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Date : 20051011

Dossier : IMM-9923-04

Référence : 2005 CF 1373

OTTAWA (Ontario), le 11 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

HUI JUN XU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du

paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision d'un agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR) en date du 30 septembre 2004 de refuser la demande de dispense de visa de la demanderesse, fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[2]                 La demanderesse, Hui Jun Xu, est une citoyenne de la République populaire de Chine (la Chine). Elle est arrivée au Canada le 3 avril 2001 et a revendiqué le statut de réfugié le 16 mai 2001. Le 1er février 2002, la Section de la protection des réfugiés a établi que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger.

[3]                 En janvier 2004, la demanderesse a épousé Jian Hui Wu, lui aussi citoyen chinois, qui avait revendiqué sans succès le statut de réfugié au Canada..

[4]                 La demanderesse a une fille prénommée Jacqueline qui est née au Canada le 18 décembre 2001. Lorsque l'agent a pris sa décision, la demanderesse était enceinte d'un deuxième enfant dont la naissance était prévue pour avril 2005. L'enfant est née ce mois-là aux dires de l'avocat de la demanderesse.

[5]                 La demanderesse avait réclamé une dispense de visa fondée sur des motifs d'ordre humanitaire qui a été refusée par l'agent le 30 septembre 2004.

[6]                 Dans sa décision, l'agent a traité des trois motifs principaux sur lesquels repose la demande de la demanderesse : i) l'intérêt supérieur de l'enfant ou des enfants concernés, ii) le risque que la demanderesse courrait si elle retournait en Chine pour avoir enfreint la « politique chinoise de l'enfant unique » et iii) l'établissement de la demanderesse au Canada.

[7]                 Pour ce qui est de l'intérêt de l'enfant, l'agent a étudié une lettre du Dr Simon Ko datée du 20 août 2004 dans laquelle celui-ci dit avoir [traduction] « observé chez la fille de la demanderesse un trouble de comportement évoquant un trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention (THADA). Dans sa lettre, le médecin avance l'hypothèse que la [traduction] « fille [de la demanderesse] recevrait peut-être de meilleurs soins médicaux et services sociaux au Canada qu'en Chine si elle retourne là-bas » .

[8]                 L'agent note que le THADA n'a pas été diagnostiqué chez la fille de la demanderesse; sa fille a seulement un comportement évoquant un THADA. Il fait aussi remarquer que la lettre du médecin au sujet de la comparaison des traitements offerts au Canada et en Chine est une conjecture. L'agent n'est pas convaincu que le Dr Ko est qualifié pour exprimer une telle opinion.

[9]                 L'agent a ensuite étudié le fait que l'enfant mineure ne serait pas en mesure d'obtenir la citoyenneté chinoise et se verrait refuser des soins médicaux et des services sociaux, y compris une instruction scolaire. Il a examiné la documentation révélant qu'un enfant né à l'étranger de parents qui sont établis à l'étranger ne peut pas obtenir la nationalité chinoise. Cependant, l'agent conclut que la demanderesse ne serait pas considérée par les autorités chinoises comme s'étant établie à l'étranger, vu qu'elle n'a aucun statut permanent ou temporaire au Canada. Ce fait amène l'agent à conclure que la demanderesse ne serait pas considérée comme s'étant établie à l'étranger et, partant, que sa fille ne se verrait pas refuser la citoyenneté chinoise pour ce motif.

[10]            La deuxième question traitée par l'agent est celle du règlement de gestion du contrôle des naissances de la République populaire de Chine. Le ou les parents ayant plus d'un enfant en Chine sont passibles d'une amende. L'agent conclut que le paiement de cette amende ne compromet ni la vie de la demanderesse ni la sécurité de sa personne.

[11]            La demanderesse allègue également qu'elle aurait été obligée de se faire avorter et de subir la stérilisation. Comme l'enfant est née en avril 2005, la question de l'avortement ne se pose plus. L'agent conclut effectivement à l'absence de preuves convaincantes que la demanderesse aurait été dans l'obligation de se faire avorter ou de subir la stérilisation si elle était retournée en Chine avant la naissance de l'enfant.

[12]            En ce qui concerne la deuxième question, la politique de l'enfant unique, l'agent conclut que l'imposition de l'amende ne compromettrait pas la vie de la demanderesse ou la sécurité de sa personne et qu'aucune preuve convaincante ne démontre qu'elle serait ou pourrait être contrainte de se faire avorter ou de subir la stérilisation à son retour en Chine.

[13]            Enfin, pour ce qui est de l'établissement au Canada, l'agent conclut que la demanderesse ne rencontrerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle retournait en Chine. L'agent note que la demanderesse serait dans l'obligation de se trouver un logement et un emploi; cependant, la recherche d'un logement et d'un emploi sont des défis auxquels font face tous les migrants qui retournent dans leur pays d'origine. Ce ne sont pas là des facteurs qui justifient une considération exceptionnelle fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[14]            La demanderesse soulève les trois questions suivantes :

a.       L'agent a-t-il omis de prendre en considération le risqué auquel elle serait personnellement exposée à son retour en Chine?

b.       L'agent a-t-il omis de prendre en considération des éléments de preuve pertinents?

c.       L'agent a-t-il omis de prendre en considération l'intérêt supérieur des enfants directement touchés?

[15]            La demanderesse allègue que l'agent n'a pas tenu compte du risque auquel elle serait personnellement exposée à son retour en Chine, à savoir le risque qu'elle court en tant que revendicatrice connue du statut de réfugié au Canada.

[16]            L'agent note que la demanderesse a revendiqué sans succès le statut de réfugié au Canada. Il serait redondant et contraire à l'objet du régime de protection des réfugiés d'autoriser quelqu'un à rester au Canada après le rejet de sa revendication du statut de réfugié uniquement sur la base du rejet de cette revendication. On ne saurait permettre qu'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire soit accueillie sur la base d'une revendication du statut de réfugié rejetée; une telle décision serait dénuée de sens.

[17]            En ce qui concerne les autres motifs invoqués par la demanderesse, j'estime que la décision de l'agent relativement à chacun d'entre eux était raisonnable, sauf à l'égard de l'intérêt des deux enfants directement touchés. L'agent a commis une erreur en conjecturant sur les répercussions de la naissance du deuxième enfant, et a mal analysé le statut qu'aurait l'aînée en Chine.

[18]            La juge Dawson a établi certaines lignes directrices visant le traitement de la preuve par la Commission, dans la décision Akhigbe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 249, [2002] A.C.F. n0 332, au paragraphe 11 :

¶ 11       C'est à la SSR qu'il incombe d'évaluer le poids à accorder aux éléments de preuve, et la Cour ne peut pas substituer, tout simplement, sa propre opinion à celle de la SSR en cette matière. Les conclusions de faits de la SSR doivent être examinées selon la norme de contrôle qui appelle le plus haut degré de retenue et ne devraient être modifiées que si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou si elles ne tiennent pas compte de la documentation produite devant la SSR.

[19]            Je suis d'avis que l'agent a tiré une conclusion déraisonnable en ce qui a trait à l'intérêt supérieur des enfants. La demanderesse allègue que l'agent a omis de prendre en considération l'amende imposée pour naissance non planifiée à une femme devenue enceinte avant son départ de la Chine et que seuls les citoyens chinois se trouvant à l'étranger pour « affaires ordinaires » sont exempts du paiement de l'amende. Les préoccupations de la demanderesse sont valables. Il est de droit constant que la Cour n'intervient pas dans une affaire où la question en litige concerne une loi d'application générale du pays d'origine du demandeur, mais l'agent n'a pas établi de lien entre la loi d'application générale et le statut qu'aurait la cadette si elle retournait en Chine. La conclusion de l'agent selon laquelle les amendes constituaient des dispositions légales d'application générale en vigueur était raisonnable, mais le défaut de traiter du statut qu'aurait la cadette en Chine ne l'était pas, vu qu'aucun lien concret n'a été établi pour démontrer qu'elle aurait accès à une instruction scolaire et à des soins médicaux en Chine. Si la cadette n'a pas accès aux soins médicaux, aux services sociaux et à l'instruction scolaire en Chine, il est dans son intérêt qu'elle reste au Canada.

[20]            La Cour suprême du Canada a noté dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, que l'agent doit se montrer réceptif, attentif et sensible à l'intérêt supérieur des enfants dans l'examen d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. L'article 25 de la LIPR fait explicitement mention de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché.

25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger -- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché -- ou l'intérêt public le justifient.

[Non souligné dans l'original]

[21]            Malgré le fait que la décision de l'agent ait été par ailleurs raisonnable, j'estime qu'il a commis une erreur en conjecturant ce qui allait se passer, à savoir les répercussions éventuelles de la naissance de la cadette. Le fait est que maintenant

celle-ci est née au Canada et que la Commission devrait maintenant réexaminer l'affaire comme il se doit sans se livrer à des conjectures au sujet de cet enfant.

[22]            L'agent a aussi commis une erreur dans son examen du statut de l'aînée en ce qui a trait à l'absence de statut pour la mère au Canada. L'agent a conclu sans preuve que l'absence de statut au Canada suffit à démontrer que la demanderesse ne s'est pas « établie à l'étranger » pour les fins de l'évaluation du cas de l'aînée en ce qui concerne les soins médicaux, l'instruction scolaire et les services sociaux si elle devait retourner en Chine. Je suis d'avis que la décision de l'agent ne peut être maintenue, étant donné son caractère conjectural à l'égard de la cadette et le manque de preuves quant au statut qu'aurait l'aînée à son retour en Chine. L'agent a omis à tort de se montrer réceptif, attentif et sensible à l'intérêt supérieur des enfants directement touchés par sa décision; par conséquent, sa décision ne peut pas être maintenue. Il convient de réexaminer l'affaire en tenant particulièrement compte de l'intérêt supérieur des enfants directement touchés par la décision (article 25 de la LIPR, arrêt Baker).

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci l'examine en tenant particulièrement compte de l'intérêt supérieur des enfants directement touchés. Aucune question n'est certifiée.

« Paul U.C. Rouleau »

JUGE

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-9923-05

INTITULÉ :                                        HUI JUN XU

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                            L' IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 13 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE :                   LE 11 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Laura Valdez                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Kim Shane                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laura Valdez                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Avocate                                                                                  

John H. Sims, c.r.                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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