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Date : 20050914

Dossier : IMM-7659-04

Référence : 2005 CF 1260

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2005

EN PRESENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

ENTRE :

MIGUEL FABIANO

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA DEMANDE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 12 août 2004 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle elle a conclu que le demandeur, M. Miguel Fabiano, n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

LE CONTEXTE

[2]                M. Fabiano est citoyen argentin; ses parents avaient émigré d'Italie en Argentine. Lui et sa femme ont trois fils adultes.

[3]                M. Fabiano est témoin de Jéhovah pratiquant et donc membre d'une minorité religieuse dans une Argentine où la religion catholique est prédominante. En 2000, M. Fabiano, graphiste et écrivain de profession, a écrit un livre sur l'histoire de l'Argentine intitulé Monte Cuna De Roses, 220 Anos Con Historia. Il a été imprimé vers le 1er mai 2000. Le demandeur a essayé de faire la promotion de son livre auprès des écoles du Buenos Aires métropolitain pour que celles-ci s'en servent comme manuel scolaire, mais elles ont refusé parce que ce livre contenait des observations défavorables au régime politique et aux politiques économiques de l'État.

[4]                M. Fabiano allègue que, à la mi-février 2003, des agents de police sont venus chez lui et l'ont emmené au poste de police, où il a été détenu pendant deux nuits et interrogé au sujet de son livre. Il a ensuite été ramené chez lui, mais on l'a averti qu'il serait surveillé de près et que des accusations pourraient être portées contre lui. Le demandeur dit qu'il est resté chez un ami, craignant de retourner à son magasin et que, le 19 mai 2003, grâce à un ami ayant des contacts dans la police, il a fui l'Argentine. Un cousin au Canada lui a donné les fonds nécessaires. Le demandeur est arrivé au Canada le 20 mai 2003.

[5]                L'épouse est les enfants de M. Fabiano sont toujours en Argentine à ce jour.

[6]                Le demandeur a fait une demande d'asile pour motifs religieux et pour les opinions politiques qui lui étaient imputées. Cette demande a été entendue le 22 juin 2004.

[7]                Nul agent de protection des réfugiés (APR) n'a assisté à l'audience. Par conséquent, s'appuyant sur la Directive no7 des Directives du président, la Commission a commencé à interroger le demandeur après avoir pris en note et rejeté l'objection de l'avocat du demandeur concernant l'équité de l'ordre des interrogatoires. Voici un extrait de l'interrogatoire effectué par la Commissaire :

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Monsieur, j'ai remarqué que, lors de votre entrevue avec Citoyenneté et Immigration, vous avez demandé un interprète parlant l'italien. Parlez-vous italien?

LE DEMANDEUR : [en anglais]                        Oui.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Pourquoi avez-vous demandé un interprète italien et non pas un interprète espagnol?

LE DEMANDEUR :                                               La personne qui m'a accompagné à l'entrevue est, était ma cousine et elle parle italien, elle ne parle pas espagnol.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Quand avez-vous appris l'italien?

LE DEMANDEUR :                                               Mon père et ma mère sont italiens, toute ma famille est d'origine italienne.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Votre père est-il né en Italie?

LE DEMANDEUR :                                               Oui.


LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Vous avez la citoyenneté italienne, ou le droit de l'avoir par votre père?

LE DEMANDEUR :                                               J'aurais pu l'avoir, mais je ne l'ai pas, parce que, quand j'ai voulu l'obtenir, la procédure durait au total plusieurs années. J'ai entamé les démarches, mais je ne les ai pas menées à leur terme parce que j'ai quitté l'Argentine.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :               Quelle est donc la procédure? On adresse simplement sa demande de citoyenneté aux autorités italiennes? Ou sa demande de passeport? Enfin, quelle est la procédure?

LE DEMANDEUR :                                               C'est très compliqué. Il faut examiner tous les documents concernant les parents. On doit se procurer ces documents auprès de très petites villes dans toute l'Italie, où ses parents et grands-parents sont nés. Et cela prend beaucoup de temps.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Vos parents n'avaient-ils pas tous les certificats de naissance ou leurs passeports italiens avec eux?

LE DEMANDEUR :                                               Pas mon père, parce que, à son arrivée en Argentine, il n'a pas été inscrit sous son nom exact. De toute manière, on a demandé les documents, mais ils ne me sont jamais parvenus.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Êtes-vous allés à l'ambassade italienne à Buenos Aires pour demander de l'aide?

LE DEMANDEUR :                                               Non.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Maître, je pense que nous devons établir le pays de référence et si je soulève cette question, c'est notamment parce qu'il y a certaines preuves documentaires qui semblent indiquer que l'on a le droit d'obtenir la citoyenneté italienne par un grand-parent ou même par un arrière grand-parent.

                                                                                Il s'agit, si vous avez l'Index sous les yeux, de la partie 7. Il y a un certain nombre de Réponses à des demandes de renseignements, sept en tout.

                                                                                Avez-vous déjà été en Italie, Monsieur?

LE DEMANDEUR :                                               Oui, simplement en touriste.


LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Ceci n'a rien à voir avec votre demande, mais puisque c'est le cas, je vous envie.

LE DEMANDEUR :                                               Le pays est très beau.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                C'est ce que j'ai entendu dire, et la langue aussi.

LE DEMANDEUR :                                               C'est exact, vous avez tout à fait raison.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Vos êtes donc au courant que vous avez la possibilité d'obtenir votre citoyenneté par vos parents? Ou à tout le moins le droit d'aller en Italie?

LE DEMANDEUR :                                               Oui, je suis au courant, seulement je dois obtenir la citoyenneté auparavant, et ils prennent cinq ans.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Avez-vous pensé à aller en Italie et y faire une demande d'asile, puisque vous avez, apparemment, certains droits à la citoyenneté italienne?

LE DEMANDEUR :                                               Lorsque j'ai appelé ma cousine ici au Canada, j'étais, c'était parce que je savais qu'elle était tout à fait disposée à m'aider. C'est pourquoi je suis venu ici. Je ne sais pas si l'Italie vient en aide aux réfugiés, je sais que je ne pourrais pas y rester.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Je suis désolée, je sais...

L'INTERPRÈTE :                                                   Je ne pourrais pas y rester.

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE :                Vous ne pourriez pas y rester, ou vous le pourriez?

LE DEMANDEUR :                                               Je ne sais pas si je pourrais y rester sans les documents attestant ma citoyenneté italienne.

LA DÉCISION

[8]                La Commission a rendu sa décision le 12 août 2004.

[9]                Dans ses motifs, la Commissaire s'est d'abord penchée sur la question de l'ordre des interrogatoires. La Commission a conclu que le déroulement de l'instance prévu à la Directive no 7 donnait au demandeur la possibilité suffisante de se faire entendre, et était conforme aux principes de justice naturelle et d'équité.

[10]            La Commission a aussi conclu que la question du pays de référence du demandeur, c'est-à-dire l'Italie, était déterminante pour sa demande. La Commission a rejeté l'argument selon lequel, afin de solliciter la citoyenneté italienne, le demandeur devrait retourner en Argentine, c'est-à-dire qu'il ne pourrait pas le faire à partir du Canada et que, lorsqu'il aurait obtenu les documents nécessaires en Argentine, il serait « mort dans un fossé » . La Commissaire a fondé sa conclusion sur plusieurs réponses aux demandes de renseignements (émanant de l'ambassade italienne à Ottawa et du Consulat général de l'Italie en Argentine) concernant la procédure d'obtention de la citoyenneté italienne applicable aux nationaux argentins en Italie fondée sur l'ascendance italienne.

[11]            En fonction de cette preuve documentaire, la Commission a conclu que M. Fabiano avait le droit d'obtenir sa citoyenneté en Italie, et que l'Italie était donc le pays de référence indiqué. Comme M. Fabiano n'avait pas allégué qu'il courait le risque d'être persécuté en Italie, la Commission a rejeté sa demande d'asile.

ARGUMENTS

Le demandeur

[12]            Premièrement, M. Fabiano soutient que l'ordre des interrogatoires prévu par la Directive no 7 des Directives du président, selon lequel la Commission, ou un commissaire, en l'absence d'APR, peut interroger le demandeur en premier, constitue une atteinte aux principes de justice naturelle et à l'obligation d'équité. Il prétend que, puisqu'il s'agit d'une instance quasi-judiciaire, dont les conséquences sont d'une grande importance pour son sort, l'obligation d'équité exige que son avocat ait la possibilité de mener un interrogatoire principal, et la possibilité raisonnable de produire sa preuve et de faire des observations. En outre, M. Fabiano invoque la jurisprudence suivante, où la Cour a conclu que, en empêchant systématiquement l'avocat d'ouvrir les débats, la Commission avait porté atteinte à l'obligation d'équité envers les demandeurs : Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 124 (1re inst.); Ganji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1120 (1re inst.) (Q.L.); Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1693 (1re inst.) (Q.L.).

[13]            Deuxièmement, M. Fabiano prétend que la Commission a commis une sérieuse erreur de fait lorsqu'elle a conclu que le pays de référence indiqué était l'Italie plutôt que l'Argentine. Selon M. Fabiano, en tirant cette conclusion de fait, elle n'a pas tenu compte des éléments suivants : il a déclaré sous serment qu'il y avait des problèmes avec sa demande de citoyenneté italienne en raison du fait que le nom de son père n'avait pas été correctement inscrit; le Consulat général d'Italie à Toronto et le Vice-consulat de Brantford ont dit que le demandeur devait se présenter personnellement aux bureaux consulaires de l'Italie en Argentine; le processus d'obtention de la citoyenneté italienne est long et il ne peut attendre en Argentine aussi longtemps vu le danger auquel il est exposé là-bas; à l'heure actuelle, il n'est pas citoyen italien et il n'a pas le droit de demeurer en Italie s'il s'y rend sans en avoir la citoyenneté.

[14]            M. Fabiano soutient aussi que la Commission ne lui a pas laissé la possibilité de s'expliquer au sujet des Réponses aux demandes de renseignements ou des autres preuves documentaires qui contredisaient sa déposition selon laquelle il devait faire sa demande de citoyenneté italienne à partir de l'Argentine. Lorsque la Commission a fait sa propre enquête et ne lui a pas donné la possibilité de réagir, dit M. Fabiano, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle. Il s'appuie sur la décision du juge Cullen dans Muthusamy c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration ), [1994] A.C.F. no 1333 (1re inst.) (Q.L.).

[15]            Pour ces motifs, M. Fabiano demande que la décision soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour être entendue à nouveau.

Le défendeur

[16]            A titre préliminaire, le défendeur s'en prend aux documents figurant aux pages 139 et 140 du dossier du demandeur. Le défendeur signale que ces preuves n'avaient pas été produites devant la Commission lorsqu'elle a rendu sa décision. Le défendeur demande donc à la Cour de ne pas tenir compte de ces documents et des renvois à ces documents dans l'affidavit de M. Fabiano.

[17]            Le défendeur soutient que l'ordre des interrogatoires à l'audience n'a pas porté atteinte aux principes de justice naturelle. La contestation de M. Fabiano de l'ordre des interrogatoires est théorique, car il n'a pas cerné les éléments précis qu'il n'a pas pu soulever à l'audience pour cette raison. Le défendeur attire l'attention de la Cour sur la décision de la juge Gauthier dans l'affaire Cortes Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 920, 2005 C.F. 738, et il prétend que l'équité procédurale ne peut être évaluée au regard d'un contexte théorique.

[18]            En outre, le défendeur dit que, contrairement aux assertions de M. Fabiano, il a eu la possibilité de « s'expliquer » au sujet de la question du pays de référence, et qu'il a eu toute latitude pour faire valoir ses arguments. Le défendeur signale que l'index de la trousse d'information sur l'Argentine de septembre 2003 fourni à M. Fabiano avec l'avis de convocation faisait mention des réponses aux demandes de renseignements sur laquelle la Commission s'est appuyée pour rendre sa décision. Le défendeur affirme donc que M. Fabiano était au courant de ces documents avant l'audience. Le défendeur ajoute que, à l'audience, la Commission a informé M. Fabiano et son avocat que le pays de référence était au coeur des débats et qu'elle a spécifiquement demandé à ce dernier de faire des observations à ce sujet. Le défendeur soutient que, en fait, l'avocat a eu toute latitude pour s'exprimer sur ce point, tant dans ses questions que dans ses observations.

[19]            Le défendeur qualifie la conclusion principale de la Commission - c'est-à-dire le fait que M. Fabiano a droit à la citoyenneté italienne - de conclusion de fait, et la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable. Cette décision, soutient le défendeur, n'est pas manifestement déraisonnable, vu le fait que l'avocat de M. Fabiano a expressément reconnu que M. Fabiano avait droit à la citoyenneté italienne parce que ses deux parents son nés en Italie. Le défendeur ajoute que la conclusion selon laquelle M. Fabiano n'a pas besoin de rentrer personnellement en Argentine afin de faire instruire sa demande de citoyenneté italienne est étayée par la preuve documentaire dont avait été saisie la Commission, à savoir, les réponses aux demandes de renseignements.

[20]            Quoiqu'il en soit, dit le défendeur, la Commission n'était pas tenue de donner à M. Fabiano la possibilité de s'expliquer au sujet de la preuve documentaire sur laquelle elle s'est appuyée, même si elle contredisait le témoignage de M. Fabiano, selon lequel il ne pouvait obtenir la citoyenneté italienne sans rentrer en Argentine.

[21]            Pour ces motifs, le défendeur demande à la Cour de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

ANALYSE

L'affidavit - Question préliminaire

[22]            À titre préliminaire, le défendeur a demandé que soit radié du dossier l'affidavit du demandeur du 2 octobre 2004 au motif qu'il est vexatoire, qu'il ne porte pas sur des questions dont le demandeur a une connaissance personnelle, et qu'il constitue une tentative de produire devant la Cour des preuves dont la Commission n'a pas été saisie.

[23]            Après avoir entendu les arguments des avocats sur cette question, j'ai ordonné que soient radiés l'affidavit et les annexes pour les motifs invoqués par le défendeur, sauf les paragraphes 1, 2 et l'annexe « A » mentionnée au paragraphe 3 de l'affidavit.

[24]            Comme la Cour l'a signalé à maintes reprises, « [i]l est bien établi en droit que le contrôle judiciaire d'une décision que rend un office, une commission ou un autre tribunal d'instance fédérale doit être fondé sur les éléments de preuve dont le décisionnaire était saisi. » . Voir, par exemple, Lemeicha c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration ), [1993] A.C.F. no 1333, au paragraphe 4.

[25]            À part les preuves dont la Commission n'avait pas été saisie, cet affidavit ne contient pas grand-chose de plus que les arguments que l'avocat du demandeur a fait valoir devant la Cour dans le cadre de ses plaidoiries relatives à la présente demande. Ses arguments ne devraient pas être formulés dans l'affidavit du demandeur.

Les motifs que le demandeur a fait valoir

[26]            Le demandeur a fait valoir plusieurs motifs de contrôle. De manière générale, je ne peux pas conclure que les observations faites relativement aux questions d'équité procédurale ou à la question de l'ordre des interrogatoires sont étayées ou appuyées par la jurisprudence pertinente. La décision de la juge Gauthier dans l'affaire Silva, et la jurisprudence de plus en plus abondante de la Cour (voir, par exemple, la décision récente de la juge Snider dans l'affaire Zaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1314) enseignent clairement que l'incidence de la Directive no 7 des Directives du président ne doit pas être appréciée de manière abstraite. En l'espèce, le demandeur n'a fourni à la Cour aucune preuve indiquant qu'il n'a pas été capable de soulever une quelconque question de fait ou de droit en raison de l'ordre des interrogatoires.

Les questions relatives au pays de référence

[27]            La principale question en cause a trait au pays de référence dont la Commission a fait le fondement de sa décision: « la question déterminante en l'espèce est le pays de référence, et celui-ci est l'Italie et non pas l'Argentine. »

[28]            La Commission a tiré les conclusions de fait suivantes : non seulement le demandeur avait le droit d'acquérir la citoyenneté italienne, mais il avait le droit de le faire en Italie:

Ayant examiné l'ensemble de la preuve, je conclus que la demande de citoyenneté italienne est une simple formalité[1] pour le demandeur comparaissant devant moi et que la loi italienne sur l'ascendance d'une personne laisse croire que les autorités italiennes n'ont pas la discrétion de refuser la demande du demandeur, que j'estime, selon la prépondérance des probabilités, pouvoir être faite de l'intérieur de l'Italie, pays qu'il connaît bien et dont il parle la langue. Les individus auxquels on accorde automatiquement la citoyenneté par l'application de dispositions légales sont assurément des ressortissants de cet État.

[29]            En ce qui concerne le droit à la citoyenneté italienne du demandeur, celui-ci a fait la déclaration suivante: « J'aurais pu l'avoir, mais je ne l'ai pas, parce que quand j'ai voulu l'obtenir, la procédure durait au total plusieurs années. J'ai entamé mes démarches, mais je ne les ai pas complétées, parce que j'ai quitté l'Argentine. »

[30]            En d'autres termes, le demandeur estimait qu'il pouvait obtenir la citoyenneté italienne, mais que le processus serait long, complexe, semé d'embûches administratives et exigerait beaucoup de temps et d'efforts de sa part.

[31]            En raison du temps qu'il faudrait pour que sa demande aboutisse, il craint qu'il sera tué s'il doit faire ses démarches à partir de l'Argentine.

[32]            La Commission ne se penche pas sur le bien-fondé de la demande d'asile du demandeur, mais il est de fait qu'elle ne met pas en doute sa crédibilité relativement à son récit. La raison en est que la Commission estime que le demandeur n'est pas tenu de faire sa demande de citoyenneté italienne à partir de l'Argentine. En fait, la Commission conclut spécifiquement qu'il a le droit d'agir à partir de l'Italie ( « que j'estime, selon la prépondérance des probabilités, pouvoir être faite de l'intérieur de l'Italie [...] » ).

[33]            La Commission a évidemment été d'avis que cette conclusion de fait était nécessaire à sa décision, sinon la Commission n'aurait pas été obligée de la tirer.

[34]            Le problème est que mon examen du dossier ne révèle aucun élément de preuve étayant cette conclusion. En fait, la preuve indique que la Commission a mal interprété la preuve dont elle s'est servie pour tirer sa conclusion à cet égard.

[35]            La conclusion de la Commission est fondée sur les Réponses aux demandes de renseignements qui figurent dans le dossier.

[36]            ITA3751.E, de juillet 2001, se lit comme suit :

[TRADUCTION] Au cours de l'entrevue du 23 juillet 2001, une fonctionnaire de l'ambassade de la République italienne à Ottawa a déclaré ne pas savoir si quiconque avait jamais entamé des démarches afin de se faire reconnaître la citoyenneté italienne alors qu'il était au Canada à titre de demandeur d'asile. Cette fonctionnaire pensait que l'ambassade accepterait d'instruire une demande de ce genre, à condition que l'intéressé ait le droit de résider au Canada; cependant, elle a déclaré que le demandeur, ou son représentant, serait obligé de traiter avec les autorités consulaires en Argentine, par exemple, afin d'établir les renseignements concernant la naissance du demandeur. Cependant, cette fonctionnaire ne pensait pas que le demandeur serait obligé de se rendre en Argentine afin de faire instruire sa demande.

On n'a pas pu trouver des renseignements précis sur la question de savoir si un citoyen argentin pouvait demander la citoyenneté italienne s'il se trouvait aux États-Unis à titre de demandeur d'asile dans les sources consultées par la Direction des recherches. Cependant, selon le site web de l'ambassade italienne à Washington,

La personne qui veut se faire reconnaître la citoyenneté italienne doit démontrer que ses ascendants directs ont conservé sans interruption leur citoyenneté italienne. Le pouvoir de décision en la matière est conféré à l'autorité compétente pour le lieu de résidence du demandeur : à l'extérieur de l'Italie, c'est le service consulaire local (2001).

La présente réponse a été préparée après recherche dans les sources d'information auxquelles la Direction de la recherche a actuellement accès dans les délais imposés. Cette réponse n'est pas, et ne prétend pas être, concluante quant au bien-fondé d'une demande en particulier d'asile ou de statut de réfugié. On trouvera ci-dessous la liste des sources consultées dans les recherches faites dans le cadre de cette demande d'information.

[37]            Ce document semble être celui sur lequel s'est appuyé la Commission pour tirer la conclusion que, pour le demandeur, l'acquisition de la citoyenneté italienne ne serait qu'une « simple formalité » et que les démarches pourraient être effectuées « à partir de l'Italie » . Cependant, dans le document lui-même, il est dit que l'on ne se penche pas sur la question en cause, à savoir : « le citoyen argentin qui se trouve au Canada ou aux États-Unis à titre de demandeur d'asile peut-il faire une demande de citoyenneté italienne? »

[38]            Quoiqu'il en soit, la preuve est extrêmement conjecturale sur ce qu'il est possible de faire. Cependant, une chose est claire : « Cette fonctionnaire pensait que l'ambassade accepterait d'instruire une demande de ce genre » , mais cette opinion était assortie d'une réserve très importante : « à condition que l'intéressé ait le droit de résider au Canada [...] » (non-souligné dans l'original). »

[39]            Aucun élément de preuve n'indique que le demandeur avait le droit de résider au Canada pendant qu'il faisait sa demande de citoyenneté en Italie. L'instruction d'une demande de ce genre pourrait prendre des années. De toute manière, la Commission a conclu qu'il était nécessaire de tirer la conclusion de fait qu'il pouvait aller en Italie et faire sa demande de citoyenneté à partir de là-bas. Cependant, aucun élément de preuve n'indique qu'il pourrait aller en Italie et y rester assez longtemps pour faire sa demande de citoyenneté. En fait, le demandeur a déclaré que le processus était complexe et durerait longtemps et cela n'a été contesté par personne.

[40]            La crainte du demandeur était que, s'il rentrait en Argentine, il se ferait tuer bien avant qu'il puisse obtenir sa citoyenneté italienne.

[41]            Il semble que la Commission ait tenu pour acquis que le demandeur n'avait pas besoin de rentrer en Argentine parce qu'il avait le droit d'aller immédiatement en Italie et d'y faire sa demande de citoyenneté. Cependant, aucun élément de preuve ne va dans le sens de cette conclusion.

[42]            Autrement dit, vu les preuves dont avait été saisie la Commission, ses conclusions de fait et ses conclusions sur la question essentielle du pays de référence étaient manifestement déraisonnables.

[43]            La présente affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen, qui devra examiner attentivement la question de ce qui arrivera au demandeur s'il demande la citoyenneté italienne. Selon lui, il devra rentrer en Argentine pour ce faire. Voilà pourquoi il veut que la Commission évalue le bien-fondé de sa demande d'asile au regard de l'Argentine.

[44]            Les parties doivent signifier et déposer toute demande de certification d'une question de portée générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs. Le cas échéant, chaque partie aura également trois jours pour signifier et déposer sa réponse aux observations de la partie adverse. Par la suite, une ordonnance sera rendue.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-7659-04

INTITULÉ :                                              MIGUEL FABIANO

                                                                  c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                  ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE MERCREDI 13 JUILLET 2005   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                             LE 14 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Omar Shabbir Khan                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Marissa Bielski                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

KHAN OFFICES

Avocats

Hamilton (Ontario)                                                                     POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)                                                                    POUR LE DÉFENDEUR



[1]           Bouianova, Tatiana c. M.E.I. (C. F. 1re inst., no 92-T-1437), le juge Rothstein, le 11 juin 1993.

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