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Date : 20031017

Dossier : IMM-4993-02

Référence : 2003 CF 1209

Montréal (Québec), le 17octobre 2003

Présent :          L'honorable juge Martineau

ENTRE :

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                               IGOR SHPIGELMAN

                                                               LILIA SHPIGELMAN

                                                             AHITAL SHPIGELMAN

                                                             ARTUR SHPIGELMAN

                                                           MICHAEL SHPIGELMAN

                                                                                   

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire du demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, à l'égard de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié), rendue le 14 mai 2002 par le commissaire Me Auguste Choquette ("commissaire") dans les dossiers MA1-11866, MA1-11867, MA1-11868, MA1-11869 et MA1-11870, reconnaissant aux défendeurs le statut de réfugiés au sens de la Convention.

[2]         L'alinéa 69.1 (11)b) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c. I-2 (la "Loi") impose à la Section du statut de réfugié l'obligation de motiver par écrit sa décision dans le cas où le Ministre ou l'intéressé le demande dans les dix (10) jours suivant la notification de la décision, auquel cas la transmission des motifs se fait sans délai.

[3]         La décision du commissaire fut rendue le 14 mai 2002. À la suite d'une demande de la part du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, les motifs suivants ont été communiqués le 2 octobre de cette même année :

Dans le dossier MA1-11866, il s'agit de revendicateurs, l'épouse, le mari et trois enfants qui ont la citoyenneté israélienne. Toutefois, ils sont originaires de l'ancienne Union Soviétique dont ils n'ont plus la citoyenneté russe pour sa femme et ukrainienne pour son mari. Ils font valoir une crainte bien fondée de persécution advenant leur retour dans le pays de leur nouvelle nationalité. Vu la réponse donnée à la Question 37 du Formulaire de renseignements personnels, réponse qui doit faire partie intégrante de la présente décision pour valoir comme ici au long récité, vu les déclarations essentielles qui ont été faites de part et d'autre par la revendicatrice majeure et son époux, le revendicateur majeur, des personnes très distinguées, scolarisées, crédibles et intellectuellement honnêtes, vu l'ensemble de la preuve documentaire, vu que les facteurs objectifs et subjectifs ont été démontrés en conformité des instructions contenues dans le Guide des Nations Unies émis sous l'autorité du Haut Commissariat pour les Réfugiés, vu la spécificité du dossier, la réponse est positive et la demande est accueillie.


[4]         En l'espèce, le commissaire a attendu plus de quatre mois après la demande de motifs du Ministre avant de transmettre les motifs écrits de sa décision. En l'absence d'explications, l'inaction du commissaire équivaut en soi à un refus d'accomplir un devoir légal ou à en retarder l'exécution de manière déraisonnable. Ceci étant dit, ni les commentaires généraux du commissaire à l'audience, ni les motifs laconiques qu'il a donné ultérieurement n'appuient la décision d'accorder le statut de réfugiés aux défendeurs.

[5]         Pour satisfaire à l'obligation prévue à l'alinéa 69.1 (11) b) de la Loi, les motifs doivent être suffisamment clairs, précis et intelligibles afin de permettre au Ministre ou à l'intéressé de comprendre les motifs sous-jacents la décision, afin de permettre à la Cour de s'assurer que la Section du statut de réfugié a exercé sa compétence de façon conforme à la Loi. Voir notamment : Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.) (QL); Ministre de la citoyenneté et de l'immigration c. Roitman, [2001] A.C.F. no 718 (C.F. 1re inst.) (QL); Zannat c. Ministre de la citoyenneté et de l'immigration (2000), 188 F.T.R.148; Zoga c. Ministre de la citoyenneté et de l'immigration, [1999] A.C.F. no 1253 (C.F. 1re inst.) (QL); Khan c. Ministre de la citoyenneté et de l'immigration, [1998] A.C.F. no 1187 (C.F. 1re inst.) (QL).


[6]         La détermination de l'existence d'une crainte raisonnable de persécution pour l'un des motifs énumérés à la Convention soulève une question mixte de droit et de fait. Dans l'arrêt Chan c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1995] 187 N.R. 321, la Cour suprême du Canada a réitéré qu'un revendicateur du statut de réfugié a le fardeau de démontrer l'existence d'une crainte fondée de persécution. Sans contredit, cette détermination exige une analyse minutieuse du témoignage du revendicateur et de la preuve documentaire sur les conditions du pays. Lorsque des motifs écrits sont requis, il ne suffit pas d'affirmer que la détermination positive est fondée sur la preuve sans autre précision.

[7]         La crainte subjective du revendicateur doit toujours être appréciée. Lorsque la preuve révèle que le revendicateur n'a pas profité de la première occasion pour revendiquer le statut de réfugié, cela peut compromettre dans certaines circonstances sa demande d'asile. Bien que cette considération ne soit pas déterminante en soi, il s'agit d'un facteur pertinent dans l'appréciation de la crédibilité du revendicateur : Gavryushenko c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) [2000] A.C.F. 1209 (Q.L.); Ilie c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1994), 88 F.T.R. 220; Huerta c. Ministre de l'emploi et de l'immigration [1993] 157 N.R. 225, par. 4 (C.A.F.).


[8]         De plus, il est nécessaire de prendre en considération le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ward c. Canada (P.G.), [1993] 2 R.C.S. 689 selon lequel un revendicateur du statut de réfugié doit démontrer de façon claire et convaincante, l'incapacité de son pays d'assurer sa protection. Dans le cadre de cette détermination, il y a lieu de prendre en considération qu' Israël est un État démocratique. Par conséquent, il est présumé que l'État d'Israël possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses propres citoyens. La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Kadenko c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) (1996), 206 N.R. 272 (C.A.F.), a énoncé le fardeau de preuve qui s'impose. Le fardeau qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie de l'État en cause. En d'autres termes, plus les institutions de l'État sont démocratiques, plus le revendicateur doit chercher à épuiser les recours internes qui s'offrent à lui.

[9]         Si la totalité de la preuve dont disposait le commissaire avait été analysée de façon appropriée, il aurait peut-être été raisonnablement loisible de tirer la conclusion qu'il a tirée, mais compte tenu des motifs génériques que celui-ci a donné, il est manifeste que cette conclusion est arbitraire et déraisonnable. Notamment, les motifs fournis ne permettent pas de constater en quoi la discrimination qui a été alléguée dans cette affaire par les défendeurs constitue de la persécution en fonction de l'un des motifs prévus à la Convention. De la même manière, les motifs énoncés ne permettent pas de déterminer si les défendeurs se sont effectivement acquittés du fardeau de démontrer qu'ils ont épuisé tous leurs recours en Israël.

LA COUR ORDONNE :

[10]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section du statut de réfugié, en date du 14 mai 2002 est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour une nouvelle audience et détermination devant une formation différente. Aucune question n'a été proposée pour certification et aucune ne sera certifiée.


             « Luc Martineau »                                                                                                                                                  Juge


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 IMM-4993-02

INTITULÉ :              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE          L'IMMIGRATION

                                                                                                  demandeur

                                                         et

IGOR SHPIGELMAN ET AL.

                                                                                                   défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 14 octobre 2003


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS:                                      Le 17 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Me Marie-Nicole Moreau                                                POUR LE DEMANDEUR

Me Noël Saint-Pierre                                           POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Saint-Pierre, Grenier, S.E.N.C.                                        POUR LES DÉFENDEURS


Montréal (Québec)


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