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Date : 20050414

Dossier : T-852-04

Référence : 2005 CF 505

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

JEAN CHERRIER

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant la décision qui a été rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 1er avril 2004 par laquelle elle renvoyait aux termes de l'alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi), la plainte du défendeur au Tribunal canadien des droits de la personne (le tribunal).

LES FAITS

[2]                 Le 5 décembre 2001, le défendeur a déposé, devant la Commission, une plainte de discrimination basée sur la déficience contre son ancien employeur, le Service correctionnel du Canada. Dans sa plainte, il allègue que son état de santé a été ignoré par son ancien employeur lors des sanctions disciplinaires qui ont été prises à son endroit.

[3]                 Au soutien de sa plainte concernant son état de santé, le défendeur a soumis à la Commission un certain nombre de documents médicaux dont, entre autres, le dossier médical concernant son hospitalisation à l'Hôpital Louis-H. Lafontaine du 18 au 24 janvier 2000.

[4]                 À cet égard, le 11 septembre 2002, le demandeur demandait à la Commission d'approcher le défendeur afin qu'il donne à Santé Canada son autorisation pour que ses dossiers médicaux soient transmis aux médecins de cet organisme.

[5]                 Le 28 novembre 2002, la Commission avisait le demandeur qu'un enquêteur serait désigné pour réunir la preuve relative aux allégations et, une fois l'enquête terminée, présenter ses conclusions dans un rapport aux membres de la Commission. Dans cette lettre du 28 novembre 2002, la Commission ne parle pas de la demande du demandeur datée du 11 septembre 2002 d'avoir accès aux dossiers médicaux du défendeur.

[6]                 Le 24 décembre 2002, le demandeur réitérait sa demande et exigeait d'obtenir communication du dossier médical complet du défendeur et plus particulièrement le dossier médical et hospitalier de l'Hôpital Louis-H. Lafontaine où le défendeur a été hospitalisé du 18 au 24 janvier 2000.

[7]                 Le 3 avril 2003, la Commission refusait au demandeur l'accès au dossier médical du défendeur.

[8]                 Le 22 décembre 2003, l'enquêteur présentait son rapport d'enquête dans lequel il était recommandé que la Commission demande la constitution d'un tribunal des droits de la personne.

[9]                 Le 9 janvier 2004, le demandeur redemandait communication de l'ensemble des dossiers médicaux concernant le défendeur qui sont en la possession de la Commission.

[10]            Le 19 janvier 2004, la Commission refusait encore cette demande du demandeur et l'enjoint de commenter le rapport d'enquête.

[11]            Le 6 février 2004, le demandeur avisait la Commission qu'il était d'avis que son refus de lui remettre les dossiers médicaux concernant l'état de santé du défendeur que l'enquêteur a consultés dans le cadre de son enquête violait les règles les plus élémentaires de l'équité procédurale de même que l'alinéa 8(2)d) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21.

[12]            Au même moment, le demandeur fournissait ses observations sur le rapport de l'enquêteur de la Commission.

[13]            Le 1er avril 2004, la Commission renvoyait aux termes de l'alinéa 44(3)a) de la Loi, la plainte du défendeur au tribunal sauf si un règlement à l'amiable était convenu entre les parties dans les 60 jours suivant le 1er avril 2004.

[14]            Le demandeur prétend qu'en rendant sa décision, la Commission a violé les principes de l'équité procédurale en ce que l'enquête qui a été effectuée n'était ni neutre ni rigoureuse.

[15]            En ce qui concerne la neutralité, le demandeur soutient que l'enquête n'est pas neutre parce que l'enquêteur a refusé catégoriquement de communiquer le dossier médical du défendeur concernant son séjour à l'Hôpital Louis-H. Lafontaine même s'il était conscient de sa pertinence puisqu'il l'a considéré dans son enquête. En cachant volontairement une partie pertinente de la preuve utilisée au soutien du rapport d'enquête, l'enquêteur a favorisé une partie au détriment de l'autre.

[16]            Le demandeur fait valoir également qu'en refusant de communiquer le dossier médical en question, la Commission a commis une omission déraisonnable qui compromet la rigueur de l'enquête.

[17]            Par conséquent, l'alinéa 44(3)a) de la Loi n'aurait pas dû être invoqué pour constituer un tribunal.

Remarque préliminaire

[18]            La présente demande a trait à la non-communication du dossier médical concernant le séjour du défendeur à l'Hôpital Louis-H. Lafontaine en janvier 2000. La présente affaire peut être mise en contraste, par exemple, avec l'affaire AFPC c. PG, 2005 CF 401, où la thèse du demandeur portait principalement sur le bien-fondé de la décision rendue par la Commission en vertu de l'article 44 de la Loi, et non sur un vice touchant la procédure utilisée pour arriver à cette décision. En l'espèce, il s'agit donc uniquement d'une question d'équité procédurale.

[19]            Les soumissions des parties relativement à la norme de contrôle applicable m'amènent à faire les commentaires suivants pour clarifier les principes applicables lorsqu'il s'agit d'une question d'équité procédurale.

[20]            La caractérisation de l'obligation d'équité procédurale dans un cas donné et la détermination de la norme de contrôle applicable sont des exercices distincts, même si certains facteurs peuvent s'appliquer dans les deux cas (la nature de la décision rendue; le régime législatif; l'expertise du décideur) (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249; Marchand Syndics Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), [2004] A.C.F. no 1926 (C.F.)). « L'équité procédurale concerne la manière dont le [décideur] est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s'applique au résultat de ses délibérations. » (S.C.F.P., précité, au paragraphe 102).

[21]            Par conséquent, il n'est pas opportun de soumettre la question de l'équité procédurale au test de la norme de contrôle. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l'équité procédurale, il faut trouver quelles sont les garanties requises dans un cas particulier (Moreau-Bérubé, précité, paragraphe 74).

ANALYSE

[22]            Depuis l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, il est clairement établi qu'à l'étape de la détermination de la poursuite ou non de l'enquête prévue à l'article 44 de la Loi, la Commission est soumise aux règles d'équité procédurale. Essentiellement, selon cette règle, un plaignant doit connaître les allégations formulées contre lui et doit avoir la possibilité d'y répondre (voir également Radulesco c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1984] 2 R.C.S. 407; Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3 (C.A.)).

[23]            L'équité procédurale n'exige pas de la Commission qu'elle communique systématiquement à une partie tous les documents qu'elle reçoit de l'autre partie mais plutôt qu'elle l'informe de la substance de la preuve obtenue par l'enquêteur afin qu'elle ait la possibilité de répliquer à cette preuve.

[24]            Dans l'affaire Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1ère inst.), cette Cour a précisé qu'il n'était pas suffisant de remettre le rapport d'enquête aux parties mais qu'il fallait que ce rapport contienne des éléments de preuve suffisants pour constituer un tribunal. Pour qu'il existe un fondement juste afin que la Commission estime qu'il y a lieu de constituer un tribunal, l'enquête doit satisfaire à deux conditions : la neutralité et la rigueur

[25]            Ces principes sont bien connus en droit et les facteurs qui sont généralement utilisés pour caractériser l'équité procédurale[1] ne font que soutenir leur application à ce contexte particulier. La décision de constituer ou non un tribunal est une décision préliminaire; la Commission effectue un filtrage en vérifiant si la plainte a un fondement raisonnable ou s'appuie sur une preuve suffisante (voir, par exemple, Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854).

[26]            En assujettissant la constitution d'un tribunal à ce critère préliminaire relativement peu élevé, mais également en conférant à la Commission un vaste pouvoir discrétionnaire concernant le rejet des plaintes (voir l'alinéa 44(3)b) et le paragraphe 41(1) de la Loi), la Loi montre clairement que cette fonction de filtrage fait partie intégrante du mandat global de la Commission, de son efficacité et de sa compétence. Par ailleurs, les droits des individus visés par une plainte en matière de droits de la personne sont importants. Ainsi, exiger de la Commission qu'elle fasse connaître aux parties la substance de la preuve et leur donne la possibilité d'y répondre assure un juste équilibre.

[27]            Le demandeur soutient que le résumé fourni par l'enquêteur n'est pas suffisant puisqu'il ne lui permet pas de vérifier sa conformité aux faits, ce qu'il aurait pu accomplir s'il avait été en possession des notes cliniques du dossier d'hospitalisation du défendeur à l'Hôpital Louis-H. Lafontaine.

[28]            Or, le rapport de l'enquêteur, que le demandeur a reçu et à l'égard duquel il a présenté des observations, indique entre autres que le défendeur fut hospitalisé du 18 au 25 janvier 2000 et il reproduit textuellement les conclusions tirées par les professionnels de la santé au moment de l'admission du défendeur à l'Hôpital Louis-H. Lafontaine et au moment de son départ.

[29]            À mon avis, le demandeur connaissait donc les éléments importants du dossier d'hospitalisation et il a eu la possibilité de répliquer à cette preuve.

[30]            Le demandeur soutient qu'en utilisant une preuve fournie par le défendeur sans la lui dévoiler, l'enquêteur a manqué de neutralité. En toute déférence, je ne vois pas comment le simple refus de communiquer un dossier médical démontre un manque de neutralité puisque la décision de la Commission de demander au tribunal d'instruire la plainte portait précisément sur l'existence de rapports médicaux divergents. Il est évident que l'enquêteur a examiné toutes les preuves recueillies, y compris les évaluations favorables au demandeur produites par le médecin retenu par l'employeur, le Dr Guérin.

[31]            À mon avis, donner à une partie tous les documents pertinents ayant servi à l'enquête va bien au-delà des paramètres établis par la jurisprudence en pareille matière. Rien dans le présent dossier ne laisse présumer que les informations contenues dans le rapport de l'enquêteur soient inexactes ou incomplètes.

[32]            De la même façon, rien ne permet de penser que l'enquête n'est pas rigoureuse. Au contraire, l'enquêteur a examiné, résumé et produit devant la Commission toute la preuve médicale disponible, qu'elle soit favorable au demandeur ou au défendeur. Le fait que l'enquêteur n'ait pas divulgué un dossier ne constitue pas une omission qui puisse jeter un doute sur la rigueur de son enquête.

[33]            Dans l'affaire Coward c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. n ° 1101, le demandeur (dont la plainte avait été rejetée) faisait valoir que l'équité procédurale n'avait pas été observée, et cela pour plusieurs raisons. Plus particulièrement, pour les fins qui nous concernent ici, le demandeur faisait valoir que l'enquête avait été lacunaire parce qu'elle n'offrait qu'un compte rendu de la propre enquête interne de l'employeur intimé et parce qu'elle s'appuyait sur les dépositions de témoins contenues dans ce rapport d'enquête interne. Cependant, le juge MacKay avait rejeté chacun de ces arguments :

[45]    À mon avis, compte tenu de la jurisprudence, il n'y a eu aucun manquement à l'équité procédurale dans les présentes circonstances. Le requérant était au courant de la teneur du dossier compte tenu de la preuve fournie par les deux parties à la Commission. Il a reçu un résumé de l'enquête interne des FAC, ainsi qu'une copie du rapport d'enquête de la CCDP contenant les conclusions de l'enquêteur, de sorte qu'il était parfaitement informé de la substance de la preuve qui était devant la CCDP. Il a eu la possibilité de répondre à ces deux documents et il l'a fait au moyen d'observations écrites détaillées, lesquelles font partie des documents dont la Commission disposait au moment de rendre sa décision.

[34]            En l'espèce, il appartenait au demandeur de démontrer comment la non-divulgation du document ne lui permettait pas de répondre de façon adéquate. Ainsi que le disait le juge Dubé dans la décision Miller c. Canada (Commission des droits de la personne)(re Goldberg), [1996] A.C.F. n ° 735, au paragraphe 22 (1re inst.), « [...] Pour que l'erreur soit susceptible de révision, le plaignant doit démontrer que les renseignements ont été retenus à tort et que ces renseignements sont fondamentaux pour le résultat de la cause » .

[35]            Le demandeur ne signale aucune preuve médicale qu'aurait ignorée l'enquêteur. Je crois qu'il est juste de dire que le demandeur ne s'est pas acquitté de son fardeau. L'essentiel de la norme de preuve ayant été observé, et dans la mesure où subsistent des doutes sur l'exactitude du rapport médical, c'est au tribunal qu'il appartiendra de les dissiper.

[36]            À mon avis, les prétentions du demandeur concernant la neutralité et la rigueur sont spécieuses et ne reflètent pas une compréhension de la nature de la procédure que l'on cherche maintenant à contester. Pour décider s'il y a lieu de renvoyer une plainte à un tribunal pour instruction, la Commission s'assure simplement qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour passer à l'étape suivante. Je suis satisfaite dans le présent dossier que la Commission a fait une enquête suffisamment rigoureuse, qu'elle a considéré les observations des parties subséquemment au rapport. Ainsi, elle possédait tous les éléments pour rendre sa décision quant à la suffisance de preuve justifiant l'examen de la plainte par le tribunal.

[37]            La capacité des parties de présenter une réponse et une défense complètes est préservée à l'étape suivante de la procédure devant le tribunal.

[38]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                     T-852-04

INTITULÉ :                                     Procureur général du Canada

                                                         et

                                                         Jean Cherrier

LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :            Le 17 mars 2005

MOTIFS :                                       Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                   Le 14 avril 2005

COMPARUTIONS:

Me Raymond Piché

Me Nadine Perron                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Me Céline Lalande                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

John H. Sims, c.r.

Sous-ministre de la justice et

sous-procureur général du Canada                                     POUR LE DEMANDEUR

1200, rue Papineau

Bureau 380

Montréal (Québec)

H2K 4R5                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR



[1]    Ces facteurs comprennent la nature de la décision rendue; la nature de la loi; l'importance de la décision pour les personnes visées; les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; les choix de procédure que le décideur fait lui-même (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).

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