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Date : 20011019

Dossier : T-1901-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1140

ENTRE:

                                                                 RONALD CARON

                                                                                                                                               Demandeur

                                                                              - et -

                                       SA MAJESTÉ LA REINE EN CHEF DU CANADA

                                    Tel que représentée par le CONSEIL DU TRÉSOR

                                                                                                                                                   Défendeur

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de révision judiciaire à l'encontre de la décision de la l'Arbitre Jean Charles Cloutier [ « l'Arbitre » ] de la Commission des relations de travail dans la fonction publique [ci-après « la Commission » ] rendue le 15 septembre 2000 en vertu de laquelle, les griefs du demandeur et des autres fonctionnaires s'estimant lésés furent rejetés.


FAITS

[2]                 Le demandeur est un agent de correction occupant un poste désigné en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique [ « la Loi » ] à l'Établissement de Donnacona [ « Donnacona » ], dans la ville de Donnacona, Québec.

[3]                 Le Directeur intérimaire de Donnacona, M. Claude Lemieux, [le « Directeur » ] faisait parvenir à tous les fonctionnaires, y compris les agents de correction des notes de service indiquant la procédure à suivre lorsqu'il y avait des activités concertées, spécifiquement une ligne de piquetage.

[4]                 L'employeur avait aussi indiqué qu'il était interdit aux employés désignés de participer à une grève en vertu de l'article 102 de la Loi.

[5]                 Le matin du 26 mars 1999, une ligne de piquetage bloquait l'entrée à Donnacona.

[6]                 À 9h48 ce matin-là, les forces policières ont ouvert la ligne de piquetage permettant à une cinquantaine de véhicules de passer.

[7]                 Par la suite, la ligne est restée ouverte pour environ une quinzaine de minutes sans que le demandeur ne la traverse.

[8]                 Le 26 mars 1999, le Directeur a imposé au demandeur, ainsi qu'a d'autres agents de correction ayant manqué à leurs obligations, une peine pécuniaire de mille dollars (1000$) en vertu de l'alinéa 102(1)(c) de la Loi.

[9]                 Le 8 avril 1999, le demandeur et d'autres fonctionnaires s'estimant lésés par l'imposition de l'amende, ont présenté des griefs contestant la peine pécuniaire.

[10]            Le 15 mars 2000, M. Yvon Tarte, président de la Commission, a entendu une requête fondée sur l'article 21 de la Loi enjoignant l'employeur d'arrêter immédiatement l'imposition des sanctions. Cette requête fut rejetée.

[11]            Puisque tout fonctionnaire assujetti à une mesure disciplinaire peut présenter un grief, les griefs du demandeur et des autres fonctionnaires s'estimant lésés ont été renvoyés à l'arbitrage devant la Commission. L'audience des griefs a eu lieu les 18 et 19 juillet 2000.

[12]            Sur le fond des griefs, l'Arbitre a retenu que le demandeur et les autres fonctionnaires s'estimant lésés ont admis ne pas avoir tenté de traverser la ligne de piquetage.

[13]            L'Arbitre a conclu que le demandeur et les autres fonctionnaires, occupant un poste désigné, ont fait preuve d'inconduite en ne traversant pas la ligne de piquetage et donc, ont violé l'alinéa 102(1)(c) de la Loi.

[14]            En somme, l'Arbitre a déterminé qu'en l'espèce, l'imposition d'une peine pécunière de mille dollars (1000$) était justifiée dans les circonstances.

[15]            Conséquemment, il a rejeté les griefs et alors, le 16 octobre 2000, le demandeur a présenté une demande de révision judiciaire.

LÉGISLATION PERTINENTE

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique



92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

[...]

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

[...]

b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),

(i) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or

(ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act,



102. (1) Il est interdit au fonctionnaire de participer à une grève :

[...]

c) s'il occupe un poste désigné.

102. (1) No employee shall participate in a strike

[...]

(c) who occupies a designated position.

105. (1) Le fonctionnaire qui contrevient à l'article 102 commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de mille dollars.

105. (1) Every employee who contravenes section 102 is guilty of an offence and liable on summary conviction to a fine not exceeding one thousand dollars.



107. Il ne peut être intenté de poursuite pour transgression d'une interdiction prévue aux articles 8, 9 ou 10 ou pour une infraction visée à l'article 105 sans le consentement de la Commission.

107. No prosecution arising out of an alleged failure by any person to observe any prohibition contained in section 8, 9 or 10 and no prosecution for an offence under section 105 shall be instituted except with the consent of the Board.


Loi sur la gestions des finances publiques



11. (2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique :

[...](f) établir des normes de discipline dans la fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres y compris le licenciement et la suspension, susceptibles d'être appliquées pour manquement à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

11.(2) Subject to the provisions of any enactment respecting the powers and functions of a separate employer but notwithstanding any other provision contained in any enactment, the Treasury Board may, in the exercise of its responsibilities in relation to personnel management including its responsibilities in relation to employer and employee relations in the public service, and without limiting the generality of sections 7 to 10,

[...]

(f) establish standards of discipline in the public service and prescribe the financial and other penalties, including termination of employment and suspension, that may be applied for breaches of discipline or misconduct, and the circumstances and manner in which and the authority by which or whom those penalties may be applied or may be varied or rescinded in whole or in part;


QUESTION EN LITIGE

[16]            L'employeur avait-il l'autorité statutaire d'imposer cette mesure disciplinaire, et si oui, l'a-t-il exercé correctement?

ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire

[17]            Il faudrait d'abord examiner la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions arbitrales. Il se dégage de la jurisprudence la notion que la Cour ne devrait pas intervenir dans une décision d'un arbitre nommé en vertu de la Loi sauf si la décision est manifestement déraisonnable.

[18]            Dans l'affaire Desrochers c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] A.C.F. no 505 (C.F. 1ère instance), j'ai étudié les causes pertinentes traitant de la norme de contrôle applicable lorsqu'il s'agit d'un arbitre nommé en vertu de la Loi aux paragraphes 48 à 53:

[para 48] La Cour d'appel fédérale a énoncé dans l'arrêt Barry c. Canada (Conseil du Trésor) (1997), 139 F.T.R. 240, la norme de contrôle judiciaire des décisions des arbitres. Le juge Robertson écrit:

En toute déférence, nous sommes d'avis que la norme de contrôle adoptée par le juge des requêtes est contraire aux enseignements de la Cour suprême. Il est vrai qu'avant l'abrogation de la clause privative, la Cour suprême avait statué [...] que la norme de contrôle appropriée au regard des décisions d'un arbitre agissant en vertu de la Loi était de déterminer si la décision était "manifestement déraisonnable". À notre avis, rien n'a changé du fait de l'abrogation de la clause privative.

[para 49] Dans l'arrêt McCormick c. Canada (Procureur général) (1998), 161 F.T.R. 82, le juge Muldoon indique:

Pour définir le degré de retenue dont il convient de faire preuve envers une décision arbitrale, il faut tenir compte de quatre facteurs : la nature spécialisée du tribunal, l'existence ou non d'un droit d'appel d'origine législative, la nature de la question que l'arbitre doit trancher et l'existence d'une clause privative

[...]

Par conséquent, dans la présente affaire, il convient de faire preuve d'une retenue considérable envers la décision de l'arbitre. Pour qu'une intervention judiciaire soit justifiée, la décision de l'arbitre doit être manifestement déraisonnable ou clairement irrationnelle; elle ne doit pas simplement être erronée aux yeux de la Cour.

[para 50] Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Cleary (1998), 161 F.T.R. 238, le juge Rothstein note:

Les parties conviennent avec moi que la norme de contrôle de la décision d'un arbitre en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est le caractère manifestement déraisonnable.


[19]            Compte tenu de tous les précédents ci-mentionnés, cette Cour doit faire preuve de déférence envers la décision de la Commission et n'interviendra que si elle est convaincue que la décision de l'Arbitre est manifestement déraisonnable.

92(1)(b) de la Loi

[20]            L'article 92 de la Loi délimite les compétences de la Commission en matière de griefs. L'alinéa 92(1)(b) permet le renvoi à l'arbitrage d' « une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire » .

[21]            Au début de l'audience devant la Commission, le demandeur a soulevé une objection quant à la compétence de l'Arbitre pour entendre les griefs. Le demandeur a souligné que la compétence de l'Arbitre se limitait au contenu de la convention collective et donc, que l'Arbitre n'avait pas de compétence vis-à-vis la Loi. Cette objection fut rejetée.

[22]            Pour être compétent, l'Arbitre devait conclure que la peine pécuniaire de mille dollars (1000$) imposée au demandeur constituait « une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire » au sens de l'alinéa 92(1)(b) de la Loi. L'Arbitre a dit dans sa décision à la page 2, au paragraphe 7 :


Les griefs des fonctionnaires s'estimant lésés contestent une sanction pécuniaire que l'employeur leur a imposée pour ne pas s'être présentés au travail le 26 mars 1999. Je considère que cette sanction pécuniaire est de nature disciplinaire et que l'alinéa 92(1)b) de la Loi me donne compétence pour entendre les griefs devant moi.

[23]            De plus, l'Arbitre s'est fondé sur un extrait de la décision dans Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor qui se trouve à la page 4, au paragraphe 6 :

[...] Tout fonctionnaire assujetti à une mesure disciplinaire peut présenter un grief. De plus, les griefs ayant trait à une mesure disciplinaire entraînant soit la suspension, une sanction pécuniaire ou le licenciement, peuvent, en vertu de l'article 92 de la L.R.T.F.P. être renvoyés à l'arbitrage devant la Commission. Les plaignants qui s'estiment lésés par les mesures disciplinaires imposées par l'employeur peuvent donc utiliser la procédure des griefs pour contester la décision de l'employeur. [...]

[24]            En ce qui concerne la norme de contrôle applicable, il est accepté maintenant que la norme de contrôle judiciaire applicable aux questions de compétence, qui ressort de la juridiction, est celle de correcte (voir Pezim c. British Columbia (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; Union des employés de service loc. 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048 et Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Labour Relations Board), [1984] 2 R.C.S. 412.


[25]            En l'espèce, l'Arbitre n'a pas commis d'erreur quand il est arrivé à la conclusion qu'il pouvait tirer sa compétence en vertu de l'alinéa 92(1)(b) de la Loi et en vertu de l'extrait de la décision Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor pour déterminer que la peine pécuniaire imposée au demandeur constituait « une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire » .

L'alinéa 11(2)(f) de la Loi sur la gestion des finances publiques

[26]            Il semble qu'il y a eu confusion entre l'alinéa 11(2)(f) de la Loi sur la gestion des finances publiques et l'alinéa 105(1)(a) de la Loi.    L'alinéa 11(2)(f) de la Loi sur la gestion publique accorde à l'employeur le pouvoir d'imposer une sanction disciplinaire, soit une peine pécuniaire, lorsqu'un employé a commis une inconduite. Il permet un mécanisme interne de discipline. En l'espèce, c'est une peine pécuniaire en vertu de l'alinéa 11(2)(f) de la Loi sur la gestion des finances publiques qui a été imposée au demandeur et aux fonctionnaires lésés.

[27]            Or, l'alinéa 105(1)(a) de la Loi prévoit la possibilité de l'imposition d'une amende maximale de mille dollars (1000$) sur déclaration de culpabilité d'une infraction à l'article 102 de la Loi par procédure sommaire. Ceci dit, seulement les tribunaux judiciaires ont compétence en cette matière, car il s'agit d'un processus judiciaire. Pour invoquer l'article 105 de la Loi, il faut d'abord obtenir le consentement de la Commission selon l'article 107 de la Loi.

[28]            En l'espèce, je n'ai aucune hésitation à conclure que l'alinéa 11(2)(f) de la Loi sur la gestion des finances publiques donne source à la peine pécunière imposée par l'employeur.

[29]            La procureur du demandeur suggère que l'alinéa 11(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques ne permet pas au Conseil du Trésor d'exercer ses pouvoirs à l'égard du paragraphe 11(2) dans le présent cas.

[30]            Je dois d'abord mentionner que cet argument n'était pas présent dans les prétentions écrites du demandeur. D'autre part, la procureure du demandeur ne m'a pas convaincu; je ne puis accepter cet argument qui aurait pour conséquence de voir le paragraphe 3 de l'article 11 rendre inopérant le paragraphe 2 du même article. Le législateur n'a pas prévu une pareille interprétation de ces dispositions législatives.

[31]            La procureure de la défenderesse a également rappelé que le demandeur a d'abord déposé une plainte devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique le 21 avril 1999 (pièce F-4 du dossier du demandeur), laquelle a ensuite été retirée suite à la signature d'un protocole d'entente signé par le demandeur le 24 avril 1999 (pièce F-5).

[32]            Le même protocole d'entente confirmait que la procédure de grief allait s'appliquer à l'encontre de la mesure disciplinaire du 26 mars 1999.

[33]            Il est pour le moins troublant de constater que le demandeur, après avoir consenti à cette procédure, décide de contester la juridiction de l'Arbitre, d'abord devant l'Arbitre lui-même, et ensuite devant la Cour fédérale.

[34]            Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça ne fait pas sérieux.

[35]            Je n'ai aucune hésitation à rejeter les prétentions du demandeur et à conclure que l'Arbitre avait juridiction pour entendre la demande.

[36]            Quant à la décision de l'Arbitre et à ses motifs, j'ai relu avec attention les prétentions écrites du demandeur et ce dernier n'a pas indiqué à la Cour quels seraient les éléments qui pourraient amener la Cour à conclure que ladite décision soit entachée d'une erreur de droit ou encore qu'elle soit fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont l'Arbitre disposait.

[37]            Devant l'absence de preuve présentée à la Cour, en conséquence la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 19 octobre 2001

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