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Date : 20041108

Dossier : T-1550-03

Référence : 2004 CF 1567

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

demandeur

et

PATRICIA ESLER

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision par laquelle le Tribunal de révision Régime de pensions du Canada -- Sécurité de la vieillesse (le Tribunal de révision) a tranché, en date du 23 juillet 2003, que la défenderesse avait droit à des prestations de pension rétroactives au 22 avril 1995, même si elle n'en avait pas fait la demande avant mars 2001.

[2]                Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision du Tribunal de révision et renvoyant l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur celle-ci.

Contexte

[3]                Patricia Esler (la défenderesse) est née le 22 avril 1930. Elle a eu 65 ans en avril 1995, soit l'âge d'admissibilité à des prestations en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. O-9 (la Loi).

[4]                La défenderesse n'a toutefois pas fait de demande de prestations avant le 22 mars 2001, laquelle a été reçue par Développement des ressources humaines Canada (DRHC) le 28 mars 2001.

[5]                En réponse à une lettre de la Direction générale des programmes de la sécurité du revenu de DRHC qui lui demandait pourquoi elle avait tardé à présenter sa demande de pension de la Sécurité de la vieillesse, la défenderesse a donné par écrit les raisons suivantes :

(1) par manque de diligence de ma part [¼];

(2) une mauvaise compréhension des renseignements fournis par mon superviseur avant ma retraite;

(3) un oubli de mon comptable qui a présumé que je touchais les prestations de pension et qui a calculé l'impôt en conséquence.

[6]                DRHC a versé à la défenderesse des prestations rétroactives totalisant 5 547,35 $ pour une période d'un an allant du mois d'avril 2000 au mois d'avril 2001.

[7]                Dans une lettre datée du 16 juillet 2001, la défenderesse a demandé que DRHC reconsidère sa décision et que des prestations lui soient payées rétroactivement jusqu'à son 65e anniversaire de naissance.

[8]                Dans une lettre datée du 24 juillet 2001, DRHC a confirmé sa décision de ne payer des prestations rétroactives que pour une période d'un an à partir de la date de réception de la demande de la défenderesse.

[9]                Le 26 octobre 2001, la défenderesse a déposé un avis d'appel concernant cette décision.

[10]            L'affaire a été entendue par le Tribunal de révision à Winnipeg, au Manitoba, le 22 avril 2003.

[11]            Dans sa décision datée du 23 juillet 2003, le Tribunal de révision a accueilli l'appel de la défenderesse et statué qu'elle avait droit à des prestations à partir du 22 avril 1995, soit la date de son 65e anniversaire de naissance.


Motifs du Tribunal de révision

[12]            Dans sa décision, le Tribunal de révision a reconnu que la disposition de la Loi régissant l'obtention de prestations rétroactives avait été modifiée le 1er novembre 1995 de manière que le paiement maximal passe de cinq ans à un an. Ce changement a été appliqué aux demandes reçues après le 1er novembre 1995, ce qui inclurait la demande de la défenderesse.

[13]            Le Tribunal de révision a également reconnu que, même si la réception de prestations est un droit, il incombe au prestataire, sous le régime de la Loi, de présenter une demande une fois qu'il y est admissible.

[14]            Après avoir examiné les déclarations de revenus de la défenderesse pour les années 1996 à 1999 inclusivement, le Tribunal de révision a noté qu'un revenu de pension de la Sécurité de la vieillesse avait été déclaré par erreur pour chacune de ces années, puisque la défenderesse et son comptable croyaient à tort que le chèque du Régime de pensions du Canada comprenait un montant pour la Sécurité de la vieillesse.

[15]            Le Tribunal de révision a également noté que l'article 32 de la Loi qui traite de l'avis erroné ou de l'erreur administrative autorise le ministre à prendre des mesures de réparation le cas échéant.

[16]            Au dernier paragraphe de la décision, le Tribunal de révision explique le fond de son raisonnement dans les termes suivants (page 5) :

[traduction] Même s'il estime qu'il n'y a pas eu d'avis erroné de la part de Développement des ressources humaines Canada puisque, en l'espèce, aucun avis n'a été donné, le Tribunal conclut que l'acceptation par l'Agence canadienne des douanes et du revenu d'une déclaration du montant auquel l'appelante aurait eu droit au titre du revenu de la Sécurité de la vieillesse en vertu de son droit à cette pension constitue une injustice à son endroit et que, par conséquent, en vertu du principe d'équité, l'appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée en conséquence avec effet rétroactif au 22 avril 1995, soit la date de son 65e anniversaire.

[17]            La présente procédure de contrôle judiciaire vise cette décision du Tribunal de révision.

Arguments du demandeur

[18]            Le demandeur a soutenu que la norme de contrôle applicable aux conclusions du Tribunal de révision est celle de la décision correcte pour les questions de droit et celle de la décision manifestement déraisonnable pour les questions de fait. À l'appui de cet argument, le demandeur invoque l'arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Angheloni, [2003] A.C.F. no 473 (QL), 2003 CAF 140, qui porte sur une décision de la Commission d'appel des pensions. Le demandeur a également allégué que la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission d'appel des pensions et à celles du Tribunal de révision est la même, puisque les deux organismes exercent les mêmes pouvoirs.

[19]            Le demandeur a soutenu que la norme de la décision correcte devait être appliquée puisque l'admissibilité de la défenderesse aux prestations est une question de droit.


[20]            Le demandeur a fait valoir que, en tant que tribunal créé par la loi, le Tribunal de révision n'a aucune compétence inhérente et ne peut exercer que les pouvoirs qui lui ont été conférés par la loi. Il a allégué que le Tribunal de révision n'a ni compétence en équité ni pouvoir de fonder une décision sur un « principe d'équité » .

[21]            Le demandeur a affirmé que le Tribunal de révision a outrepassé sa compétence et commis une erreur de droit en étendant la période de rétroactivité au-delà de la période maximale prévue par la loi.

[22]            Le demandeur a fait remarquer que, en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi, la demande doit être présentée et agréée par le ministre avant qu'une pension puisse être versée. En outre, le paragraphe 8(2) prévoit que, si le prestataire a déjà atteint l'âge de 65 ans lorsqu'il fait sa demande de prestations, l'effet de l'agrément peut être rétroactif à une date antérieure, celle-ci ne pouvant précéder de plus d'un an la date de réception de la demande ni être antérieure à la date du 65e anniversaire de naissance.

[23]            Puisque la demande de la défenderesse a été reçue en mars 2001, le demandeur a soutenu qu'il n'existait aucune disposition législative autorisant le paiement de prestations rétroactives avant avril 2000.

[24]            Subsidiairement, le demandeur a allégué que, si des prestations devaient être versées rétroactivement à la défenderesse à partir de son 65e anniversaire de naissance, les paiements commenceraient à s'appliquer le mois après qu'elle eut atteint l'âge de 65 ans, soit en mai 1995, et non en avril 1995 comme l'a décidé le Tribunal de révision.

Arguments de la défenderesse

[25]            La défenderesse n'a pas produit de dossier, mais elle a présenté des observations de vive voix à l'audition de la présente affaire.

Question en litige

[26]            La décision du Tribunal de révision devrait-elle être annulée?

Dispositions législatives pertinentes

[27]            La Loi sur la sécurité de la vieillesse, précitée, prévoit ce qui suit :


8. (1) Le premier versement de la pension se fait au cours du mois qui suit l'agrément de la demande présentée à cette fin; si celle-ci est agréée après le dernier jour du mois de sa réception, l'effet de l'agrément peut être rétroactif au jour - non antérieur à celui de la réception de la demande - fixé par règlement.

(2) Toutefois, si le demandeur a déjà atteint l'âge de soixante-cinq ans au moment de la réception de la demande, l'effet de l'agrément peut être rétroactif à la date fixée par règlement, celle-ci ne pouvant être antérieure au soixante-cinquième anniversaire de naissance ni précéder de plus d'un an le jour de réception de la demande.

(3) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, la pension est viagère, le dernier versement en étant effectué pour le mois du décès.

8. (1) Payment of pension to any person shall commence in the first month after the application therefor has been approved, but where an application is approved after the last day of the month in which it was received, the approval may be effective as of such earlier date, not prior to the day on which the application was received, as may be prescribed by regulation.

(2) Notwithstanding subsection (1), where a person who has applied to receive a pension attained the age of sixty-five years before the day on which the application was received, the approval of the application may be effective as of such earlier day, not before the later of

(a) a day one year before the day on which the application was received, and

(b) the day on which the applicant attained the age of sixty-five years,

as may be prescribed by regulation.

[28]            Les articles 27.1 et 28 de la Loi qui ont trait aux demandes de réexamen par le ministre et aux appels devant le Tribunal de révision sont rédigés comme suit :



27.1 (1) La personne qui se croit lésée par une décision de refus ou de liquidation de la prestation prise en application de la présente loi peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification de la décision, selon les modalités réglementaires, ou dans le délai plus long que le ministre peut accorder avant ou après l'expiration du délai de quatre-vingt-dix jours, demander au ministre, selon les modalités réglementaires, de réviser sa décision.

(2) Le ministre étudie les demandes dès leur réception; il peut confirmer ou modifier sa décision soit en agréant le versement de la prestation ou en la liquidant, soit en décidant qu'il n'y a pas lieu de verser la prestation. Sans délai, il notifie sa décision et ses motifs.

28. (1) L'auteur de la demande prévue au paragraphe 27.1(1) qui se croit lésé par la décision révisée du ministre - ou, sous réserve des règlements, quiconque pour son compte - peut appeler de la décision devant un tribunal de révision constitué en application du paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada.

27.1 (1) A person who is dissatisfied with a decision or determination made under this Act that no benefit may be paid to that person, or respecting the amount of any benefit that may be paid to that person, may, within ninety days after the day on which the person is notified in the prescribed manner of the decision or determination, or within such longer period as the Minister may either before or after the expiration of those ninety days allow, make a request to the Minister in the prescribed form and manner for a reconsideration of that decision or determination.

(2) The Minister shall, without delay after receiving a request referred to in subsection (1), reconsider the decision or determination, as the case may be, and may confirm or vary it and may approve payment of a benefit, determine the amount of a benefit or determine that no benefit is payable and shall without delay notify the person who made the request in writing of the Minister's decision and of the reasons for the decision.

28. (1) A person who makes a request under subsection 27.1(1) and who is dissatisfied with the decision of the Minister in respect of the request, or, subject to the regulations, any person on their behalf, may appeal the decision to a Review Tribunal under subsection 82(1) of the Canada Pension Plan.

[29]            Le Tribunal de révision est établi en vertu de l'article 82 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8, et les pouvoirs qui lui sont conférés sont énoncés au paragraphe 82(11) et à l'article 84. Ces dispositions sont reproduites ci-après.



82. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application de l'article 81 ou du paragraphe 84(2) ou celle qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, peut interjeter appel par écrit auprès d'un tribunal de révision de la décision du ministre soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la première personne est, de la manière prescrite, avisée de cette décision, ou, selon le cas, suivant le jour où le ministre notifie à la deuxième personne sa décision et ses motifs, soit dans le délai plus long autorisé par le commissaire des tribunaux de révision avant ou après l'expiration des quatre-vingt-dix jours.

[¼]

(11) Un tribunal de révision peut confirmer ou modifier une décision du ministre prise en vertu de l'article 81 ou du paragraphe 84(2) ou en vertu du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et il peut, à cet égard, prendre toute mesure que le ministre aurait pu prendre en application de ces dispositions; le commissaire des tribunaux de révision doit aussitôt donner un avis écrit de la décision du tribunal et des motifs la justifiant au ministre ainsi qu'aux parties à l'appel.

84. (1) Un tribunal de révision et la Commission d'appel des pensions ont autorité pour décider des questions de droit ou de fait concernant:

82. (1) A party who is dissatisfied with a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2), or a person who is dissatisfied with a decision of the Minister made under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act, or, subject to the regulations, any person on their behalf, may appeal the decision to a Review Tribunal in writing within 90 days, or any longer period that the Commissioner of Review Tribunals may, either before or after the expiration of those 90 days, allow, after the day on which the party was notified in the prescribed manner of the decision or the person was notified in writing of the Minister's decision and of the reasons for it.

. . .

(11) A Review Tribunal may confirm or vary a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2) or under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act and may take any action in relation to any of those decisions that might have been taken by the Minister under that section or either of those subsections, and the Commissioner of Review Tribunals shall thereupon notify the Minister and the other parties to the appeal of the Review Tribunal's decision and of the reasons for its decision.

84. (1) A Review Tribunal and the Pension Appeals Board have authority to determine any question of law or fact as to

a) la question de savoir si une prestation est payable à une personne;

b) le montant de cette prestation;

[¼]

La décision du tribunal de révision, sauf disposition contraire de la présente loi, ou celle de la Commission d'appel des pensions, sauf contrôle judiciaire dont elle peut faire l'objet aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, est définitive et obligatoire pour l'application de la présente loi.

(a) whether any benefit is payable to a person,

(b) the amount of any such benefit,

. . .

and the decision of a Review Tribunal, except as provided in this Act, or the decision of the Pension Appeals Board, except for judicial review under the Federal Courts Act, as the case may be, is final and binding for all purposes of this Act.

Analyse et décision


[30]            Nul ne conteste que la défenderesse a tardé à faire sa demande de prestations de la Sécurité de la vieillesse. Elle a eu 65 ans en avril 1995, mais elle n'a pas fait la demande de prestations avant mars 2001. DRHC a versé à la défenderesse des prestations rétroactives pour une période d'un an. La défenderesse a demandé que des prestations rétroactives lui soient versées pour une plus longue période de temps en présentant au ministre une demande de réexamen de la décision de DRHC en vertu du paragraphe 27.1(1) de la Loi.    Cette demande a été rejetée et la défenderesse en a appelé au Tribunal de révision, en vertu du paragraphe 28(1) de la Loi.

[31]            Le Tribunal de révision a accueilli l'appel de la défenderesse à l'encontre de la décision du ministre et lui a accordé des prestations rétroactives au 22 avril 1995, soit la date de son 65e anniversaire de naissance. Les prestations rétroactives ont été accordées sur le fondement du « principe d'équité » .

[32]            La question à trancher en l'espèce est de savoir si le Tribunal de révision pouvait accorder des prestations rétroactives à la date du 65e anniversaire de naissance de la défenderesse, en s'appuyant sur le principe d'équité, alors que le paragraphe 8(2) de la Loi prévoit expressément que les prestations rétroactives sont limitées à une période d'un an avant la date de réception de la demande de prestations.

[33]            Le Tribunal de révision est une pure création de la loi et, par conséquent, il ne jouit d'aucune compétence inhérente en équité qui lui aurait permis d'écarter la disposition législative claire du paragraphe 8(2) de la Loi et d'appliquer le principe d'équité pour accorder des prestations rétroactives au-delà de la limite prévue par la Loi.


[34]            Je suis d'avis que le Tribunal de révision a outrepassé sa compétence en accordant des prestations de pension rétroactives au-delà de la limite prévue au paragraphe 8(2) de la Loi.

[35]            La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur celle-ci.

[36]            Aucuns dépens ne sont adjugés.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un                  tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur celle-ci.

2.          Aucuns dépens ne sont adjugés.

              « John A. O=Keefe »                

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 8 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                T-1550-03

INTITULÉ :                                                                 LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

c.

PATRICIA ESLER

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 13 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                              LE 8 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Florence Clancy                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Patricia Esler                                                                          POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg, c.r.                                                           POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Patricia Esler                                                                          POUR SON PROPRE COMPTE

La Rivière (Manitoba)

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