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Date : 20040122

Dossier : IMM-63-03

Référence : 2004 CF 91

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                      ZSOLT NACSA, EVA NACSA et INEZ NACSA

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Zsolt Nacsa, Eva Nacsa et Inez Nacsa demandent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d'immigration, Paulette M. Johnson (l'agente), a rejeté, en date du 28 novembre 2002, la demande de dispense qu'ils ont présentée afin d'être autorisés à déposer de l'intérieur du Canada une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Ils demandent à la Cour d'annuler cette décision et d'ordonner qu'un autre agent examine leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.


CONTEXTE

[2]                Le demandeur, Zsolt Nacsa, son épouse, Eva Nacsa, et leur fille, Inez Nacsa, sont des citoyens de Hongrie. Ils sont venus au Canada une première fois en décembre 1997 et ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Leur revendication, qui était fondée sur les liens de M. Nacsa avec la communauté rome de Hongrie, a été rejetée le 5 août 1999. La demande de contrôle judiciaire visant cette décision a été rejetée le 22 novembre 1999.

[3]                La mesure d'interdiction de séjour conditionnelle prise contre les demandeurs est devenue exécutoire le 19 mars 2000. Les demandeurs devaient alors quitter le Canada dans un certain délai. Comme ils ne sont pas partis de leur plein gré dans ce délai, la mesure d'interdiction de séjour est devenue une mesure d'expulsion. Ils ont été expulsés du Canada le 15 août 2000. Leur demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire a été déposée avant leur départ, le 16 juillet 2000.

[4]                Les demandeurs sont revenus au Canada le 17 novembre 2000. Ils ont revendiqué à nouveau le statut de réfugié au mois de décembre suivant. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'avait pas encore examiné leur revendication en février 2003, lorsque M. Nacsa a signé son affidavit en l'espèce.

[5]                Dans une lettre du 27 septembre 2002, l'agente a demandé aux demandeurs de lui fournir de nouveaux renseignements concernant leur demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, ce qu'ils ont fait en octobre 2002.


[6]                M. Nacsa est propriétaire d'une entreprise d'installation de planchers de bois franc, Zedesz Hardwood. Il appert qu'il a établi cette entreprise en février 2002 ou vers cette période. Mme Nacsa travaille dans un magasin de vente au détail. Ils avaient tous deux commencé des cours d'anglais langue seconde, et Mme Nacsa a suivi un cours de formation de vente au détail. Leur fille, qui est née en Hongrie en 1995, fréquentait une école maternelle à Toronto.

Décision de l'agente

[7]                L'agente a rejeté la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire du demandeur par une lettre datée du 28 novembre 2002. Elle n'a pas rencontré les demandeurs dans le cadre d'une entrevue. Les notes qu'elle a rédigées constituent les motifs de la décision faisant l'objet du présent contrôle judiciaire.


[8]                L'agente a décidé que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'ils allaient avoir des difficultés inhabituelles, injustes ou indues s'ils devaient quitter le Canada. Elle n'était pas convaincue que deux des difficultés qu'ils alléguaient allaient se poser. Selon elle, M. Nacsa ne perdrait pas l'entreprise qu'il avait initialement établie au Canada et la famille ne serait pas en danger en Hongrie. L'agente a fait remarquer qu'en revenant au Canada sans l'autorisation du ministre trois mois après en avoir été renvoyés les demandeurs [traduction] « ne se sont aucunement préoccupés » des lois canadiennes. Elle a considéré en outre que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'ils étaient établis de façon appréciable au Canada et que la preuve indiquait qu'une décision défavorable n'aurait pas un effet préjudiciable sur l'enfant, Inez Nacsa.

PRÉTENTIONS DES DEMANDEURS

[9]                Les demandeurs prétendent que l'agente n'a pas respecté les principes de l'équité procédurale lorsqu'elle a examiné leur demande. Ils soutiennent qu'ils n'avaient pas besoin de l'autorisation du ministre pour revenir au Canada selon l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C 1985, ch. I-2 (l'ancienne loi), puisqu'ils sont revenus parce qu'ils craignaient d'être persécutés en Hongrie et qu'ils ont revendiqué à nouveau le statut de réfugié. Selon eux, les commentaires formulés par l'agente dans ses motifs selon lesquels ils ne se sont aucunement préoccupés des lois canadiennes en revenant au Canada sans l'autorisation du ministre témoignent d'une attitude qui leur est préjudiciable et qui fait naître une crainte raisonnable de partialité. Ils prétendent en outre que ce fait [traduction] « n'était pas un élément déterminant » aux fins de la décision de l'agente.


[10]            Les demandeurs soutiennent ensuite que l'agente n'a pas tenu compte de la preuve de leur établissement au Canada après leur retour en novembre 2000. L'agente a indiqué dans ses notes que M. Nacsa n'exploitait plus son entreprise lorsqu'il a quitté le Canada. Or, les demandeurs font valoir que l'enregistrement d'une entreprise remplaçante établie par M. Nacsa en Ontario figurait dans les observations additionnelles qu'ils ont déposées en octobre 2002. Les demandeurs ont produit des éléments de preuve établissant que M. Nacsa exploitait encore une entreprise d'installation de planchers de bois franc et que sa société avait déjà des promesses de contrat.

[11]            Les demandeurs prétendent aussi que l'agente n'a pas tenu compte de toute la preuve relative aux risques qu'ils courent en Hongrie et à la protection de l'État, comme le montre, selon eux, le fait qu'elle n'a pas analysé en particulier les observations détaillées que le demandeur a déposées au sujet des difficultés auxquelles ils sont confrontés en Hongrie à cause de leurs prétendus liens avec la communauté rome. Les demandeurs soutiennent que l'agente aurait dû se référer à la jurisprudence de la Cour portant sur la question de la protection de l'État offerte en Hongrie. Ils soutiennent également que l'agente a omis d'examiner l'exposé circonstancié contenu dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur, daté du 23 avril 2001, qui a été présenté à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et qui faisait référence à de prétendus actes de persécution survenus en Hongrie après le retour des demandeurs en août 2000.

[12]            À l'audience, l'avocat des demandeurs a reconnu que ces derniers n'avaient pas fourni le FRP à l'agente. Il a toutefois fait valoir que l'agente avait l'obligation de s'informer au sujet de la teneur de la nouvelle revendication du statut de réfugié des demandeurs. Il a prétendu également que l'agente avait le devoir de reporter sa décision jusqu'à ce qu'il soit statué sur cette revendication.


[13]            À l'audience également, l'avocat des demandeurs a insisté sur l'absence d'examen des risques en l'espèce. Selon lui, un tel examen doit être obtenu par un agent dans tous les cas où des motifs d'ordre humanitaire sont invoqués et où des risques sont allégués. J'ai permis au demandeur et au défendeur de présenter des observations sur ce point à la Cour après l'audience, ainsi que des observations concernant la certification d'une question.

[14]            Les demandeurs se fondent sur la décision Arduengo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 3 C.F. 468 (1re inst.), et sur l'article 13 des lignes directrices relatives à la politique d'immigration IP-5 - Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire (les lignes directrices relatives à l'immigration), pour démontrer qu'un agent doit obtenir un examen des risques lorsqu'un demandeur revient au Canada pour y revendiquer le statut de réfugié une nouvelle fois.

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[15]            Le défendeur prétend que les motifs de l'agente ne donnent pas lieu à une crainte raisonnable de partialité et ne permettent pas de croire qu'il y a eu un autre manquement aux principes de l'équité procédurale. Il fait valoir que les demandeurs pouvaient, suivant les paragraphes 46.01(1) et (5) et 55(1) de l'ancienne loi, revendiquer à nouveau le statut de réfugié. Toutefois, étant donné qu'ils n'avaient pas quitté le Canada de leur plein gré en vertu d'une mesure d'interdiction de séjour, mais qu'ils avaient été renvoyés en vertu d'une mesure d'expulsion, ils devaient obtenir l'autorisation du ministre pour y revenir. Or, les demandeurs n'ont pas obtenu cette autorisation.


[16]            Par conséquent, la façon dont les demandeurs ont quitté le Canada et y sont ensuite revenus était, selon le défendeur, un facteur pertinent, quoique non déterminant, au regard de l'examen de leur demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Le défendeur se fonde sur l'arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), où la Cour d'appel fédérale a statué que la manière dont un immigrant est entré au Canada était un facteur pertinent au regard des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire.

[17]            Le défendeur soutient que la décision de l'agente était conforme au droit et aux lignes directrices relatives à l'immigration. Ces lignes directrices - qui ne sont pas des règles de droit - ont été considérées comme étant très utiles à la Cour : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.). Le défendeur affirme que ces lignes directrices indiquent que, pour qu'une dispense soit accordée pour des motifs d'ordre humanitaire, il faut qu'il existe des difficultés qui soient inhabituelles, injustes ou indues ou qui aient des répercussions disproportionnées sur un demandeur en raison de sa situation personnelle. Selon lui, l'arrêt Legault, précité, confirme la nature discrétionnaire de la dispense fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[18]            Le défendeur soutient ensuite que les demandeurs n'ont pas démontré que l'agente a omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents, qu'elle a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ou qu'elle n'a pas tenu compte des objectifs de la LIPR. Il fait valoir en outre que les demandeurs n'ont pas réussi non plus à démontrer de quelle façon toute prétendue partialité ou injustice a influé sur l'examen de la preuve relative à l'établissement effectué par l'agente.

[19]            Selon le défendeur, il ne fait aucun doute que l'agente a examiné les nouvelles observations des demandeurs. L'agente a fait référence, dans ses motifs, à l'emploi occupé par M. Nacsa au Canada entre janvier 2001 et octobre 2002, ainsi qu'à l'entreprise qu'il exploitait pendant cette période. Le défendeur fait valoir que l'agente confirme, dans son affidavit, qu'elle a tenu compte de l'entreprise enregistrée de M. Nacsa, Zedesz Hardwood, que ce dernier exploitait depuis moins d'un an lorsqu'elle a rendu sa décision. L'agente a aussi parlé, dans ses motifs, de l'emploi de Mme Nacsa et des cours que celle-ci suivait pour se perfectionner.

[20]            Le défendeur soutient également que les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer que l'agente n'avait pas tenu compte de leur preuve concernant les conditions existant en Hongrie et les prétendus risques qu'ils courraient dans ce pays s'ils y étaient renvoyés. Il fait valoir que les demandeurs n'ont rien dit, dans leurs observations d'octobre 2002, des difficultés auxquelles ils devraient faire face s'ils retournaient en Hongrie. La seule preuve dont l'agente disposait au sujet de l'existence de difficultés indues figurait dans les observations qu'ils ont déposées en juillet 2000. Selon le défendeur, il ressort clairement des motifs de l'agente que celle-ci a examiné ces observations.


[21]            Le défendeur fait valoir que les demandeurs ont fait état de deux difficultés auxquelles ils seraient confrontés. En premier lieu, M. Nacsa perdrait son entreprise de nettoyage, Nacsa 60 Cleaning. Contrairement à ce que les demandeurs mentionnent dans leurs observations, le défendeur affirme que l'agente ne disposait d'aucune preuve indiquant que la nouvelle entreprise de M. Nacsa, Zedesz Hardwood, était une [traduction] « entreprise remplaçante » ou que Nacsa 60 Cleaning a continué d'être exploitée après que les demandeurs ont quitté le Canada en août 2000. Le défendeur fait valoir qu'il était donc raisonnable que l'agente conclue que cette prétendue difficulté n'existait plus.

[22]            Le défendeur soutient que l'agente n'a pas commis d'erreur dans son évaluation de la deuxième difficulté alléguée, soit le fait que les demandeurs seront confrontés à des difficultés indues en Hongrie en raison de leurs liens avec les Roms. L'agente n'avait pas l'obligation d'effectuer un examen indépendant de la jurisprudence qui ne lui avait pas été présentée. Elle n'avait pas non plus l'obligation de relever les prétendues erreurs contenues dans la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié puisque cette tâche incombe, non pas à un agent chargé des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire, mais à la Cour. En l'espèce, la Cour avait rejeté auparavant la demande d'autorisation de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs relativement à cette première décision défavorable sur le statut de réfugié, indiquant que celle-ci ne soulevait aucune question contestable.

[23]            À l'audience, l'avocate du défendeur a fait valoir que le FRP n'avait pas été fourni à l'agente et qu'il incombait au demandeur de présenter la meilleure preuve possible et de faire en sorte que les renseignements étayant sa thèse soient présentés à l'agente.


[24]            Le défendeur a soutenu en outre que la proposition selon laquelle un agent chargé des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire doit reporter sa décision si une revendication du statut de réfugié est en instance ou examiner le bien-fondé de cette revendication et la prétention des demandeurs selon laquelle l'agente avait l'obligation d'obtenir une opinion sur les risques sont dénuées de fondement.

QUESTIONS EN LITIGE

[25]            1. L'examen de la demande des demandeurs a-t-il été effectué conformément à l'équité procédurale et, plus particulièrement, les motifs de la décision de l'agente font-ils naître une crainte raisonnable de partialité?

2. L'agente a-t-elle omis de tenir compte de certains éléments de preuve lorsqu'elle a évalué le degré d'établissement des demandeurs au Canada ou les risques existant pour eux en Hongrie et la protection offerte dans ce pays?

ANALYSE

[26]            À mon avis, les demandeurs n'ont pas démontré que la décision de l'agente fait naître une crainte raisonnable de partialité. La juge L'Heureux-Dubé a examiné la question de la partialité dans le contexte des décisions fondées sur des motifs d'ordre humanitaire dans l'arrêt Baker, précité. Elle a indiqué ce qui suit aux paragraphes 45 et 46 :


L'équité procédurale exige également que les décisions soient rendues par un décideur impartial, sans crainte raisonnable de partialité. L'intimé soutient que le juge Simpson a eu raison de conclure que les notes de l'agent Lorenz ne peuvent pas donner lieu à une crainte raisonnable de partialité, parce que le vrai décideur était l'agent Caden, qui a simplement fait une revue de la recommandation préparée par son subalterne. L'obligation d'agir équitablement et, en conséquence, d'une façon qui ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité, s'applique, à mon avis, à tous les agents d'immigration qui jouent un rôle significatif dans la prise de décision, qu'ils soient des agents de réexamen subalternes, ou ceux qui rendent la décision finale. L'agent subordonné joue un rôle important dans le processus, et si une personne ayant un rôle aussi central n'agit pas de façon impartiale, la décision elle-même ne peut pas être considérée comme ayant été rendue de façon impartiale. [...]

Le test de la crainte raisonnable de partialité a été exposé par le juge de Grandpré, dissident, dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394 :

... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[27]            Si l'on applique le critère décrit dans l'arrêt Baker, précité, une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique ne conclurait pas en l'espèce que l'agente n'a pas examiné la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire des demandeurs avec l'esprit ouvert et de manière impartiale. Les notes de l'agente, qui, selon les demandeurs, démontrent qu'elle a été partiale, indiquent ce qui suit :

[traduction] ... La famille a été renvoyée du Canada en août 2000. Ils ne se sont aucunement préoccupés des lois canadiennes en revenant trois mois plus tard sans l'autorisation du ministre...


[28]            Les demandeurs soutiennent qu'ils n'avaient pas besoin de l'autorisation du ministre pour revenir au Canada puisqu'ils craignaient réellement d'être persécutés en Hongrie et qu'ils pouvaient revendiquer à nouveau le statut de réfugié. À mon avis, cet argument ne peut être accepté à la lumière de l'ancien régime législatif, en particulier l'article 55 de l'ancienne loi. Il est vrai que leur revendication du statut de réfugié n'était pas irrecevable en vertu de l'exception des 90 jours prévue aux paragraphes 46.01(1) et (5) de l'ancienne loi, mais l'on ne peut pas dire qu'ils se sont conformés aux lois canadiennes en matière d'immigration en revenant au Canada. En effet, en n'obtenant pas l'autorisation écrite du ministre pour revenir au Canada après en avoir été renvoyés en exécution d'une mesure d'expulsion, ils ont contrevenu au paragraphe 55(1) de l'ancienne loi.

[29]            Je conviens avec le défendeur que la manière dont un demandeur a géré ses affaires en matière d'immigration peut être un facteur pertinent, quoique non déterminant, de l'examen d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Le raisonnement exposé par le juge Décary dans l'arrêt Legault, précité, étaye cette conclusion. Le juge Legault a dit ce qui suit au paragraphe 19 de cet arrêt :

Bref, la Loi sur l'immigration et la politique canadienne en matière d'immigration sont fondées sur la prémisse que quiconque vient au Canada avec l'intention de s'y établir doit être de bonne foi et respecter à la lettre les exigences de fond et de forme qui sont prescrites. Quiconque entre illégalement au Canada contribue à fausser le plan et la politique d'immigration et se donne une priorité sur tous ceux qui, eux, respectent les exigences. Le ministre, qui est responsable de l'application de la politique et de la Loi, est très certainement autorisé à refuser la dispense que demande une personne qui a

établi l'existence de raisons d'ordre humanitaire, s'il est d'avis, par exemple, que les circonstances de l'entrée ou du séjour au Canada de cette personne la discréditent ou créent un précédent susceptible d'encourager l'entrée illégale au Canada. En ce sens, il est loisible au ministre de prendre en considération le fait que les raisons d'ordre humanitaire dont une personne se réclame soient le fruit de ses propres agissements.

[30]            L'agente n'a donc pas fait naître une crainte raisonnable de partialité en se référant à ce facteur. En outre, elle a donné de nombreuses autres raisons justifiant le refus de la dispense fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Il ressort de la lecture de l'ensemble des motifs que le retour des demandeurs au Canada sans l'autorisation du ministre n'a pas été le facteur déterminant de sa décision.


[31]            Pour ce qui est des autres arguments des demandeurs, ils ne sont pas convaincants. Il ressort des motifs de l'agente que celle-ci a tenu compte de l'ensemble de la preuve pour prendre sa décision. Elle a fait référence à l'entreprise exploitée par M. Nacsa dans le passé et à celle qu'il avait commencé à exploiter plus récemment. Le fait qu'elle n'a pas considéré que son entreprise actuelle d'installation de planchers de bois franc remplaçait l'entreprise de nettoyage qu'il exploitant auparavant - dont le nom et la nature étaient différents - ne signifie pas qu'elle a omis d'apprécier tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés. L'agente a fait remarquer que l'entreprise dont M. Nacsa était propriétaire lorsqu'il a présenté sa demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire n'existait plus. L'une des difficultés invoquées par les demandeurs n'avait donc plus sa raison d'être.

[32]            L'agente ne disposait d'aucune preuve indiquant que M. Nacsa avait continué, à son retour au Canada en novembre 2000, d'exploiter son entreprise de nettoyage, mais une preuve abondante indiquait qu'il avait commencé, vers février 2002, à exploiter une autre entreprise individuelle, Zedesz Hardwood. À mon avis, l'agente a tenu compte de cette preuve. Ses motifs font référence à l'emploi de M. Nacsa - l'installation de planchers de bois franc - et aux contrats de sous-traitance qu'il a obtenus en 2002. Elle a finalement conclu que ce facteur, parmi d'autres, ne suffisait pas à démontrer que les demandeurs étaient établis de façon appréciable au Canada. Or, cette conclusion était raisonnable.

[33]            Par ailleurs, l'agente n'a pas commis d'erreur, à mon avis, dans son analyse des risques courus par les demandeurs en Hongrie et de la protection de l'État. Elle a mentionné dans ses motifs que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait estimé que les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l'État en Hongrie. Cet élément était pertinent. Les demandeurs n'ont pas démontré que l'agente avait omis de tenir compte de leurs premières observations étayant leur demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, qui faisaient état des mauvaises conditions sociales des Roms en Hongrie, de la discrimination et des préjugés dont ils font constamment l'objet dans ce pays et des agressions physiques qui y sont commises à l'occasion contre eux. En outre, l'agente n'avait pas l'obligation de chercher la jurisprudence qui n'était pas invoquée par les demandeurs.

[34]            L'agente a constaté qu'il n'était pas allégué que M. Nacsa et sa famille avaient subi des difficultés indues ou des sanctions disproportionnées à leur retour en Hongrie en août 2000. À mon avis, bien que cette conclusion soit erronée vu les allégations contenues dans le FRP de M. Nacsa relatif à sa deuxième revendication du statut de réfugié, selon lesquelles il a été battu par des skinheads à son retour en Hongrie en août 2000 à cause de ses prétendus liens avec les Roms, il ressort de l'affidavit de M. Nacsa et du dossier du tribunal qu'au moment où elle a pris sa décision concernant la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire l'agente ne disposait pas de l'exposé circonstancié contenu dans ce FRP.


[35]            L'avocat des demandeurs a reconnu que ces derniers n'avaient pas fourni le FRP à l'agente. Il a toutefois fait valoir que l'agente avait l'obligation de s'informer au sujet de la teneur de la nouvelle revendication du statut de réfugié des demandeurs. Or, cet argument n'est pas valable. En effet, il appartenait aux demandeurs de fournir les éléments de preuve étayant leur demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, et l'agente n'avait aucunement l'obligation de rechercher les éléments de preuve qu'ils n'avaient pas produits. De plus, je ne suis pas convaincu que l'agente avait le devoir de reporter sa décision jusqu'à ce qu'il soit statué sur la deuxième revendication du statut de réfugié des demandeurs. Ces derniers n'ont invoqué aucun texte législatif ou décision judiciaire au soutien de leur prétention.

[36]            Je ne suis pas convaincu non plus que la décision Arduengo, précitée, indique, comme les demandeurs le prétendent, que l'agente avait l'obligation d'obtenir un examen des risques avant de statuer sur leur demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Dans cette décision, la Cour s'est penchée sur la question de savoir si l'expulsion vers un pays où, selon les demandeurs, leur vie était menacée faisait entrer en jeu les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, lorsqu'un changement important dans les conditions du pays était survenu longtemps après le rejet de la revendication. Le juge Cullen a conclu que le processus d'examen des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire accordait une garantie aux demandeurs non reconnus du statut de réfugié, de sorte que des événements qui pouvaient être survenus après une revendication du statut de réfugié fondée sur les risques existant dans le pays d'origine pouvaient être pris en compte lors de l'examen d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.


[37]            En l'espèce, l'agente a évalué les risques sur la foi de tous les renseignements fournis par les demandeurs. La décision Arduengo, précitée, n'appuie pas la proposition selon laquelle un agent chargé des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire a l'obligation de transmettre à un agent chargé des examens des risques avant renvoi (ERAR) toutes les demandes dans lesquelles des risques sont allégués.

[38]            De plus, les lignes directrices relatives à l'immigration invoquées par les demandeurs au soutien de cet argument ne me convainquent pas que l'agente avait l'obligation d'obtenir un examen des risques d'un agent chargé des ERAR en l'espèce. L'agente a demandé de nouvelles observations aux demandeurs en septembre 2002. En réponse à cette demande, le demandeur n'a pas fourni d'autres renseignements au sujet des risques que les demandeurs prétendaient courir s'ils retournaient en Hongrie. Selon les lignes directrices relatives à l'immigration, un agent chargé des ERAR effectuera normalement un examen des risques dans le cas des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire au soutien desquelles un risque personnalisé est invoqué, mais ces lignes directrices ne lient pas les agents car elles n'ont pas force de loi. Le juge Lutfy (maintenant juge en chef de la Cour) a dit ce qui suit à ce sujet dans la décision Mittal (Tuteur à l'instance) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 727 (1re inst.) (QL), au paragraphe 2 :

Bien sûr, il faut faire preuve de vigilance en utilisant les lignes directrices. Elles peuvent servir de « politique générale » ou de « règles empiriques grossières » lorsqu'il s'agit pour l'agent des visas d'exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré [Yhap c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 1 C.F. 722 (C.F. 1re inst.)], à la page 740.Toutefois, les lignes directrices ne devraient pas entraver l'exercice du pouvoir discrétionnaire que possède l'agent des visas en devenant des règles obligatoires et décisives [Dawkins c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 639 (C.F. 1re inst.), à la page 649].


Si le législateur souhaitait qu'un examen des risques avant renvoi soit effectué par un agent chargé de ce type d'examen dans tous les cas de demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire où un risque personnalisé est allégué, il l'aurait prévu dans la LIPR ou dans le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[39]            Le demandeur prétendait que la question suivante devait être certifiée : un agent d'immigration qui examine une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire a-t-il l'obligation d'obtenir une opinion sur les risques lorsqu'il n'a pas encore été statué sur les revendications du statut de réfugié des demandeurs ou que les faits qui y sont exposés n'ont pas encore fait l'objet d'une opinion sur les risques?

[40]            Selon le défendeur, cette question ne devrait pas être certifiée pour trois raisons. Premièrement, la Cour y a déjà répondu dans X.M.A.A. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1038 (1re inst.) (QL). Deuxièmement, cette question ne permettrait pas de trancher un appel en l'espèce étant donné que la décision de l'agente était principalement fondée sur le manque de preuve et que les demandeurs n'ont pas présenté de nouvelles observations concernant leur prétendue crainte de retourner en Hongrie. Troisièmement, la question ne transcenderait pas les intérêts des parties en l'espèce puisqu'elle est limitée aux faits en cause dans la présente affaire.


[41]            À mon avis, la question proposée ne devrait pas être certifiée. La décision X.M.A.A., précitée, répond à cette question. Dans cette décision, le juge Blanchard a conclu qu'il n'est pas obligatoire d'obtenir un examen des risques distinct effectué par un ARRR (agent chargé des ERAR) relativement à une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire lorsque les risques ont déjà été examinés dans le cadre d'une audience et d'une décision sur le statut de réfugié. En l'espèce, les risques allégués par les demandeurs avaient déjà été examinés dans le cadre de la décision défavorable relative à leur revendication du statut de réfugié. Il est vrai que la Commission était saisie d'une deuxième revendication, mais celle-ci avait été faite peu de temps après la première et la situation en Hongrie n'avait pas changé de façon importante depuis le rejet de cette dernière. De plus, les demandeurs ont eu la possibilité de présenter de nouvelles observations au sujet des risques, mais ils ne l'ont pas fait. Par conséquent, l'agente a rendu une décision raisonnable relativement à la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire en se fondant sur la preuve qui lui était présentée. La question proposée à des fins de certification ne permettrait pas de trancher un appel. En conséquence, je ne certifierai pas une question de portée générale en l'espèce.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

                                                                          « Richard G. Mosley »       

       Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                      IMM-63-03

INTITULÉ :                                     ZSOLT NACSA, EVA NACSA

et INEZ NACSA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 22 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Daniel M. Fine                                   POUR LES DEMANDEURS

Matina Karvellas                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel M. Fine                                   POUR LES DEMANDEURS

North York (Ontario)

Morris Rosenberg                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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