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Date : 20050502

Dossier : IMM-3324-04

Référence : 2005 CF 602

ENTRE :

ABDUL JABAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]                M. Jabar s'est vu refuser le statut de réfugié et de personne à protéger par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié au Canada (le tribunal) principalement en raison d'un manque de crédibilité et de la présence d'invraisemblances au dossier. M. Jabar a sollicité le contrôle judiciaire de la décision du tribunal.

[2]                Le demandeur soutient que le tribunal a commis des erreurs sur quatre points essentiels :

a)          il n'a pas demandé d'explication au demandeur au sujet de son omission de revendiquer le statut de réfugié alors qu'il était en transit au Royaume-Uni;


b)          il a adopté une position déraisonnable au sujet d'un prétendu retard à revendiquer le statut de réfugié au Canada;

c)          il a commis des erreurs dans son énoncé de la preuve, erreurs sur lesquelles il s'est basé pour conclure à l'absence de crédibilité et de vraisemblance;

d)          il n'a pas apprécié de manière raisonnable des éléments à la fois objectifs et subjectifs se rapportant à la crainte de persécution du demandeur.

LES FAITS

[3]                Le demandeur est un ressortissant pakistanais, musulman chiite de 38 ans. Il prétend être issu d'une famille chiite bien connue, pieuse et très influente dans sa région natale.

[4]                Il ajoute qu'il était très actif au sein de la communauté chiite locale et qu'il avait été désigné comme secrétaire général de son imam Bargah en avril 2001. À ce titre, il était chargé des questions relatives à l'administration ainsi qu'à l'organisation des activités du Muharram; il participait aussi aux assemblées et aux collectes de fond. Il était également bien connu dans les communautés avoisinantes.

[5]                Le demandeur allègue qu'en raison de son profil et de ses activités, il est devenu une cible du Sipah-e-Sahaba (SSP).

[6]                Aux fins de sa demande d'asile, il affirmait que les incidents suivants justifiaient sa crainte d'être persécuté :


_           en juin 2001, il a été agressé par quatre membres du SSP. Il a signalé cette agression à la police qui a refusé de rédiger un rapport d'incident;

_           en novembre 2001, il a de nouveau été agressé et battu par des membres du SSP. Alors qu'il se trouvait à l'hôpital, son frère a signalé l'agression àla police, laquelle a encore une fois refusé d'enregistrer sa plainte;

_           en mars 2002, il a été une nouvelle fois attaqué par des membres du SSP qui ont menacé de l'assassiner s'il ne mettait pas un terme à ses activités;

_           enfin, en août 2002, des membres du SSP ont saccagé sa maison alors qu'il était en déplacement. Ils ont assassiné son frère et averti son épouse que son mari se trouvait sur la liste de leurs prochaines victimes.

[7]                Devant l'inaction de la police à la suite du meurtre de son frère, le demandeur a déménagé à Lahore, puis il a quitté le Pakistan pour le Canada (via Londres) le 14 février 2003.

[8]                Ce n'était pas la première fois que le demandeur tentait d'entrer au Canada. En 1996, il avait été faussement accusé d'avoir participé à l'enlèvement d'une femme sunnite. Avec l'aide d'un agent, il a fui aux États-Unis et a gagné la frontière canadienne où il a déclaré son intention de revendiquer le statut de réfugié. On lui a dit de revenir trois jours plus tard. Entre-temps, il a été arrêté par l'USINS (United States Immigration and Naturalization Service). En attendant son autorisation de sécurité de l'USINS, il est retourné à New York où il a été informé que les personnes responsables de l'enlèvement au Pakistan avaient été arrêtées. Il est donc rentré dans son pays natal.


[9]                Lors de sa seconde tentative d'entrer au Canada, il a transité par le Royaume-Uni pendant un jour. Il est arrivé au Canada un vendredi (le 14 février 2003), et s'est présenté aux bureaux de l'immigration canadienne le lundi suivant pour revendiquer le statut de réfugié. (Son agent lui avait conseillé de ne pas faire de demande d'asile à l'aéroport). On lui a dit de revenir trois jours plus tard, de sorte qu'il a fait sa demande d'asile le jeudi 20 février 2003.

[10]            Le tribunal a jugé que le problème principal est la crédibilité du demandeur. En ce qui concerne la question de la crainte subjective, le tribunal a tiré une conclusion défavorable en raison du fait que le demandeur n'avait pas revendiqué le statut de réfugié alors qu'il était en transit au Royaume-Uni. Il a également tiré une conclusion défavorable en raison du dépôt tardif de la demande au Canada.

[11]            Le tribunal a soutenu que l'élément objectif de la crainte de persécution du demandeur constituait l'élément clé de l'affaire. Le tribunal a conclu que son récit n'était pas plausible; il n'a pas cru aux déclarations selon lesquelles le demandeur était une cible du SSP.

[12]            La conclusion du tribunal selon laquelle la preuve documentaire présentée par le demandeur était postérieure à février 2003, date à laquelle le demandeur est arrivé au Canada, est particulièrement importante.

MOTIFS


[13]            Étant donné que les principales conclusions portent sur la crédibilité, la norme de contrôle est celle du caractère manifestement déraisonnable, sauf en ce qui a trait aux aspects relatifs aux questions d'équité et de justice naturelle.

TRANSIT AU ROYAUME-UNI

[14]            Le tribunal n'a jamais abordé avec le demandeur le sujet de son omission de faire une demande d'asile au Royaume-Uni et lui a donc refusé la possibilité de s'expliquer. La question de l'omission de demander l'asile dans le premier pays signataire de la Convention de 1951 est un facteur à considérer, sans nécessairement être un facteur déterminant, dans l'évaluation de la crainte d'être persécuté. Plus précisément, l'équité exige que le demandeur ait la possibilité de donner une explication à la Commission pour tout retard de la sorte. Gavrushenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] A.C.F. no 1209.

[15]            En l'espèce, l'omission de demander des explications au demandeur est encore plus grave. Au début de l'audience, le tribunal a cerné les questions à examiner, et le transit au Royaume-Uni n'en faisait pas partie (dossier du tribunal 1231). Le séjour aux États-Unis (ainsi que la nouvelle réclamation de la protection du Pakistan) a été le seul séjour à l'étranger considéré comme une question à examiner.

[16]            La décision du tribunal et les conclusions tirées constituent, dans ces conditions, un manquement à l'équité procédurale. La conclusion du tribunal, en l'absence de toute preuve autre que la simple non-revendication, ou en l'absence d'autres explications, est également manifestement déraisonnable.


RETARD AU CANADA

[17]            Le tribunal a accordé un poids considérable au retard de six jours à présenter sa demande sans apparemment considérer le fait que la moitié de ce retard était attribuable aux agents d'immigration. Le tribunal a commis une erreur de fait essentielle sur laquelle il a fondé sa conclusion au sujet de la crédibilité du demandeur. Il n'a pas abordé à la fois le retard qui était de seulement trois jours et l'explication du demandeur selon laquelle le retard au Canada était dû au fait que son agent d'immigration lui avait conseillé de ne pas présenter de demande d'asile à l'aéroport.

[18]            Bien que le tribunal soit habilité à tirer des conclusions sur la crédibilité et qu'une déférence considérable doive lui être accordée à cet égard, il doit se baser sur des faits exacts et prendre en considération les renseignements pertinents.

PREUVE DOCUMENTAIRE

[19]            Le tribunal a tiré des conclusions très préjudiciables au demandeur à partir de ce qu'il a considéré comme de la « fabrication de documents » . Les dates décrites comme postérieures à février 2003 correspondaient à la date de légalisation de documents antérieurs à février 2003. Le tribunal a confondu la date de légalisation avec la date réelle des documents originaux provenant du Pakistan.


[20]            Le tribunal a commis une erreur et a tiré une conclusion si négative quant à la crédibilité du demandeur que cette constatation relative à la preuve documentaire se trouve au coeur de la décision. Cette constatation est manifestement déraisonnable à la lumière des faits réels.

CONCLUSION

[21]            Bien que le défendeur soutienne que le tribunal a bien apprécié la preuve concernant la crainte objective, il est évident que ses conclusions ont été nettement influencées par ses constatations au sujet de la crédibilité du demandeur. Il n'est pas certain que vu la gravité de ces constatations, ses conclusions auraient été les mêmes s'il n'avait pas commis ces erreurs.

[22]            Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission pour réexamen par un tribunal constitué de membres différents.

       « Michael L. Phelan »        

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                IMM-3324-04

INTITULÉ :                                               ABDUL JABAR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE 19 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                              LE 2 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Karina A.K. Thompson                               POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert I. Blanshay                                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)                                                                                                                               

John H. Sims, c.r.                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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