gaz canadien et le gaz américain étaient énormément mélangés.

 

[17]           b)         Le gaz naturel n’était pas transporté seulement aux fins de sa livraison d’un endroit au Canada à un autre endroit au Canada

 

            Le défendeur a fait valoir que même si la demanderesse avait prouvé que le gaz naturel qu’elle importait à la frontière de l’Ontario était le même gaz que celui qu’elle avait antérieurement exporté à la frontière du Manitoba, la cotisation relative à la TPS et aux intérêts était néanmoins correcte en droit parce que le gaz n’était pas transporté par les États‑Unis seulement aux fins de sa livraison d’un endroit au Canada à un autre endroit au Canada. Le défendeur a soutenu que la demanderesse avait qualifié d’une façon ingénieuse le contrat d’achat‑vente qu’elle avait conclu avec la société affiliée américaine de simple transfert de convenance. Le défendeur a déclaré que la société affiliée américaine était une société de commercialisation de gaz véritable et que le transfert avait été effectué pour que le gaz naturel puisse être disponible aux fins de la vente aux États‑Unis. Par conséquent, il n’avait pas été satisfait au critère de la « seule fin » prévu à l’alinéa 144.01a).

 

Analyse et décision

 

[18]           J’énoncerai les questions litigieuses comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’ASFC a‑t‑elle commis une erreur en établissant une cotisation au titre de la TPS et des intérêts sur les importations de gaz en transit?

[19]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            En ce qui concerne la détermination de la norme de contrôle, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, a dit ce qui suit au paragraphe 27 :

La méthode pragmatique et fonctionnelle détermine la norme de contrôle en fonction de quatre facteurs contextuels : (1) la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel; (2) l’expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur le point en litige; (3) l’objet de la loi et de la disposition particulière; (4) la nature de la question : question de fait, de droit ou mixte de droit et de fait (Pushpanathan, précité, par. 29‑38; Dr Q, précité, par. 26).

 

J’appliquerai ces quatre facteurs à la présente espèce afin de décider de la norme de contrôle à appliquer.

 

[20]           (i)         La présence ou l’absence d’une clause privative

            La Loi sur les douanes et la Loi sur la taxe d’accise ne renferment aucune clause privative et ne prévoient aucun droit d’appel pour ce type particulier de décision. Ce facteur entraînerait une retenue moins élevée à l’égard du décideur.

 

[21]           (ii)        L’expertise du décideur

            Selon ce facteur, il s’agit de savoir si le décideur a plus d’expertise que la Cour relativement au point en litige. Dans ce cas‑ci, la question examinée se rapporte à l’applicabilité d’une disposition législative, à savoir l’alinéa 144.01a) de la Loi sur la taxe d’accise. Le décideur aurait moins d’expertise que la Cour dans ce domaine.

 

[22]           (iii)       L’objet de la loi

Ni la Loi sur les douanes ni la Loi sur la taxe d’accise ne renferment de clause concernant l’objet visé. Toutefois, avant que l’alinéa 144.01a) de la Loi sur la taxe d’accise soit édicté, le ministre des Finances de l’époque, M. Martin, a publié, le 7 août 1998, un document d’information disant ce qui suit :

Document d’information

Pétrole, gaz et électricité

 

Les propositions qui suivent ont pour objet de simplifier l’observation du régime de la taxe sur les produits et services ou de la taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) et de maintenir la capacité concurrentielle du secteur de l’énergie du Canada. Elles consistent notamment :

 

§         à simplifier les exigences de preuve documentaire des exportations;

§         à détaxer le gaz naturel et les services de transport vers l’étranger, dans le cas où le gaz est traité avant l’exportation;

§         à détaxer l’entreposage du gaz naturel avant l’exportation;

§         à supprimer la taxe sur certains échanges effectués dans les installations de traitement complémentaire;

§         à détaxer les échanges et mouvements transfrontaliers de pétrole et de gaz transporté par pipeline et d’électricité transportée par ligne à haute tension;

§         à supprimer la taxe sur certains échanges de biens et de services prévus par des accords d’amodiation.

 

Exigences de preuve documentaire des exportations

 

[…]

 

Pour qu’une fourniture de produits soit considérée comme une fourniture détaxée, le fournisseur doit conserver une preuve documentaire satisfaisante de l’exportation des produits. Lorsqu’un fournisseur de pétrole brut, de gaz naturel ou d’électricité traite une vente comme étant détaxée en raison de l’intention déclarée de l’acheteur d’exporter le produit, mais que ce dernier ne lui remet pas une preuve de l’exportation, le fournisseur demeure redevable de la taxe sur la vente. Le caractère fongible du pétrole brut, du gaz naturel, de l’électricité et d’autres produits transportés par pipeline, ligne à haute tension ou autre canalisation peut causer des problèmes aux fournisseurs qui cherchent à se conformer aux exigences de preuve documentaire des exportations, à plus forte raison lorsque l’acheteur acquiert un même produit auprès de plusieurs fournisseurs.

 

Une autre approche est proposée relativement aux exigences de preuve documentaire des exportations de produits transportés en continu. La proposition tient compte à la fois des difficultés des fournisseurs liées à l’observation et des éventuels problèmes de revenus ou d’équité concurrentielle qui pourraient découler de la réaffectation au marché canadien de produits détaxés. Pour l’application de ces mesures, l’expression « produit transporté en continu » s’entend du pétrole brut, du gaz naturel, de l’électricité ou de tout bien meuble corporel qui est transportable au moyen d’un pipeline, d’une ligne à haute tension ou d’une autre canalisation.

 

[…]

 

Un autre aspect important de cet arrangement a trait au fait que Revenu Canada y reconnaît la nature fongible des produits transportés en continu. En effet, si le gaz est acheté auprès de plusieurs fournisseurs au cours d’une période, il peut être impossible, en raison du caractère homogène du produit, d’identifier la destination d’un achat particulier. Dans ces circonstances, Revenu Canada comparera la quantité de produit achetée qui est visée par le certificat à la quantité effectivement exportée par l’acheteur au cours d’une période.

 

Mouvements transfrontaliers

 

Le produit transporté en continu vendu au Canada pour utilisation ou revente ailleurs au pays peut traverser la frontière entre le Canada et les États‑Unis à plusieurs reprises avant d’arriver à destination, s’il est transporté par pipeline ou ligne à haute tension. Dans le même ordre d’idées, le produit acquis aux États‑Unis qui doit être livré dans une autre partie de ce pays peut passer par le Canada. Le mouvement du produit dépend en effet du tracé du pipeline ou de la ligne.

 

[…]

 

Il est proposé de modifier les dispositions législatives concernant la TPS/TVH de sorte que la taxe ne s’applique pas aux importations dans le cas où les mouvements transfrontaliers de produits transportés en continu dépendent uniquement du tracé du pipeline ou de la ligne à haute tension. […]

 

De plus, il est proposé que le produit transporté en continu qui est transporté par ligne à haute tension, pipeline ou autre canalisation d’un endroit au Canada à un point à l’étranger où il est entreposé avant d’être transporté de nouveau au Canada ne soit pas considéré comme ayant été exporté ni importé. […]

 

Il est proposé d’appliquer ces mesures au transport d’un produit transporté en continu d’un point d’origine vers une destination, y compris tout transport intermédiaire à destination ou en provenance d’un lieu d’entreposage, dans le cas où le transport à partir du point d’origine commence après la date de publication.

 

[23]           À coup sûr, l’objet de l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise est de simplifier l’exercice des activités commerciales de ceux qui s’occupent de produits transportés en continu. Cela étant, il est important que le décideur rende une décision correcte lorsqu’il s’agit de savoir si la disposition s’applique à un cas donné. Je crois que le même objet peut être attribué à l’article 23 de la Loi sur les douanes. L’objet de la législation indique un degré plus faible de retenue à l’égard du décideur.

 

[24]           (iv)       La nature de la question : question de droit, de fait ou mixte de droit et de fait

            Il s’agit ici de savoir si une certaine disposition s’applique à la situation ici en cause. Cette affaire se rapporte à l’interprétation des dispositions des lois en question. Il s’agit d’une question de droit, qui commande un examen plus approfondi.

 

[25]           J’ai examiné les quatre facteurs et je suis d’avis que la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

 

[26]           Deuxième question

            L’ASFC a‑t‑elle commis une erreur en établissant une cotisation au titre de la TPS et des intérêts sur les importations de gaz en transit?

            Pour plus de commodité, je citerai ci‑dessous les principales dispositions législatives pertinentes. Le paragraphe 123(1) et l’alinéa 144.01a) de la Loi sur la taxe d’accise prévoient ce qui suit :

123. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à l'article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

 

[…]

 

« produit transporté en continu » L'électricité, le pétrole brut, le gaz naturel ou tout bien meuble corporel, qui est transportable au moyen d'un fil, d'un pipeline ou d'une autre canalisation.

 

144.01 Pour l'application de la présente partie, sauf les articles 4, 15.3 et 15.4 de la partie V de l'annexe VI, est réputé n'être ni exporté ni importé au cours de son transport ou nouveau transport au moyen d'un fil, d'un pipeline ou d'une autre canalisation le produit transporté en continu qui, selon le cas:

 

a) passe par l'étranger au cours de sa livraison par ce moyen d'un endroit au Canada à un autre endroit au Canada et seulement aux fins de cette livraison;

 

 

 

[27]           L’article 23 de la Loi sur les douanes est rédigé comme suit :

23. Le transport de marchandises effectué, aux conditions et sous les cautions ou autres garanties réglementaires, d'un point à un autre du Canada en passant par l'extérieur du Canada est assimilé, quant à l'assujettissement aux droits afférents ou à leur exemption, à un transport entièrement effectué à l'intérieur du Canada.

 

 

[28]           En ce qui concerne la présente demande, il n’est pas contesté que le gaz naturel en question est un « produit transporté en continu ». Il n’est pas non plus contesté que le gaz naturel est un produit fongible, en ce sens qu’une fois qu’il est livré à un pipeline pour être transporté, il se mêle au reste du gaz naturel. En d’autres termes, il ne peut pas être distingué du reste du gaz naturel qui est dans le pipeline.

 

[29]           Avant que l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise ait été édicté, il n’était pas nécessaire de déclarer un « produit transporté en continu » (le PTC) et d’en rendre compte. La note de service R‑17‑1‑21 de Revenu Canada, qui est antérieure à l’adoption de l’article 144.01, disait notamment ce qui suit :

Ottawa, le 14 juin 1991

 

PROCÉDURES RELATIVES À LA DÉCLARATION DES PRODUITS TRANSPORTÉS EN CONTINU

 

Définitions

 

1.         Aux fins du présent document, les définitions suivantes s’appliquent :

 

[…]

 

« Produit transporté en continu (PTC) » s’entend du pétrole brut, gaz naturel et leurs produits dérivés et autres liquides et gaz transportés par canalisations ainsi que de l’électricité transportée par réseau de transport d’énergie électrique.

 

[…]

 

Portée

 

2.         Ces procédures s’appliquent uniquement aux produits de source étrangère transportés en continu par canalisations ou par réseaux de transport d’énergie électrique.

 

3.         Il n’est pas nécessaire de les déclarer et d’en faire rapport dans les circonstances suivantes :

 

a)         s’il s’agit de PTC de source canadienne en transit aux États‑Unis pour réimportation à une destination au Canada; […]

 

 

[30]           J’ai examiné la décision de l’agent et je ne puis constater dans la décision aucune mention de l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise ou de l’article 23 de la Loi sur les douanes. L’agent n’a pas appliqué ces dispositions aux faits de la présente espèce. Je dois maintenant décider si l’agent aurait dû tenir compte de ces dispositions en rendant sa décision. Même si cela n’est pas nécessaire en ce qui concerne les conclusions que je tire, je ferai remarquer que pendant le contre‑interrogatoire, l’agent a déclaré qu’il n’avait pas tenu compte de l’article 23 de la Loi sur les douanes et qu’on ne lui permettait pas de dire s’il avait tenu compte de l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise en arrivant à sa décision.

 

[31]           Le gaz naturel en question est transportable au moyen d’un pipeline. Par conséquent, le gaz naturel est un PTC au sens de l’article 123 de la Loi sur la taxe d’accise. L’article 144.01 parle d’un PTC qui est transporté par pipeline. C’est ce qui est arrivé dans ce cas‑ci. Le gaz naturel a été mis dans le pipeline au Manitoba et presque tout le gaz naturel a ensuite été transporté jusqu’en Ontario au moyen du pipeline des Grands Lacs. Étant donné que le pipeline est en partie situé aux États‑Unis, le gaz naturel, dans le cours de son transport vers l’Ontario, est passé par les États‑Unis. S’il est satisfait aux exigences de l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise, le gaz naturel est réputé n’être ni importé ni exporté, et par conséquent, la TPS n’est pas payable.

 

[32]           Le défendeur a fait valoir que l’article 144.01 ne s’appliquait pas dans ce cas‑ci à cause du mélange du gaz. En d’autres termes, la demanderesse n’a pas prouvé que le gaz importé était le même gaz que celui qu’elle avait mis dans le pipeline plus tôt au Canada. Toutefois, il me semble que le document d’information du ministre concernant l’article 144.01 prévoit que le gaz ne pourrait pas être distingué du reste du gaz dans un pipeline à cause de sa nature fongible. De plus, le document d’information traite des problèmes que pose l’identification du produit dans le pipeline. Pour plus de commodité, je répéterai la section pertinente de ce document :

Un autre aspect important de cet arrangement a trait au fait que Revenu Canada y reconnaît la nature fongible des produits transportés en continu. En effet, si le gaz est acheté auprès de plusieurs fournisseurs au cours d’une période, il peut être impossible, en raison du caractère homogène du produit, d’identifier la destination d’un achat particulier. Dans ces circonstances, Revenu Canada comparera la quantité de produit achetée qui est visée par le certificat à la quantité effectivement exportée par l’acheteur au cours d’une période.

 

[33]           En outre, les notes explicatives accompagnant le projet de loi par lequel l’article 144.01 a été présenté comprennent les commentaires suivants :

Juin 1999

 

LTA

144.01

 

Les produits transportés en continu (à savoir, le pétrole, le gaz naturel ou l’électricité, transporté par pipeline ou ligne à haute tension) peuvent franchir la frontière canadienne à plusieurs reprises avant d’arriver à destination au Canada ou à l’étranger, et ce, uniquement à cause du parcours du pipeline ou de la ligne à haute tension. Dans ce cas, la pratique administrative consiste à fonder le traitement fiscal sur l’origine et la dernière destination du produit et non pas sur les mouvements transfrontaliers du produit en transit. En d’autres termes, la taxe ne s’applique pas si le produit traverse la frontière dans le seul but d’être transporté par pipeline ou ligne à haute tension d’un endroit à l’étranger à un autre endroit à l’étranger ou d’un endroit au Canada à un autre endroit au Canada. L’article 144.01 est ajouté à la Loi en vue de codifier cette pratique administrative.

 

[34]           J’aimerais en outre faire remarquer que l’article 144.01 ne dit pas qu’il ne s’applique pas au gaz naturel mélangé.

 

[35]           À mon avis, l’article 144.01 s’applique au gaz naturel, même s’il est mélangé au reste du gaz naturel. L’agent aurait dû appliquer l’article 144.01 aux faits de la présente affaire en vue de déterminer si le gaz naturel en question satisfaisait aux exigences de la disposition. S’il satisfaisait aux exigences, la TPS ne s’appliquerait pas étant donné que le gaz est réputé n’être ni importé ni exporté.

 

[36]           Les arguments du défendeur en ce qui concerne la seule fin et la vente du gaz, lorsqu’il est entré aux États‑Unis, devraient être examinés dans le cadre de l’analyse effectuée en vertu de l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise, c’est‑à‑dire que l’agent doit se demander si la vente du gaz (le transfert de convenance) à la société affiliée aux États‑Unis et sa revente à la demanderesse a pour effet de soustraire la demanderesse à l’application de l’article 144.01.

 

[37]           Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la décision concernant la question de savoir si les faits de la présente espèce sont visés à l’article 144.01 doit être prise par l’agent et non par les avocats ou par la Cour.

 

[38]           À mon avis, l’agent n’a pas eu raison de ne pas appliquer l’article 144.01 aux faits de la présente affaire. Sa décision doit donc être annulée.

 

[39]           La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, les décisions prises par l’agent à l’égard des deux RDR seront annulées et l’affaire sera renvoyée à un agent différent pour nouvelle décision. La demanderesse aura droit aux dépens de la demande.

 

[40]           Compte tenu de la conclusion que j’ai tirée au sujet de l’alinéa 144.01a) de la Loi sur la taxe d’accise, je n’examinerai pas les arguments se rapportant à l’article 23 de la Loi sur les douanes.

 

[41]           Je ne suis pas prêt à accorder la déclaration sollicitée par la demanderesse étant donné qu’à mon avis, l’agent doit appliquer les faits de la présente affaire à l’alinéa 144.01a) et rendre une décision à cet égard.

 

[42]           Je ne suis pas non plus prêt à rendre une ordonnance de mandamus.

 

JUGEMENT

 

[43]           LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, les décisions de l’agent concernant les deux relevés détaillés de rajustement sont annulées et l’affaire est renvoyée à un agent différent pour nouvelle décision.

            2.         La demanderesse aura droit aux dépens de la demande.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


ANNEXE

 

 

Dispositions législatives pertinentes

            Les dispositions pertinentes de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, (2e suppl.), ch. 1, sont les suivantes :

23. Le transport de marchandises effectué, aux conditions et sous les cautions ou autres garanties réglementaires, d'un point à un autre du Canada en passant par l'extérieur du Canada est assimilé, quant à l'assujettissement aux droits afférents ou à leur exemption, à un transport entièrement effectué à l'intérieur du Canada.

 

 

 

 

 

59. (1) L'agent chargé par le ministre — individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie déterminée — de l'application du présent article peut:

 

a) dans le cas d'une décision prévue à l'article 57.01 ou d'une détermination prévue à l'article 58, réviser l'origine, le classement tarifaire ou la valeur en douane des marchandises importées, ou procéder à la révision de la décision sur la conformité des marques de ces marchandises, dans les délais suivants:

 

(i) dans les quatre années suivant la date de la détermination, d'après les résultats de la vérification ou de l'examen visé à l'article 42, de la vérification prévue à l'article 42.01 ou de la vérification de l'origine prévue à l'article 42.1,

 

 

(ii) dans les quatre années suivant la date de la détermination, si le ministre l'estime indiqué;

 

 

. . .

 

23. Goods that are transported from one place in Canada to another place in Canada over territory or waters outside Canada in accordance with such terms and conditions and subject to such bonds or other security as may be prescribed shall be treated, with respect to their liability to or exemption from duties, as if they had been transported entirely within Canada.

 

59. (1) An officer, or any officer within a class of officers, designated by the Minister for the purposes of this section may

 

(a) in the case of a determination under section 57.01 or 58, re-determine the origin, tariff classification, value for duty or marking determination of any imported goods at any time within

 

 

(i) four years after the date of the determination, on the basis of an audit or examination under section 42, a verification under section 42.01 or a verification of origin under section 42.1, or

 

(ii) four years after the date of the determination, if the Minister considers it advisable to make the re-determination; and

 

. . .

 

 

 

            Les dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, sont les suivantes :

123. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à l'article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

 

«produit transporté en continu» L'électricité, le pétrole brut, le gaz naturel ou tout bien meuble corporel, qui est transportable au moyen d'un fil, d'un pipeline ou d'une autre canalisation.

 

144.01 Pour l'application de la présente partie, sauf les articles 4, 15.3 et 15.4 de la partie V de l'annexe VI, est réputé n'être ni exporté ni importé au cours de son transport ou nouveau transport au moyen d'un fil, d'un pipeline ou d'une autre canalisation le produit transporté en continu qui, selon le cas:

 

a) passe par l'étranger au cours de sa livraison par ce moyen d'un endroit au Canada à un autre endroit au Canada et seulement aux fins de cette livraison;

 

 

 

 

 

 

 

 

 

212. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, la personne qui est redevable de droits imposés, en vertu de la Loi sur les douanes, sur des produits importés, ou qui serait ainsi redevable si les produits étaient frappés de droits, est tenue de payer à Sa Majesté du chef du Canada un taxe calculée au taux de 7 % sur la valeur des produits.

 

123. (1) In section 121, this Part and Schedules V to X,

 

 

 

"continuous transmission commodity" means electricity, crude oil, natural gas, or any tangible personal property, that is transportable by means of a wire, pipeline or other conduit;

 

144.01 For the purposes of this Part (other than sections 4, 15.3 and 15.4 of Part V of Schedule VI), if a continuous transmission commodity is transported by means of a wire, pipeline or other conduit

 

 

 

 

 

(a) outside Canada in the course of, and solely for the purpose of, being delivered by that means from a place in Canada to another place in Canada,

 

. . .

 

the commodity is deemed not to be exported or imported in the course of that transportation or further transportation.

 

212. Subject to this Part, every person who is liable under the Customs Act to pay duty on imported goods, or who would be so liable if the goods were subject to duty, shall pay to Her Majesty in right of Canada tax on the goods calculated at the rate of 7% on the value of the goods.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  T-361-05 et T-362-05

 

INTITULÉ :                                                   TENASKA MARKETING CANADA,

                                                                        une division de TMV Corp.

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 14 NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 10 MAI 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Kreklewetz

Wendy Brousseau

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jan Brongers

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Millar Kreklewetz LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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