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Date : 20050622

Dossier : IMM-3853-04

Référence : 2005 CF 885

ENTRE :

                                                             ABEL BERHANUE

                                                                                                                                      demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                        ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON


[1]                Abel Berhanue est venu d'Éthiopie au Canada. Il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention et se l'est vu reconnaître. Puis, il a fait ce qu'il devait faire, soit revendiquer la résidence permanente dans les 180 jours de cette reconnaissance. En faisant la demande en son nom, le Bureau du droit des réfugiés a déclaré que M. Berhanue était incapable de payer les frais d'administration exigibles de 550 $. Une requête a alors été adressée au ministre pour lui demander de renoncer aux frais en application de l'article 25 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui l'autorise, pour des circonstances d'ordre humanitaire à étudier le cas et à « lever tout ou partie des critères et obligations applicables » .

[2]                La demande a d'abord été renvoyée parce qu'elle était incomplète (ce qui a ensuite été corrigé) et qu'il y manquait la preuve de paiement des « droits exigibles » .

[3]                M. Berhanue demande le contrôle judiciaire de cette décision dans laquelle, selon lui, _traduction_ « l'agent d'immigration a ignoré et refusé [sa] demande d'exemption des droits exigibles¼ »

[4]                Depuis lors, des amis ont toutefois eu la gentillesse de lui prêter l'argent, les droits ont été payés, sa demande de résidence permanente a été approuvée en principe et il suit actuellement toutes les étapes du processus, notamment l'obtention du certificat de santé et de l'autorisation de sécurité. Si tout va bien, le statut de résident permanent lui sera accordé. Si ce statut ne lui est pas accordé, cela ne sera pas parce qu'il aura payé en retard ses droits.

[5]                En conséquence, le ministre considère que la demande est théorique et estime qu'il n'y a aucune raison pour que, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour instruise néanmoins l'affaire.

[6]                De plus, même si les droits exigibles n'avaient pas été payés, le ministre fait valoir que la demande serait mal fondée en droit, car aucune décision de renoncer ou non à ces droits n'a été prise par une personne en autorité. Il plaide aussi que la question n'est pas justiciable, les avocats du réfugié qui appuient la demande cherchant à obtenir un changement de politique.

[7]                Comme la Cour fédérale est une cour de circuit et que les contrôles judiciaires sont instruits en séances extraordinaires, j'ai pris la question du caractère théorique en délibéré et j'ai entendu les plaidoiries sur les autres points. Si je ne l'avais pas fait et si j'avais ensuite décidé soit que la demande n'était pas théorique ou qu'elle l'était, mais devait néanmoins être entendue, une nouvelle séance extraordinaire aurait dû être tenue. Ce n'aurait pas été une gestion saine de l'économie des ressources judiciaires.

LA QUESTION DU CARACTÈRE THÉORIQUE

[8]         L'arrêt de principe est Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, de la Cour suprême du Canada. La règle a été récemment résumée de manière succincte dans Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation) [2003] 3 R.C.S. 3, par les juges Iacoubucci et Arbour au paragraphe 17 :

17        La règle du caractère théorique procède du principe voulant que les tribunaux n'instruisent que des affaires présentant un litige actuel à résoudre, où leur décision aura ou pourra avoir des conséquences sur les droits des parties, sauf s'ils décident, dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire, qu'il est néanmoins dans l'intérêt de la justice d'entendre un appel (voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.S.C. 342, p. 353).

[9]                L'avocat de M. Berhanue soutient que l'affaire n'est pas théorique. Quoique celui-ci n'ait pas demandé le remboursement des 550 $, il aurait peut-être la possibilité de le faire si la décision lui était favorable.

[10]            Je suis convaincu que l'affaire est théorique. L'affaire ne porte pas sur une demande de remboursement, mais sur une demande d'exonération de droits. Cette question n'est plus « actuelle » . Si M. Berhanue envisage de demander un remboursement, il pourrait le faire en vertu des articles 23 et suivants de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11, et des règlements pris sous son régime.

POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE D'INSTRUIRE L'AFFAIRE

[11]       Dans Borowski ainsi que dans Doucet-Boudreau, précités, la Cour suprême a énoncé les trois critères primordiaux suivants, que les tribunaux doivent appliquer pour décider s'il y a lieu ou non d'exercer leur pouvoir discrétionnaire d'instruire une affaire théorique.

(1)       l'existence d'un débat contradictoire;

(2)       le souci d'économie des ressources judiciaires;

(3)         la nécessité pour les tribunaux d'être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

(Doucet-Boudreau, paragraphe 18.)


[12]            Dans la présente affaire, il existe un débat contradictoire et les parties ont fait valoir l'ensemble de leurs arguments. Je reconnais aussi que, outre les tentatives présentement faites au nom des réfugiés pour obtenir qu'on renonce à la politique sur les droits exigibles ou les frais d'administration, ou qu'on les réduise, l'affaire dont je suis saisi repose sur la loi actuelle, l'article 25 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. D'autres décisions du ministre en application de l'article 25 sont assujetties à une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

[13]            Cependant, quel que soit l'intérêt des allégations faites au nom de M. Berhanue, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j'ai décidé de ne pas instruire l'affaire.

[14]            Nulle décision à laquelle je parviendrais ne pourrait bénéficier à M. Berhanue. Il n'a pas besoin d'une ordonnance de la cour pour demander un remboursement.

[15]            Le point soulevé étant nouveau, il est entièrement prévisible que, peu importe la décision à laquelle j'aurais pu parvenir, d'autres juges de la Cour fédérale auraient pu voir les choses différemment. On ne peut interjeter appel à la Cour d'appel fédérale sauf lorsqu'une question grave de portée générale est certifiée. Pour que la décision, ou son annulation, ait une signification grave, je devrais certifier une question grave de portée générale dans une affaire théorique.


[16]            Je crains aussi qu'on puisse certainement arguer que la décision en cause n'était nullement une décision. On peut soutenir qu'un recours plus approprié aurait pu être une ordonnance de mandamus qui aurait obligé le ministre à prendre une décision. C'est ainsi que les demandeurs de résidence permanente ou de citoyenneté, qui sont confrontés à des délais extraordinaires, demandent réparation aux tribunaux. Même si la présente instance pouvait être réintroduite, quoique les dépens ne sont généralement pas adjugés dans de telles affaires, il pourrait dans les circonstances être loisible au ministre de requérir l'adjudication des dépens contre M. Berhanue.

[17]            Enfin, on m'a assuré que la présente affaire était importante parce que de nombreux réfugiés ne peuvent pas payer les frais d'administration exigibles et qu'ils se retrouvent en quelque sorte dans les limbes. Ils ne peuvent retourner dans leur pays, mais, comme ils ne sont par ailleurs pas résidents permanents, ils ne peuvent parrainer des membres de leurs familles et leur objectif ultime d'obtenir la citoyenneté est gravement contrarié. Il serait plus indiqué que les questions soulevées en l'espèce soit examinées dans une autre affaire où les droits exigibles ou les frais d'administration n'auraient pas été payés.

[18]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[19]            Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

             « Sean Harrington »             

Juge                  

Ottawa (Ontario)

22 juin 2005

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-3853-04

INTITULÉ :                                                     ABEL BERHANUE

                                                                        ET                               

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 16 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                              LE 22 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Carole Simone Dahan                                              POUR LE DEMANDEUR

Marissa B. Bielski                                          POUR LE DÉFENDEUR

Martin E. Anderson

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bureau du droit des réfugiés                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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