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Date : 20050414

Dossier : T-2048-01

Référence : 2005 CF 507

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KONRAD von FINCKENSTEIN                                    

ENTRE :

                                             SELLADURAI PREMAKUMARAN et

NESAMALAR PREMAKUMARAN                            

      demandeurs

                                                                                                                                                           

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

     défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une requête concernant la production de documents aux termes des règles 242 et 223 et présentée conformément à la règle 369.

[2]                Les faits sont très simples et peuvent être trouvés dans les observations écrites de la défenderesse, aux paragraphes 1 à 8, que j'ai reproduits par les présentes sous réserve de certaines modifications mineures sans incidence.

FAITS

1.         Les demandeurs déposent leur déclaration relative à cette affaire le 16 novembre 2001. La déclaration a été modifiée plusieurs fois et est appelée dorénavant la troisième déclaration modifiée, laquelle a été signifiée à la défenderesse le 9 juin 2003.

2.          Dans leur troisième déclaration modifiée, les demandeurs soutiennent en général et en particulier qu'ils ont subi des pertes financières, y compris des frais, la perte de possibilités d'emploi et une diminution de salaire depuis leur arrivée au Canada, et tiennent la défenderesse responsable de ces pertes.

3.          Les demandeurs ont signifié à la défenderesse un affidavit de documents dans cette affaire. L'affidavit n'inclut aucun des documents fiscaux du Royaume-Uni ni autre élément de preuve attestant le revenu annuel des demandeurs au Royaume-Uni.


4.          La défenderesse a demandé aux demandeurs de lui remettre leurs documents fiscaux du Royaume-Uni pour les années 1993, 1994, 1995, 1996, 1997 et 1998 (collectivement les « documents fiscaux » ) lors des interrogatoires tenus les 16 avril et 22 juin 2004 .

5.          Le demandeur, Selladurai Premakumaran, a accepté de produire ses documents fiscaux lorsqu'on le lui a demandé et s'est engagé à le faire. Le 7 juin 2004, soit lors d'un interrogatoire subséquent, il s'est opposé à l'engagement et a affirmé qu'il ne produirait pas les documents fiscaux.

6.          La demanderesse, Nesamalar Premakumaran, s'est opposée à l'engagement lors de l'interrogatoire du 22 juin 2004 et a refusé de produire ses documents fiscaux lorsqu'on lui a demandé de le faire.

7.          Les demandeurs ont justifié leur refus de fournir les documents fiscaux en alléguant qu'ils avaient déjà dû produire, bien des années auparavant, ces documents pour leur admission initiale au Canada et qu'il n'était pas question de les produire de nouveau aux fins de la présente instance.


8.          À une réunion de gestion de l'instance tenue le 21 janvier 2005, on a demandé une fois de plus aux demandeurs de produire leurs documents fiscaux ou d'autoriser la défenderesse à les réclamer auprès de l'administration fiscale du Royaume-Uni. Les demandeurs ont de nouveau refusé de produire lesdits documents en invoquant encore le même motif.

[3]                Dans l'ordonnance suivant la réunion de gestion de l'instance, j'ai indiqué ce qui suit :

[Traduction]

La Cour prend acte que M. Premakumaran refuse d'honorer l'engagement no 4 qu'il a pris le premier jour de l'interrogatoire et qu'il a répudié le jour suivant. La défenderesse peut attirer l'attention du juge de première instance sur ce refus afin que celui-ci puisse en tirer les conséquences qui s'imposent.

[4]                Insatisfaite de cette observation, la défenderesse présente maintenant la présente requête relative à la production de documents en soutenant que [traduction] « les documents fiscaux sont des éléments de preuve essentiels à la question de savoir si les demandeurs ont subi des dommages légaux après avoir immigré au Canada, c'est-à-dire une preuve directe de leurs revenus et de leurs états de service » .

[5]                Les demandeurs refusent de produire lesdits documents en faisant valoir divers arguments, dont voici les principaux :

a) ces documents ont déjà été produits dans le passé lorsqu'ils ont demandé le statut de résident permanent, mais ils ont été détruits par la suite par la Couronne;

b) ces documents ne sont pas pertinents et la Couronne essaie de manipuler la preuve pour dévier l'attention du principal fondement de leur poursuite, soit déclaration inexacte et frauduleuse faite avec négligence;

c) ces documents ne sont plus en leur possession;

d) il est déraisonnable de leur demander d'obtenir des documents auprès des autorités du R.-U.

[6]                La thèse des demandeurs ne tient pas. Ils introduisent, selon leurs propres termes, une action fondée sur des déclarations inexactes et frauduleuses faites avec négligence. Ils allèguent principalement que c'est sur la foi de ces déclarations qu'ils sont venus au Canada, laissant derrière eux une vie prospère au R.-U. Le revenu qu'ils touchaient au R.-U. avant qu'ils n'émigrent est donc tout à fait pertinent, d'où l'insistance de la Couronne pour qu'ils produisent leurs déclarations d'impôt au R.-U.

[7]                Le protonotaire Hargrave a énoncé succinctement le postulat de base pour la production de documents dans l'affaire Cooper Industries Inc. c. Caplan Industries Inc., 80 C.P.R. (3d) 237, paragraphe 7 :

Dans son interprétation des principes applicables à la production des documents, la demanderesse laisse de côté le principe fondamental suivant lequel la communication des documents est une question de pertinence et non de pouvoir discrétionnaire : c'est ce qu'exige clairement la règle 448(2)a) qui prévoit qu'un affidavit de documents doit contenir diverses listes "de tous les documents pertinents à l'affaire en litige" qui sont en la possession, sous l'autorité ou sous la garde d'une partie. Une partie à un litige est tenue de dresser la liste de tous les documents pertinents qu'elle a en sa possession, et elle doit même y inclure les documents qui n'ont pas à être produits : voir, par exemple, Skoye v. Bailey et al. [1971] 1 W.W.R. 144, à la p. 145 (C.A. Alb.) et Re/Max Real Estate (Edmonton) Ltd. v. Border Credit Union Ltd. [1988] 6 W.W.R. 146, une décision bien rédigée et exhaustive de M. Funduk de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta. En ce qui a trait à la production des documents, il ne suffit pas d'affirmer qu'un document n'a pas à être produit parce que l'autre partie l'a déjà obtenu d'une autre source : voir, par exemple, Canada Southern Petroleum Ltd. v. Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. [1995] 5 W.W.R. 720, à la p. 723 (B.R. Alb.).

[8]                Étant donné que les documents demandés en l'espèce sont pertinents, ils doivent être produits. Dire qu'ils sont entre les mains des autorités du R.-U. n'est pas un prétexte valable. Ces documents doivent être fournis, ou alors le refus des autorités du R.-U. de les communiquer doit être démontré. Prétendre qu'ils ont été produits dans le cadre d'instances distinctes (bien qu'il s'agisse d'une autre division de la Couronne) n'est pas une réponse valable. Ils doivent être produits dans le cadre de l'action engagée par les demandeurs.

[9]                On ne peut revenir sur un engagement de produire des documents qu'avec la permission du tribunal. Comme l'a indiqué le juge Cote dans l'arrêt Psychologists Assn. of Alberta c. P.S., [1991] A.J. no 38 :


[Traduction]

Les engagements à répondre plus tard ne sont pas connus, par exemple, aux États-Unis. Ce sont des mécanismes utiles que nous avons mis au point au Canada. Il s'agit réellement des demandes d'indulgence formulées par le témoin. Il souhaite, si possible, éviter d'avoir à se présenter de nouveau. Il promet plutôt à la cour et à son opposant qu'il communiquera volontairement l'information plus tard. Ce faisant, il évite d'avoir à assumer les frais et à subir les contrariétés découlant d'une nouvelle comparution. En outre, il évite le risque d'être accusé d'outrage pour défaut de ne pas donner suite ou pour défaut de s'informer avant-coup ou pour défaut de fournir l'information qu'il a en main. Un engagement pris devant la cour, en particulier pour éviter de répondre à des questions obligatoires, n'est pas une affaire à laquelle on peut se soustraire de manière unilatérale. Ce n'est pas comme une offre dans le domaine du droit en matière de contrats, que l'on peut révoquer. À mon avis, on ne peut se soustraire de manière unilatérale à un engagement de cette nature. La partie peut sans doute demander à la cour d'être libérée de son engagement, par exemple, en démontrant :

a)              qu'elle a pris un engagement par inadvertance,

b)             (avec les éléments de preuve appropriés à l'appui) qu'elle n'aurait pas dû prendre l'engagement;

c)              que l'autre partie n'a pas été lésée ou en offrant de réparer le préjudice.

[10]            En conséquence, les deux demandeurs devront fournir les déclarations d'impôt produites au R.-U. de 1992 à 1998 inclusivement.


[11]            La défenderesse a également sollicité l'ordonnance suivante : [traduction] « Si les demandeurs refusent ou omettent de produire leurs documents fiscaux ou de produire une preuve démontrant qu'ils ont fait de leur mieux pour obtenir, dans le délai imparti par la Cour, leurs documents fiscaux auprès de l'administration fiscale du Royaume-Uni, une ordonnance prononçant le rejet de l'action intentée par les demandeurs pour abus de procédure, et les condamnant aux dépens, ou subsidiairement qu'il soit sursis à l'action jusqu'à ce que l'ordonnance soit respectée » .                           

[12]            À mon avis, un telle ordonnance est prématurée. Si les demandeurs ne produisent pas les déclarations d'impôt requises dans les délais prévus, la défenderesse sera en droit de présenter une requête à cette fin.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.        Dans les 45 jours de la présente ordonnance, le demandeur Selladurai Premakumaran devra produire ses documents fiscaux du Royaume-Uni (ou un sommaire de l'information contenue dans ces documents si les documents originaux ne sont pas disponibles) pour les années requises ou fournir une preuve qu'il a bien demandé lesdits documents à l'administration fiscale appropriée du Royaume-Uni et qu'il a fait de son mieux pour les obtenir.


2.         Dans les 45 jours de la présente ordonnance, la demanderesse Nesamalar Premakumaran devra produire ses documents fiscaux du Royaume-Uni (ou un sommaire de l'information contenue dans ces documents si les documents originaux ne sont pas disponibles) pour les années requises ou fournir une preuve qu'elle a bien demandé lesdits documents à l'administration fiscale appropriée du Royaume-Uni et qu'elle a fait de son mieux pour les obtenir.

3.         Les dépens sont adjugés en faveur de la défenderesse au montant de 500 $ payable immédiatement et en tout état de cause.

« Konrad von Finckenstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2048-01

INTITULÉ :               SELLADURAI PREMAKUMARAN et

NESAMALAR PREMAKUMARAN ET

                                  SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 21 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 14 AVRIL 2005

COMPARUTIONS : (par téléconférence)

Selladurai Premakumaran                                              POUR LES DEMANDEURS

Nesamalar Premakumaran                                 (Pour leur propre compte)                      

Rick Garvin

Laura Dunham                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Selladurai Premakumaran                                               POUR LES DEMANDEURS

Nesamalar Premakumaran                                             (Pour leur propre compte)

Edmonton (Alberta)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)


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