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Date : 20050509

Dossier : T-1426-04

Référence : 2005 CF 654

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY                          

ENTRE :

                                                                 YIQUN WANG

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                      MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE

                                                                                                                                           défendeur

                                 MOTIF DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, vise une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) datée du 6 juillet 2004. Dans cette décision rendue en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi), la Commission a rejeté la plainte de la demanderesse alléguant des actes de discrimination et du harcèlement fondés sur la race, la couleur ou l'origine nationale ou ethnique de la part d'une agente du défendeur, en contravention des articles 5 et 14 de la Loi.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les questions en litige sont les suivantes :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant la recommandation de l'agente d'enquête de constituer un tribunal des droits de la personne pour examiner la plainte de la demanderesse?

2.         La Commission a-t-elle manqué aux règles de l'équité procédurale à l'égard de la demanderesse :

a)         en ne divulguant pas la nouvelle réponse du défendeur et en privant ainsi la demanderesse de la possibilité de répondre à l'argument du défendeur?

b)         en ne fournissant pas de motifs suffisants pour justifier le rejet de la plainte de la demanderesse?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère pour déterminer si la preuve établissait de façon raisonnable l'existence d'une pratique discriminatoire justifiant le renvoi de la plainte à un tribunal des droits de la personne?

[3]                Pour les motifs qui suivent, je dois répondre par la négative à ces questions. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.


CONTEXTE

[4]                La demanderesse est une immigrante d'origine chinoise qui a été admise au Canada le 17 juillet 2000 avec droit d'établissement. Le 13 décembre 2001, la demanderesse est retournée en Chine pour visiter son père et sa mère qui étaient tous deux gravement malades. Pendant son séjour là-bas, son père et sa mère sont décédés.

[5]                Le 13 mars 2002, la demanderesse est rentrée à Toronto par avion via les États-Unis. Au moment où elle franchissait les douanes canadiennes, la demanderesse a été dirigée vers un autre agent pour une seconde vérification. La demanderesse croit avoir été soumise à une autre vérification en raison de sa race et de son origine ethnique. Elle allègue également avoir été victime de discrimination et de harcèlement de la part de l'agente des douanes qui a procédé à cette autre vérification. Elle soutient plus précisément que l'agente des douanes a fouillé ses objets personnels d'une manière très irrespectueuse, qu'elle lui a saisi le poignet lorsqu'elle a tenté de récupérer certains de ses objets personnels, qu'elle a proféré des grossièretés quand elle a demandé les services d'un interprète chinois et qu'elle a saisi certains objets personnels sans motifs d'ordre juridique pertinents.


[6]                Le défendeur soutient que l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) a appliqué la politique de renvoi sélectif lorsque la demanderesse a été dirigée vers un autre agent pour une seconde vérification. Elle y a été soumise non pas en raison de sa race ou de sa couleur mais bien parce qu'elle a déclaré ne pas avoir rempli sa carte de déclaration comme il le fallait. Le défendeur nie que des actes de discrimination et de harcèlement aient été commis à l'endroit de la demanderesse par l'agente des douanes qui a procédé à la fouille.

[7]                Après l'incident, la demanderesse a sollicité l'assistance de la Metro Toronto Chinese & Southeast Asian Legal Clinic (la clinique) pour l'aider à déposer une plainte relative aux droits de la personne contre l'ADRC et l'agente des douanes en question. Le 3 juin 2002, la demanderesse a déposé une plainte auprès de la Commission.

[8]                Conformément au paragraphe 43(1) de la Loi, la Commission a désigné comme enquêteur Mme Asira Shukuru (l'agente d'enquête) pour faire enquête sur la plainte. En avril 2004, l'agente d'enquête a remis son rapport (le rapport d'enquête). Il ressortait de la preuve, à son avis, que le premier inspecteur des douanes a dirigé la demanderesse vers un autre agent pour lui faire subir une autre vérification parce que sa carte de déclaration n'était pas dûment remplie. Elle a noté que, suivant la politique du défendeur, les voyageurs qui ne peuvent pas faire une déclaration douanière complète parce qu'ils ne sont pas en mesure de communiquer dans l'une ou l'autre des langues officielles font l'objet d'une autre vérification obligatoire. En ce qui a trait aux autres questions, l'agente d'enquête a souligné que la preuve était contradictoire. Puisque la crédibilité était une question centrale, elle a conclu que seul un tribunal pouvait rendre une décision appropriée et elle a donc recommandé que la Commission constitue un tribunal pour examiner la plainte de la demanderesse.

[9]                Le défendeur et la demanderesse ont tous deux reçu une copie du rapport d'enquête et ils ont eu la possibilité de présenter des observations. Le 7 avril 2004, la demanderesse a présenté une lettre à la Commission en réponse au rapport d'enquête. Le défendeur a fait de même le 3 mai 2004. Chacune des parties a reçu les observations de la partie adverse et a été autorisée à formuler d'autres observations, lesquelles ont été déposées le 11 mai 2004 dans le cas de la demanderesse et le 17 mai 2004 dans le cas du défendeur.

DÉCISION CONTESTÉE

[10]            Par lettre datée du 6 juillet 2004, la Commission a avisé la demanderesse qu'en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, elle avait décidé de rejeter sa plainte au motif que :

[traduction]

-                La preuve ne corrobore pas l'allégation suivant laquelle la décision de faire subir une autre vérification à la plaignante était fondée sur un motif de distinction illicite.

-               La preuve ne corrobore pas l'allégation suivant laquelle la plaignante a fait l'objet d'un traitement défavorable ou de harcèlement dans la prestation d'un service en raison de sa race ou de sa couleur.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES



Actes discriminatoires

Refus de biens, de services, d'installations ou d'hébergement

5. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :a) d'en priver un individu;

b) de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.

Harcèlement

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

a) lors de la fourniture de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public;

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

c) en matière d'emploi.

Harcèlement sexuel

(2) Pour l'application du paragraphe (1) et sans qu'en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

Rapport

44(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,

(ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).                                                                

Discriminatory Practices

Denial of good, service, facility or accommodation

5. It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public     

(a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual, or

(b) to differentiate adversely in relation to any individual,

on a prohibited ground of discrimination.

Harassment

14. (1) It is a discriminatory practice,

(a) in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public,

(b) in the provision of commercial premises or residential accommodation, or

(c) in matters related to employment,

to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

Sexual harassment

(2) Without limiting the generality of subsection (1), sexual harassment shall, for the purposes of that subsection, be deemed to be harassment on a prohibited ground of discrimination.

Report

44(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).


ANALYSE

Norme de contrôle

[11]            Dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit d'abord trancher la question de la norme de contrôle applicable. Pour décider de la norme de contrôle, il faut appliquer les quatre facteurs de l'analyse pragmatique et fonctionnelle établie par le juge Iacobucci dans Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 26 :

Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle est déterminée en fonction de quatre facteurs contextuels - la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question - de droit, de fait ou mixte de fait et de droit. [...]

[12]            Récemment, dans MacLean c. Marine Atlantic Inc., [2003] A.C.F. no 1854 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 36 à 42, le juge O'Keefe, en se référant à l'arrêt Dr. Q., précité, a appliqué l'analyse pragmatique et fonctionnelle de la manière suivante :

La présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi

La Loi ne renferme aucune clause privative et ne prévoit aucun droit d'appel. Le silence de la loi est neutre et ne donne pas à entendre que la norme de contrôle est plus rigoureuse ou qu'elle l'est moins.


L'expertise du tribunal sur la question en litige par rapport à celle de la cour de révision

Il s'agit ici de savoir si la plainte du demandeur doit être rejetée pour le motif qu'elle ne justifie aucun examen plus poussé, compte tenu des circonstances. Dans l'arrêt Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, la Cour suprême du Canada a dit, au paragraphe 29, qu' « [u]ne conclusion à l'existence de discrimination repose essentiellement sur des faits que la commission d'enquête est la mieux placée pour évaluer » . En l'espèce, le même raisonnement s'appliquerait à l'égard de la conclusion de fait que la Commission tire lorsqu'elle examine au préalable une plainte en se fondant sur un rapport d'enquête. L'expertise plus grande de la Commission en ce qui concerne les conclusions de fait et l'examen préalable des plaintes milite en faveur d'une plus grande retenue dans le cadre d'un contrôle judiciaire.

L'objet de la loi et de la disposition particulière

L'article 2 de la Loi énonce son objet comme suit :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Aux fins de la réalisation de ce but législatif général, la Commission s'est vu conférer le pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte si elle est convaincue qu'aucun examen plus poussé n'est justifié. Comme l'a souligné la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), le choix des termes employés à l'article 40 de la Loi ne laisse planer aucun doute : le législateur voulait que les cours de révision s'abstiennent d'intervenir à la légère dans les décisions prises par la Commission à la suite d'un examen préalable. Ce facteur montre également qu'il convient de faire preuve de retenue à l'égard de la décision de la Commission.

La nature de la question : s'agit-il d'une question de droit, d'une question de fait ou d'une question mixte de fait et de droit?

Il s'agit en l'espèce de savoir si les plaintes du demandeur justifiaient un examen plus poussé. La Commission a rejeté les plaintes pour le motif qu'elles n'étaient pas fondées parce que, compte tenu de l'enquête, l'entente conclue entre Marine Altantic et TCA n'était pas discriminatoire. Cette question est fondée sur les faits, mais elle comporte l'application de faits au régime législatif, ce qui constitue une question mixte de fait et de droit. La nature discrétionnaire de la fonction d'examen préalable des plaintes et le fait que la question est axée sur les faits exigent que l'on fasse preuve d'une plus grande retenue à l'égard de la décision de la Commission.


Compte tenu de tous ces facteurs, je suis d'avis que la décision que la Commission a prise dans ce cas-ci devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cet avis est conforme à la jurisprudence récente de la Cour d'appel fédérale (voir Gee c. Canada (Ministre du Revenu national) (2002), 284 N.R. 321, 2002 CAF 4).

[13]            Je fais miens le raisonnement et la conclusion du juge O'Keefe. La norme de la décision raisonnable simpliciter a d'abord été examinée dansCanada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, où le juge Iacobucci a affirmé au paragraphe 56 : « Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion » .

[14]            Dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, le juge Iacobucci a donné des précisions quant à l'application de la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cette norme ne consiste pas à déterminer si le tribunal est parvenu au bon résultat. La Cour doit examiner les motifs du tribunal dans leur ensemble et déterminer s'il existe quelques éléments d'analyse qui pouvaient raisonnablement amener le tribunal à la conclusion qu'il a tirée à partir de la preuve qui lui a été présentée. La Cour doit conclure au caractère raisonnable de la décision s'il existe une explication logique à la décision du tribunal, même si l'explication n'est pas convaincante à ses yeux.   

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant la recommandation de l'agente d'enquête de constituer un tribunal des droits de la personne pour examiner la plainte de la demanderesse?

[15]            Il est vrai que le rapport d'enquête, daté du 2 avril 2004, recommandait que la plainte de la demanderesse soit déférée à un tribunal pour un examen plus approfondi. Toutefois, la Commission n'est pas liée par ce rapport puisqu'en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, elle peut rejeter une plainte si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, qu'un examen n'est pas justifié. Dans Bradley c. Canada (Procureur général) (1997), 135 F.T.R. 105 (C.F. 1re inst.), une autre affaire où la Commission écartait les recommandations de l'enquêteur, le juge MacKay a déclaré ce qui suit au paragraphe 53 :

Il est vrai que la CCDP n'a pas accepté la recommandation de l'enquêteuse, c'est-à-dire de nommer un conciliateur, mais elle ntait pas liée par une telle recommandation. [...] La décision de la Commission n'est pas entachée d'erreur parce qu'elle a choisi de ne pas suivre la recommandation de l'enquêteuse.

[16]            Il importe de noter que la Commission a déclaré dans la lettre de sa décision qu'elle avait examiné le rapport d'enquête, ainsi que les observations déposées en réponse. Il n'est pas nécessaire que la Commission énumère tous les documents qu'elle a analysés pour en arriver à sa décision ou qu'elle reprenne la preuve déjà exposée dans le rapport. Le juge Décary de la Cour d'appel fédérale a affirmé ce qui suit au paragraphe 38 de l'arrêtBell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.) :

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme « à son avis » , « devrait » , « normalement ouverts » , « pourrait avantageusement être instruite » , « des circonstances » , « estime indiqué dans les circonstances » , qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du Tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a)) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion (voir Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687, à la page 698 (C.A.F.), le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.


2.         La Commission a-t-elle manqué aux règles de l'équité procédurale à l'égard de la demanderesse :

a)         en ne divulguant pas la nouvelle réponse du défendeur et en privant ainsi la demanderesse de la possibilité de répondre à l'argument du défendeur?

[17]            Je suis d'accord avec la demanderesse lorsqu'elle dit que l'équité procédurale exige que la Commission informe les parties de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et leur donne la possibilité de répondre et de présenter toutes les observations pertinentes (voir Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (SEPQA), au paragraphe 33, et Bell, précité, au paragraphe 43).

[18]            En l'espèce, les deux parties ont obtenu une copie du rapport d'enquête et eu l'occasion de réagir. Elles ont saisi l'occasion et formulé des observations en réponse au rapport. Dès réception de ces réponses, la Commission a transmis à chacune des parties la réponse de la partie adverse et elle leur a ensuite donné la possibilité d'y répliquer. Les deux parties ont déposé une réplique. La Commission a examiné les observations et les arguments soulevés par chaque partie et, ensuite, sur le fondement du rapport d'enquête, des réponses des parties à ce rapport et des répliques, elle a décidé de rejeter la plainte de la demanderesse. Le fait que la demanderesse n'ait pas obtenu copie de la réplique du défendeur ne viole pas les principes de l'équité procédurale. Après un examen attentif de la réplique du défendeur, j'estime que la lettre du 17 mai 2004 de ce dernier ne renferme aucun nouveau fait ni nouvel élément de preuve. Je crois que la demanderesse a suffisamment eu l'occasion de présenter et de défendre sa cause et qu'elle était parfaitement au courant de la preuve de la partie adverse.


b)         en ne fournissant pas de motifs suffisants pour justifier le rejet de la plainte de la demanderesse?

[19]            Tel qu'il a été précisé dans Gardner c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 616 (1re inst.) (QL), au paragraphe 23, « [i]l est bien établi que le contenu de l'équité procédurale varie selon les circonstances de l'affaire » . Toutefois, la question de l'obligation de la Commission d'exposer les motifs de ses décisions telles que celle en cause en l'espèce a fait l'objet d'une abondante jurisprudence qui a culminé avec l'arrêt SEPQA, précité. La Cour d'appel fédérale a écarté l'application de cette décision dansMercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3 (C.A.), où le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour, a écrit aux paragraphes 21, 22 et 23 :

Dans S.E.P.Q.A., la situation se présentait autrement. Le refus de la Commission donnait suite à la recommandation faite en ce sens par l'enquêteur, de sorte que le plaignant était en mesure, à même le rapport d'enquête qui lui avait été communiqué, de comprendre les motifs de la décision bien que celle-ci ne fût pas motivée. La Cour suprême, à juste titre, a refusé de trancher la question relative à l'omission de motiver. Ici, le refus de la Commission va à l'encontre de la recommandation de l'enquêteur, et, en l'absence de motifs, la plaignante, qui ne connaissait pas l'existence des observations du Service, ne pouvait même pas soupçonner ce qui avait amené la Commission à ne pas donner suite à la recommandation.

Est-ce à dire qu'en l'espèce l'omission de motiver constitue en elle-même un manquement aux règles d'équité procédurale? Je ne le crois pas.

[...]

L'obligation de motiver a été imposée par le Parlement dans certains cas spécifiques, dont celui du paragraphe 42(1) de la Loi qui s'applique lorsque la Commission juge une plainte irrecevable pour les motifs énoncés à l'article 41. J'hésiterais à imposer, par le biais des règles d'équité procédurale, un fardeau que le législateur n'a imposé qu'avec parcimonie dans des cas bien spécifiques.

[20]            En outre, dans Brochu c. Banque de Montréal (1999), 251 N.R. 207, la Cour d'appel fédérale, annulant la décision de la Cour fédérale, a déclaré aux paragraphes 1 et 2 :


[...] Nous croyons en effet, avec égards, que le savant juge a eu tort d'annuler le rejet que la Commission canadienne des droits de la personne avait opposé à la plainte de l'intimé en se basant strictement sur le fait que l'avis de rejet n'était pas appuyé de motifs.

Considérant le caractère particulier et exceptionnel du recours attribué par la Loi canadienne sur les droits de la personne à celui qui se croit victime de discrimination; considérant le rôle assigné à la Commission au moment du dépôt d'une plainte, soit celui de se convaincre, sur la base d'un examen initial, du sérieux de la plainte et de l'opportunité de la soumettre à la sanction formelle d'un tribunal; considérant l'interprétation que la Cour suprême a donnée à ce rôle de la Commission exercé en vertu des articles 44(2) et 44(3) de la Loi et de la qualification de purement administrative et discrétionnaire que la jurisprudence à la suite de la Cour suprême a toujours reconnue à une décision de rejet prise sous le régime du sous-alinéa 44(3)b)(i) ou de son prédécesseur, tout en la soumettant à des exigences procédurales sévères susceptibles d'en assurer l'équité et l'impartialité; considérant enfin que le Parlement s'est refusé à imposer à la Commission l'obligation de motiver ses refus de poursuivre l'étude de certaines plaintes qu'on lui soumettait au motif, sans doute, que par leur nature même ces refus viennent de réactions souvent que subjectives et difficiles à verbaliser et que la pure satisfaction personnelle (et non l'éclaircissement comme pour une décision sous l'article 42(1) de la Loi) que pourrait parfois retirer le plaignant d'une explication élaborée ne saurait balancer le fardeau qu'impliquerait sa composition. Considérant tout cela, nous croyons qu'il serait injustifiable de vouloir introduire des exceptions à la règle clairement établie et maintes fois réitérée que la Commission n'a pas à s'en expliquer lorsque, après avoir respecté intégralement les règles procédurales d'équité, elle rejette une plainte en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) parce que « elle est convaincue que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié » .

[21]            Par conséquent, dans la mesure où la Commission a respecté les règles de l'équité procédurale, comme elle l'a fait en l'espèce, l'absence de motifs dans sa décision ne constitue pas une erreur susceptible de révision. Cette conclusion a également été tirée dans d'autres décisions : Société Radio-Canada c. Paul, [2001] A.C.F. no 542 (C.A.F.) (QL), 2001 CAF 93; Houston c. Air Canada (1998), 144 F.T.R. 152 (1re inst.); Mercier c. Canada (Procureur général) (1996), 121 F.T.R. 89 (1re inst.).

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère pour déterminer si la preuve établissait de façon raisonnable l'existence d'une pratique discriminatoire justifiant le renvoi de la plainte à un tribunal des droits de la personne?

[22]            La demanderesse allègue que le rôle de la Commission à cette étape n'est pas d'apprécier la preuve de la même manière que dans une instance judiciaire, mais plutôt d'examiner la situation pour déterminer si la preuve est suffisante pour justifier une audience. Elle soutient que ce critère a été décrit comme étant une exigence préliminaire peu rigoureuse. En d'autres termes, la Commission devrait se demander si la preuve offre une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante.

[23]            La demanderesse explique que la Commission a décidé de ne pas faire passer sa demande à l'étape suivante parce qu'elle a estimé que la preuve ne corroborait pas ses allégations. Toutefois, elle fait valoir que la preuve atteste l'existence de motifs raisonnables pour accepter sa demande. Elle signale plus particulièrement le fait qu'il ressort de la preuve qu'elle ne parle pas couramment l'anglais. De plus, elle allègue que, lorsque la crédibilité est une question fondamentale, comme en l'espèce, la Commission devrait renvoyer l'affaire pour une audition complète.

[24]            Je ne suis pas d'accord avec le dernier argument de la demanderesse et je souscris au raisonnement du juge Evans dans Larsh c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 508 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 18 et 33 :


Bien qu'il soit séduisant à première vue, je ne suis pas convaincue [sic] que l'argument que l'avocate a développé soit bien fondé. Tout d'abord, cet argument sous-estime selon moi l'importance du pouvoir discrétionnaire qui est conféré à la Commission par le libellé du sous-alinéa 44(3)b)(i), en l'occurrence, celui de rejeter la plainte « si elle est convaincue [¼] compte tenu des circonstances relatives à la plainte, [que] l'examen de celle-ci n'est pas justifié » . L'argument de la demanderesse suivant lequel la plainte doit être déférée au Tribunal des droits de la personne chaque fois que la crédibilité constitue la principale question en litige dans une affaire mettant en cause les droits de la personne ne semble pas compatible avec le libellé subjectif du sous-alinéa 44(3)b)(i), ni avec la compétence et l'expérience de la Commission en tant qu'organisme spécialisé chargé d'enquêter sur les plaintes déposées en matière de droits de la personne et de se prononcer sur leur bien-fondé. [Non souligné dans l'original.]

[...]

J'estime d'ailleurs qu'il serait irresponsable de la part de la Commission de ne pas apprécier les éléments de preuve dont elle dispose pour la simple raison que le plaignant et la personne qui fait l'objet de la plainte ont donné des versions contradictoires des événements sur lesquels la plainte est fondée. La Commission a le droit « et est tenue » de scruter de près la preuve avant de décider si, eu égard aux circonstances de l'espèce, la tenue d'une audience devant un tribunal des droits de la personne est justifiée.

[25]            En réponse aux allégations de la demanderesse, le défendeur fait valoir que la Commission a pour rôle de déterminer, « compte tenu des circonstances relatives à la plainte » , si un examen est justifié (voirCooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au paragraphe 53). Il affirme que l'allégation suivant laquelle la demanderesse ne parle pas couramment l'anglais ne signifie pas qu'il existe une preuve suffisante pour soutenir une plainte de discrimination.

[26]            La Commission ne peut tenir compte d'un seul aspect de la preuve; elle doit considérer l'ensemble de la preuve, « compte tenu des circonstances relatives à la plainte » . Dans Tan c. Société canadienne des postes, [1995] A.C.F. no 899 (1re inst.) (QL), la Cour fédérale a déclaré au paragraphe 25 :

Cela signifie donc que s'il est clair que la Commission ne peut se dissocier entièrement du bien-fondé d'une plainte en déterminant de ne pas donner suite à l'affaire, il est inconcevable que, dans son rôle d'appréciation des faits, elle ne puisse tirer de conclusions au sujet de la valeur probante de certains éléments de preuve ou de la possibilité qu'en raison d'une faiblesse inhérente, certaines plaintes ne valent pas la peine d'être poursuivies au-delà de l'étape de l'enquête. Tant que la Commission ne décide pas de ne pas donner suite à l'affaire en négligeant de prendre en considération les preuves importantes dont elle est saisie, il n'existe aucun motif d'intervention judiciaire au stade du contrôle.


[27]            En l'espèce, la demanderesse formule deux allégations différentes de discrimination. La première allégation vise le renvoi pour une seconde vérification. La deuxième allégation est liée à la conduite de l'agente des douanes qui a procédé à la fouille. Elle dit concernant cette dernière allégation qu'elle s'est vu refuser les services d'un interprète, qu'elle a fait l'objet d'une fouille exhaustive qui a duré trois heures, que certains de ses objets personnels ont été saisis sans motifs d'ordre juridique et qu'elle a été victime de harcèlement de la part de l'agente des douanes.

[28]            En ce qui a trait à la première allégation, le rapport d'enquête indique que la preuve ne corrobore pas la conclusion suivant laquelle la demanderesse a été dirigée vers un autre agent pour subir une seconde vérification en raison de son origine ethnique. Au contraire, il ressort de la preuve qu'elle a été dirigée vers un autre agent afin que sa carte de déclaration soit vérifiée puisqu'elle n'était pas dûment remplie. La demanderesse n'avait pas notamment rempli la section portant sur la déclaration des biens acquis pendant son séjour en Chine. Compte tenu du fait que la preuve indiquait que la demanderesse a été dirigée vers un autre agent pour subir une seconde vérification en raison de facteurs autres que la discrimination, je suis d'avis que la Commission n'a commis aucune erreur déraisonnable qui justifierait l'intervention de la Cour.

[29]            En ce qui a trait à la seconde allégation de discrimination, le rapport d'enquête précise que la crédibilité est une question fondamentale puisque la preuve est contradictoire sur plusieurs aspects. En fait, la preuve n'est pas claire en ce qui concerne les éléments suivants :

-           le niveau d'aisance de la demanderesse à s'exprimer en anglais;


-           la période de temps pendant laquelle la demanderesse a été retenue pour la fouille;

-           la légalité de la saisie de certains biens;

-           la prétendue conduite irrespectueuse de l'agente des douanes et la nature de ses remarques durant la fouille.

[30]            La demanderesse déclare dans sa lettre de réponse datée du 11 mai 2004 que l'agente d'enquête a fait ressortir des motifs suffisants dans cette affaire pour passer à l'étape suivante. Je ne suis pas de cet avis. La Commission n'est pas tenue de suivre les recommandations de l'enquêteur, elle doit évaluer la plainte compte tenu des circonstances relatives à celle-ci. En présence d'une preuve contradictoire, il était loisible à la Commission, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de décider, comme elle l'a fait, de rejeter la plainte de la demanderesse.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

              « Michel Beaudry »                        

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              T-1426-04

INTITULÉ :                                                              YIQUN WANG

c.          

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ

PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION            CIVILE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)                       

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 3 MAI 2005              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                        LE JUGE BEAUDRY                          

DATE DES MOTIFS :                                         LE 9 MAI 2005

COMPARUTIONS :                                              

Avvy Yao-Yoa Go                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Sandra Nishikawa                                                      POUR LE DÉFENDEUR

                                                     

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :               

Metro Toronto Chinese & Southeast                         POUR LA DEMANDERESSE

Asian Legal Clinic

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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